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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100922

Dossier : T‑1234‑09

Référence : 2010 CF 948

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION DENESULINE DE FOND DU LAC,

LA PREMIÈRE NATION DENESULINE DE BLACK LAKE,

LA PREMIÈRE NATION DENESULINE DE HATCHET LAKE et

LES COLLECTIVITÉS PROVINCIALES AUTOCHTONES

(HORS PREMIÈRES NATIONS)

DE CAMSELL PORTAGE, URANIUM CITY, STONY RAPIDS et

WOLLASTON LAKE

(collectivement désignées « Athabasca Regional Government »)

demanderesses

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

AREVA RESOURCES CANADA INC.

défendeurs

et

 

 

LA COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN

 

intervenants

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LA DEMANDE

 

[1]               La Cour est saisie, sous le régime de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 30 juin 2009 (la décision) par laquelle la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la Commission) a renouvelé sous le régime de l’article 24 de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, L.C. 1997, ch. 9 (la Loi), le permis autorisant Areva Resources Canada Inc. à exploiter la mine et l’usine de concentration d’uranium de McClean Lake, et a incorporé dans ce permis renouvelé les activités de surveillance et d’entretien afférentes au site de sa mine d’uranium de Midwest.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Areva Resources Canada Inc. (AREVA) a déposé devant la Commission une demande de renouvellement du permis UMOL-MINEMILL-McCLEAN.04/2009 (le permis de McClean Lake), qui l’autorise à exploiter la mine et l’usine de concentration d’uranium de McClean Lake, et à entretenir les installations de soutien de ces activités.

 

[3]               AREVA a demandé le renouvellement de son permis pour une période de dix ans, à compter du 31 mai 2009. Elle a aussi demandé à la Commission d’incorporer dans le permis de McClean Lake les activités de surveillance et d’entretien afférentes au site de la mine d’uranium de Midwest (le site de Midwest), et de révoquer son permis existant de préparation de ce site (le permis de Midwest). Le site de Midwest n’est pas exploité pour l’instant; il fait plutôt l’objet d’une évaluation environnementale en vue des activités d’exploitation qu’AREVA y prévoit.

 

[4]               Les demanderesses se répartissent en Premières nations et collectivités hors Premières nations. Trois des demanderesses (les Premières nations Denesulines de Fond du Lac, de Black Lake et de Hatchet Lake) sont des Premières nations signataires de traité. La Commission a accordé aux demanderesses la qualité d’intervenant afin de leur permettre de participer à son audience publique relative au renouvellement du permis de McClean Lake, dont la deuxième journée était prévue pour le 30 avril 2009.

 

[5]               Le 12 avril 2009, les demanderesses ont sollicité le report de la deuxième journée de l’audience publique afin de se faire communiquer et d’examiner des éléments d’information, de présenter à la Commission des observations fondées sur l’ensemble des faits pertinents et de formuler leur position sur la demande de renouvellement de permis formée par AREVA. Cependant, la Commission a décidé de tenir quand même à la date prévue, soit le 30 avril 2009, la deuxième journée de l’audience publique, à laquelle les demanderesses ont participé. Celles‑ci ont ensuite demandé une prorogation de délai pour examiner les éléments d’information qu’on leur avait communiqués à cette même journée d’audience et pour présenter des observations à leur sujet. La Commission a accepté de proroger au 8 juin 2009 le délai dont disposaient les demanderesses pour déposer leurs observations écrites.

 

[6]               Le 30 juin 2009, la Commission a rendu sa décision, par laquelle elle renouvelait pour huit ans le permis de McClean Lake. La Commission a aussi incorporé dans celui‑ci, pour la même durée, les clauses relatives à la surveillance et à l’entretien du site de Midwest.

 

[7]               Le 30 juillet 2009, les demanderesses ont déposé l’avis de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[8]               Notre Cour a accordé à la Commission la qualité d’intervenant dans la présente espèce le 18 décembre 2009, et la même qualité au procureur général de la Saskatchewan (le PGS) le 6 janvier 2010.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

 

[9]               La Commission a défini comme suit les questions dont elle était saisie :

a.                   AREVA était‑elle qualifiée pour exercer les activités qu’autoriserait le permis renouvelé de McClean Lake?

b.                  AREVA, dans l’exercice de ces activités, prendrait‑elle les mesures voulues pour protéger l’environnement, préserver la santé et la sécurité des personnes, maintenir la sécurité nationale et respecter les obligations internationales assumées par le Canada?

 

[10]           La Commission a conclu qu’AREVA était qualifiée pour exercer les activités autorisées par le permis de McClean Lake et qu’elle prendrait les mesures voulues pour protéger l’environnement, préserver la santé et la sécurité des personnes et maintenir la sécurité nationale. En conséquence, elle a renouvelé le permis de McClean Lake, sous le régime de l’article 24 de la Loi, jusqu’au 30 juin 2017. En outre, elle a révoqué le permis du site de Midwest sous le régime du même article, et a incorporé les activités de surveillance et d’entretien afférentes à ce site dans le permis de McClean Lake.

 

[11]           Dans sa décision, la Commission a ordonné à AREVA d’établir un rapport d’étape sur ses résultats en matière de sûreté et de sécurité après la mi‑parcours de sa période d’autorisation de huit ans. La décision ordonnait aussi au personnel de la Commission d’établir un rapport sur ses activités de contrôle de conformité. Les deux rapports devront être présentés dans le cadre d’une séance publique de la Commission en juin 2013.

 

Les conclusions de la Commission

 

[12]           La décision de la Commission est fondée sur ses conclusions touchant les mesures proposées par AREVA pour la protection de l’environnement, la préservation de la santé et de la sécurité des personnes, le maintien de la sécurité nationale et le respect des obligations internationales que le Canada a assumées.

 

[13]           La Commission a d’abord examiné la performance opérationnelle d’AREVA. Aux fins de cet examen, elle a divisé les aspects de sûreté de la performance en quatre sous-programmes : les activités de la mine, les activités de l’usine de concentration, la gestion des déchets, et les opérations d’emballage et de transport. Son examen de ces sous-programmes l’a amenée à la conclusion suivante : « l’exploitation des installations est contrôlée de manière efficace grâce aux programmes de sûreté qui sont en place et [...] elle ne pose pas de risques inacceptables pour la santé et la sécurité des personnes, pour l’environnement ou pour la sécurité nationale ».

 

[14]           La Commission a ensuite évalué la radioprotection offerte par AREVA en examinant sa performance antérieure et ses plans à cet égard. Elle a déclaré estimer qu’AREVA avait pris, et continuerait de prendre, les mesures voulues pour assurer la radioprotection des travailleurs aussi bien que du public à l’établissement de McClean Lake.

 

[15]           Pour ce qui concerne la santé et la sécurité non radiologiques, la Commission a conclu que le programme de santé et de sécurité au travail d’AREVA et sa mise en œuvre étaient conformes aux exigences. En outre, elle s’est déclarée satisfaite des mesures qu’AREVA avait prises et continuerait de prendre pour assurer la protection des personnes contre les dangers classiques.

 

[16]           La Commission a aussi examiné les activités de protection de l’environnement d’AREVA, notamment son programme de surveillance de l’environnement portant entre autres sur la qualité de l’air et les eaux de surface, et elle a évalué l’impact sur l’environnement des activités d’exploitation de l’établissement de McClean Lake. Elle en a conclu qu’AREVA avait pris et prenait les mesures voulues pour protéger l’environnement à McClean Lake, et qu’elle effectuait la surveillance voulue pour déterminer les effets de l’exploitation sur l’environnement.

