Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100927

Dossier : IMM-4875-10

Référence : 2010 CF 964

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

Le ministre de la sécurité publique

et de la protection civile

demandeur

 

et

 

MEHDI KARIMI-ARSHAD

 

défendeur

 

Motifs du jugement et jugement

 

 

[1]               Le ministre demande à la Cour d’annuler la décision du 18 août 2010 rendue par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle a ordonné la mise en liberté de M. Karimi‑Arshad aux conditions énoncées dans l’ordonnance de mise en liberté.

 

[2]               La Cour a suspendu l’ordonnance faisant l’objet du contrôle jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue relativement à la présente demande de contrôle judiciaire. La Cour a accéléré l’instruction de la demande et celle-ci a été entendue à peine un peu plus d’un mois après que l’ordonnance faisant l’objet du contrôle a été rendue. Compte tenu du fait que le défendeur devait demeurer détenu jusqu’à la présente décision et qu’il a été ordonné qu’aucun autre contrôle des motifs de la détention ne soit effectué en attendant la présente décision, cette dernière a été rendue avec une certaine rapidité.

 

Contexte

[3]               Le défendeur est âgé de 50 ans. Il est un citoyen de l’Iran. Il est arrivé au Canada en 1989 et a obtenu le statut de réfugié. Il a ensuite commencé à commettre une série de crimes que les commissaires semblent accepter comme étant une conséquence de son héroïnomanie. Depuis 1992, il a été déclaré coupable de 23 infractions criminelles, dont la majorité était liée à des vols. Le casier judiciaire du défendeur contient une déclaration de culpabilité très grave prononcée en août 2001 pour un vol qualifié et l’utilisation d’une fausse arme à feu lors de la perpétration d’une infraction, à savoir un vol de banque. Son casier judiciaire contient également des déclarations de culpabilité pour omission de comparaître devant le tribunal en février 2000 et pour omission de se conformer à une ordonnance de probation en juin 2001. Plus récemment, en septembre 2007, il a été déclaré coupable d’un vol de moins de 5 000 $. Il est détenu depuis de temps.

 

[4]               Le 15 octobre 2002, le défendeur a été déclaré interdit de territoire pour criminalité, et son expulsion a été ordonnée en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. L’appel interjeté à l’encontre de cette ordonnance a été rejeté. Le 18 novembre 2002, un mandat d’arrêt lancé contre le défendeur a été exécuté pour son renvoi alors qu’il était incarcéré à l’établissement de Collins Bay, situé à Kingston (Ontario). Le 31 mai 2004, le ministre a déclaré que le défendeur constituait un danger pour le public en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la Loi. Le 15 décembre 2004, le défendeur a été transféré à un centre de détention de l’immigration.

 

[5]               Le Programme de cautionnement à Toronto a refusé à maintes reprises d’offrir une supervision à M. Karimi‑Arshad en raison de son lourd casier judiciaire et de son omission de coopérer avec l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) pour tenter d’obtenir le titre de voyage nécessaire pour qu’il puisse retourner en Iran. Néanmoins, le 20 juillet 2006, l’ASFC a recommandé la mise en liberté du défendeur sous réserve de conditions qui comprenaient son engagement à comparaître et à respecter les conditions de mise en liberté.

 

[6]               Sa mise en liberté n’a pas duré longtemps, car le défendeur a recommencé à commettre des crimes. Le 8 avril 2007, l’ASFC a arrêté le défendeur, car il avait été accusé d’un vol de moins de 5 000 $, d’avoir tenté de résister à son arrestation et de conduite dangereuse. Le 14 septembre 2007, il a été déclaré coupable d’un vol de moins de 5 000 $ pour lequel une peine d’emprisonnement de quatre mois déjà purgés lui a été imposée. Le même jour, il a été transféré au centre de détention de l’immigration, où il se trouve toujours. Depuis ce temps, il a régulièrement fait l’objet de nombreux contrôles des motifs de la détention, comme l’exige la Loi, et jusqu’à ce que la décision faisant l’objet du présent contrôle soit prononcée, aucun commissaire n’a ordonné sa mise en liberté.

 

[7]               Les mesures en vue du renvoi de M. Karimi‑Arshad en Iran ont sans cesse suscité des problèmes. Au départ, le défendeur était la principale cause du retard lié à l’obtention du titre de voyage nécessaire. Plus récemment, cependant, il semble que les autorités de l’Iran n’aient pas collaborées pleinement aux tentatives de renvoyer le défendeur dans son pays d’origine.

 

[8]               De novembre 2004 à octobre 2005, le défendeur a refusé de remplir la demande de titre de voyage. Il a informé l’ASFC qu’il n’avait pas de pièces d’identité iraniennes ni de membres de sa famille ou d’amis qui pouvaient l’aider à les obtenir. En novembre 2005, le défendeur a présenté à l’ASFC une demande de titre de voyage non signée, qui a été ensuite acheminée à l’ambassade d’Iran. Les documents nécessaires provenant de l’Iran n’ont pas été reçus.

 

[9]               À l’occasion du contrôle des motifs de la détention en avril 2008, M. Karimi‑Arshad a déclaré qu’il avait reçu de la correspondance de l’ambassade iranienne l’avisant qu’il n’avait pas besoin de pièces d’identité pour obtenir un titre de voyage. Il était toutefois tenu de participer à une entrevue et de signer un formulaire selon lequel il quittait le Canada et retournait en Iran volontairement. Une entrevue avec les représentants de l’ambassade iranienne a été fixée pour le défendeur, mais il n’a pas été amené à l’entrevue parce qu’il a refusé de signer une lettre affirmant qu’il retournerait en Iran de son plein gré. L’ambassade d’Iran exigeait une telle lettre avant de délivrer le titre de voyage.

