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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101015

Dossier : IMM-546-10

Référence : 2010 CF 1014

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

ENTRE :

FABIAN BRYAN JEAN

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur, un citoyen de Sainte-Lucie, demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 janvier 2010 par la Section de la protection des réfugiés, par laquelle sa demande d’asile a été rejetée.

 

[2]          Sur consentement des parties, le demandeur est désigné par le nom de Fabian Bryan Jean.

 

[3]          Je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Le contexte

 

[4]               Le demandeur est un homme bisexuel qui a entretenu une relation homosexuelle avec un autre homme. Le frère ainé de son partenaire sexuel l’a agressé physiquement lorsqu’il les a surpris dans un motel en 2002. L’agresseur a été aidé par trois autres individus. L’un d’eux a donné un coup de machette au demandeur, lui causant des blessures graves. Le demandeur a été hospitalisé pendant dix jours à la suite de ses blessures, lesquelles comprenaient de nombreuses lacérations.

 

[5]               Le partenaire sexuel du demandeur et l’agresseur ont quitté Sainte-Lucie pendant un certain temps. Lorsque son partenaire sexuel est revenu en 2005, le demandeur a repris la relation homosexuelle ce qui a entrainé la rupture de son mariage. En mars 2007, le demandeur est arrivé au Canada. Il a déposé une demande d’asile parce qu’il aurait appris que son agresseur était retourné à Sainte-Lucie et était à sa recherche.

 

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[6]               Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le demandeur n’était pas crédible en raison des divergences figurant dans son récit quant au moment où il a pris la décision de présenter une demande d’asile et aussi en raison de sa déclaration selon laquelle l’agresseur avait également battu son ancien partenaire sexuel, ce que ce dernier nie dans une lettre écrite. En outre, la SPR a accordé peu de poids aux affidavits de la mère et de la sœur du demandeur selon lesquels l’agresseur était de retour à Sainte-Lucie et était à la recherche du demandeur et que, après avoir agressé la sœur du demandeur, il avait proféré de graves menaces à l’endroit du demandeur.

 

[7]               La SPR a tenu pour avéré que l’agresseur ne s’intéressait plus au demandeur depuis 2002. Elle a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté. Elle a examiné des documents relatifs au pays et a conclu que, bien que les homosexuels étaient victimes de discrimination et parfois de violence, la police enquêtait sur ces infractions. Enfin, la SPR a décidé qu’une analyse fondée sur l’article 97 n’était pas nécessaire.

 

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

[8]               La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR)

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas […]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country…

 

 

 

 

La norme de contrôle

 

[9]               La norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable à la question de savoir si la crainte de persécution est justifiée est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 387.

 

 

 

 

Analyse

 

[10]           Le demandeur allègue que la SPR a mal interprété la preuve et a tiré une conclusion de fait abusive lorsqu’elle a décidé d’accorder peu de poids à l’affidavit de la sœur au motif que la police n’aurait pas refusé d’enquêter sur sa plainte puisqu’elle n’est pas homosexuelle. Le défendeur soutient qu’il est erroné de dire que les motifs de la SPR, lus dans leur ensemble, ne révèlent aucune analyse qui ne va pas dans le sens de sa décision de rejet de la demande d’asile ou que cette décision a quelque chose de remarquablement irrationnel.

 

[11]           Le demandeur allègue que la SPR a commis une erreur en ne procédant pas à une analyse fondée sur l’article 97 de la LIPR puisque la SPR n’a pas nié pas l’orientation sexuelle du demandeur et que les documents relatifs au pays étayaient la conclusion que le traitement réservé aux homosexuels allait au-delà de la discrimination sociale et comprenait des actes de violence envers les homosexuels. Le défendeur affirme que la SPR n’était pas saisie d’une preuve crédible suffisante justifiant la présentation d’une demande fondée sur l’article 97.

 

[12]           La SPR a relevé plusieurs contradictions flagrantes dans la preuve du demandeur et a conclu qu’il n’était pas crédible. La SPR a relevé des contradictions entre la preuve du demandeur et son témoignage quant au moment où il a décidé de demander l’asile. Elle a eu la possibilité d’observer le demandeur pendant qu’il fournissait une explication quant à ces contradictions. Lorsqu’on applique le critère énoncé dans l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, on peut conclure que, compte tenu de la preuve dont elle disposait, la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas crédible appartient aux issues raisonnables.

[13]           La SPR a accordé peu de poids à l’affidavit de la sœur du demandeur qui a affirmé que l’agresseur l’avait également agressée et que la police avait refusé d’enquêter. Elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’ai tenté de signaler l’incident à la police, mais elle m’a répondu qu’elle ne s’intéressait pas à la protection des gais ». La SPR a dit :

 

Certains éléments de preuve tels que des affidavits […] de la sœur et de la mère du demandeur d’asile, appuient l’allégation de ce dernier selon laquelle Seika continue de proférer des menaces […] Sa sœur déclare avoir été agressée physiquement par Seika et que les policiers refusent de prêter assistance aux personnes homosexuelles. Le tribunal rappelle que la sœur du demandeur d’asile n’est pas lesbienne si bien que cette déclaration sonne faux. J’accorde peu de force probante à cet affidavit.