 

[17]           La Commission s’est aussi déclarée satisfaite des résultats et capacités d’AREVA en matière de gestion de la qualité, de formation, de planification d’urgence, de protection contre les incendies et de sécurité nucléaire. De même, la Commission a conclu qu’AREVA se conformait à ses obligations internationales, et qu’elle lui avait communiqué tous les rapports et éléments d’information nécessaires touchant McClean Lake.

[18]           Après analyse du plan préliminaire de déclassement d’AREVA et de l’estimation des coûts correspondante, la Commission les a déclarés acceptables, ajoutant qu’AREVA s’engagerait, par l’une des clauses proposées du permis, à revoir son plan préliminaire de déclassement tous les cinq ans et à maintenir une garantie financière suffisante.

 

[19]           La Commission a ensuite examiné les programmes d’information publique d’AREVA. Celle‑ci explique que ces programmes mettent en œuvre divers moyens, notamment les activités de consultation et les réunions d’information. Selon AREVA, le premier objectif de son programme de consultation et d’information publiques est de « renseigner efficacement le public sur toutes les questions d’environnement, de santé et de sécurité pouvant découler [de ses] activités ».

 

[20]           La Commission a exprimé le désir d’en savoir plus sur les visites d’AREVA dans les collectivités du Nord et lui a demandé si elle fournissait des compléments d’information aux membres du public qui avaient posé des questions ou proposé des observations aux réunions. La Commission a conclu qu’AREVA essayait de répondre aux questions du public et de lui permettre d’exprimer ses opinions ou préoccupations dans un contexte informel. En outre, AREVA a noté qu’elle offrait de nombreuses possibilités de rencontre et faisait de nombreuses invitations à des animateurs nommément désignés de collectivités du Nord de la Saskatchewan.

 

[21]           Toutefois, certains intervenants, dont les demanderesses, se sont dits d’avis que le programme d’information publique d’AREVA semblait avoir pour but de faire mieux comprendre ses activités à McClean Lake plutôt que de consulter véritablement les collectivités touchées par ces activités. La Commission a cependant déclaré estimer que « le programme d’information publique qu’AREVA [avait] mis en place [était] adéquat », mais en ajoutant ce qui suit : « compte tenu des préoccupations de certains intervenants, la Commission incite AREVA à fournir de l’information pertinente d’une façon claire et intelligible aux collectivités du Nord touchées par les activités de l’établissement de McClean Lake ». En outre, la Commission a recommandé à AREVA « de traiter clairement et rapidement les préoccupations de ces collectivités ».

 

[22]           Deux des intervenants témoignant devant la Commission ont soutenu qu’il y avait en l’occurrence une obligation de consultation. Les demanderesses ont fait valoir que la Commission était aux fins de consultation un délégataire de la Couronne provinciale, et que cette dernière aussi bien qu’AREVA avaient manqué à leurs obligations de consultation et d’accommodement envers elles. Les demanderesses ont déclaré estimer que le rôle de la Commission était « d’examiner si la Couronne [avait] rempli son obligation constitutionnelle relativement à la consultation des Autochtones et à la sauvegarde de leurs intérêts » et « qu’aucune preuve [n’attestait] que la Couronne [avait] mené de telles consultations [en l’occurrence] ».

 

[23]           La position du PGS, telle que formulée par la Commission, était la suivante : « La province affirme connaître ses obligations constitutionnelles relativement à l’obligation de consulter, mais que toute question relativement à sa décharge de cette obligation ne relève aucunement des mandats constitutionnels des compétences de la Commission et devrait être traitée par la Saskatchewan. »

 

[24]           La Commission a conclu que, étant donné les observations et les questions portées devant elle, elle devait « commenter brièvement sa façon de voir son rôle relativement à l’obligation de consulter les Autochtones, puis appliquer ce raisonnement aux observations faites dans le cadre de [la] demande ». Après s’être déclarée consciente du rôle à elle confié par le législateur, elle a poursuivi en ces termes : « À titre de mandataire de la Couronne, la Commission doit prendre une décision quant à l’attribution du permis. Il lui incombe également de voir à ce que sa décision cadre avec l’honneur de la Couronne. »

 

[25]           La Commission a noté que les préoccupations des intervenants à l’audience publique concernaient surtout l’information et la capacité des membres des collectivités à comprendre les renseignements pertinents; « dans le présent cas, a‑t‑elle ajouté, les intervenants n’ont pas précisé dans leurs mémoires que des questions touchant précisément les droits n’ont pas été résolues, questions que la Commission a le pouvoir de régler ».

 

[26]           De plus, la Commission a répondu aux intervenants à l’audience publique, qui souhaitaient obtenir des fonds et obliger la Commission, la province ou AREVA à prendre des mesures déterminées touchant leurs problèmes de capacité, en faisant observer que ces problèmes sont hors de sa compétence. « En ce qui concerne les efforts de consultation et les obligations de la province de la Saskatchewan, a‑t‑elle en outre fait observer, la Commission n’a pas la responsabilité de s’occuper des questions ne relevant pas d’elle (p. ex. l’affectation des ressources), et qui ne découlent pas de la décision de la Commission relativement à l’octroi du permis. »

 

[27]           La Commission a formulé les conclusions suivantes touchant l’obligation de consultation :

La Commission estime que son processus a incité les intervenants à soumettre des mémoires et à participer au processus de réglementation, et que ses audiences ont servi de tribune où exprimer ses préoccupations et les traiter. À cet égard, en réaction aux préoccupations quant à l’octroi du permis, ainsi qu’au manque d’information et de compréhension des questions, la Commission a accordé une prolongation de délai à l’ARG [Athabasca Regional Government] afin qu’il ait du temps pour demander, recevoir et préparer des mémoires relativement aux questions soumises à la Commission. Le personnel de la CCSN et d’AREVA ont également pu discuter, notamment avec l’ARG, et participer davantage.

 

La Commission est d’avis que son processus a permis de traiter les préoccupations concernant l’information nécessaire que les collectivités reçoivent et leur possibilité de s’exprimer sur les questions abordées durant la présente audience. La Commission estime que les intervenants ont été informés de son processus ainsi que de l’octroi du permis, et qu’ils ont pleinement eu l’occasion de manifester leurs préoccupations et de définir les questions. La Commission a entendu les intervenants et examiné tous les mémoires au moment de prendre sa décision. Dans ce contexte, elle estime que l’obligation de consulter a été respectée au moyen du processus de la Commission ainsi que des consultations qui ont eu lieu durant ce processus.

 

 

[28]           La Commission a ensuite examiné la question de l’inclusion dans le permis de McClean Lake des activités de surveillance et d’entretien afférentes au site de Midwest et formulé à ce sujet la conclusion suivante :

[...] ces activités sont déjà autorisées par la CCSN et resteront inchangées dans le nouveau permis de l’établissement de McClean Lake. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de réaliser une évaluation environnementale aux termes de la LCEE [Loi canadienne sur l’évaluation environnementale].

 

La Commission a déclaré estimer qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une évaluation environnementale avant qu’elle ne rendît sa décision sur la demande de renouvellement du permis de McClean Lake.