 

[10]           En août 2009, M. Karimi‑Arshad a signé une déclaration solennelle affirmant qu’il était un citoyen de l’Iran et qu’il était disposé à retourner en Iran. Le 24 février 2010, il a participé à une entrevue privée avec des représentants de l’ambassade d’Iran et signé une déclaration solennelle affirmant qu’il avait signé toutes les demandes de titre de voyage et qu’il retournait en Iran volontairement.

 

[11]           Il ressort du dossier que depuis novembre 2004 le ministre a fait de nombreux efforts pour obtenir des pièces d’identité délivrées par l’Iran et un titre de voyage pour le défendeur afin qu’il puisse être renvoyé en Iran. Tel que cela a déjà été mentionné, le défendeur constituait au départ le principal empêchement à l’obtention de ces documents. La commissaire dont la décision fait l’objet du présent contrôle a déclaré ce qui suit dans ses motifs du 28 juillet 2010 : [traduction] « Ce n’est qu’au moment où l’ambassade d’Iran a décidé qu’elle ne délivrerait pas un passeport à M. Karimi‑Arshad même s’il signait la lettre de retour volontaire que M. Karimi‑Arshad a enfin accepté de signer la lettre exigée. » Par conséquent, alors que le défendeur avait été le principal empêchement de son renvoi avant le 24 février 2010, les autorités iraniennes semblent être le principal empêchement depuis cette date.

 

[12]           Le défendeur a récemment fait l’objet de plusieurs contrôles des motifs de la détention menant au contrôle des motifs de la détention du 18 août 2010. Ce dernier contrôle a donné lieu à l’ordonnance de mise en liberté qui fait l’objet de la présente demande. Lors de ces contrôles des motifs de la détention, les commissaires ont refusé de mettre le défendeur en liberté en raison de réserves concernant le caractère inadéquat des conditions proposées pour sa mise en liberté et de la possibilité que le demandeur soit en mesure de prendre les mesures pour le renvoi du défendeur en Iran.

 

[13]           Après l’audience du contrôle des motifs de la détention du 18 août 2010, la commissaire O.M. Kowalyk a ordonné la mise en liberté du défendeur. La commissaire en est arrivée à cette décision malgré sa conclusion selon laquelle M. Karimi‑Arshad demeurait un danger pour le public et qu’il se soustrairait vraisemblablement à son renvoi du Canada. La conclusion précise de la commissaire concernant le fait que le défendeur constituait encore un danger pour le public se trouve dans le passage suivant de ses motifs :

Je conclus que la preuve relative à l’avis de danger et aux circonstances entourant les déclarations de culpabilité, l’escalade de la violence et la peine imposée démontrent que M. Karimi‑Arshad constitue un danger pour le public.

 

[14]           En ce qui a trait au fait que le défendeur continuerait vraisemblablement à se soustraire à son renvoi, la commissaire décrit une grande partie des rapports du défendeur avec l’ASFC, mais ne présente pas le même type d’analyse que celle fournie à l’égard de la conclusion en matière de danger. Néanmoins, la commissaire déclare ce qui suit au début de ses motifs : « J’estime et je suis convaincue que M. Karimi‑Arshad constitue un danger pour le public et qu’il se soustraira vraisemblablement à son renvoi du Canada. »

 

Les questions en litige

[15]           Le ministre demandeur soulève deux questions :

1.                  la question de savoir si l’ordonnance de la commissaire prescrivant la mise en liberté sans supervision ni surveillance du défendeur, qui est un danger pour le public et un fuyard en puissance, est déraisonnable;

2.                  la question de savoir si la commissaire a omis de fournir des motifs clairs et convaincants pour s’écarter de plusieurs décisions antérieures ordonnant le maintien de la détention du défendeur.

 

Analyse

[16]           La Cour doit être guidée par les principes suivants :

                              (i)            La raisonnabilité est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de mettre en liberté un étranger (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Panahi-Dargahloo, 2010 CF 647, au paragraphe 25).

                            (ii)            Les conclusions de fait et l’appréciation de la preuve d’un commissaire commandent la déférence (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

                           (iii)            Le rôle de la Cour n’est pas de substituer son opinion à celle du commissaire (Walker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 392, aux paragraphes 25 et 26).

                          (iv)            Si un commissaire s’écarte de décisions antérieures qui maintenaient la détention, il doit alors présenter des motifs clairs et convaincants pour ce faire (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4).

 

[17]           Le caractère raisonnable de l’ordonnance de mise en liberté et des motifs fournis exige l’examen des conditions précises de mise en liberté à la lumière des conclusions de la Commission selon lesquelles le défendeur demeure un fuyard en puissance et un danger pour le public et à la lumière des décisions antérieures de la Commission. En conséquence, il est nécessaire d’examiner les propositions de mise en liberté antérieures qui ont été rejetées. En l’espèce, les contrôles les plus récents des motifs de la détention sont les plus pertinents.

 

Contrôles antérieurs récents des motifs de la détention

Contrôles effectués en 2009

[18]           Les observations des commissaires dans deux contrôles des motifs de la détention effectués avant 2010 reflètent les décisions antérieures et donnent le ton aux contrôles ultérieurs.

