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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100928

Dossier : T-772-09

Référence : 2010 CF 968

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 28 septembre 2010

En présence de  monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

APOTEX INC.

requérante

 

 

et

 

 

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

intimée

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s'agit d'une requête dans laquelle la requérante, Apotex Inc. interjette appel d'une partie de l'ordonnance du protonotaire Aalto du 11 juin 2010 (2010 CF 633) au motif qu'il a refusé de radier les paragraphes 7, 8, 9, 11 à 15, 29, 31, 32, 37 (la troisième phrase), 42 (le paragraphe entier sauf la première phrase), 44, 45 (les mots « et la conclusion dans l'instance T-1314-05 »), 46, 49, 50, 53, 56, 59, 61, 62, 64 et 75 (dernière phrase) (collectivement, les allégations de préclusion) de la défense de Pfizer Ireland Pharmaceuticals (Pfizer) du 25 septembre 2009.Pour les motifs énoncés ci-après, je rejetterai la requête,sauf en ce qui a trait à la suppression des mots « l’autorité de la chose jugée » lorsqu'ils figurent dans l'un de ces paragraphes, avec dépens à suivre l’issue de la cause.

 

  • [2] La question à trancher en l’espèce porte sur l'incidence, s'il en est, d'une décision définitive rendue dans une instance introduite par voie de demande déposée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement AC), DORS/83-133, dans le cadre d'une action engagée en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, en vue d'obtenir une déclaration d'invalidité du (des) même(s) brevet(s) examiné(s) dans la demande d’avis de conformité.

 

  • [3] Dans la présente affaire, la requérante Apotex a intenté une action en vertu des dispositions de la Loi sur les brevets demandant une déclaration d’invalidité du brevet canadien no 2,163,446 (le brevet 466). Un certain nombre de motifs qui sont invoqués dans la déclaration sont censés étayer une conclusion d'invalidité.L'intimée Pfizer, propriétaire du brevet 446, a déposé une défense qui, en plus d'aborder les motifs invoqués à l'appui de l’invalidité du brevet 446, allègue que le même brevet faisait l'objet d'instances en vertu des dispositions du Règlement AC opposant les mêmes parties.Il est allégué que bon nombre des mêmes motifs invoqués relativement à l'invalidité ont été soulevés par Apotex dans le cadre de l’instance portant sur l’avis de conformité (T-1314-05) et que, par une décision définitive de la Cour datée du 27 septembre 2007, Pfizer a obtenu une ordonnance empêchant Apotex de recevoir un avis de conformité relativement au médicament en cause.Un appel de cette décision a été rejeté par la Cour d'appel fédérale le 16 janvier 2009.

 

  • [4] Dans sa défense dans la présente action, Pfizer affirme [traduction] qu’« en raison du principe de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion offensive, de la courtoisie et de l’abus de procédure », Apotex ne peut contester la validité du brevet 446.À titre d'exemple, j'énonce les paragraphes 12, 13, 14 et une partie du paragraphe 15 de la défense : [traduction]

12.  L’instance T-1314-05 :

  1. concernait les mêmes parties qui sont devant la Cour dans la présente instance;

  2. examinait les mêmes questions que celles soulevées devant la Cour dans la présente instance;

  3. a donné lieu à une décision définitive.

Dans l’instance T-1314-05, Apotex alléguait l’invalidité du

brevet 446 en invoquant, notamment :

a.  l’antériorité;

b.  l’évidence;

c.  des revendications ayant une portée plus large que l’invention;

d.  l’insuffisance de la divulgation et l’ambiguïté;

e.  l'inutilité et l'absence de prédiction valable;

f.  l’absence d’invention;

g.  le fait que l'objet était non brevetable;

h.  des renonciations invalides.

14.  Apotex ne peut contester la validité du brevet 446 dans  la présente instance en raison des principes de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion offensive, de la courtoisie et de l’abus de procédure.

15.  De plus, en raison des principes de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion offensive, de la courtoisie et de l’abus de procédure, les conclusions concernant les questions de fait et de droit qui ont été pleinement débattues dans l'instance T-1314-05 ont force obligatoire dans la présente action. Les conclusions qui ont force obligatoire dans la présente instance incluent les suivantes :

a.  L'invention, comme elle est définie dans les revendications 7, 8, 10, 11, 22 et 23 du brevet 446, comprend les éléments essentiels suivants : l'utilisation du sildénafil (ou l’un de ses sels) sous la forme d'un médicament oral pour le traitement de la dysfonction érectile chez l'homme;

(etc.).