 

[29]           AREVA a demandé le renouvellement du permis de McClean Lake pour dix ans et a prié la Commission de modifier ce permis de manière à y incorporer les activités de surveillance et d’entretien relatives au site de Midwest. Le personnel de la Commission a expliqué à celle‑ci qu’il s’attendait à ce que « le site Midwest soit compris dans le permis de l’établissement de McClean Lake, comme c’est le cas pour d’autres projets miniers liés à l’établissement de McClean Lake, comme la mine Sue », étant donné que cette manière de faire favorise l’uniformité des programmes et des mécanismes de contrôle.

 

[30]           La Commission a conclu que le fait de révoquer le permis de Midwest et d’inclure les activités de surveillance et d’entretien y afférentes dans le permis de McClean Lake ne modifiait « aucunement les activités [...] déjà évaluées et autorisées pour le site Midwest ». « [L’] autorisation d’activités [de surveillance et d’entretien] dans le permis de l’établissement de McClean Lake, a‑t‑elle précisé, ne comprend pas le transfert du permis, mesure défendue aux termes du paragraphe 24(8) de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires. »

 

[31]           En conséquence, la Commission a conclu qu’AREVA remplissait les conditions prévues au paragraphe 24(4) de la Loi et elle a renouvelé le permis de McClean Lake jusqu’au 30 juin 2017. En outre, ayant décidé d’inclure dans celui‑ci les activités de surveillance et d’entretien du site de Midwest, elle a révoqué le permis relatif à ce dernier.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[32]           Les questions que la présente demande met en litige peuvent se formuler comme suit :

1.                  La Commission avait-elle compétence pour établir, selon les faits portés devant elle, si une obligation constitutionnelle de consultation était due aux demanderesses et si cette obligation avait été remplie?

2.                  Dans l’affirmative, la Commission s’est-elle trompée en concluant que, dans la mesure où elle existait, cette obligation avait été remplie?

3.                  La Commission s’est-elle trompée en révoquant le permis de Midwest et en incorporant les activités de surveillance et d’entretien y autorisées dans le permis renouvelé de McClean Lake?

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

 

[33]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente espèce :

Constitution

 

 

8. (1) Est constituée une personne morale appelée la Commission canadienne de sûreté nucléaire.

 

Mandataire de Sa Majesté

 

(2) La Commission est mandataire de Sa Majesté et ne peut exercer ses attributions qu’à ce titre.

 

 

Mission

 

9. La Commission a pour mission :

 

a) de réglementer le développement, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire ainsi que la production, la possession et l’utilisation des substances nucléaires, de l’équipement réglementé et des renseignements réglementés afin que :

 

(i) le niveau de risque inhérent à ces activités tant pour la santé et la sécurité des personnes que pour l’environnement, demeure acceptable,

 

(ii) le niveau de risque inhérent à ces activités pour la sécurité nationale demeure acceptable,

 

 

 

(iii) ces activités soient exercées en conformité avec les mesures de contrôle et les obligations internationales que le Canada a assumées;

 

b) d’informer objectivement le public — sur les plans scientifique ou technique ou en ce qui concerne la réglementation du domaine de l’énergie nucléaire — sur ses activités et sur les conséquences, pour la santé et la sécurité des personnes et pour l’environnement, des activités mentionnées à l’alinéa a).

 

Catégories

 

24. (1) La Commission peut établir plusieurs catégories de licences et de permis; chaque licence ou permis autorise le titulaire à exercer celles des activités décrites aux alinéas 26a) à f) que la licence ou le permis mentionne, pendant la durée qui y est également mentionnée.

 

Demande

 

(2) La Commission peut délivrer, renouveler, suspendre en tout ou en partie, modifier, révoquer ou remplacer une licence ou un permis lorsqu’elle en reçoit la demande en la forme réglementaire, comportant les renseignements et engagements réglementaires et accompagnée des pièces et des droits réglementaires.

 

 

 

 

Remboursement

 

(3) Dans les cas réglementaires, la Commission peut rembourser la totalité ou une partie des droits visés au paragraphe (2).

 

Conditions préalables à la délivrance

 

(4) La Commission ne délivre, ne renouvelle, ne modifie ou ne remplace une licence ou un permis que si elle est d’avis que l’auteur de la demande, à la fois :

 

a) est compétent pour exercer les activités visées par la licence ou le permis;

 

 

b) prendra, dans le cadre de ces activités, les mesures voulues pour préserver la santé et la sécurité des personnes, pour protéger l’environnement, pour maintenir la sécurité nationale et pour respecter les obligations internationales que le Canada a assumées.

 

 

Conditions des licences et des permis

 

(5) Les licences et les permis peuvent être assortis des conditions que la Commission estime nécessaires à l’application de la présente loi, notamment le versement d’une garantie financière sous une forme que la Commission juge acceptable.

 

Affectation du produit de la garantie financière

 

(6) La Commission peut autoriser l’affectation du produit de la garantie financière fournie en conformité avec le paragraphe (5) de la façon qu’elle estime indiquée pour l’application de la présente loi.

 

Remboursement

 

(7) La Commission rembourse à la personne qui a fourni la garantie la partie non utilisée de celle-ci; le cas échéant, elle peut ajouter les intérêts calculés au taux réglementaire sur le montant du remboursement, pour chaque mois ou partie de mois entre le moment où la garantie a été donnée et celui du remboursement.

 

 

 

 

 

Incessibilité des licences et permis

 

(8) Les licences et les permis sont incessibles.

Establishment of Commission

 

8. (1) There is hereby established a body corporate to be known as the Canadian Nuclear Safety Commission.

 

Agent of Her Majesty

 

(2) The Commission is for all its purposes an agent of Her Majesty and may exercise its powers only as an agent of Her Majesty.

 

Objects

 

9. The objects of the Commission are

 

(a) to regulate the development, production and use of nuclear energy and the production, possession and use of nuclear substances, prescribed equipment and prescribed information in order to

 

 

 

(i) prevent unreasonable risk, to the environment and to the health and safety of persons, associated with that development, production, possession or use,

 

(ii) prevent unreasonable risk to national security associated with that development, production, possession or use, and

 

(iii) achieve conformity with measures of control and international obligations to which Canada has agreed; and

 

 

(b) to disseminate objective scientific, technical and regulatory information to the public concerning the activities of the Commission and the effects, on the environment and on the health and safety of persons, of the development, production, possession and use referred to in paragraph (a).

 

 

 

Licences

 

24. (1) The Commission may establish classes of licences authorizing the licensee to carry on any activity described in any of paragraphs 26(a) to (f) that is specified in the licence for the period that is specified in the licence.

 

 

 

Application

 

(2) The Commission may issue, renew, suspend in whole or in part, amend, revoke or replace a licence on receipt of an application

 

(a) in the prescribed form;

 

(b) containing the prescribed information and undertakings and accompanied by the prescribed documents; and

 

(c) accompanied by the prescribed fee.

 

Refund of fees

 

(3) The Commission may, under the prescribed circumstances, refund all or part of any fee referred to in paragraph (2)(c).

 

Conditions for issuance, etc.

 

 

(4) No licence may be issued, renewed, amended or replaced unless, in the opinion of the Commission, the applicant

 

 

(a) is qualified to carry on the activity that the licence will authorize the licensee to carry on; and

 

(b) will, in carrying on that activity, make adequate provision for the protection of the environment, the health and safety of persons and the maintenance of national security and measures required to implement international obligations to which Canada has agreed.

 

Terms and conditions of licences

 

(5) A licence may contain any term or condition that the Commission considers necessary for the purposes of this Act, including a condition that the applicant provide a financial guarantee in a form that is acceptable to the Commission.

 

 

Application of proceeds of financial guarantee

 

(6) The Commission may authorize the application of the proceeds of any financial guarantee referred to in subsection (5) in such manner as it considers appropriate for the purposes of this Act.