 

[19]           À la suite du contrôle des motifs de la détention effectué le 12 mars 2009, le commissaire Shepherd a fourni de longs motifs. Il a examiné chacun des contrôles antérieurs[1]. Dans ses motifs, a il noté que « [l]e 24 juillet 2006, il [le défendeur] a été mis en liberté sous réserve de conditions, notamment celle de se présenter tous les mois » et qu’il a omis de se présenter le 5 avril 2007 après avoir perdu son cellulaire qui contenait son calendrier de rendez-vous. Le commissaire a estimé que cette explication était insuffisante, mais il a conclu que le défendeur se présenterait vraisemblablement à l’ASFC, nonobstant cette occasion où il ne s’était pas présenté le 5 avril 2007:

Indépendamment de cette explication, sa conduite fait état d’un manque de diligence raisonnable, pour ce qui est de respecter ses conditions de mise en liberté. Il savait qu’il devait se présenter tous les mois. Il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait communiqué avec l’ASFC pour déterminer la prochaine date, pour les cas où il l’aurait oubliée. Exception faite de ce point, il a de bons antécédents en matière d’obligation de se présenter. […] À la lumière de tous les faits en l’espèce, je suis convaincu qu’il se présenterait vraisemblablement à l’ASFC tous les mois.

 

[20]           La proposition dont était saisi le commissaire Shepherd prévoyait que M. Karimi‑Arshad serait mis en liberté sur son propre engagement et qu’il résiderait chez son ancien propriétaire. Le commissaire a déclaré ce qui suit :

Il ne serait pas approprié en l’espèce d’autoriser la mise en liberté de l’intimé pour le confier à une personne qui n’a pas été reçue en entrevue pour établir si elle est apte à remplir cette tâche. Compte tenu de ses antécédents criminels, de son héroïnomanie passée et de son risque de fuite, l’ordonnance de mise en liberté doit prévoir certains aspects liés, notamment, au logement, aux évaluations et traitements médicaux et à une supervision efficace par un garant compétent, afin de contrebalancer les divers problèmes soulevés et de justifier la mise en liberté.

 

[21]           Le commissaire qui a effectué le contrôle des motifs de la détention le 23 septembre 2009 a écrit ce qui suit : [traduction] « Je peux aisément qualifié d’élevé à extrêmement élevé le danger que vous constituez pour le public si vous étiez remis en liberté ainsi que la probabilité que vous ne vous présenterez pas pour l’exécution de votre mesure de renvoi légitime. »

 

[22]           C’est dans ce contexte – où le défendeur n’a pas respecté les conditions de sa mise en liberté antérieure, où le risque que le défendeur soit un danger pour le public a été qualifié d’élevé à extrêmement élevé et où le défendeur ne s’est pas présenté pour son renvoi – que les décisions ultérieures doivent être examinées.

 

Contrôle des motifs de la détention mené le 13 avril 2010 – La commissaire Heyes

[23]           Le 13 avril 2010, la commissaire Heyes a maintenu la détention du défendeur et a rejeté les nouvelles conditions proposées pour sa mise en liberté, conditions décrites dans des lettres du refuge Salvation Army Gateway (Gateway) et du centre Fred Victor. Ce contrôle des motifs de la détention est particulièrement pertinent, parce qu’il semble que, pour la première fois, ces deux organismes jouaient un rôle dans la présente affaire et parce que la décision faisant l’objet du contrôle a autorisé la mise en liberté du défendeur en se fondant sur des lettres de ces deux organismes, lettres qui prévoyaient par ailleurs des conditions modifiées.

 

[24]           Il était proposé que M. Karimi‑Arshad réside à Gateway. Comme le montre la lettre de Gateway du 9 mars 2010, cette proposition constituait une réponse aux avocats du défendeur qui [traduction] « cherchaient à placer M. Karimi Arshad [sic] à un endroit convenable où il y aurait de la supervision et de la gestion de cas ». La lettre décrit Gateway et sa relation avec les résidents comme suit :

[traduction]

 

Le refuge Salvation Army Gateway est un refuge pour hommes qui offre de la gestion de cas, un soutien au logement et une petite clinique pour ses résidents. Les résidents sont tenus de participer activement avec le gestionnaire de cas pour élaborer un plan de gestion de cas raisonnable et ils ont la responsabilité de respecter tous les rendez-vous fixés à l’avance. Gateway n’assure pas une supervision rigoureuse de ses résidents. Les résidents ont plutôt la responsabilité de respecter toutes les règles et politiques du refuge et de suivre le plan de gestion de leur cas. L’omission de ce faire entraîne la perte de leur place dans le programme d’attribution des lits, auquel cas ils seront dirigés vers un autre refuge pour se loger.                   

[Non souligné dans l’original.]

 

[25]           La lettre se poursuit en énonçant les conditions qui devaient être remplies avant que Gateway n’accepte le défendeur à son refuge :

[traduction]

 

Nous sommes disposés à accepter M. Karimi Arshad [sic] à notre refuge, sous réserve du respect des conditions suivantes :

 

1.   M. Karimi Arshad [sic] est disposé à signer un consentement autorisant la communication et la divulgation de formulaires de renseignements personnels entre Gateway et tout organisme ou régime dont il relève tels qu’Immigration, Aide juridique Ontario et les agents de probation, de libération conditionnelle et de cautionnement, aux fins d’élaborer un plan de gestion de cas et de responsabilité.

