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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20101004

Dossier : IMM-721-10

Référence : 2010 CF 970

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

ANTOINE IDONY

 

Demandeur

 

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) le 20 janvier 2010. Le tribunal a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié ni une personne à protéger et a donc rejeté sa demande d’asile.

 

[2]          Le demandeur est citoyen haïtien. En 2002, il était camionneur depuis trois ans pour une compagnie de livraison. Le 15 janvier 2002, lorsqu’il mettait de l’essence dans le camion, il aurait été attaqué par des bandits armés inconnus. Ceux-ci seraient montés dans le camion, l’auraient menacé à la pointe d’une arme à feu et blessé au dos avec un couteau. Le camion aurait été volé, avec la marchandise. Le demandeur ou son patron aurait porté plainte à la police.

 

[3]          Le 15 mars 2002, les mêmes bandits armés auraient attaqué le demandeur à nouveau et l’auraient frappé sur la tête avec une arme. Il aurait été hospitalisé pendant presque une semaine, suivant laquelle il serait resté avec un ami une autre semaine, avant de quitter Haïti pour la République dominicaine, le 25 mars 2002.

 

[4]          Le demandeur s’est rendu aux États-Unis où il a demandé l’asile mais, après un délai de plusieurs années, sa demande a été rejetée. Il s’est présenté à la frontière canadienne le 16 septembre 2007 et a demandé l’asile sur-le-champ.

 

[5]          Le tribunal a déterminé que le risque encouru par le demandeur ne serait pas différent de celui de l’ensemble de la population haïtienne, qui fait globalement face à une situation très difficile. Le tribunal a conclu que le demandeur n’a pas été ciblé particulièrement et qu’il n’encourt pas de risque prospectif de retour. Il a trouvé qu’après un délai de huit ans, il n’y a aucune raison de croire que les mêmes bandits inconnus s’en prendraient à lui.

 

[6]          Le tribunal a en outre trouvé que la crédibilité du demandeur a été minée en raison de plusieurs contradictions entre son témoignage et la preuve documentaire. Le tribunal a aussi fait plusieurs références à la preuve documentaire pour conclure que la population haïtienne vit globalement dans une situation constante de vulnérabilité collective et donc que le demandeur n’est pas sujet à un risque personnel tel que l’exige l’article 97 de la Loi. Le tribunal a enfin conclu que les camionneurs ne forment pas un groupe social au sens de l’article 96 de la Loi, et donc que le demandeur ne peut pas obtenir la protection offerte par cet article. Le demandeur n’a pas spécifiquement contesté cette conclusion.

 

[7]          La prétention principale du demandeur est à l’effet que le tribunal a erré en tirant sa conclusion sans égard à son témoignage, lorsqu’il a raconté que le deuxième incident avec les bandits était relié à sa plainte à la police, et donc qu’il était personnellement ciblé. Toutefois, le tribunal indique clairement au paragraphe 13 de ses motifs qu’il a eu des problèmes avec la crédibilité du récit du demandeur quant aux incidents allégués. Le fait, pour le tribunal, de ne pas avoir mentionné chaque aspect du récit du demandeur ne constitue pas une erreur (voir Ayala c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1258).

 

[8]          Le demandeur réfère, par analogie à sa situation, à la décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») dans Re W.C.Z., [2003] D.S.P.R. no 425, où le demandeur avait témoigné contre ses amis lors d’un procès criminel et où la SPR a trouvé que le demandeur serait personnellement ciblé s’il devait retourner en Jamaïque. Le défendeur prétend, et je suis d’accord, que les faits se distinguent clairement, puisque W.C.Z. connaissait les gens contre qui il a témoigné et que la police a pris action contre eux, tandis qu’en l’espèce, les bandits sont inconnus et la police n’a rien fait.

