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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20101004

Dossier : IMM-6213-09

Référence : 2010 CF 973

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Sotheary HUOT

 

Demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) d’une décision d’un agent des visas du Haut-commissariat du Canada à Singapour, rejetant la demande de résidence permanente du fils de la demanderesse dans la catégorie du regroupement familial. De plus, l’agent n’a trouvé aucun motif d’ordre humanitaire justifiant d’accorder une exemption.

[2]          La demanderesse est citoyenne du Cambodge. Elle est venue au Canada en 2004 et a demandé l’asile. Sa demande a été acceptée et elle est devenue résidente permanente le 30 novembre 2006. Elle a parrainé les deux enfants de son mariage cambodgien, nés en 1998 et 2000.

 

[3]          Viasna Chan est le fils de la demanderesse, né hors mariage en 1991. Il a vécu avec sa grand-mère depuis l’âge de trois mois jusqu’en 2006, lorsque celle-ci est venue au Canada, parrainée par la sœur de la demanderesse (fait que la demanderesse ne connaissait pas à l’époque). Depuis 2006, Viasna Chan vit avec son oncle.

 

[4]          Lorsque la demanderesse est venue au Canada, elle a déclaré ses deux enfants comme personnes à charge, mais elle n’a jamais mentionné Viasna Chan. La grand-mère a essayé de parrainer Viasna Chan en 2007, mais la demande a été rejetée.

 

[5]          D’après la demanderesse, elle a rencontré la grand-mère par hasard à Montréal en 2007 et suite à cette rencontre, elle a commencé à parler avec Viasna Chan par téléphone. Elle désirait le faire venir au Canada pour vivre avec elle. Elle a fait une demande de parrainage et engagement sous la catégorie du regroupement familial vers la fin de 2007. Parallèlement, Viasna Chan a présenté une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires au Haut-commissariat du Canada à Singapour.

 

[6]          Les deux demandes ont été considérées ensemble par l’agent des visas à Singapour. Il a rejeté le tout le 18 août 2009. Une lettre a été envoyée à la demanderesse, lui indiquant qu’elle avait le droit d’en appeler de la décision refusant la demande de résidence permanente auprès de la Section d’appel de l’immigration (« SAI »). La lettre indiquait que si la SAI trouvait que Viasna Chan ne pouvait immigrer sous la rubrique du regroupement familial, elle ne pourrait pas prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire et l’appel serait rejeté.

 

[7]          La demanderesse a déposé une demande d’appel, mais l’a retirée le 7 décembre 2009. Elle a déposé la demande de contrôle judiciaire le 8 décembre, avec une demande pour un délai supplémentaire au motif qu’elle aurait poursuivi l’appel auprès de la SAI suite à de mauvais conseils de son conseiller de l’époque.

 

[8]          L’agent d’immigration a conclu que Viasna Chan n’était pas membre de la catégorie du regroupement familial et qu’il n’y avait pas de motifs humanitaires justifiant que la résidence permanente lui soit octroyée.

 

[9]          L’agent a rejeté la demande de parrainage puisque, selon l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, une personne ne peut pas être membre du regroupement familial si elle n’a pas été mentionnée dans la demande de résidence du répondant.

 

[10]      En ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire, l’agent a trouvé que les circonstances ne méritaient pas une exemption. L’agent a conclu que la mère a probablement abandonné Viasna Chan lorsqu’il était bébé parce qu’il était illégitime et parce qu’il était handicapé du fait qu’il ne voyait que d’un seul œil. Il a trouvé que la demanderesse a sciemment omis de mentionner Viasna Chan quand elle est venue au Canada, que Viasna Chan menait une vie normale au Cambodge et qu’il avait des amis et une bonne école. Il a conclu qu’il n’y a eu aucune communication entre Viasna Chan et la demanderesse depuis qu’elle est partie du Cambodge en 2004. Il indique avoir considéré l’intérêt supérieur de l’enfant, mais n’avoir trouvé aucune difficulté injustifiée pour Viasna Chan.