 

 

 

[14]           La sœur du demandeur ne précise pas si c’est l’agression commise sur sa personne ou si c’est l’historique complet de l’affaire qu’elle a raconté à la police. Sa preuve par affidavit n’est pas étayée par un rapport médical corroborant l’existence de ses blessures ou par une copie du rapport de police. Puisque la sœur du demandeur a seulement dit qu’elle avait signalé « l’incident » à la police, je ne peux pas dire que la raison pour laquelle la SPR a décidé d’accorder peu de poids à son affidavit n’appartient pas aux issues raisonnables. C’est au demandeur qu’il appartient de prouver son allégation. Les affidavits de sa sœur et de sa mère qu’il a fournis ne sont que de simples déclarations générales qui manquent de détails et de corroboration.

 

[15]           Dans la décision Odetoyinbo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 501, le juge Martineau a déclaré qu’une conclusion défavorable sur la crédibilité, quoi qu’elle puisse être concluante quant à une demande de statut de réfugié au titre de l’article 96 de la LIPR, n’est pas nécessairement concluante quant à une demande de statut de réfugié au titre de l’article 97 puisque la preuve requise pour établir une demande au titre de l’article 97 diffère de celle pour l’application de l’article 96. L’article 96 a des composantes objectives et subjectives qui ne se retrouvent pas à l’article 97.

 

[16]           La SPR ne conteste pas que le demandeur est bisexuel et qu’il se livre à des activités homosexuelles. La SPR ne démentit pas non plus que le demandeur a été gravement blessé dans le cadre de cette activité en 2002 et qu’il a dû être hospitalisé. La SPR a tiré une conclusion défavorable au titre de l’article 96 en affirmant que :

 

Après avoir interrompu ses activités pendant quelques années, il a renoué sa relation avec un autre homme et a vaqué discrètement à ses affaires avec celui-ci durant un certain nombre d’années. Il est raisonnable de conclure que le demandeur d’asile pourrait retourner à Sainte-Lucie et y poursuivre son type de vie sans possibilité sérieuse d’être persécuté par la société.

 

 

 

[17]           La SPR a examiné les documents relatifs au pays qui indiquent que, à Sainte-Lucie, l’attitude envers les homosexuels va au-delà de la discrimination sociale et comprend des actes de violence contre les homosexuels. Le rapport 2008 du Département d’État des États-Unis mentionne qu’il y a peu de gens ouvertement gais dans ce pays et qu’il y a eu au moins deux cas d’agression contre les homosexuels, y compris une agression dans le cadre de laquelle un homosexuel a été tué après avoir été pendu à un arbre parce qu’il était ouvertement gai. La SPR a souligné que la police a fait enquête sur le crime, mais elle a aussi souligné que la police n’enquête pas toujours à la suite de plaintes de violence de nature homophobe.

 

[18]           La SPR a conclu que, malgré le climat défavorable aux homosexuels qui règne à Sainte‑Lucie, le demandeur n’a fait mention d’aucun acte de harcèlement de la part des habitants de Sainte-Lucie en général. Le demandeur doit établir un lien entre sa demande et la situation objective qui existe à Sainte-Lucie. Il n’a pas fait de mention d’actes de persécution autre que l’agression commise en 2002 par le frère ainé de son partenaire sexuel, qui, selon la conclusion de la SPR, ne s’intéresse plus au demandeur. Le demandeur n’a pas démontré qu’il a été ou qu’il serait persécuté par les citoyens de Sainte-Lucie en général : Nejad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), 2006 CF 1444.

 

[19]           Une conclusion défavorable en matière de crédibilité au titre de l’article 96 peut être déterminante quant à une demande présentée en vertu de l’article 97. Dans l’arrêt Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, la Cour d’appel fédérale a énoncé ce qui suit au paragraphe 29 :

 

Cependant, comme le juge MacGuigan l’a reconnu dans l’arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu’il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n’y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent

généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s’appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.

 

 

[20]           La Cour a repris ce principe dans la décision Mbanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 738, au paragraphe 21 :

 

Cela dit, l’absence d’une analyse distincte relative à l’article 97 ne sera pas fatale dans tous les cas. Lorsque, comme c’est le cas ici, aucune preuve ne permet de dire que la demanderesse est une personne à protéger, une telle analyse ne sera pas nécessaire.

 

 

 

[21]           À la suite de son examen des documents, favorables et défavorables, relatifs au pays, la SPR a conclu que le demandeur pouvait retourner à Sainte-Lucie et mener sa vie comme autrefois sans risque sérieux de persécution de la part de la société. Je conclus que la SPR n’a  commis aucune erreur en n’effectuant pas une analyse distincte au titre de l’article 97 d’une preuve déjà examinée.

 

 

Conclusion

 

[22]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[23]           Les parties n’ont proposé aucune question importante de portée générale à certifier et je ne certifie aucune question.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      L’intitulé est modifié afin que le nom du demandeur soit désigné comme étant Fabian Bryan Jean.

 

2.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

3.      Je ne certifie aucune question importante de portée générale.

 

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-546-10

 

 

INTITULÉ :                                       FABIAN BRYAN JEAN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               14 SEPTEMBRE 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN         

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       15 OCTOBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LE DEMANDEUR

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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