 

[5]  Apotex a présenté une requête en radiation de ces paragraphes et des paragraphes semblables de la défense. Cette requête a été entendue par le protonotaire Aalto. Il a refusé de radier ces paragraphes. Ce faisant, il a indiqué, notamment, aux paragraphes 22 à 25 de ses motifs :

22  En l’espèce, on ne peut guère prétendre que les allégations d’abus de procédure et la doctrine de la chose jugée ne revêtent pas une certaine pertinence quant aux questions en litige, étant donné le grand nombre de procédures qui ont opposé Pfizer et Apotex.  Bien que la présente procédure ne soit pas devenue une question théorique ou déjà tranchée du fait de l’application de doctrine de la chose jugée, le fait que la preuve qui a été déposée dans le cadre des procédures antérieures soit identique à la preuve produite en l’espèce aura une certaine pertinence, mais ne sera pas nécessairement déterminant quant à la question à l’égard de laquelle la preuve est produite. À tout le moins, elle pourra avoir une incidence sur l’adjudication des dépens.

 

23   Il convient également de rappeler que l’expression res judicata (la chose jugée) est une version abrégée de res judicata pro veritate accipitur ou « la chose jugée est tenue pour la vérité » [voir, Osborn, P.G., A Concise Law Dictionary (1964, 5e éd.) p. 278]. Pfizer ne soutient pas que la présente requête devrait être déterminée uniquement à la lumière de l’application de la doctrine de la chose jugée.  Elle invoque plutôt tous les moyens de défense au fond et en plus demande réparation de la manière suivante :  « il faudrait empêcher Apotex de contester la validité du brevet 446 dans le cadre de la présente instance en raison du principe de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion offensive, de la courtoisie et de l’abus de procédure ». Dans la mesure où le témoignage d’une personne est identique à la preuve déposée dans des poursuites antérieures, pourquoi ne laisserait-on pas au juge de première instance le soin de déterminer si les principes invoqués sont applicables et s’il doit évaluer et apprécier les éléments de preuve dans le contexte des poursuites antérieures?

 

24  Bien que le Règlement soit conçu pour établir une procédure sommaire, ce qui constitue la justification pour ne pas appliquer de façon stricte la doctrine de la chose jugée aux actions en invalidation ultérieures telle que l’espèce, les parties ne doivent pas être autorisées à « revenir à la charge » indéfiniment et avoir recours à de plus en plus de ressources judiciaires parce qu’elles ne sont pas satisfaites des résultats obtenus et sont suffisamment bien armées pour intenter de nouvelles poursuites.

 

25  La Cour a l’obligation de contrôler sa propre procédure pour s’assurer que tous ont accès aux ressources judiciaires. Bien que la politique énoncée par la Cour d’appel fédérale concernant l’application de la doctrine de la chose jugée aux procédures engagées en vertu du Règlement doive être suivie, l’acte de procédure dont je suis saisi devrait être maintenu puisque les procédures antérieures peuvent avoir une certaine pertinence dans le contexte de l’espèce. De plus, dans la mesure où la preuve produite par Apotex en première instance est la même que la preuve présentée sur les mêmes questions dans des procédures antérieures, cela peut aussi avoir une certaine pertinence et, du moins, avoir une incidence sur l’adjudication des dépens. Cela est particulièrement vrai étant donné les nombreuses similitudes entre l’instance en l’espèce et les procédures antérieures décrites ci-dessus. Dans la mesure où elle vise à obtenir la radiation de la présente partie de l’acte de procédure, la requête est rejetée.

 

Apotex conteste cette décision dans le présent appel.

 

APPELS D’ORDONNANCES DE PROTONOTAIRES

[6]  Il est reconnu que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires (juges adjoints) ne doivent pas faire l’objet d’une intervention en appel sauf si l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue principale ou si la décision est entachée d’erreur flagrante en ce sens qu’elle était fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 40 (CAF)). Toutefois, en l'espèce, Apotex soutient que le motif sur lequel elle fonde sa demande de radiation des actes de procédure est un principe de droit, et que la décision du protonotaire doit ainsi être examinée selon la norme de la décision correcte. Si tel est le fondement de cet appel, je suis d'accord et j'examinerai la question de novo.

