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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101005

Dossier : IMM-454-10

Référence : 2010 CF 993

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2010

En présence du juge en chef

 

ENTRE :

SEBASTIAN VELASCO MORENO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               À mon avis, une décision négative de la Section de la protection des réfugiés qui porte sur la question de la protection de l’État doit être examinée avec un soin particulier lorsque le commissaire choisit de ne tirer aucune conclusion relative à la crédibilité des allégations du demandeur concernant sa crainte subjective d’être persécuté.

 

[2]               En l’absence d’une évaluation défavorable de la crédibilité, le témoignage du demandeur est considéré comme ayant été accepté par le commissaire.

 

[3]               Toutefois, le juge saisi d’une demande de contrôle judiciaire doit être convaincu que les allégations du demandeur, qui figurent normalement dans le Formulaire de renseignements personnels et dans la transcription de l’audience relative à la demande d’asile, ont été traitées comme véridiques par le décideur.

 

[4]               Ce n’est qu’à cette condition qu’on pourra procéder à un examen approprié de l’analyse du commissaire concernant la protection de l’État. La question de la protection de l’État ne saurait être un moyen d’éviter de rendre une décision claire au sujet de la crainte subjective de persécution.

 

[5]               En l’espèce, j’estime que le commissaire a tiré une [traduction] « conclusion voilée sur la crédibilité », selon l’expression employée par l’avocat pour mettre en évidence l’incohérence entre les faits jugés véridiques et la conclusion relative à la protection de l’État. La jurisprudence a par ailleurs reconnu la notion de conclusions déguisées concernant la crédibilité.

 

[6]               Dans la décision Zokai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1581, au paragraphe 13, la Cour a statué :

[…] l’agent a effectivement écarté le témoignage du demandeur, estimant qu’il n’était pas digne de foi, sans pour autant mentionner explicitement qu’il y avait un problème de crédibilité.

 

[7]               Dans la même veine, la juge Layden-Stevenson, à l’époque où elle était membre de la Cour fédérale, avait conclu dans l’affaire Medina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 728, au paragraphe 10, que le commissaire avait rendu une « conclusion vague et défavorable relative à la crédibilité », en ne satisfaisant pas à l’obligation de justifier, en des termes clairs et explicites, les conclusions relatives à la crédibilité : Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] C.A.F. no 228 (C.A.) (QL).

 

[8]               En outre, dans la décision D.J.D.G c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2010 CF 765, au paragraphe 21, le juge Mandamin a tranché que la conclusion déguisée sur la crédibilité qu’avait tirée une agente d’immigration avait donné lieu à une erreur susceptible de contrôle.

 

[9]               Le demandeur, un étudiant de deuxième cycle à l’école secondaire qui comptait poursuivre des études universitaires à Bogota, en Colombie, pays dont il est citoyen, a affirmé avoir été contraint à un entretien à la pointe du fusil par deux personnes qui s’étaient identifiées en tant que membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Son Formulaire de renseignements personnels, qui fournit les détails de son récit, se lit en partie comme suit :

[Traduction] J’ai continué de marcher en direction de mon immeuble. Les hommes m’ont agrippé chacun un bras, et ils ont tenté de m’emmener au parc situé deux coins de rue plus loin, mais j’ai refusé. Lorsque l’un d’eux m’a montré son fusil, j’ai cessé de résister. Je savais qu’ils risquaient de me tirer dessus. Il commençait à faire noir. Tandis que nous marchions vers le parc, ils discutaient entre eux du « patron », en recourant à un langage codé. Je ne comprenais pas grand chose; j’avais si peur. Ils ne cessaient de parler du patron.

 

À un moment donné, dans un coin sombre du parc, ils m’ont dit de m’asseoir. Il n’y avait personne autour. Ils m’ont affirmé appartenir aux FARC, avant d’ajouter que j’avais été choisi pour travailler pour eux en raison de mon éducation, et que je pourrais les aider à lutter contre l’armée. Ils m’ont dit que je pourrais notamment contribuer aux activités de secours aux blessés et de protection de la base. Ils ont précisé qu’ils m’expliqueraient le reste une fois que je serais entré au service des FARC.