 

[9]          Le demandeur note que si une personne raisonnable était impliquée dans de telles attaques, elle aurait peur de retourner dans un endroit où elle risque de subir d’autres attaques, surtout dans un petit pays comme Haïti. Cependant, le paragraphe 97(1) prévoit un critère objectif à appliquer dans le contexte des risques actuels ou prospectifs auxquels serait exposé le demandeur d’asile (Sanchez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 99, au paragraphe 15). Il n’est donc pas suffisant que le demandeur ait une crainte subjective, si par ailleurs le tribunal n’a pas trouvé un risque objectif à sa sécurité.

 

[10]      Le tribunal a trouvé, aux paragraphes 12 à 15 de ses motifs, que la crédibilité du demandeur était minée par diverses contradictions concernant l’identité des bandits, l’existence du premier incident allégué et quelle personne aurait porté plainte à la police. À cause de ces contradictions, le tribunal a trouvé que les attaques auraient eu comme seul but de voler les marchandises dans le camion et que la crédibilité du demandeur était entachée. Il a noté au paragraphe 24 que, selon le témoignage du demandeur, d’autres collègues de la même compagnie ont aussi été victimes de vol au cours de leur travail durant la même période, ce qui rendait moins probable que les attaquants aient ciblé le demandeur. Il est bien établi que cette Cour ne doit pas intervenir lorsque le demandeur ne fait que répéter les explications que le tribunal a trouvées peu crédibles, sans apporter de preuve que ses conclusions étaient arbitraires (voir, par exemple, Muthuthevar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [1996] A.C.F. no 207, au paragraphe 7, où le juge Cullen a écrit :

. . . Bien que le requérant cherche à clarifier cette partie du témoignage que la Commission a jugé invraisemblable, il ne faut pas oublier que les mêmes explications ont été fournies à la Commission et que celle-ci ne les a pas jugées crédibles. Le requérant n’a pas soumis à la présente Cour des éléments de preuve qui ont été ignorés ou mal interprétés et, pour cette raison, les conclusions de la Commission concernant la crédibilité doivent être confirmées.

 

[11]      De plus, le tribunal a cité l’arrêt Innocent c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1019, où le juge Mainville a trouvé que même des agressions multiples par les mêmes voyous ne suffisaient pas à personnaliser le risque prospectif. Le juge Mainville a trouvé que la demanderesse, qui avait été sujet d’attaques criminelles à plusieurs reprises, était exposée à un risque qui était généralisé à l’ensemble de la population du pays et non pas personnalisé. Le tribunal en l’espèce a consulté la preuve documentaire au sujet d’Haïti avant de conclure que l’ensemble des Haïtiens coure le risque de se faire harceler par des bandits, sans que la police ne puisse intervenir.

 

[12]      Quant à la prétention du demandeur que son emploi de camionneur le mettrait plus à risques que les autres Haïtiens, je trouve que l’arrêt Sanchez, ci-dessus, est encore pertinent sur ce point. Au paragraphe 20, la Cour a conclu que les personnes ne sont pas des personnes à protéger simplement en raison de la nature de leur occupation, à moins qu’elles puissent établir qu’il n’y a pas d’autres occupations qu’elles pourraient faire qui leur permettrait de se soustraire au risque auquel elles sont exposées. Le défendeur note pertinemment que d’après son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur a travaillé en restauration aux États-Unis et travaille actuellement comme journalier au Canada.

 

[13]      Je conclus donc que le demandeur n’a pas démontré que la décision du tribunal était déraisonnable eu égard aux faits. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée. Il est bien établi que l’évaluation des faits par le tribunal « appelle un degré élevé de déférence » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 46). La Cour n’interviendra que si cette évaluation est déraisonnable, en ce sens qu’elle a été « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments » du dossier (Khosa; Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)).

 

[14]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 20 janvier 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-721-10

 

INTITULÉ :                                       ANTOINE IDONY c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Daniel Rafuse                                POUR LE DEMANDEUR

 

Me Patricia Nobl                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Rafuse                                                               POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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