 

 

Refund

 

(7) The Commission shall grant to any person who provided a financial guarantee under subsection (5) a refund of any of the proceeds of the guarantee that have not been spent and may give the person, in addition to the refund, interest at the prescribed rate in respect of each month or fraction of a month between the time the financial guarantee is provided and the time the refund is granted, calculated on the amount of the refund.

 

Licence not transferable

 

 

(8) A licence may not be transferred.

 

[34]           Sont aussi applicables à la présente espèce les dispositions suivantes de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 :

Confirmation des droits existants des peuples autochtones

 

35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

 

Définition de « peuples autochtones du Canada »

(2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

 

Accords sur des revendications territoriales

 

(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

 

Égalité de garantie des droits pour les deux sexes

 

 

(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

Recognition of existing aboriginal and treaty rights

 

 

35. (1) The existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal peoples of Canada are hereby recognized and affirmed.

 

Definition of "aboriginal peoples of Canada"

(2) In this Act, "aboriginal peoples of Canada" includes the Indian, Inuit and Métis peoples of Canada.

 

 

Land claims agreements

 

 

(3) For greater certainty, in subsection (1) "treaty rights" includes rights that now exist by way of land claims agreements or may be so acquired.

 

 

 

 

Aboriginal and treaty rights are guaranteed equally to both sexes

 

(4) Notwithstanding any other provision of this Act, the aboriginal and treaty rights referred to in subsection (1) are guaranteed equally to male and female persons.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[35]           La Cour suprême du Canada a posé dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer dans chaque cas une analyse exhaustive pour arrêter la norme de contrôle qui convient; lorsque la jurisprudence a bien établi la norme de contrôle applicable à la question portée devant la cour de révision, celle‑ci peut l’adopter sans plus ample examen; ce n’est que lorsque l’étude de la jurisprudence ne donne pas de résultats à cet égard que la cour de révision doit entreprendre, pour déterminer la norme, une analyse fondée sur les quatre facteurs que spécifie la Cour suprême à cette fin.

 

[36]           La première question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la Commission avait compétence pour décider si une obligation de consultation était due aux demanderesses. Les questions touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité doivent être examinées suivant la norme de la décision correcte (voir Dunsmuir, précité, paragraphe 59). Selon Dunsmuir, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit établir si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à décider un point déterminé. À mon sens, la Commission était saisie d’une telle question. Par conséquent, la Cour examinera suivant la norme de la décision correcte la question de savoir si la Commission était compétente pour se prononcer sur l’existence d’une obligation de consultation envers les demanderesses.

 

[37]           Si la Cour conclut que la Commission avait compétence pour se prononcer sur l’obligation de consultation dans le cas qui nous occupe, la décision de la Commission sur les points de savoir si cette obligation était due aux demanderesses et si elle a été valablement remplie doit être contrôlée suivant la norme de la décision raisonnable. Voir Nation Ojibway de Brokenhead c. Canada (Procureur général), 2009 CF 484, [2009] A.C.F. no 608 (Brokenhead), paragraphes 17 et 18.

 

[38]           La dernière question dont notre Cour est saisie est celle de savoir si la Commission s’est trompée en révoquant le permis de Midwest et en incorporant les activités de surveillance et d’entretien y autorisées dans le permis de McClean Lake renouvelé. Cette question relève de l’interprétation des dispositions applicables, en ce que la Cour doit se demander si la Commission s’est trompée dans son interprétation du paragraphe 24(8) de la Loi.

 

[39]           Selon Dunsmuir, précité, les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur administratif commandent l’application de la norme de la décision correcte, alors que les questions de droit qui n’ont pas cette importance peuvent justifier l’application de la norme de la décision raisonnable. Voir Dunsmuir, précité, paragraphes 55 et 60.

 

[40]           L’examen du point de savoir si la question de l’interprétation des dispositions législatives applicables ressortit à la norme de la décision correcte ou à celle de la décision raisonnable exige la prise en considération des quatre facteurs énumérés par la Cour suprême du Canada au paragraphe 64 de Dunsmuir, soit : 1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, 2) la raison d’être du tribunal administratif, 3) la nature de la question en cause et 4) l’expertise du tribunal administratif. La Cour suprême explique que, dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de prendre tous ces facteurs en compte. J’estime que la présente affaire est l’un de ces cas.

 

[41]           Selon le paragraphe 54 de Dunsmuir, précité, la déférence s’impose habituellement lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou des lois étroitement liées à son mandat et dont il possède une connaissance approfondie. Dans la présente espèce, la Commission interprète sa propre loi habilitante; par conséquent, on peut dire qu’elle possède une expertise relative concernant la Loi.

 

[42]           En outre, dans la présente espèce, la nature de la question en cause (soit la validité du renouvellement d’un permis et l’incorporation dans celui‑ci d’activités autorisées par un autre), la raison d’être de la Commission (qui est, en partie, de délivrer des licences et des permis sous le régime de la Loi) et son expertise donnent à penser que son interprétation et son application de la Loi doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. En conséquence, j’estime que le point de savoir si la Commission s’est trompée dans son interprétation et son application du paragraphe 24(8) de la Loi relève de la norme de la décision raisonnable.

 

[43]           La cour de révision qui contrôle une décision suivant la norme du caractère raisonnable doit se rappeler que celui‑ci « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47. Autrement dit, notre Cour ne doit intervenir que si la décision ici soumise à son contrôle était déraisonnable, au sens où elle n’appartiendrait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            Les demanderesses

                        La compétence de la Commission

 

[44]           Les demanderesses soutiennent que le point de savoir si la Commission a compétence sur les questions relatives aux droits des peuples autochtones – ancestraux ou issus de traités – ou d’autres questions de droit constitutionnel dépend du point de savoir si sa loi habilitante lui confère le pouvoir de décider des questions de droit. En effet, selon Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, [1996] A.C.S. no 115 (Cooper), « [s]i un tribunal administratif jouit du pouvoir d’examiner des questions de droit, il s’ensuit [...] qu’il peut se prononcer sur des questions constitutionnelles ».

[45]           Cependant, le tribunal administratif qui envisage de se prononcer sur une question constitutionnelle – par exemple une question qui relève de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11– « doit déjà avoir compétence à l’égard de l’ensemble de la question qui lui est soumise, c’est‑à‑dire à l’égard des parties, de l’objet du litige et de la réparation recherchée ». Voir Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, 81 D.L.R. (4th) 121 (Cuddy Chicks).

 

[46]           Les demanderesses font valoir que la question de la compétence doit être examinée en fonction de divers facteurs pratiques tels que la composition et la structure du tribunal administratif, la procédure suivie devant lui, les voies de recours contre ses décisions et son expertise. Selon l’arrêt Cooper, précité, de la Cour suprême du Canada, «[c]es considérations d’ordre pratique, dans la mesure où elles font ressortir l’économie de la loi habilitante, renseignent sur le mandat que le législateur a confié au tribunal administratif ». Les demanderesses soutiennent sur ce fondement que le point de savoir si un tribunal administratif a compétence sur des questions de droit, l’obligation de consultation et d’autres questions constitutionnelles dépend des pouvoirs que lui confère sa loi habilitante et doit être décidé au cas par cas.