 

* * * * * * * *

 

[11]      Le dossier révèle que la « Demande d’autorisation et de contrôle judiciaire » comportait une demande de prorogation de délai faite en vertu de l’alinéa 72(2)c) de la Loi. Or, l’ordonnance qui a accordé l’autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire, dans le présent dossier, est tout à fait silencieuse sur cette demande préliminaire de prorogation de délai. À l’audition devant moi, dans les circonstances, j’ai invité les procureurs des parties à faire des représentations orales strictement sur cette question préliminaire de la demande de prorogation de délai, puisque si la prorogation requise allait être refusée, cela allait nécessairement entraîner le rejet de la demande de contrôle judiciaire elle-même. Par ailleurs, j’ai indiqué que si la prorogation de délai allait être accordée, une autre date serait fixée pour l’audition de la demande de contrôle judiciaire.

 

[12]      Je suis d’accord avec le procureur du défendeur que le fait que l’autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire ait été accordée, dans le présent cas, n’est pas déterminant de la question de la prorogation de délai demandée, puisque l’ordonnance d’autorisation est silencieuse sur cette question. Qu’il suffise de référer à l’arrêt relativement récent de la Cour d’appel fédérale dans Succession Qianhui Deng c. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2009 CAF 59. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a exprimé ce qui suit :

[12]     L’avocat de l’appelante s’appuie sur la décision de la Cour dans l’affaire Subhaschandran c. Canada, [2005] 3 R.C.F. 255 dans laquelle le juge Sexton a conclu que l’ajournement d’une requête en sursis à un moment où toute décision à son sujet sera devenue théorique constitue un refus d’exercer sa compétence et dans une telle situation la réparation doit être mandatoire. Il soutient que le juge Pinard, dans la présente instance, a refusé d’exercer sa compétence.

 

[13]     Je ne souscris pas à cette prétention. Le juge Pinard a exercé sa compétence lorsqu’il a examiné la requête en prorogation et qu’il l’a refusée. Il a également exercé sa compétence lorsqu’il a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

 

[14]     Subsidiairement, l’avocat de l’appelant a soutenu que le juge Pinard n’avait aucune compétence pour examiner la décision du juge des requêtes et pour refuser la demande d’autorisation que le juge des requêtes avait accordée. Selon l’avocat, le juge Pinard n’avait aucune autorité de se prononcer sur le bien-fondé de la décision d’un autre juge de juridiction équivalente. L’avocat nous renvoie à la décision de la Cour dans l’affaire Canada (Solliciteur général) c. Bubla, [1995] 2 C.F. 680, page 692.

 

[15]     En toute déférence, je ne crois pas que c’est ce qu’a fait le juge Pinard en l’espèce. L’ordonnance du juge des requêtes ne disait rien au sujet de la prorogation de délai. L’ordonnance ne contenait aucune conclusion accordant ou refusant une prorogation. Le juge Pinard a tiré une conclusion de fait selon laquelle cette question avait été ignorée par le juge des requêtes. Cette conclusion n’est pas déraisonnable dans les circonstances. Dans le mémoire des faits et du droit de l’appelant et dans celui de l’intimé, les parties ont soulevé des arguments liés à la prorogation de délai dans la partie se rapportant à l’ordonnance, mais n’ont sollicité aucune demande de prorogation de délai. Cette lacune pourrait expliquer un tel oubli : on peut trouver un autre exemple dans lequel la demande de prorogation de délai n’a pas été examinée, voir Nayyar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 62 Imm.L.R. (3d) 78.

 

[16]     L’appelant soutient qu’on devrait inférer de la décision du juge des requêtes d’accorder la demande d’autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire qu’il a aussi accordé une prorogation de délai. Une situation similaire s’est produite dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Eason (2005), 286 F.T.R. 14 (C.F.) dans laquelle la juge Tremblay-Lamer a refusé de tirer une telle conclusion. Je souscris à l’affirmation qu’elle a faite au paragraphe 20 de ses motifs du jugement, qui se lit comme suit :

 

[20]     Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, le membre en question de la Commission est resté muet sur la question de la prorogation du délai. Le défendeur soutient que, l’autorisation d’interjeter appel ne pouvant être accordée à moins que ne soit aussi accordée une prorogation de délai, on peut inférer de la décision du membre d’accorder ladite autorisation qu’il a aussi accordé une telle prorogation. Je ne souscris pas à cette proposition. S’il est vrai que M. Eason a effectivement demandé à la fois une prorogation de délai et l’autorisation d'interjeter appel, on ne peut automatiquement conclure, du simple fait qu’il a accordé l’autorisation demandée, que le membre de la Commission a examiné la question de la prorogation de délai. L’instance de décision doit explicitement examiner la question de savoir s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai.