 

2.   M. Karimi Arshad [sic] est en mesure d’assurer ses soins personnels et il peut marcher.

 

3.   M. Karimi Arshad [sic] convient de respecter toutes les règles et politiques de cet établissement.

 

[26]           La lettre du centre Fred Victor datée du 11 mars 2010 décrit comme suit les services qu’il offre :

[traduction]

 

Le centre met en œuvre un programme de prévention qui offre un soutien de première ligne dans la collectivité aux personnes atteintes de maladies mentales qui sont à risque d’avoir ou d’avoir à nouveau des démêlés avec le système de justice pénale. Nous offrons à nos clients une gestion de cas intensive, des programmes, un soutien pratique et des services de défense de leurs droits. Nous les dirigeons vers les services de soutien communautaire appropriés, tels que l’hébergement sûr, la représentation par avocat, les services de santé, les travailleurs de première ligne dans le domaine du logement et d’autres services précisés par le client.

 

[27]           Plus précisément en ce qui a trait à M. Karimi‑Arshad, le centre Fred Victor a écrit ce qui suit : [traduction] « Veuillez m’indiquer l’endroit et le moment où je peux rencontrer M. Arshad [sic] ou communiquer avec lui pour l’admettre et amorcer un plan de gestion de cas avec lui. »

 

[28]           Il a été proposé que les services de ces organismes, tels que décrits, soient fournis à M. Karimi‑Arshad. À l’audience, l’avocate du défendeur a mentionné que Gateway hébergerait le défendeur en attendant son admission à la maison de transition, qui offrirait un séjour maximum de trois mois et de l’aide pour traiter son héroïnomanie. La commissaire Heyes a rejeté la proposition principalement parce qu’elle n’offrait pas de supervision et qu’elle fournissait peu de détails concernant les programmes qui seraient mis en place pour le défendeur. Bien que longues, les réserves exprimées à cet égard sont instructives dans le contexte de l’examen de la décision faisant l’objet du contrôle :

 

Votre mise en liberté antérieure sur votre promesse de respecter les conditions, combinée avec le traitement de votre toxicomanie, n’a pas été efficace.

 

Plus de deux ans se sont écoulés depuis, mais, à mon avis, rien de particulier dans cette proposition ne suffit à dissiper mes doutes quant à savoir si cette situation se reproduirait ou non.

 

Le fait que les conditions de la mise en liberté antérieure n’ont pas été respectées et que la réadaptation a échoué n’est pas un facteur déterminant, mais il s’agit certainement d’une preuve importante qu’il y a nécessité de prendre davantage de mesures afin de réduire le risque de fuite ou le danger pour le public.

 

En toute honnêteté, je ne vois pas comment le simple fait de se présenter plus souvent au Centre d’exécution de la loi du Grand Toronto réduirait le risque de fuite ou le danger pour le public, compte tenu de l’absence de caution de surveillance.

 

Ce que je veux dire, c’est que je n’estime pas viable la solution de rechange proposée. Le plan de mise en liberté contient des lacunes, notamment en ce qui concerne la surveillance.

 

La pièce DR‑1, soit la lettre provenant de Gateway, indique clairement que ce centre n’offre pas de surveillance stricte.

 

Cette lettre indique qu’il incombe au pensionnaire de respecter les règles et les politiques du refuge.

 

La maison de transition peut offrir un séjour d’une durée maximale de trois mois, mais à mon avis, elle n’offre pas de service de surveillance. Il est indiqué que les services de consultation approfondis qui y sont offerts sont fournis par un conseiller principal externe et que la participation à ce programme est volontaire. 

 

Le plan proposé ne contient pas beaucoup de renseignements en ce qui concerne le traitement de l’héroïnomanie, à savoir qui fournirait les services, quel est précisément le traitement offert, quelle est la surveillance offerte et quelle est la procédure en place pour signaler tout manquement à l’ASFC.

 

[...]

 

 

Il n’y a rien, il n’y a aucune caution de surveillance liée à ce plan de mise en liberté. De toute évidence, ce n’est pas une exigence de la loi, mais à mon avis, il n’est simplement pas suffisant, pour une personne qui n’a pas tenu sa promesse antérieure de respecter ses conditions de mise en liberté, de faire appel à des programmes de réadaptation axés sur la participation volontaire.

 

Je ne vois aucun élément précis dans ce programme qui garantirait le respect de la condition de vous présenter pour votre renvoi, par exemple.

 

De plus, j’estime qu’il manque quelque peu de renseignements dans les pièces DR‑1, DR‑2 et DR‑3 en ce qui concerne le traitement précis qui vous est proposé.

 

Par exemple, à la pièce DR‑3, il est mentionné qu’il convient de vous soigner pour un problème de santé mentale, mais il n’est pas précisé de quelle maladie mentale vous êtes atteint ni quel est le traitement proposé. 

                                             

J’estime que les renseignements sont en quelque sorte de nature générale et ne portent pas précisément sur vos antécédents en matière de violence et les mesures qui pourraient être prises pour réduire ce problème. 

 

Après avoir examiné le document, je ne comprends pas très bien ce qui vous est vraiment offert et de quelle façon cela peut contribuer à minimiser le risque de fuite ou le danger que vous constituez pour le public.

 

Compte tenu du manque de précisions et du fait que je ne crois pas que votre détention soit d’une durée indéterminée pour le moment, je vais ordonner le maintien de votre détention aux motifs que vous constituez un danger pour le public et que vous risquez de vous enfuir

 

Contrôle des motifs de la détention mené le 11 mai 2010 – La commissaire Heyes

[29]           La commissaire n’a été saisie à des fins d’examen d’aucune nouvelle solution de rechange à la détention et elle a réaffirmé l’avis selon lequel [traduction] « une sorte de supervision serait nécessaire dans les circonstances [...] vu qu’une mise en liberté sur votre propre engagement de respecter les conditions n’a pas connu de succès dans le passé ». La commissaire a toutefois noté que la détention traînait en longueur et a demandé au ministre de [traduction] « communiquer avec le ministère des Affaires étrangères pour s’enquérir des documents précis demandés par les représentants de l’Iran » et de rédiger un historique du dossier pour aider à [traduction] « décider ce qui peut encore être fait ».