 

 

PRINCIPES DE LA RADIATION D’ACTES DE PROCÉDURE

[7]  Le fondement sur lequel Apotex appuie sa demande la radiation des parties de la défense mises en cause est énoncé à l'alinéa 221(1)a) des Règles de notre Cour, qui concerne l'absence de cause de défense valable. Les avocats sont d’avis que la jurisprudence, notamment les arrêts Inuit Tapirisat of Canada c. Canada (Procureur général), [1980] 2  R.C.S. 735, et Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, indique clairement que, pour obtenir gain de cause, il faut satisfaire à une norme élevée. Il doit être « évident et manifeste » que l’acte de procédure n'a pas de chances de réussir pour que l'on prive une partie de son droit à faire examiner toute l'affaire. Ce point a été résumé succinctement par le juge Sharpe pour la formation de la Cour d'appel de l'Ontario dans l’affaire Eliopoulous c. Her Majesty (2006), 82 O.R. (3d) 321, au paragraphe 8, où l’alinéa 21.01(1)b) des Règles de procédure civile de l'Ontario, semblable à l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, a été examiné : [traduction]

[8] Il n'est pas contesté que le critère en matière de radiation d'une déclaration à l'étape des plaidoiries est rigoureux et qu'il s’agit d’un fardeau dont il est difficile pour les défendeurs de se décharger. Les allégations de fait figurant dans la déclaration, à moins qu'elles ne soient manifestement ridicules ou non susceptibles de preuve, doivent être acceptées comme avérées. L’alinéa 21.01(1)b) des Règles exige, pour que l'action réussisse, que la partie requérante démontre « qu'il est évident, manifeste et au-delà de tout doute que le demandeur ne pouvait obtenir gain de cause ». De plus, l'allégation «  devrait être interprétée de manière généreuse, et la souplesse s’impose à l’égard des impropriétés dues à des lacunes de rédaction », et elle « ne devrait pas être rejetée simplement parce qu'elle est nouvelle » : voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, [1990] A.C.S. no 93, p. 980 R.C.S.

 

LES ACTES DE PROCÉDURE EN CAUSE

[8]  Apotex fait valoir que l’acte de procédure en cause doit être radié, compte tenu de la jurisprudence qu’elle avance, étant donné qu’il est évident et manifeste que les moyens de défense ne peuvent réussir.

 

[9]  Apotex commence avec la décision de la Cour d’appel fédérale dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302  (C.A.F.), dont les parties pertinentes ont été citées avec l’approbation du juge Strayer pour la formation de la Cour d’appel fédérale dans Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1994), (3d) 209 aux pages 216 et 217 :

Compte tenu des très nombreuses procédures interlocutoires de cette nature actuellement en instance devant la Section de première instance, il semble que, dans bien des cas, les parties ont effectivement tenté de mener ces instances comme des actions pour contrefaçon ou des actions visant à obtenir un jugement déclaratoire sur la validité des brevets. En conséquence, elles ont tenté d'obtenir de la Cour la radiation ou la modification des avis d'allégation. Des parties ont essayé, comme en l'espèce, d'obtenir la radiation de l'avis de requête introductive d'instance et une mesure équivalant à l'interrogatoire préalable de la partie opposée. Toutefois, dans l'affaire Merck Frosst c. Canada, précitée, la Cour a clairement statué que ces procédures ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d'un brevet: il s'agit plutôt de procédures visant à établir si le ministre peut délivrer un avis de conformité. Cette décision doit être axée sur la question de savoir si la société générique fait valoir des allégations suffisamment bien fondées pour appuyer la conclusion, tirée à des fins administratives (la délivrance d'un avis de conformité), que la mise en marché du produit générique ne violerait pas le brevet du requérant. Il est utile de reproduire les propos tenus par la Cour dans l'affaire Merck, précitée [aux pages 319 et 320].

 

La procédure engagée n'est pas une action et ne vise qu'à faire interdire la délivrance d'un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Manifestement, elle ne constitue pas une « action en contrefaçon de brevet ».

[...] [...] [...] [...]

 

Au surplus, étant donné que le règlement habilite le ministre, si une demande fondée sur l'art. 6 n'est pas intentée dans les délais, à délivrer l'avis de conformité sur la foi des assertions contenues dans l'avis d'allégation, il semblerait qu'à l'audition de cette demande, du moins dans le cas où l'avis allègue la non-contrefaçon, la Cour doive présumer que les allégations de fait contenues dans l'avis d'allégation sont avérées sauf dans la mesure que la partie requérante prouve le contraire. Pour décider si les allégations sont « fondées » (art. 6(2)), la Cour doit examiner si, à la lumière de ces faits tels qu'ils sont présumés ou prouvés, ces allégations engageraient en droit à conclure que le brevet ne serait pas contrefait par la partie intimée.