 

[47]           Les demanderesses soutiennent que le PGS a défini erronément le pouvoir de la Commission dans le passage suivant de sa lettre en date du 8 juin 2009 :

[TRADUCTION] Le procureur général estime que toutes questions relatives à l’obligation de consultation et d’accommodement envers les peuples autochtones qui incombent à la province et, en particulier, toutes questions relatives au point de savoir si la province a rempli ses obligations dans le cadre des décisions liées aux projets de McClean Lake ou de Midwest, échappent au mandat de la Commission et, en fait, dépassent les limites constitutionnelles de sa compétence.

 

[48]           Les demanderesses, se fondant sur le raisonnement formulé par le juge Iacobucci dans le passage suivant du paragraphe 60 de Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), [1994]  1 R.C.S. 159, [1994] A.C.S. no 13 (Office national de l’énergie) [QL], avancent que l’examen des questions de chevauchement des pouvoirs fédéraux et provinciaux doit faire intervenir d’autres facteurs en regard des strictes limites de la compétence :

En définissant les limites de la compétence de l’Office, notre Cour doit s’assurer que l’exercice des pouvoirs de l’Office se limite vraiment aux questions d’intérêt fédéral. Cependant, il ne faut pas non plus circonscrire l’étendue de l’examen à effectuer à un tel point que la fonction de l’Office devienne dénuée de sens ou privée d’efficacité.

 

Les demanderesses soutiennent que la définition donnée par le PGS des limites de la compétence de la Commission prive la fonction de celle‑ci de sens ou d’efficacité.

 

[49]           Les demanderesses affirment en outre que le PGS essaie de se dérober à sa propre responsabilité envers les autochtones en se distinguant de la Couronne fédérale. Elles ajoutent que le PGS nie aussi que de quelconques mesures de consultation étaient nécessaires en l’occurrence.

 

[50]           Selon une lettre en date du 22 avril 2009 adressée par le ministère de l’Environnement de la Saskatchewan à M. Vincent Martin, président-directeur général d’AREVA, [TRADUCTION] « ce genre de fusion de permis serait considéré comme ne déclenchant pas l’obligation de consultation parce qu’il ne risque pas de porter atteinte aux droits des autochtones confirmés par l’article 35.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 ». En outre, le sous-ministre provincial de l’Environnement (le sous-ministre) définit la fusion de permis en question comme [TRADUCTION] « une mesure administrative n’ayant d’effet sensible sur le fonctionnement de ni l’un ni l’autre des sites et qui n’entraînera pas non plus de nouveaux effets sur le paysage lui-même ». Les demanderesses soutiennent que la définition anticipée que donne la Couronne provinciale de son obligation de consultation en se fondant sur le caractère administratif de la mesure en question n’est pas étayée par le droit et se révèle difficile à concilier avec les lois existantes.

 

[51]           Les demanderesses font valoir que l’Athabasca Regional Government (le gouvernement régional de l’Athabasca, ci‑après désigné « l’ARG ») a élaboré un plan d’utilisation des terres de la région de l’Athabasca, qu’il a communiqué à de nombreuses instances, notamment la Couronne provinciale.

 

[52]           Les demanderesses affirment que la Commission s’est trompée en ne concluant pas que la province de la Saskatchewan était tenue d’une obligation de consultation concernant les permis applicables aux terres marquées pour la chasse, le piégeage, la pêche et la cueillette.

 

[53]           De plus, soutiennent les demanderesses, si la Commission avait vraiment compétence pour se prononcer sur la question de la consultation au nom de la Couronne, elle a commis une autre erreur en omettant de tenir compte de la non-participation de la Couronne provinciale. Les demanderesses estiment en outre déraisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle « l’obligation de consulter [dans la mesure où elle existait en l’occurrence] a été respectée au moyen du processus de la Commission ».

 

La doctrine de la conciliation

 

[54]           Les demanderesses soutiennent aussi que la position de la Couronne provinciale touchant l’obligation de consultation et d’accommodement envers les autochtones n’est pas conforme à sa propre politique. En effet, dans sa publication intitulée The Legal Duty to Consult Aboriginal Peoples Saskatchewan Environment Policy [« L’obligation légale de consultation des peuples autochtones – Politique du ministère saskatchewannais de l’Environnement »), Environnement Saskatchewan reconnaît sans ambiguïté son obligation de consulter les peuples autochtones avant d’entreprendre ou d’autoriser des activités susceptibles de porter atteinte à leurs droits ancestraux ou issus de traités. Selon les demanderesses, la position adoptée par la Saskatchewan dans la présente espèce est contraire à [TRADUCTION] « celle qui a été approuvée aussi bien par le sous-ministre de l’Environnement que par le procureur général de la Saskatchewan ».

 

[55]           En outre, dans l’exposé de sa politique de 2003, Environnement Saskatchewan note que son obligation légale de consultation ne peut être déléguée à un tiers et que [TRADUCTION] « la Couronne continuera d’assumer l’obligation légale et la responsabilité en dernière instance de protéger les droits ancestraux et issus de traités qui sont garantis par la Constitution, ainsi que de réduire au minimum les atteintes à ces droits ».

 

[56]           Or, dans la présente espèce, soutiennent les demanderesses, le gouvernement de la Saskatchewan n’a pas rempli ni même reconnu son obligation légale, attitude incompatible avec la doctrine qui vise à concilier la souveraineté de la Couronne et les droits découlant pour les sociétés autochtones de leur préexistence.

 

La compétence conférée par la Loi

 

[57]           Les demanderesses soutiennent que la Loi n’attribue ni explicitement ni implicitement à la Commission le mandat d’examiner des questions de droit, des questions constitutionnelles ou des points relatifs aux droits des autochtones, qu’ils soient ancestraux ou issus de traités. La mission de la Commission y est en effet définie comme suit :

Mission

 

9. La Commission a pour mission :

 

a) de réglementer le développement, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire ainsi que la production, la possession et l’utilisation des substances nucléaires, de l’équipement réglementé et des renseignements réglementés afin que :

 

(i) le niveau de risque inhérent à ces activités tant pour la santé et la sécurité des personnes que pour l’environnement, demeure acceptable,

 

(ii) le niveau de risque inhérent à ces activités pour la sécurité nationale demeure acceptable,

 

 

 

(iii) ces activités soient exercées en conformité avec les mesures de contrôle et les obligations internationales que le Canada a assumées;

 

b) d’informer objectivement le public — sur les plans scientifique ou technique ou en ce qui concerne la réglementation du domaine de l’énergie nucléaire — sur ses activités et sur les conséquences, pour la santé et la sécurité des personnes et pour l’environnement, des activités mentionnées à l’alinéa a).

Objects

 

9. The objects of the Commission are

 

(a) to regulate the development, production and use of nuclear energy and the production, possession and use of nuclear substances, prescribed equipment and prescribed information in order to

 

 

 

(i) prevent unreasonable risk, to the environment and to the health and safety of persons, associated with that development, production, possession or use,

 

(ii) prevent unreasonable risk to national security associated with that development, production, possession or use, and

 

(iii) achieve conformity with measures of control and international obligations to which Canada has agreed; and

 

 

(b) to disseminate objective scientific, technical and regulatory information to the public concerning the activities of the Commission and the effects, on the environment and on the health and safety of persons, of the development, production, possession and use referred to in paragraph (a).

 

[58]           À en juger par ces dispositions relatives à sa mission, la Commission est habilitée à examiner des questions de fait. Mais aucun passage de la Loi, toujours selon les demanderesses, ne donne à penser que la Commission doive rendre des décisions de droit touchant les droits des autochtones – ancestraux ou issus de traités. Toutefois, les demanderesses reconnaissent que [TRADUCTION] « les tribunaux judiciaires et la Commission ont conclu qu’ils remplissent une fonction de la Couronne fédérale, de sorte qu’ils doivent maintenir l’honneur de cette dernière et que la Commission doit elle-même agir conformément à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et aux impératifs qui en découlent ».