 

Contrôle des motifs de la détention mené le 9 juin 2010 – La commissaire Kowalyk

[30]           La commissaire Kowalyk a examiné les mêmes lettres de Gateway et du centre Fred Victor que la commissaire Heyes avait examiné dans le cadre du contrôle des motifs de la détention du 13 avril 2010 et a conclu que [traduction] « la solution de rechange proposée n’écarte pas les réserves découlant des deux motifs de la détention ». Plus précisément, elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je souscris à l’évaluation de la commissaire Heyes selon laquelle la lettre révèle que Gateway n’offre aucune surveillance ni supervision, mais se fonde plutôt sur l’engagement de la personne à respecter les règles et à suivre le plan de gestion de cas. »

 

[31]           Dans ses motifs écrits du 28 juillet 2010, la commissaire Kowalyk a examiné les facteurs énumérés à l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés pris en vertu de la Loi et qui doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la mise en liberté ou le maintien de la détention. Voici une liste des réserves de la commissaire :

1.                  les solutions de rechange proposées n’incluent pas le dépôt d’un cautionnement ou d’une garantie par un citoyen canadien ou un résident permanent vivant au Canada;

2.                  les solutions de rechange proposées ne prévoient pas la surveillance ou la supervision exercée par un tiers ou des organismes professionnels comme le Programme de cautionnement à Toronto;

3.                  Gateway n’offre ni surveillance ni supervision, mais se fonde sur l’engagement de la personne à respecter les règles et à suivre le plan de gestion de cas;

4.                  Gateway ne mentionne pas si ses services sont accessibles à une personne peu importe son statut juridique;

5.                  Gateway n’assume aucune responsabilité pour ce qui est d’informer l’ASFC que la personne en cause n’a pas respecté les règles et qu’elle n’est plus en règle par rapport au refuge ou que l’adresse de la personne en cause a changé depuis que cette dernière a perdu sa place dans le cadre du programme d’attribution des lits;

6.                  Gateway n’a pas confirmé la disponibilité d’une place dans le cadre du programme d’attribution des lits, ce qui doit être fait avant qu’une ordonnance de mise en liberté soit prononcée;

7.                  il est nécessaire que le plan de gestion de cas reconnaisse que M. Karimi‑Arshad n’est plus un résident permanent et qu’il fait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada dès que le titre de voyage est délivré;

8.                  l’ensemble des points 1 à 7 [traduction] « devra être traité dans un plan de gestion de cas, une entente ou des conditions » et le plan de gestion de cas doit être élaboré avant qu’une ordonnance de mise en liberté soit prononcée ([traduction] « il n’est pas clair pourquoi le plan de gestion de cas ne peut pas inclure la surveillance et l’obligation de se présenter aux autorités afin que le plan réponde aux réserves de l’ASFC et pourquoi une copie de ce plan ne peut pas être fournie à la Section de l’immigration pour examen et comme fondement d’une ordonnance de mise en liberté »);

9.                  il n’est pas clair pourquoi le centre Fred Victor ne peut pas élaborer le plan de gestion de cas, y compris confirmer un lit dans un endroit sûr, et le présenter à l’occasion d’un contrôle des motifs de la détention;

10.              le plan de gestion de cas élaboré soit par Gateway soit par le centre Fred Victor doit reconnaître la situation juridique précaire de M. Karimi‑Arshad et en traiter et, [traduction] « dans leur forme actuelle, les lettres de Gateway et du centre Fred Victor ne traitent pas de cette situation ».

 

[32]           La commissaire Kowalyk a ensuite concentré ses observations sur la durée de la détention et sur les efforts accomplis par le ministre pour exécuter la mesure d’expulsion dès qu’il sera raisonnable de le faire. Elle souligne que la dernière inscription dans la chronologie des tentatives pour obtenir un titre de voyage est le 11 mars 2010 et qu’à l’occasion d’audiences antérieures le ministre avait mentionné des contacts diplomatiques avec l’ambassade d’Iran. La commissaire écrit ce qui suit : [traduction] « L’ASFC devra présenter une mise à jour détaillée concernant les obligations incombant à l’ambassade d’Iran relativement aux Iraniens et les mesures ou les mécanismes disponibles pour s’assurer que les autorités de l’Iran remplissent leurs obligations ou pour les convaincre de le faire. »

 

Contrôle des motifs de la détention mené le 28 juillet 2010 – La commissaire Kowalyk

[33]           Ce jour‑là, la commissaire a publié les motifs de sa décision portant sur le contrôle précédent des motifs de la détention et a maintenu la détention parce qu’il n’y avait eu aucun changement depuis ce moment. Elle a fixé la date du prochain contrôle des motifs de la détention et a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’entendrai de nouveau les deux parties et je souhaiterais plus particulièrement que les parties abordent l’analyse que contient la décision rendue aujourd’hui. »

 

Contrôle des motifs de la détention mené le 18 août 2010 – La commissaire Kowalyk

[34]           À l’audience, le défendeur a présenté deux lettres révisées, toutes deux datées du 17 août 2010. La première lettre provenait de Gateway et la seconde, du centre Fred Victor.

 

[35]           La lettre de Gateway contenait les mêmes alinéas que ceux énoncés aux paragraphes 24 et 25 des présents motifs et, dans cette mesure, elle n’était pas différente de celle examinée auparavant par les commissaires et a été rejetée en raison de son insuffisance. Les lettres contenaient toutefois des ajouts.

