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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100928

Dossier : IMM‑334‑10

Référence : 2010 CF 969

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 28 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

SEDIGHEH ALAVI

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse Sedigheh Alavi est citoyenne et résidente de la République islamique de l’Iran. En octobre 2004, elle a présenté une demande à l’ambassade du Canada à Damas (Syrie) en vue d’obtenir la résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Après une longue attente et une suite laborieuse d’événements, l’ambassade du Canada à Varsovie (Pologne) a avisé la demanderesse en octobre 2009 que sa demande était refusée. La demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision (IMM‑6647‑09). La demanderesse a aussi sollicité le réexamen de sa demande et a essuyé un autre refus en décembre  2009. À nouveau, la demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire de cette dernière décision (IMM‑334‑10). Par suite d’une ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 19 février 2010, ces deux demandes de contrôle judiciaire ont été regroupées dans le dossier numéro IMM‑334‑10 et ont donc été entendues en même temps.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, je vais accueillir la demande de contrôle judiciaire, annuler le refus en date d’octobre 2009 (IMM‑6647‑09) et ordonner que l’affaire soit renvoyée au ministre en vue du réexamen du dossier par un autre agent qui devra tenir compte de la totalité de la documentation versée au dossier, y compris celle soumise après octobre 2009.

 

[3]               À de nombreux égards, l’historique des événements pertinents en l’espèce fait écho à des circonstances similaires signalées à la Cour dans le cadre d’autres demandes. À tel point que je recommande aux agents qui accomplissent les activités quotidiennes liées au traitement des dossiers d’envisager sérieusement l’adoption de mesures correctives, y compris la révision du formulaire « Recours aux services d’un représentant » et l’établissement, dès le début du processus, d’une politique claire concernant l’utilisation de la correspondance postale et électronique, de façon à ce qu’un demandeur et son représentant ne puissent avoir aucun doute sur la façon dont les renseignements doivent être transmis et reçus, et avec quel bureau administratif il faut correspondre. De plus, il faudrait envisager de vérifier si les courriels censés être envoyés de Varsovie sont bel et bien envoyés.


 

[4]               Parmi les affaires similaires dont la Cour a été saisie récemment, je signale les suivantes :

         Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 935;

         Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 75;

         Abboud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 876;

         Yazdani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 885.

 

[5]               Le principe qui se dégage de ces décisions, qui visent toutes des communications envoyées au demandeur ou au représentant du demandeur par l’ambassade traitant la demande, est que le prétendu « risque » présenté par le défaut d’envoi de la communication doit être assumé par le ministre s’il ne peut pas prouver que la communication en cause a été envoyée par ses représentants. Cependant, une fois que le ministre prouve que la communication a bien été envoyée, le demandeur assume le risque présenté par le défaut de réception de la communication.   

 

[6]               En l’espèce, j’annule le refus de la demande présentée par la demanderesse qui reposait sur le défaut de fournir les renseignements demandés dans une communication qui, selon le témoignage par affidavit du représentant de la demanderesse, n’a jamais été reçue, car le ministre défendeur n’a produit aucun élément de preuve adéquat établissant l’envoi de cette communication. J’ai en main le dossier du tribunal et je peux reconnaître qu’il permet d’établir le contenu du dossier des agents du ministre. Cependant, il ne démontre pas, faute d’éléments de preuve additionnels, que les communications versées au dossier ont été envoyées.

 

[7]                Un document censé être l’avis de livraison d’un courriel versé au dossier ne constitue pas, à lui seul, la preuve de cette livraison; il prouve uniquement l’existence d’un tel document dans le dossier. En cas de litige, comme en l’espèce, une preuve adéquate au moyen d’un affidavit souscrit par une personne qui est au fait de la question est nécessaire pour prouver les faits.

 

[8]               Voici les faits ayant été établis.

         La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada à l’ambassade du Canada à Damas (Syrie), le ou vers le 7 octobre 2004. À l’époque, elle était représentée par un consultant canadien en immigration.

 

         Quatre années s’écoulent sans que les agents canadiens semblent prendre la moindre mesure. En août 2008, la demanderesse a retenu les services d’un avocat canadien, Stephen Green, pour la représenter.

 

         Le 26 août 2008, M. Green a fait parvenir à l’ambassade du Canada à Damas une lettre contenant un formulaire « Recours aux services d’un représentant ». Dans cette lettre, M. Green a formulé clairement, en caractères gras, la demande suivante : que toutes les communications soient envoyées au bureau de M. Green à Toronto (l’adresse postale de son bureau était clairement indiquée). Le formulaire « Recours aux services d’un représentant » comportait une case pour signaler l’adresse postale du bureau de M. Green (et cette adresse a été fournie), ainsi qu’une case pour son adresse de courriel (qui a été fournie). Le formulaire ne précisait pas pourquoi on demandait une adresse de courriel et n’indiquait pas si les communications seraient acheminées à l’adresse de courriel ou à l’adresse postale.

 

         Le 10 novembre 2008, l’adjointe de M. Green a envoyé un courriel à l’ambassade du Canada à Damas pour demander des renseignements sur l’état d’avancement du dossier. Ce courriel a été envoyé de la boîte de courriel de l’adjointe, et non de celle de M. Green.

