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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101015

Dossier : IMM-6608-09

Référence : 2010 CF 1013

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2010

En présence de monsieur le juge Zinn   

 

ENTRE :

ELENA YURIEVNA KOZYREVA

  

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, c. 27 (la Loi), d’une décision par laquelle la demanderesse s’est vue refuser sa demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR).

 

[2]               Je ne suis pas persuadé que l’agente d’ERAR a commis les erreurs alléguées par la demanderesse et, pour les motifs suivants, la présente demande est rejetée.

 

Le contexte

[3]               Mme Kozyreva est une citoyenne de la Russie. Elle est arrivée au Canada, munie d’un visa de résidence temporaire, le 5 mai 2006. Le visa a expiré le 5 novembre 2006. Elle a eu une relation mouvementée avec Eduard Baraban, un citoyen canadien. Ils se sont rencontrés le 1er juillet 2006,  ils ont emménagé ensemble le 1er septembre 2006, pour ensuite se marier le 27 octobre 2006.

 

[4]               En janvier 2007, Mme Kozyreva a présenté une demande de prorogation de son visa de résidence temporaire et son mari a présenté une demande de parrainage à titre de conjoint. Lorsqu’ils se sont présentés, le 28 février 2008, à une entrevue relative à la demande de parrainage, la demanderesse était enceinte de sept mois. L’agente a semblé convaincue de l’authenticité du mariage; cependant, elle a souligné que M. Baraban avait manqué à ses obligations dans le cadre d’une précédente demande de parrainage qu’il avait présentée relativement à sa première femme. La première Mme Baraban a attaqué M. Baraban avec un couteau peu après son arrivée au Canada à titre de conjointe parrainée. Elle a été accusée d’une infraction criminelle qui a été ensuite retirée lorsqu’il a été conclu qu’elle souffrait de problèmes de santé mentale.

 

[5]               Afin de pouvoir parrainer la demanderesse, M. Baraban a amassé les fonds qu’il croyait nécessaires pour payer les prestations d’aide sociale que sa première femme avait reçues de 2001 à 2004. Cependant, il a par la suite appris qu’il restait un solde de 35 000 $.

 

[6]               Par la suite, la demanderesse a été expulsée du Canada, ainsi que son fils né le 3 avril 2008. Cependant, comme son fils n’avait pas le visa exigé, ils se sont vus refuser l’entrée à Amsterdam (Pays-Bas), et ils ont été renvoyés au Canada. La demanderesse a déposé une demande d’ERAR le 26 août 2008, alléguant craindre que son ancien petit ami lui fasse du mal si elle retournait en Russie.

 

[7]               Avant d’arriver au Canada, la demanderesse avait fait l’objet de menaces de mort de la part de son ancien petit ami et celui-ci avait dit qu’il la noierait si elle revenait en Russie. Selon la demanderesse, il a utilisé différents noms et il a des liens avec des groupes criminels ainsi qu’avec la police russe. Il a 17 ans de plus qu’elle et il l’a battue à plusieurs reprises. Mme Kozyreva dit qu’elle n’a pas signalé les agressions à la police parce qu’il lui aurait été difficile de prouver ses allégations de mauvais traitements et parce que son ancien petit ami entretenait des liens avec la police et qu’il était riche. De plus, l’ancien petit ami de la demanderesse lui a dit qu’il ne resterait pas longtemps en prison, le cas échéant, en raison de son instabilité mentale.

 

[8]               L’agente d’ERAR a souligné que la demanderesse n’a jamais présenté une demande d’asile. Lors du rejet de la demande d’ERAR, l’agente a conclu que la demanderesse n’entretenait plus de relation avec son ancien petit ami et que rien ne prouvait objectivement que l’ancien petit ami de la demanderesse s’intéresserait encore à elle. Compte tenu que la demanderesse a un nouvel homme dans sa vie et qu’elle a un fils, l’agente n’était pas convaincue que les autorités n’interviendraient pas si la demanderesse était victime de violence.

 

[9]               L’agente a conclu que même si la demanderesse était menacée par son ancien petit ami, elle disposait d’une protection de l’État adéquate en Russie et que la protection de l’État était la question déterminante dans le dossier de la demanderesse.

 

[10]           L’agente a reconnu que la violence familiale est un problème important en Russie, mais elle a ajouté que les voies de fait, les agressions, les menaces et les meurtres y sont interdits par la loi. L’agente a souligné que les victimes de violence familiale doivent intenter des poursuites

elles-mêmes. Elle a conclu que bien que des sources indiquent que la police décourage les victimes de déposer des plaintes, il n’y a pas suffisamment de preuve pour conclure qu’elles ne peuvent pas le faire. De plus, elle a ajouté que certains rapports indiquent que les choses s’améliorent dans les villes où des organismes ont collaboré avec la police afin d’aider les victimes de violence familiale.