 

[36]           La lettre du centre Fred Victor révèle que son auteur et la représentante de Gateway avaient participé à une conférence téléphonique avec le défendeur, ce qui constituait une occasion de [traduction] « commencer à élaborer un plan de gestion de cas avec lui ». Cette amorce de plan de gestion de cas contenait les dispositions suivantes :

1.                  S’il était mis en liberté, M. Karimi‑Arshad se rendrait directement à Gateway, serait admis à son refuge et aurait accès au conseiller en toxicomanie [traduction] « une fois installé ».

2.                  Il sera dirigé vers un médecin pour continuer à prendre ses médicaments pour le trouble de stress post-traumatique.

3.                  Gateway et le centre Fred Victor continueraient de travailler en collaboration avec le défendeur [traduction] « pour fournir un soutien de qualité optimale à l’égard du plan de gestion de cas. »

 

[37]           La lettre de Gateway montre que son auteur a parlé au défendeur au cours d’une conférence téléphonique et confirme ce qui suit :

1.                  M. Karimi-Arshad [traduction] « a manifesté de l’intérêt à l’égard d’un plan de gestion de cas qui prévoit rencontrer le conseiller en toxicomanie de Gateway, explorer des options de traitement possibles pour sa toxicomanie et trouver un logement à long terme »;

2.                  le défendeur et l’auteur de la lettre se rencontreront [traduction] « régulièrement (toutes les semaines ou toutes les deux semaines, selon les besoins) »;

3.                  les détails du plan de gestion de cas seraient mis au point en collaboration avec le centre Fred Victor et seraient [traduction] « examinés plus en profondeur lorsque le défendeur sera résident du refuge ».

 

[38]           Gateway confirme être au courant que M. Karimi‑Arshad est incarcéré, n’a pas de statut et attend que ses titres de voyage soient délivrés et il confirme de plus être en mesure d’attribuer un lit au défendeur au moment de sa mise en liberté.

 

[39]           Gateway réitère ne pas fournir de supervision rigoureuse de ses résidents et que M. Karimi‑Arshad aura la responsabilité de respecter les règles et politiques du refuge et de [traduction] « suivre le plan de gestion de cas ». Fait important, Gateway ajoute ce qui suit :

[traduction]

 

En ayant les consentements nécessaires, Gateway sera en mesure de répondre à l’ASFC si un représentant devait téléphoner et demander si M. Arshad [sic] réside à Gateway. Gateway n’assumera cependant aucune responsabilité pour ce qui est d’informer l’ASFC que M. Arshad [sic] a quitté Gateway, puisque cela n’est pas son mandat. Je suis disposée à écrire une lettre de soutien (à la demande de M. Arshad [sic]) contenant les dates des rendez-vous fixés pour M. Arshad [sic] avec le gestionnaire de son cas à Gateway pour qu’il la présente à l’immigration.

 

[40]           Finalement, à l’instar de la lettre du centre Fred Victor, Gateway se déclare déterminé à mettre le défendeur en lien avec les membres du personnel de gestion de cas [traduction] « afin d’amorcer le processus d’élaboration d’un plan de gestion de cas à l’égard duquel il sera tenu responsable ».

 

[41]           La commissaire a ordonné la mise en liberté du défendeur sous réserve de conditions, dont les plus pertinentes sont les suivantes, aux fins de la présente demande :

[traduction]

 

§                     Être accepté comme client faisant l’objet d’une supervision et d’une gestion de cas par les services de consultation de Salvation Army Gateway et le programme de santé mentale et de justice du centre Fred Victor et demeurer en règle avec ces organismes et le plan de gestion de cas élaboré.

 

§                     En cas de refus à titre de client faisant l’objet d’une supervision et d’une gestion de cas, se présenter le jour ouvrable suivant à un agent au bureau de l’ASFC situé au CELGT, 6900 chemin Airport, entrée 2B, Mississauga (Ontario) L4V 1E8.

 

§                     Respecter les conditions du plan de gestion de cas, du programme de traitement de santé mentale et de toxicomanie élaboré par la gestion de cas des services de consultation de Salvation Army Gateway et le programme de santé mentale et de justice du centre Fred Victor.

 

§                     Signer un formulaire de consentement pour la communication et la divulgation à l’ASFC des formulaires de renseignements personnels donnés aux organismes ou aux médecins participant au plan de gestion de cas, aux programmes ou au traitement auxquels il est inscrit; des mises à jour du plan de gestion de cas, du traitement et du programme mis au point à son égard ainsi que des mises à jour relatives au respect du plan de gestion de cas, des programmes, du plan de traitement et de médicaments.

 

§                     Signer un formulaire de consentement pour permettre à l’ASFC de demander des renseignements, des mises à jour et des documents concernant le plan de gestion de cas, le traitement et le respect des conditions, des règles et politiques et pour confirmer qu’il demeure en règle avec les organismes et respecte le plan de gestion de cas.

 

§                     Se présenter à la date, à l’heure et à l’endroit qu’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ou la Section de l’immigration fixe afin de se conformer aux obligations qui lui sont imposées en vertu de la Loi, y compris le renvoi, si nécessaire.

 

§                     Fournir son adresse à l’ASFC avant sa mise en liberté et aviser l’ASFC en personne de tout changement d’adresse avant que le changement ne soit effectué.

 

§                     Se présenter à un agent au bureau de l’ASFC situé au CELGT, 6900 chemin Airport, entrée 2B, Mississauga (Ontario) L4V 1E8, au plus tard à la date prévue par l’ASFC et une fois par semaine par la suite. Un agent de l’ASFC peut, par écrit, réduire la fréquence des rencontres ou modifier l’endroit où se présenter.