 

Ils m’ont dit que, maintenant que j’étais informé de ce que je serais appelé à faire auprès d’eux, ils me rencontreraient à mon domicile un mois plus tard (le 4 mars) pour commencer le travail. L’un des hommes a sorti son pistolet et l’a pointé vers moi. Ils ont dit que, maintenant que j’étais au courant qu’ils étaient membres des FARC, je ne devais appeler personne à ce sujet, ni en souffler mot à quiconque.

 

J’étais très effrayé. J’ai couru jusque chez moi. Je me disais qu’il m’était impossible de faire quoi que ce soit, puisque je ne pouvais pas appeler la police ni rien dire à ma mère, car elle est si malade. Je savais que selon la police, tant qu’on n’est pas blessé, on va bien. Par-dessus le marché, les FARC vous tueront si vous dites quoi que ce soit.

 

[10]           L’avocate du demandeur, Mme Leigh Salsberg, s’est inquiétée de la question de la conclusion déguisée sur la crédibilité dès l’audience relative au statut de réfugié en tant que telle :

[Traduction] AVOCATE DU DEMANDEUR : […] vous ne remettez pas en question la crédibilité de ce qui lui est arrivé en Colombie?

 

COMMISSAIRE : D’une certaine manière, oui. Je pose la question de savoir si ses activités aux États-Unis sont conséquentes de la part d’une personne ayant vécu une telle expérience. Si vous me demandez si j’ai décelé des contradictions ou omissions dans son témoignage concernant le fait que les FARC l’aient approché dans l’intention de le recruter, la réponse serait non. Mais la preuve documentaire objective n’étaye peut-être pas la possibilité que les FARC recrutent aussi ouvertement que l’a laissé entendre le demandeur, en plus du fait qu’il ne connaisse pas d’autres personnes telles que lui qui ont été kidnappées ou recrutées de force. Et je ne suis pas non plus – en toute franchise, je n’ai jamais lu de rapport en ce sens.

 

AVOCATE DU DEMANDEUR : Donc, vous posez la question de savoir si cela s’est produit, ou si la simple déclaration claire…

 

COMMISSAIRE : Si cela est appuyé par la preuve documentaire objective. Mais ce n’est pas – là n’est pas la véritable question. La véritable question concerne la protection de l’État.

 

[11]           Concurremment à l’approche équivoque du commissaire à l’égard de la version du demandeur, et peut-être justement pour cette raison, son analyse concernant la protection de l’État est généralisée et accorde peu de poids à la situation personnelle du demandeur. La question de savoir s’il existe une protection pour les personnes qui, comme le demandeur, ont été ciblées par les FARC, a été peu, voire même pas du tout analysée. En l’espèce, d’après la version du demandeur, celui-ci a été recruté à la pointe du fusil et menacé de représailles s’il révélait l’incident. Cette version contredit la conclusion du commissaire selon laquelle aucun mal n’est fait aux jeunes étudiants de Bogota qui refusent de se plier aux demandes des FARC.

 

[12]           La conclusion déguisée sur la crédibilité qu’a tirée le commissaire a vicié son analyse concernant la protection de l’État. En tenant pour acquis que les FARC ne ciblent pas des individus ni ne s’en prennent à eux à Bogota, le commissaire a omis d’examiner la question de la protection de l’État du point de vue du demandeur, lequel a affirmé avoir été ciblé et menacé par les FARC. Si le commissaire ne croyait pas le demandeur, il était tenu de l’exprimer clairement.

 

[13]           Le commissaire devait trancher la question de la véracité de la persécution alléguée par le demandeur avant de procéder à l’analyse concernant la protection de l’État : Jimenez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 727, au paragraphe 4. Son omission de le faire, ainsi que d’expliquer en termes clairs et explicites ses doutes sur la crédibilité du demandeur, constitue une erreur de droit susceptible de contrôle.

 

[14]           Aucune des parties ne propose la certification d’une question grave et aucune ne sera certifiée.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision rendue en date du 5 janvier 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de refugié est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-454-10

 

INTITULÉ :                                       SEBASTIAN VELASCO MORENO

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 septembre 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

 

POUR LE DEMANDEUR

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEIGH SALSBERG

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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