 

À ce sujet, il y a lieu de noter que si l'art. 7(2)b) semble prévoir que la Cour rend un jugement déclarant que le brevet n'est pas valide ou qu'il n'est pas contrefait, il ne fait aucun doute que ce jugement déclaratoire ne peut être rendu dans le cadre de la procédure fondée sur l'art. 6 elle-même. Cette procédure est après tout engagée par le breveté pour demander une interdiction contre le ministre; puisqu'elle revêt la forme d'un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu'elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l'intimé en vue de pareil jugement déclaratoire. L'invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n'est pas une question relevant d'une procédure de ce genre. La seule explication est, à mon avis, que le rédacteur avait à l'esprit la possibilité de procédures parallèles intentées par la seconde personne et qui donneraient lieu à pareil jugement déclaratoire, exécutoire pour les parties. Quoi qu'il en soit, il est évident que le jugement déclaratoire visé à l'art. 7(2)b) n'est pas la condition préalable du rejet ultime de la demande fondée sur l'art. 6, dont les conséquences sont prévues séparément à l'art. 7(4).

 

Soulignons qu'aucune des dispositions du Règlement ne crée ni n'abolit les droits d'action des parties l'une contre l'autre: elles confèrent plutôt au breveté le droit de présenter une demande de prohibition contre le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social. Le Règlement ressortit donc au droit public et ne vise pas les droits d'action privés. La véritable partie opposée dans le cadre d'une telle procédure en prohibition est évidemment la société générique qui a signifié l'avis d'allégation.

 

Si, en prenant ce Règlement, le gouverneur en conseil avait eu l'intention de prévoir le prononcé d'une décision définitive sur la validité et la contrefaçon d'un brevet, qui lierait toutes les parties privées et empêcherait tout litige ultérieur visant les mêmes questions, il l'aurait sûrement exprimée. Le tribunal n'est pas disposé à accepter l'hypothèse voulant que les brevetés et les sociétés génériques soient forcés de faire valoir leurs droits privés uniquement au moyen de la procédure sommaire de demande de contrôle judiciaire. Étant donné que le Règlement dispose que les questions qui peuvent être tranchées à cette étape seront examinées dans le

cadre d'une telle procédure, il est donc assez clair que ces questions sont obligatoirement de nature limitée ou préliminaire. Si l'instruction complète des questions de validité et de contrefaçon est nécessaire, on peut procéder de la façon habituelle en intentant une action.

 

[10]  Les avocats d'Apotex ont ensuite invoqué l’énoncé vigoureux du juge en chef Isaac, s’exprimant pour la formation de la Cour d'appel fédérale dans Pfizer Canada Inc. c. Nu-Pharm Inc. (2001), 11 C.P.R.

[10]
 (4th) 245, au paragraphe 25, où il a déclaré que les procédures relatives à l’avis de conformité ne tranchaient pas les droits :

25  Il convient de souligner qu'une décision de la présente Cour portant que les appels sont théoriques ne signifie pas que les appelantes n'ont pas de recours. Elles peuvent engager des actions en contrefaçon, si elles sont conseillées en ce sens et que les faits justifient ce recours. La Cour d'appel fédérale a indiqué très clairement que les demandes fondées sur l'article 6 n'ont pas pour effet de trancher les droits du titulaire de brevet. Dans l'arrêt Merck Frosst Canada, précité, p. 319, le juge Hugessen a rejeté l'idée d'assimiler une demande d'interdiction à une action :

 

La procédure engagée n'est pas une action et ne vise qu'à faire interdire la délivrance d'un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Manifestement, elle ne constitue pas « une action en contrefaçon de brevet » .

 

Dans ces circonstances, il est inutile de mentionner que toute décision que la présente Cour rendra en l'espèce pourrait servir à contester accessoirement un jugement prononcé dans une action en contrefaçon.