 

[59]           Malgré ces conclusions, soutiennent les demanderesses, la Commission n’avait pas compétence pour décider qu’elle était habilitée à mener des consultations au nom de la Couronne ou que son processus était le cadre qui convenait au règlement des questions de cette nature.

 

[60]           Les demanderesses soutiennent subsidiairement que, si la Commission a effectivement compétence pour se prononcer sur des questions de droit, elle s’est trompée en concluant qu’elle avait « l’autorité de mener des consultations au nom de la Couronne » et que « son processus [était] le bon moyen de traiter de telles questions ». En effet, la validation de telles conclusions porterait atteinte à la fonction quasi judiciaire de la Commission, qui exige l’impartialité.

 

[61]           Les demanderesses avancent que le fait de désigner le processus de la Commission comme le cadre qui convient à l’examen des questions de consultation au nom de la Couronne [TRADUCTION] « revient à confirmer la Commission dans la position de représentant de la Couronne par rapport aux demanderesses, mais non par rapport aux autres participants ». Une telle décision, ajoutent-elles, entraîne aussi un conflit d’intérêts, puisque la Commission devrait administrer ses propres processus de consultation et d’accommodement plutôt que ceux de la Couronne. En outre, les demanderesses font valoir que les tribunaux judiciaires doivent veiller à ne pas mettre en danger l’indépendance des tribunaux quasi judiciaires en leur imposant des obligations de représentation de la Couronne.

 

[62]           Les demanderesses concèdent que la Commission a eu raison de prendre en considération les droits des groupes autochtones de l’ARG aux fins de décider si la Couronne avait en l’occurrence une obligation de consultation et d’accommodement concernant les intérêts ancestraux. Cependant, affirment-elles, la Commission a eu tort de limiter cette prise en considération à la question de l’information des collectivités en cause et de conclure que son processus était le cadre approprié à l’examen des préoccupations exprimées. La Commission, selon les demanderesses, a aussi commis une erreur en concluant que, dans la mesure où une obligation avait pris naissance dans la présente affaire, cette obligation se trouvait remplie par son propre processus et par les possibilités de consultation qu’il offrait.

 

[63]           Les demanderesses soutiennent que la Commission n’est pas l’organisme à qui il appartient de prendre des mesures de consultation ou d’accommodement, pour de nombreuses raisons, dont les suivantes :

a.                   Le personnel de la Commission a reçu de l’information après l’audience.

b.                  On n’a pas donné aux demanderesses suffisamment de temps pour analyser de manière approfondie toutes les incidences sur leurs droits ancestraux ou issus de traités et pour formuler leurs propositions à cet égard.

c.                   Il n’est pas possible de consulter une entité qui participe aux travaux de la Commission ou qui y a statut d’observateur.

d.                  Il n’est pas raisonnable de songer à consulter une entité lorsqu’elle n’a pas été informée pleinement et avec précision sur les questions en jeu.

e.                   La plus grande partie de l’information reçue par les demanderesses leur a été communiquée après le deuxième jour de l’audience publique et après le dépôt de leur avis de contrôle judiciaire de la décision.

 

[64]           En outre, font valoir les demanderesses, la Commission ne semblait pas préparée à examiner les questions relatives aux droits ancestraux et issus de traités. Cela leur paraît regrettable, étant donné que [TRADUCTION] « la doctrine selon laquelle la Couronne a l’obligation de consulter les membres des Premières nations et, s’il y a lieu, de transiger avec eux, a acquis une importance fondamentale pour les peuples autochtones ». 

 

L’obligation de consultation

 

[65]           Les demanderesses font observer que la Couronne aussi bien que les acteurs du secteur privé savaient très bien qu’elles avaient un intérêt dans la région de l’Athabasca et, en particulier, dans les terres y affectées à l’exploitation minière.

 

[66]           La Cour suprême du Canada a posé dans Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, [1997] A.C.S. no 108 (Delgamuukw), que l’obligation de consultation prend naissance à un seuil peu élevé et que l’étendue de cette obligation varie selon les circonstances. On lit aussi dans Delgamuukw, au paragraphe 168, que dans la plupart des cas, l’obligation de consultation « exigera beaucoup plus qu’une simple consultation ».

 

[67]           Aux paragraphes 43 et 44 de l’arrêt Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, [2004] A.C.S. no 70 (Nation Haïda), la Cour suprême du Canada examine l’obligation de consultation en recourant à la notion de continuum et explique que le contenu de cette obligation dépend des circonstances de chaque cas. Lorsque la revendication autochtone est relativement peu solide et que se révèlent mineurs les effets préjudiciables possibles, l’obligation de la Couronne peut se limiter à aviser les intéressés, à leur communiquer des renseignements et à discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. Cependant, à l’autre extrémité du continuum, la Couronne peut être obligée d’effectuer une consultation approfondie. La question décisive à se poser lorsqu’on veut définir le contenu approprié de l’obligation de consultation est celle de savoir « ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones ». Voir Nation Haïda, précité, paragraphe 45.

 

[68]           Si elle a pris en considération, dans la présente affaire, l’obligation générale de consultation, la Commission n’a tenu compte d’aucune des préoccupations particulières exprimées par les demanderesses. En effet, toujours selon celles‑ci, aucun élément du dossier dont la Cour est saisie n’établit que des mesures véritables de consultation ou d’accommodement aient été prises. Cette lacune, ajoutent les demanderesses, est confirmée et aggravée par le fait que la Commission n’a pas tenu compte de leurs préoccupations, en particulier de l’impossibilité où elles s’étaient trouvées d’étudier la totalité des documents qui leur avaient été communiqués et d’en tirer toutes les conséquences.

 

[69]           En outre, dans la présente espèce, la Commission n’a accordé à l’ARG qu’une seule prorogation de délai de 30 jours, qui a entraîné la communication de renseignements supplémentaires sans qu’on ne lui consentît aucune nouvelle prorogation pour les étudier. Selon les demanderesses, les faits de la présente espèce peuvent se comparer à ceux de l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet) [2004] 3 R.C.S. 550, [2004] A.C.S. no 69 (Taku River). Elles soutiennent qu’elles avaient droit à toutes les mesures de consultation et d’accommodement prises dans cette affaire, mais n’en ont pas bénéficié.

[70]           Les demanderesses affirment qu’on n’a produit devant la Cour aucun élément établissant qu’ait été remplie dans la présente affaire l’obligation de les consulter et de transiger avec elles, ou qu’on ait fait un quelconque effort de conciliation des intérêts. Selon elles, les faits suivants ressortent au contraire à l’évidence de la preuve produite devant la Cour :

a.                   Les droits ancestraux ou issus de traités des Premières nations demanderesses n’ont été nullement pris en considération.

b.                  L’ARG n’a reçu avis de la demande de permis qu’après l’avoir demandé.

c.                   L’ARG, bien qu’il avait déjà signifié son point de vue sur l’utilisation des terres et une proposition de protocole de consultation, n’a été avisé d’aucune demande en instance devant la Commission.

d.                  L’ARG n’a eu connaissance de la demande en instance concernant les projets de McClean Lake et de Midwest Lake qu’en consultant le site Web de la Commission.

e.                   L’ARG a essayé d’obtenir autant d’information que possible, mais n’a reçu la totalité de l’information nécessaire que le jour même de l’audience ou après.

f.                    La Commission n’a accordé à l’ARG qu’une seule prorogation de délai, dont la plus grande partie s’est passée à recevoir de l’information.

g.                   Ce n’est qu’après avoir signifié l’avis de la présente demande de contrôle judiciaire que l’ARG a reçu la totalité supposée du dossier dont la Commission avait été saisie (dossier encore lacunaire selon les demanderesses).

h.                   Aucune des questions posées par les membres de l’ARG au cours de diverses réunions n’a donné lieu à des mesures d’accommodement.

i.                     Il n’existe pas en Saskatchewan de procédure officielle de consultation des peuples autochtones et d’accommodement avec eux.