 

§                     Résider en tout temps à l’adresse mentionnée par les services de consultation de Salvation Army Gateway ou le programme de santé mentale et de justice du centre Fred Victor et respecter toutes les règles et politiques de cet établissement.

 

[42]           Les lettres de Gateway et du centre Fred Victor répondent à quelques-unes des conditions énoncées par la commissaire Kowalyk dans ses motifs du 28 juillet 2010. Plus précisément, les lettres traitent des points 4, 6 et 7 résumés au paragraphe 31 des présents motifs en ce sens qu’elles révèlent que des services sont offerts à une personne peu importe son statut juridique, qu’un lit sera attribué au défendeur à sa mise en liberté et que les organismes reconnaissent qu’ils savent que le défendeur fait l’objet d’une mesure de renvoi.

 

[43]           Gateway n’aborde pas directement les autres réserves mentionnées précédemment. Plus précisément, la solution de rechange proposée n’inclut pas le dépôt d’un cautionnement ou d’une garantie par un citoyen canadien ou un résident permanent vivant au Canada, ne prévoit pas la surveillance ou la supervision par un tiers ou une organisation professionnelle tel que le Programme de cautionnement à Toronto, ne prévoit pas que les organismes signaleront les manquements du défendeur ou son changement d’adresse à l’ASFC et n’établit pas un plan de gestion de cas élaboré avant la mise en liberté, bien que l’élaboration d’un tel plan soit commencée.

 

[44]           Le ministre soutient que les motifs de la commissaire ne montrent pas comment les consentements que le défendeur est tenu de fournir à l’ASFC assureront que le défendeur respectera les conditions de mise en liberté. Le ministre fait de plus valoir que la commissaire omet de fournir des motifs clairs et convaincants pour s’écarter des décisions antérieures qui maintiennent la détention du défendeur. Ces questions sont liées, et je les examinerai ensemble.

 

[45]           Contrairement à des décisions antérieures, la commissaire Kowalyk a conclu qu’elle était « dans l’impossibilité de décider que le renvoi sera effectué dès qu’il sera raisonnable de le faire ». Elle a tiré cette conclusion après avoir examiné l’historique des communications antérieures avec les autorités de l’Iran. Le dossier dont était saisie la commissaire montrait que les autorités de l’Iran n’étaient pas constantes dans leur demande concernant ce qui était précisément requis pour qu’elles puissent délivrer le titre de voyage nécessaire. Il semble toutefois que les autorités iraniennes exigent maintenant des documents originaux qui montrent que le défendeur est un citoyen de l’Iran. Il n’en a aucun et il appert qu’il n’est pas possible d’en obtenir un de l’Iran à moins d’être physiquement présent dans le pays. Les parties se trouvent donc dans une impasse.

 

[46]           Le ministre a communiqué avec les membres de la famille du défendeur au Canada (qui semblent avoir eu peu de contact avec le défendeur) pour tenter d’obtenir des documents originaux; ils ne semblent cependant pas posséder de tels documents. On a laissé entendre que la mère du défendeur en Iran pouvait avoir les dossiers originaux de son service militaire en Iran et qu’il était possible qu’elle vienne au Canada et qu’elle puisse les apporter. Mais tout cela n’est que conjectures. Enfin, le ministre a informé la commissaire qu’il explorait la question de savoir si une personne en Iran munie d’une procuration du défendeur pourrait être en mesure d’obtenir des documents originaux. Encore une fois, cette possibilité était très hypothétique et le succès était incertain. Néanmoins, la commissaire a souligné que, bien que le défendeur ait auparavant refusé de donner une telle procuration à l’audience du mois d’août, il a accepté de signer une procuration « visant à permettre à la mission canadienne à Téhéran d’agir en son nom, dans le but d’obtenir un certificat de naissance ou une autre pièce d’identité originale ».

 

[47]           Bien que le ministre ait fait valoir que les deux pays poursuivaient des discussions diplomatiques, la commissaire a souligné qu’aucun détail n’avait été fourni. Elle a conclu précisément qu’aucune mise à jour n’avait été présentée concernant « les mesures que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) va mettre en œuvre pour régler les problèmes; et la date à laquelle les parties s’attendent à ce qu’un titre de voyage soit délivré ».

 

[48]           À mon avis, la commissaire a clairement soupesé tous les éléments de preuve qui avaient été présentés auparavant, l’historique des efforts pour obtenir le titre de voyage nécessaire, l’absence de renseignements révélant l’état actuel de ces efforts et, plus important encore, l’absence de toute indication du moment où le titre de voyage nécessaire pourrait être délivré. Dans ce contexte, l’évaluation de la commissaire, selon laquelle elle n’était pas en mesure de conclure que le renvoi serait effectué dès qu’il serait raisonnable de le faire était raisonnable, transparente et justifiée. Je suis d’accord avec le demandeur que la commissaire n’a pas conclu que le défendeur sera détenu pendant une période indéfinie ou d’une manière contraire à la Charte. Cependant, sa conclusion concernant la vraisemblance du renvoi était très différente de celles des commissaires précédentes. Elle avait le droit de prendre ce facteur en compte et de déterminer le poids à y accorder.

 

[49]           Le fait que le renvoi du Canada ne se produirait vraisemblablement pas dans un avenir prévisible était un changement de situation important et justifiait que la commissaire examine attentivement la nouvelle proposition de mise en liberté, ce qu’elle a fait.