 

[11]  Cette décision a été citée favorablement par la Cour d’appel fédérale dans Novartis A.G. c. Apotex Inc. (2002), 22 C.P.R. (4th) 450, où le juge Strayer, au paragraphe 9, s’est exprimé de la manière suivante au nom de la Cour :

9   Je crois que les principes fondamentaux qui s'appliquent sont ceux qui ont été formulés par le juge Isaac dans l'arrêt Pfizer et qui ont été approuvés et suivis par une autre formation collégiale de notre Cour dans l'affaire Rhoxalpharma il y a moins d'un an. Le principe fondamental est que la procédure extraordinaire prévue par le Règlement vise un objectif d'ordre public, celui de permettre à la Section de première instance d'empêcher un fonctionnaire de délivrer un avis de conformité, conçu pour la protection de la santé du public, si le breveté réussit à démontrer que les brevets qu'énumère un fabriquant de médicaments génériques dans l'avis d'allégation qu'il présente en vue d'obtenir un avis de conformité, appartiennent à la « première personne » demanderesse et que les revendications pertinentes ne sont pas invalides et qu'elles seraient contrefaites. Il s'agit là d'une conclusion que la Cour est appelée à tirer dans le but bien précis de décider si le ministre peut ou non délivrer un avis de conformité : personne ne songerait qu'il s'agit là d'un mécanisme permettant à la Cour de rendre des décisions ayant l'autorité de la chose jugée au sujet de la portée ou de la validité des brevets. Ainsi que le juge Isaac l'a déclaré aux pages 253 et 254 de l'arrêt Pfizer :

 

[25]  Il convient de souligner qu'une décision de la présente Cour portant que les appels sont théoriques ne signifie pas que les appelantes n'ont pas de recours. Elles peuvent engager des actions en contrefaçon, si elles sont conseillées en ce sens et que les faits justifient ce recours. La Cour d'appel fédérale a indiqué très clairement que les demandes fondées sur l'article 6 n'ont pas pour effet de trancher les droits du titulaire de brevet. Dans l'arrêt Merck Frosst Canada, [1994] A.C.F. No 662 précité, p. 319,  le juge Hugessen a rejeté l'idée d'assimiler une demande d'interdiction à une action :

 

La procédure engagée n'est pas une action et ne vise qu'à faire interdire la délivrance d'un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Manifestement, elle ne constitue pas « une action en contrefaçon de brevet ».

 

 [...]

 

Dans ces circonstances, il est inutile de mentionner que toute décision que la présente Cour rendra en l'espèce pourrait servir à contester accessoirement un jugement prononcé dans une action en contrefaçon.

 

Ainsi que le juge Isaac l'a souligné dans l'arrêt Pfizer à la page 252, aux termes du paragraphe 7(4) du Règlement, le délai de suspension automatique qui frappe la délivrance de l'avis de conformité expire notamment lorsque la demande est « rejetée par le tribunal ». Suivant la Cour, il faut entendre par « tribunal » « [...] la Section de première instance de la Cour fédérale », compte tenu du caractère exceptionnel et autonome du Règlement. (Hoffman-LaRoche Ltd. c. Canada (1996), 70 C.P.R. (3d) 206). L'expression en question ne signifie pas « rejetée par la Cour d'appel fédérale ».

 

[12]  Je me suis fondé sur cette décision dans Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd. (2006), 57 C.P.R (4th) 6 au paragraphe 74.

74   Ces parties ont été auparavant en litige au Canada au sujet de ce brevet. Ce litige était fondé sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), (DORS/93-133) [le Règlement]. Dans cette cause, la Cour a conclu que la prétention par Novopharm de l’invalidité des revendications pertinentes du brevet était « justifiée » en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement. Dans cette affaire, Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd. (2005), 35 C.P.R. (4th) 353, [2004] CF 1631), le juge Mosley de la présente Cour considérait, au paragraphe 29 de ses motifs, que la découverte des propriétés bénéfiques de l’isomère optique S(-) (de l’ofloxacine) constituait l’objet et l’utilité de ce brevet. Il a conclu, au paragraphe 85, que Novopharm avait démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’un technicien versé dans l’art serait arrivé directement et sans difficulté à la solution enseignée par le brevet simplement en effectuant des essais connus et routiniers avec le composé racémique ofloxacine. En conséquence, au paragraphe 87, il a jugé que le brevet n’était pas valide pour cause d’évidence, puisque Janssen n’avait pas démontré avec une prépondérance des probabilités que la prétention de Novopharm relative à l’invalidité sur ce motif n’était pas justifiée. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet appel considérant qu’il était sans objet car un avis de conformité avait déjà été délivré (2005), 40 C.P.R. (4th) 1, 2005 CAF 6. La permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada a été rejetée, [2005] 1 S.C.R. 776, 2005 S.C.C.A no 189. Ces conclusions ne constituent pas une chose jugée dans cette cause (Novartis AG v. Apotex Inc. (2002), 22 C.P.R. (4th) 450, au paragraphe 9 (C.A.F.), 2002 CAF 440).