 

La cession de permis

 

[71]           Les demanderesses soutiennent que l’incorporation dans le permis renouvelé de McClean Lake des activités de surveillance et d’entretien afférentes au site de Midwest équivaut à une cession de permis. Elles assimilent la présente affaire à celle qui a donné lieu à la décision Gitxsan First Nation c. British Columbia (Minister of Forests), 2004 BCSC 1734, [2004] B.C.J. No. 2714 (Gitxsan), où la Cour a conclu que la cession d’un permis existant entraînait un changement de contrôle. Dans Gitxsan, la Cour a reconnu le caractère mineur des risques de lésion des droits autochtones revendiqués et des incidences potentielles sur ceux‑ci. Elle a néanmoins conclu que, puisque le permis existait déjà, l’obligation de consultation existait aussi. En outre, elle a posé que, comme il n’y avait pas eu de consultation au moment de la délivrance du permis ou des renouvellements qui l’avaient suivie, il fallait définir l’obligation de consultation à cette étape en tenant compte des manquements antérieurs à l’obligation.

 

La légalité de la révocation et de la modification de permis

 

[72]           Les demanderesses soutiennent que le paragraphe 24(8) de la Loi interdit la révocation du permis existant portant sur les activités de surveillance et d’entretien du site de Midwest et le transfert de ces activités au permis de McClean Lake. Il ressort à l’évidence du paragraphe 24(8) de la Loi que les licences ou permis doivent être traités séparément.

 

[73]           Dans la présente espèce, il y avait deux permis portant sur deux établissements distincts sis dans des régions différentes. Qui plus est, chacun de ces établissements a son propre objet, et est soumis à ses propres conditions et règles.

 

[74]           Selon les demanderesses, la demande d’AREVA vise indirectement à opérer le transfert du contenu d’un permis à un autre permis, ce qu’interdit le paragraphe 24(8) de la Loi. Les demanderesses soutiennent en outre que l’objet de ce paragraphe est d’assurer la responsabilité, la certitude et l’examen public. Or la décision de la Commission de faire droit à la demande d’incorporation d’AREVA pourrait avoir pour effet un affranchissement des procédures et des conditions nécessaires pour obtenir valablement le permis.

 

[75]           Les demanderesses font aussi valoir que la décision de la Commission de permettre à AREVA de contourner le régime d’attribution des permis pourrait présenter un risque aussi bien pour l’environnement que pour les intéressés, notamment elles-mêmes. Par conséquent, il fallait prendre des mesures de consultation et d’accommodement afin d’[TRADUCTION] « assurer [aux membres de l’ARG] la possibilité de se protéger et d’être protégés contre ce qu’ils estiment être un évident amoindrissement de la protection législative dans le cadre de laquelle s’inscrit la création de la Commission canadienne de sûreté nucléaire ».

 

La réparation demandée

 

[76]           À l’audience de la présente demande, tenue à Saskatoon, les demanderesses, s’écartant sensiblement de leurs conclusions écrites, ont déclaré que la mesure de réparation qu’elles préféraient serait la mise en place d’un processus de négociation, imposé et supervisé par la Cour, entre elles-mêmes, la Commission et les deux Couronnes, processus où il serait tenu compte de leurs propres propositions de protocole de consultation et d’utilisation des terres dans le bassin de l’Athabasca. Cependant, les demanderesses ont aussi soutenu que, si une telle mesure de réparation se révélait impossible, la décision de la Commission devrait être annulée. Cette annulation entraînerait l’arrêt de l’exploitation à McClean Lake, puisque AREVA n’aurait plus de permis d’exploitation.

 

            Les défendeurs

                        Le procureur général du Canada

                                    L’obligation de consultation

 

[77]           Le procureur général du Canada (le PGC), codéfendeur, rappelle que, aux termes du paragraphe 8(2) de la Loi, la Commission est mandataire de Sa Majesté et ne peut exercer ses attributions qu’à ce titre. Par conséquent, soutient le PGC, [TRADUCTION] « [d]ans la mesure où la Couronne est tenue de consulter les demanderesses relativement à son action, la Commission peut remplir cette obligation dans le cadre du processus global de consultation ».

 

[78]           La lecture de l’article 9 de la Loi, rappelle le PGC, révèle à l’évidence qu’il fait partie du mandat de la Commission d’évaluer et de réduire les risques pour l’environnement, ainsi que pour la santé et la sécurité des personnes, que présentent la production et l’utilisation des substances nucléaires. La Commission possède l’expertise technique nécessaire pour recueillir et interpréter l’information qu’exigent ces fonctions. Elle dispose également d’un processus pour examiner les préoccupations du public concernant la production de substances nucléaires et pour y répondre.

 

[79]           L’article 24 de la Loi confère à la Commission le pouvoir de suspendre, de révoquer, d’assortir de conditions et de refuser de délivrer les licences ou les permis d’activités nucléaires. La Commission possède les ressources nécessaires pour évaluer les risques que peut présenter la conduite d’un titulaire ou d’un demandeur de permis pour la santé et la sécurité des personnes ou pour l’environnement, ainsi que le pouvoir de prononcer des mesures de réduction des impacts, de refuser de délivrer le permis demandé ou de révoquer le permis délivré.

 

[80]           Le PGC rappelle que la Cour suprême du Canada a conclu dans Taku River, précité, que la Couronne peut remplir son obligation de consultation dans le cadre d’un processus réglementaire existant. Étant donné les pouvoirs dont la Commission est investie et les opérations de consultation qu’elle a menées dans la présente affaire, les préoccupations des demanderesses entrent dans le mandat que lui attribue la Loi. La Cour fédérale a également bien fait comprendre ce point au paragraphe 25 de Brokenhead, précitée.

 

[81]           En effet, fait observer le PGC, le juge Barnes a rejeté dans Brokenhead, précitée, la nécessité d’un processus de consultation qui remplacerait le processus réglementaire en question ou s’y ajouterait, dans le cas où ce dernier offre des possibilités suffisantes de consultation et d’atténuation des impacts.

 

[82]           Dans la présente espèce, soutient le PGC, pour autant que l’objet de la consultation se rapporte à des questions qui entrent dans le mandat attribué à la Commission par le législateur, cette dernière est l’organisme qui convient pour se prononcer sur l’obligation de consulter les collectivités autochtones au nom de la Couronne.

 

La compétence

 

[83]           La Cour suprême du Canada, au paragraphe 39 de Paul c. Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585, [2003] A.C.S. no 34 (Paul), a posé en principe que si la loi habilitante confère explicitement ou implicitement au tribunal administratif le pouvoir de décider des questions de droit, ce tribunal est présumé posséder aussi le pouvoir de décider ces questions à la lumière de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

[84]           Or la loi habilitante de la Commission dispose que celle‑ci est un mandataire de la Couronne [paragraphe 8(2)] et une cour d’archives [paragraphe 20(1)]. La Loi confère en outre à la Commission des pouvoirs étendus qui lui permettent de contraindre à comparaître, de recueillir des preuves, ainsi que de rendre toutes sortes de décisions et d’en assurer l’exécution, y compris le pouvoir implicite de trancher des questions de droit.