 

[11]           L’agente a mentionné que même si les solutions offertes aux victimes de violence familiale en Russie n’équivalent peut-être pas à celles au Canada, l’asile ne vise pas à permettre à un demandeur d’aller solliciter dans un autre pays une protection meilleure que celle offerte dans son pays.

 

[12]           L’agente a finalement jugé que la demanderesse n’avait pas présenté une preuve documentaire suffisante pour étayer ses allégations et qu’elle n’avait pas fourni un motif objectif pour lequel elle n’avait pas demandé l’asile en Russie. Par conséquent, l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas droit à l’asile pour l’un ou l’autre des motifs énoncés aux articles 96 ou 97 de la Loi.

 

Les questions en litige

[13]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

1.         L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qu’il lui incombait de renverser la présomption de la protection de l’État à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants?

2.         L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que l’ancien petit ami de la demanderesse ne constituera plus une menace pour elle en Russie, car elle a un nouvel homme dans sa vie et qu’elle a un fils?

 

Analyse

Analyse de la protection de l’État

[14]           J’estime que la conclusion de l’agente selon laquelle Mme Kozyreva n’a produit aucune preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de protection de l’État était raisonnable compte tenu des documents dont disposait l’agente.

 

[15]           Contrairement aux déclarations de la demanderesse, l’agente n’a pas fait fi de parties des documents étayant la position de la demanderesse. L’agente a affirmé que la violence familiale était [traduction] « un problème important », que [traduction] « les victimes de violence familiale doivent elles-mêmes intenter des poursuites » et que la preuve indiquait que [traduction] « la police décourage (sic) les victimes de déposer des plaintes. »

 

[16]           La demanderesse interprète mal ces conclusions en laissant entendre que l’agente a conclu que la protection de l’État existe parce qu’il n’est pas interdit aux victimes de violence familiale de déposer une plainte. Bien que la dernière partie de cette observation ait été faite par l’agente, ce n’était pas le seul motif de la conclusion selon laquelle la protection de l’État existe. L’agente a plutôt tenu compte de l’ensemble de la preuve et a conclu que la demanderesse n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante qu’il y a absence de protection de l’État.

 

[17]           Je rejette l’argument de la demanderesse selon laquelle l’agente n’a pas tenu compte des  conséquences de sa déclaration selon laquelle son ancien petit ami entretenait des liens avec la police et avec des criminels. L’agente a expressément accepté sa déclaration selon laquelle son ancien petit ami entretenait des liens avec la police et avec des criminels, puis elle a affirmé que [traduction] « l’incapacité des autorités à l’échelle régionale d’offrir une protection ne signifie pas que l’ensemble de l’État est incapable de protéger ses citoyens […] ». Bien que l’agente eut pu en dire davantage lorsqu’elle a examiné cette question, je ne suis pas d’accord pour affirmer, à la suite de la lecture de l’ensemble de la décision, que la conclusion de l’agente au sujet de la protection de l’État était déraisonnable.

 

 

 

Le danger que pose l’ancien petit ami

[18]           La demanderesse allègue qu’elle a présenté des motifs clairs quant à la raison pour laquelle elle a refusé de réclamer la protection de l’État, et que, par conséquent, le paragraphe 108(4) de la Loi s’applique et rend non pertinent le fait que son ancien petit ami ne s’intéresse peut-être plus à elle. Les dispositions pertinentes de la Loi prévoient ce qui suit :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

[…]

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

[…]

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

...

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

...

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

 

[19]           Je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que la jurisprudence établit clairement qu’un agent, avant d’entreprendre une analyse en vertu du paragraphe 108(4), doit d’abord conclure qu’il existait une demande valide du statut de réfugié ou de personne à protéger et que les motifs de la demande ont cessé d’exister en raison d’un changement de la situation dans le pays : Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, au paragraphe 5. Puisqu’on a conclu à l’existence de la protection de l’État, Mme Kozyreva n’est pas une réfugiée ni une personne à protéger et l’analyse des raisons impérieuses prévue au paragraphe 108(4) n’est pas justifiée.

 

[20]           De plus, j’estime que la conclusion de l’agente, selon laquelle la preuve ne suffisait pas à étayer l’allégation selon laquelle l’ancien petit ami pourchasserait la demanderesse si elle retournait en Russie était équitable et raisonnable, compte tenu de la preuve dont disposait l’agente.

 

[21]           Bien que j’éprouve de la sympathie pour la demanderesse et sa nouvelle famille canadienne, il n’appartient pas à la Cour d’infirmer la décision de l’agente, car, compte tenu des faits et de la preuve qui lui ont été soumis, elle était raisonnable.

 

[22]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier; il n’y en a aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu’aucune question ne soit certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6608-09

 

INTITULÉ :                                       ELENA YURIEVNA KOZYREVA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 septembre 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 15 octobre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph S. Farkas

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joseph S. Farkas

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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