 

 

[13]  Enfin, l'avocat d'Apotex a invoqué la récente décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Pfizer Limited c. Ratiopharm Inc., 2010 CAF 204, où le juge Layden-Stevenson, rédigeant le jugement de la formation du tribunal, a écrit au paragraphe 25 :

25   Premièrement, Pfizer fonde sa position sur une conclusion de fait de l’arrêt  Pfizer AC, rendu sous le régime du  Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (Le Règlement AC). Or notre Cour a déclaré à plusieurs reprises que les décisions prononcées à l’issue de ce que j’appellerai les « procédures AC » n’ont pas l’autorité de la chose jugée. Si Pfizer peut avoir raison de soutenir que le fondement factuel de Pfizer AC est le même que celui de l’action qui nous occupe, il ne s’ensuit pas que le fondement probatoire soit le même. Le tribunal tire ses conclusions de fait de la preuve produite devant lui dans l’affaire particulière dont il est saisi.

 

 

[14]  L'avocat de Pfizer a reconnu que la défense, dans la mesure où elle invoquait les mots « autorité de la chose jugée », était erronée et a consenti à ce que ces mots soient retirés de cet acte de procédure. Toutefois, selon l'avocat de Pfizer, les questions de préclusion, de préclusion offensive, de courtoisie et d'abus de procédure n'avaient jamais été soulevées ou entièrement débattues, surtout en ce qui concerne les conclusions en matière de preuve et les conclusions sur les questions juridiques qui ont été entièrement débattues.

 

[15]  L'avocat de Pfizer souligne que la Cour d'appel fédérale, dans Merck & co. c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 40, a refusé de permettre à Apotex de modifier son acte de procédure dans une action au motif que la question avait été entièrement débattue dans une procédure antérieure d’avis de conformité. Le juge Décary, s’exprimant pour la majorité, a déclaré ce qui suit au paragraphe 47 : 

47  Même en supposant, aux fins de l'analyse, qu'il existe une question pouvant être instruite, je n'autoriserais pas les modifications proposées. Comme je l'ai fait remarquer précédemment, ces dernières constituent un changement radical par rapport à la position tenue par Apotex au cours de la dernière décennie de procédures devant la Cour. Elles désavouent des aveux faits dans les actes de procédure dans le cadre de la présente instance et au cours de l'interrogatoire préalable, ainsi que des aveux de l'avocat dans une instance antérieure étroitement liée à la présente instance. Elles ont des répercussions négatives sur l'intégrité du processus d'obtention de l'AC d'Apotex en 1996, processus qui a entre autres nécessité, en vertu du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), une démonstration de la « bioéquivalence » pour l'obtention de l'AC, et qui a permis à Apotex de commercialiser un produit au cours des sept dernières années. Pour la première fois, elles mettent en cause l'interprétation d'un brevet sur lequel Apotex s'est fondée pour obtenir gain de cause en cour, et ce six ans après le début des procédures et la fin des interrogatoires préalables, rendant ainsi le procès plus complexe et probablement plus long, et ce uniquement sur le fondement des allégations faites dans un affidavit souscrit par un avocat d'Apotex. Cette situation est de fait très particulière et commande un examen très attentif.

[16]  Dans Connaught Laboratories Ltd. c. Medeva Pharma Ltd., (1999), 4 C.P.R. (4th) 508, la juge Sharlow, qui siégeait alors à la Cour fédérale, a eu à examiner un acte de procédure très semblable à celui en cause ici. Elle a écrit ce qui suit au paragraphe 12 :

12  Selon le principe général sous-tendant la décision du protonotaire, une demande devrait être radiée uniquement s’il est évident et manifeste qu’elle sera rejetée : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959. La première étape de l’analyse consiste à examiner les arguments que l’on se propose d’invoquer sur le plan juridique, tels qu’ils sont énoncés au paragraphe 25, lesquels sont fondés sur au moins l’un des principes suivants : « la chose jugée, le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige (issue estoppel), une fin de non-recevoir incidente (collateral estoppel), la notion de “courtoisie” (comity), un abus de procédure ». Il s’agit là de différentes façons d’exprimer le principe général selon lequel les procédures judiciaires doivent à un moment donné être décisives, c’est-à-dire qu’une question de fait n’a qu’à être tranchée une fois.