 

[50]           Le principal obstacle à la mise en liberté avait toujours été la supervision et la surveillance du défendeur pendant sa mise en liberté, à la fois pour assurer qu’il ne constituait pas un danger pour le public et qu’il respectait les conditions de sa mise en liberté. La commissaire souligne et reconnaît que la proposition actuelle de mise en liberté ne prévoit pas le dépôt d’un cautionnement ou d’une garantie par un citoyen canadien ou un résident du Canada et qu’elle ne prévoit pas non plus qu’un tiers doit avertir l’ASFC si le défendeur viole les conditions de sa mise en liberté, manque à son plan de traitement ou quitte Gateway. Cependant, la commissaire conclut comme suit :

[J]e suis convaincue que, si M. Karimi‑Arshad donne son consentement écrit, l’ASFC aura accès à des renseignements à jour et dignes de foi quant au respect, par ce dernier, des conditions de l’ordonnance de mise en liberté. L’exigence selon laquelle M. Karimi‑Arshad doit se présenter une fois par semaine au Centre de contrôle – cautionnements permettra à l’ASFC d’exercer une surveillance hebdomadaire quant au respect du plan de réadaptation et quant au contrôle des problèmes de santé mentale et de toxicomanie de celui-ci. Le respect, par M. Karimi‑Arshad, du plan de réadaptation est nécessaire pour s’assurer du contrôle de ses activités criminelles et pour prévenir des incidents comme ceux qui ont entraîné les déclarations de culpabilité graves en 2001.

 

[51]           Si le défendeur avait eu accès à une caution, un garant ou un tiers pour assurer une supervision directe et informer l’ASFC, il est raisonnable de supposer qu’il l’aurait présenté au cours de sa détention de trois ans. Je suis d’accord avec la prétention du défendeur selon laquelle la commissaire a effectué une appréciation des facteurs et un exercice de pondération. Le défendeur n’avait pas accès à une caution ni à un garant, et aucun tiers n’était disposé à assurer une supervision et une surveillance qui prévoyaient notamment d’aviser l’ASFC si le défendeur ne respectait pas les conditions de sa mise en liberté ou son plan de traitement. La commissaire a clairement reconnu que l’ASFC devait avoir un certain mécanisme en place lui permettant d’avoir connaissance d’un tel manquement. La commissaire a conclu que l’accord de Gateway – selon lequel il fournirait des renseignements à l’ASFC, vu le consentement du défendeur, concernant le respect du plan de gestion de cas et des conditions des deux organismes – combiné au fait que le défendeur devait se présenter toutes les semaines à l’ASFC, assurait la supervision et la surveillance nécessaires et raisonnablement disponibles dans les circonstances.

 

[52]           Je n’ai aucun doute que l’ASFC préférerait qu’un tiers l’appelle si un étranger en liberté violait les conditions de sa mise en liberté. Cependant, le dossier dont la commissaire était saisie en l’espèce révélait que le défendeur ne pouvait pas se prévaloir d’un tel mécanisme. Si un tel système était une condition préalable à la mise en liberté et qu’un détenu ne pouvait s’en prévaloir, ce détenu ne pourrait alors jamais être mis en liberté. Il ne saurait en être ainsi. Bien que cela ne convienne pas à l’ASFC, rien ne l’empêche de communiquer avec Gateway aussi souvent qu’elle l’estime nécessaire pour vérifier le statut du défendeur et, si elle apprend qu’il ne respecte pas les conditions, et de le détenir de nouveau.

 

[53]           Le demandeur prétend qu’il était déraisonnable pour la commissaire de ne pas exiger comme condition de mise en liberté que le défendeur signe les consentements nécessaires pour permettre à l’ASFC de communiquer avec Gateway et obtenir des renseignements. Le ministre fait valoir que [traduction] « compte tenu de leur mandat, les organismes n’exigeront certainement pas ces consentements, et [que] la commissaire n’a imposé aucune échéance quant au moment où les consentements doivent être donnés pour que l’ordonnance soit respectée ». Je conclus que cette observation est sans fondement. Le moment de la signature des consentements dépend entièrement du demandeur. J’accepte l’argument du défendeur selon lequel, [traduction] « puisque la signature des consentements constitue une condition de mise en liberté, ces consentements peuvent être facilement rédigés par l’ASFC pour qu’ils soient signés par le demandeur au moment de la mise en liberté ».

 

[54]           Pour ces motifs, je conclus que la décision mettant le défendeur en liberté sous réserve des conditions énoncées dans l’ordonnance de mise en liberté n’est pas déraisonnable et je conclus de plus que la commissaire a fourni des motifs clairs et convaincants pour s’écarter des ordonnances de détention antérieures.

 

[55]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La présente demande est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B.,M.A.Trad.jur.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4875-10

 

Intitulé :                                       ministre de la sécurité publique et de la protection civile c. MEHDI KARIMI‑ARSHAD

 

 

 

LE LIEU DE L’AUDIENCE :           Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 septembre 2010

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 septembre 2010

 

 

 

Comparutions :

 

Neeta Logsetty

 

Pour le demandeur

Aviva Basman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

 

Pour le demandeur

Aviva Basman

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 



[1] Dans cette décision, il a conclu que le défendeur ne constituait pas un danger pour le public. Cependant, à l’occasion du contrôle suivant des motifs de la détention, qu’il a également effectué le 7 avril 2009, il a conclu que le défendeur était un danger pour le public et il écrit ce qui suit : [traduction] « Compte tenu des détails manquants lors du dernier contrôle des motifs de la détention, l’allégation s’appuyant sur l’alinéa 58(1)a) est bien fondée. »

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.