 

[17]     Puisque la requête en prorogation de délai n’avait pas été examinée par le juge des requêtes, le juge Pinard avait compétence pour trancher la question.

 

[18]     En rejetant la requête en prorogation de délai, le juge Pinard s’est prononcé, par le fait même, sur la demande de contrôle judiciaire parce qu’à moins qu’un juge ait dûment autorisé qu’une telle demande puisse être présentée après l’expiration du délai de prescription, elle n’a aucun fondement valide en droit. En d’autres termes, le rejet de la demande de contrôle judiciaire était le corollaire et la conséquence inévitables du refus de proroger le délai.

 

 

 

[13]      Considérant donc la demande de prorogation de délai faite par la demanderesse, je suis satisfait, après audition des procureurs des parties et révision de la preuve au dossier, que les critères requis pour obtenir semblable prorogation ont été dûment rencontrés.

 

[14]      En effet, la demanderesse devait satisfaire la Cour a) qu’elle a toujours eu l’intention de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire; b) que la demande de contrôle judiciaire mérite d’être considérée; c) qu’il existe une explication raisonnable pour le retard; et d) que la prorogation de délai ne causera pas préjudice au défendeur.

 

[15]      Les explications fournies par la demanderesse, aux paragraphes 33 à 40 de son affidavit du 8 décembre 2009, ne laissent planer aucun doute sur son intention de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire et, à mon sens, constituent une explication raisonnable pour le retard :

a.       I received a negative decision with regards to my sponsorship in August 2009;

 

b.      I went to seek advice from my legal counsel who told me that the only recourse I had was to file an appeal to the IRB, joined hereto as Exhibit ‘B’ of my affidavit;

 

c.       The Immigration Appeal Board sent me a letter, dated November 16th 2009, joined hereto as Exhibit ‘C’ of my affidavit;

 

d.      In this letter, it is written that my appeal will be denied if my son is not considered a member of the family class;

 

e.       I decided to seek another legal opinion and that is how I met Me Annick Legault who saw me in her office on 2nd December 2009;

 

f.        I was told that I should present a federal court application but that the delay to instigate this relief was passed;

 

g.       Nevertheless, I chose to go forward and present my file before the Federal Court;

 

 

 

[16]      Quant à savoir si la demande de contrôle judiciaire mérite d’être considérée, l’argument principal de la demanderesse à l’effet que le décideur aurait basé sa décision sur des conjectures plutôt que sur les faits mis en preuve, ne m’apparaît pas frivole et clairement voué à l’échec. D’ailleurs, à cet égard, il faut bien tenir compte du fait que la demande d’autorisation pour présenter la demande de contrôle judiciaire a été accordée dans cette affaire.

 

[17]      Enfin, je ne vois pas comment la prorogation de délai puisse causer préjudice au défendeur, lui qui, d’ailleurs, ne s’est plaint d’aucun préjudice.

[18]      Dans les circonstances particulières du présent cas, je suis donc d’avis que les intérêts de la justice seront mieux servis si la prorogation de délai demandée est accordée.

 

[19]      En conséquence, la demande de prorogation de délai est accordée et la demande de contrôle judiciaire sera entendue à une date à être déterminée par l’administrateur judiciaire de cette Cour.

 

[20]      Les parties ont indiqué n’avoir aucune question à faire certifier dans le présent dossier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

            La demande de prorogation de délai est accordée. La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 août 2009 par un agent des visas du Haut-commissariat du Canada à Singapour sera entendue à une date à être déterminée par l’administrateur judiciaire de cette Cour.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6213-09

 

INTITULÉ :                                       Sotheary HUOT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 septembre 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annick Legault                              POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Sébastien Dasylva                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Boisclair & Legault                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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