 

[17]   Dans les paragraphes suivants, la juge Sharlow a examiné chacun des principes de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion offensive et de la courtoisie dans le contexte de savoir s'ils  pouvaient s'appliquer à l'égard des conclusions d'un tribunal étranger relativement à un brevet semblable à celui en cause au Canada. Elle a conclu que la question était défendable et que l’acte de procédure devait être laissé intact. Aux paragraphes 26, 27 et 31, elle écrit :

26  Toutefois, je ne comprends pas pourquoi des incohérences, dans des conclusions de fait qui sont tirées par différents tribunaux, devraient être tolérées s’il est possible de les éviter sans enfreindre les règles de fond ou de procédure. Connaught a simplement tenté de soutenir que, dans ce cas-ci, il est erroné en principe pour Medeva d’être autorisée à prendre des positions contradictoires sur des questions de fait précises qui sont en litige en l’espèce et qui ont déjà été plaidées ailleurs.

 

27  On ne m’a reporté à aucun jugement de nature à me convaincre qu’il ne serait pas possible de retenir les arguments que Connaught présenterait en invoquant le principe de la chose jugée, le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige et des arguments connexes. Je conclus donc que le protonotaire adjoint a commis une erreur en ordonnant la radiation des paragraphes y afférents.

[...] [...] [...]

 

31  Il importe également de noter que le problème de la complexité peut être considéré sous différents angles. Les litiges en matière de brevets sont déjà complexes, tant devant cette cour que devant toute autre cour qui est saisie d’affaires de brevets. En fin de compte, pareils litiges peuvent être rendus plus simples au moyen de principes qui permettent ou exigent, le cas échéant, l’adoption de conclusions de fait qui ont été tirées dans une instance étrangère. Cependant, cela n’arrivera jamais à moins que dans la présente affaire ou dans une autre affaire, la Cour n’examine les arguments qui permettraient d’établir pareil principe.

 

 

[18]  Je conclus, comme l'a fait la juge Sharlow, que les questions soulevées dans la défense en l'espèce n'ont pas été carrément soulevées  auparavant et que la question n'est pas suffisamment « évidente et manifeste » pour justifier leur radiation. Il se peut qu'Apotex ait gain de cause en fin de compte sur la question, auquel cas il pourrait y avoir des conséquences financières. J'ai invité les parties à envisager des moyens rapides de soumettre la question à la Cour, comme un procès sommaire en vertu de l’article 216 ou une instance relative à un point de droit en vertu de l’article 220 des Règles. Les avocats ont reçu ces conseils avec peu d’enthousiasme. Étant donné que la question a été soulevée devant moi dans une requête en radiation en vertu de l'alinéa 221(1)a) des Règles, j’en conclus que les considérations liées à la question « évidente et manifeste » doivent l’emporter et que les actes de procédure demeurent intacts , sauf pour ce qui est de radier les mentions de « l’autorité de la chose jugée », sous réserve du consentement des parties.

 

[19]  Il est indiqué que les dépens suivent l’issue de la cause.

 

 

 

 

 


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT

 

LA COUR ORDONNE que :

1.  la requête soit rejetée, sauf en ce qui a trait aux mots « l’autorité de la chose jugée », tels qu'ils paraissent dans l'un ou l'autre des paragraphes 14, 15, 29, 31, 44, 46, 49, 50, 53, 56, 61, 64 et 75 de la défense, les mots en question devant être radiés;

2.  l'a intimée dépose une défense modifiée pour donner suite à la présente ordonnance dans les dix (10) jours;

3.  Dépens à suivre l’issue de la cause.

« Roger T. Hughes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-772-09

 

INTITULÉ :  APOTEX INC. c. PFIZER IRELAND PARMACEUTICALS

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 27 SEPTEMBRE 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR

LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE :
  LE 28 SEPTEMBRE 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

SANDON SHOGILEV

ANDREW BRODKIN

 

POUR LA REQUÉRANTE

PATRICK KIERANS

AMY GRENON

 

POUR L' INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA REQUÉRANTE

OGILVY RENAULT  S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L' INTIMÉE

 

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