 

         Le 18 novembre 2009, l’ambassade du Canada a répondu à l’adjointe de M. Green, lui disant qu’étant donné que son adresse de courriel n’était pas la même que celle de M. Green, aucun renseignement ne pouvait lui être communiqué. Ce courriel contenait aussi un avis intéressé, qui est familier aux personnes parties à des litiges relatifs à des contraventions, dont voici le libellé :

 

[traduction] Consentement et avis de non‑responsabilité :

 

En fournissant votre adresse courriel (dans toute demande que vous auriez fait parvenir), vous amorcez un processus de correspondance par courriel avec CIC, et CIC est ainsi autorisé à utiliser votre adresse courriel pour communiquer avec vous, y compris pour transmettre des renseignements personnels concernant votre dossier/cas. En fournissant votre adresse courriel à CIC, vous devez savoir que ce moyen de communication n’est peut‑être pas sécuritaire. Ainsi, CIC ne peut être tenu responsable de la divulgation de renseignements personnels à une tierce partie s’il a pris les mesures nécessaires pour identifier la partie. CIC ne peut non plus être tenu responsable de l’utilisation malveillante des renseignements par une tierce partie. Pour consulter la politique de CIC concernant Internet, veuillez cliquer sur le lien ci‑dessous :

http://www.cic.gc.ca/francais/avis.asp.

 

         Il est curieux que, dans le même courriel, les agents du ministre refusent de communiquer des renseignements parce que la personne qui les demande n’est pas le représentant inscrit au dossier, tout en tentant dans le même document de lier le représentant à un engagement de recevoir des communications par courriel. La raison véritable est vraisemblablement qu’il s’agit d’un message généré par le système informatique et que personne n’a vraiment réfléchi à cette question. Faute d’un affidavit d’un fonctionnaire responsable relevant du ministère, nous ne le saurons jamais.

 

         Le 18 novembre 2008, soit le même jour où l’ambassade du Canada à Damas a répondu à l’adjointe de M. Green, cette dernière a envoyé un courriel à l’ambassade pour lui rappeler le formulaire « Recours aux services d’un représentant » et l’adresse postale de M. Green. Cette fois‑ci, le courriel demandait que la réponse soit envoyée à l’adresse de courriel de M. Green.

 

         Le 3 décembre 2008, l’ambassade à Damas a envoyé un courriel à l’adresse de courriel de M. Green, signalant seulement que la demande reçue en 2004 était toujours en cours de traitement et que [traduction] « nous communiquerons avec vous » à la prochaine étape.

 

         Un an plus tard, le 16 novembre 2009, l’adjointe de M. Green a envoyé un courriel à l’ambassade de Damas pour se renseigner sur l’état d’avancement du dossier.

 

 

         Le 20 novembre 2009, l’ambassade du Canada à Varsovie a envoyé une lettre – et  non un courriel – au bureau de M. Green, signalant que la demande avait été transférée à Varsovie et que, parce qu’aucune réponse n’avait été reçue à une [traduction] « lettre du 29 juin 2009 », la demande était refusée.

 

[9]               La demanderesse et l’adjointe de M. Green ont soumis des affidavits affirmant n’avoir jamais reçu la [traduction] « lettre du 29 juin 2009 ». Le défendeur, tel que je l’ai noté précédemment, n’a présenté aucun témoignage par affidavit.

 

[10]           Le dossier du tribunal, remis à la demanderesse à la suite d’une demande en vertu de la législation sur l’accès à l’information, renferme la copie d’un document de cinq pages dont l’en‑tête indique qu’il a été envoyé par courriel le 29 juin 2009 non seulement à l’adresse de courriel de M. Green, mais aussi à l’adresse de courriel du précédent représentant de la demanderesse. Pourquoi les agents du ministère auraient apparemment envoyé ce document au précédent représentant est demeuré inexpliqué. Le dossier renferme également un document intitulé [traduction] « Avis de livraison », affirmant qu’un document, qui n’est pas clairement identifié, avait été transmis avec succès à l’adresse de courriel de M. Green ainsi qu’au précédent représentant de la demanderesse. Cet avis de livraison est sujet à caution dans la mesure où le dossier contient d’autres courriels, mais un seul pour lequel on dispose d’un avis de livraison. Il n’y a aucun élément de preuve se rapportant à la question de savoir pourquoi ou quand cet avis de livraison a été généré.

 

[11]           Compte tenu du témoignage assermenté favorable présenté pour le compte de la demanderesse et de l’absence de preuve de la part du défendeur, je peux uniquement conclure que la communication du 29 juin 2009 n’a jamais été reçue par M. Green et que rien ne démontre qu’elle ait été envoyée. Par conséquent, la décision du 28 octobre 2009 par laquelle les agents du ministre ont refusé la demande de résidence permanente de la demanderesse au motif qu’elle n’avait pas répondu à la lettre du 29 juin 2009 doit être annulée et renvoyée en vue d’un nouvel examen tenant compte de la documentation soumise jusqu’à présent.

 

[12]           Selon l’avocat du défendeur, il y aurait peut‑être lieu de certifier une question en vue d’établir qui assume le « risque » associé à la réception ou au défaut de réception des communications. Je ne vais pas certifier de question étant donné que, en raison de l’absence d’élément de preuve adéquat, il ne s’agit pas d’une cause se prêtant à l’examen de la question. Il n’y a pas de motif spécial justifiant l’adjudication des dépens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT :

1.             La demande de contrôle judiciaire IMM‑6647‑09 est accueillie, la décision de refuser la demande de résidence permanente de la demanderesse est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre en vue du réexamen du dossier par un autre agent qui devra tenir compte de la totalité de la documentation versée au dossier, y compris celle soumise après octobre 2009;

2.             Il n’est pas nécessaire de trancher la question soulevée dans le dossier IMM‑334‑10;

3.             Il n’y a pas de question à certifier;

4.             Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑334‑10

 

INTITULÉ :                                      SEDIGHEH ALAVI c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 28 SEPTEMBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 28 SEPTEMBRE 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen W. Green

Kristine Anne Barroma Chua

 

POUR LA DEMANDERESSE

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green & Spiegel LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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