 

[85]           Le PGC soutient que la Commission occupe dans la présente espèce une position comparable à celle de l’Utilities Commission (Commission des services publics) dans Carrier Sekani Tribal Council c. British Columbia (Utilities Commission), 2009 BCCA 67, [2009] B.C.J. No. 259 (Carrier) [autorisation de pourvoi devant la CSC accordée, l’audience étant prévue pour mai 2010]. En effet, comme l’Utilities Commission dans Carrier, la Commission dans la présente espèce a implicitement compétence pour se prononcer sur le caractère suffisant ou non de la consultation. Qui plus est, au paragraphe 51 de Carrier, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que l’Utilities Commission non seulement était compétente pour décider la question de la consultation, mais qu’elle était tenue de le faire. On trouve aussi aux paragraphes 40 à 43 de l’arrêt Première nation Dakota de Standing Buffalo c. Enbridge Pipelines Inc., 2009 CAF 308, [2009] A.C.F. no 1434 (Standing Buffalo), un développement utile sur l’obligation de consultation de la Couronne, conforme à la jurisprudence-clé de la Cour suprême du Canada que constituent les arrêts Nation Haïda et Taku River.

 

[86]           En résumé, le PGC a pour thèse que la loi habilitante de la Commission lui confère le pouvoir de décider des questions de droit et que l’objet de la consultation entre dans son mandat. Par conséquent, fait valoir le PGC, la Commission est l’organisme qui convient pour se prononcer dans la présente espèce sur le caractère suffisant ou non de la consultation.

 

Le caractère suffisant de la consultation opérée par la Commission

 

[87]           Le PGC soutient que, selon la preuve produite devant la Commission, la consultation a été suffisante et satisfaisante en l’occurrence. Lorsque, dans la présente espèce, l’effet potentiel sur les droits des Autochtones est de nature purement formelle, le contrôle judiciaire est soumis à une obligation de réserve à l’égard de l’expertise de la Commission.

 

[88]           Il n’est pas nécessaire que la Couronne parvienne à un accord avec les peuples autochtones pour que la consultation puisse être dite authentique et satisfaisante. En outre, l’obligation de consultation ne confère pas aux groupes autochtones un droit de veto sur la mise en valeur des ressources, et l’obligation d’accommodement n’astreint pas la Couronne à accéder aux souhaits des peuples autochtones en cause. Comme l’explique la Cour suprême du Canada au paragraphe 48 de Taku River, précité,

[l’]obligation d’accommodement exige plutôt que les préoccupations des Autochtones soient raisonnablement mises en balance avec l’incidence potentielle de la décision sur ces préoccupations et avec les intérêts sociétaux opposés. L’idée de compromis fait partie intégrante du processus de conciliation.

[89]           Pour revenir à la présente espèce, la demande de permis d’AREVA ne proposait pratiquement aucune nouvelle activité. La province a affecté les deux sites en question à l’exploitation minière, et elle les loue à bail à AREVA depuis de nombreuses années. Étant donné que la demande de renouvellement de permis d’AREVA ne prévoit pas de nouvelles activités importantes, la décision de la Commission ne peut avoir qu’une incidence limitée sur les droits existants des Autochtones. Comme l’effet préjudiciable potentiel sur les droits ancestraux ou issus de traités était faible, fait valoir le PGC, la Commission a rempli en l’occurrence l’obligation de consultation en avisant et informant les intéressés et en discutant avec eux.

 

[90]           Le PGC soutient que l’obligation de consultation a été remplie dans la présente espèce à la fois par les efforts d’AREVA et par le processus de délivrance de permis de la Commission. La preuve produite devant la Cour établit qu’AREVA s’est efforcée d’informer les collectivités concernées de ses activités en cours aux sites de McClean Lake et de Midwest, notamment en tenant et essayant d’organiser des réunions avec les animateurs de ces collectivités. En outre, les demanderesses ont participé pleinement à l’audience de la Commission, où elles étaient représentées par un avocat. En l’occurrence, la Commission (avec la collaboration d’AREVA) a communiqué aux demanderesses les renseignements qu’elles avaient demandés et a accueilli leur requête en prorogation de délai aux fins de dépôt d’écritures.

 

[91]           Le processus de la Commission a donné aux demanderesses la possibilité d’exprimer leurs préoccupations concernant les effets préjudiciables que sa décision pourrait avoir sur leurs droits ancestraux ou issus de traités. Or les demanderesses n’ont pas précisé quels droits la décision de la Commission risquait de léser ni spécifié les droits ancestraux que cette dernière aurait omis de prendre en considération.

[92]           Si les demanderesses avaient précisé les droits ancestraux ou issus de traités sur lesquels sa décision risquait selon elles d’avoir des effets préjudiciables, la Commission aurait pu mener des activités de consultation plus étendues, examiner ces préoccupations et prendre des mesures d’accommodement en conséquence. Cependant, vu les circonstances, les préoccupations des demanderesses touchant l’environnement, la santé et la sécurité ont reçu la réponse qui convenait. En effet, comme le fait remarquer le juge Barnes au paragraphe 34 de Brokenhead, précitée, « [i]l n’y a pas d’obligation générale de consulter qui soit déclenchée uniquement par l’exploitation de terres à des fins publiques. Cette exploitation doit entraîner des répercussions non négligeables et non résolues pour que naisse l’obligation de consultation de la Couronne. » 

 

[93]           Les demanderesses n’ont produit aucun élément tendant à établir l’existence de répercussions précises et non résolues sur leurs droits que la Commission aurait eu le pouvoir de prendre en considération. Par conséquent, la décision de la Commission sur le caractère suffisant ou non de la consultation était raisonnable.

 

La non-nécessité d’une évaluation environnementale

 

[94]           Le PGC fait aussi valoir que, comme la demande de permis en cause ne proposait pas de nouvelles activités, les activités autorisées par le permis n’entraînent pas la nécessité d’une évaluation environnementale sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37. Comme l’a fait observer le personnel de la Commission, la surveillance et l’entretien du site de Midwest dont AREVA demandait l’inclusion dans le permis d’exploitation de McClean Lake sont des activités déjà autorisées et qui ne changeront pas, de sorte que la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale n’est pas d’application. Étant donné que les activités prévues dans la demande de permis d’AREVA n’entraînent pas la nécessité d’une évaluation environnementale, la décision de la Commission sur ce point était correcte.

 

La qualité pour agir

 

[95]           S’il est évident que l’ARG a des droits qui l’autorisent à présenter des observations à la Commission sur l’obligation de consultation, fait valoir le PGC, les collectivités non autochtones de Camsell Portage, Uranium City, Stony Rapids et Wollaston Lake n’ont pas de tels droits en jeu. Selon le PGC, [TRADUCTION] « le dossier ne paraît contenir aucun élément de preuve tendant à établir quel groupe déterminé au sein de ces collectivités pourrait détenir des droits ancestraux sous le régime de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ».

 

[96]           S’il admet que la question de la qualité pour agir n’a pas de portée pratique pour ce qui concerne l’audience de la Commission, le PGC soutient que cette question pourrait devenir litigieuse dans la présente espèce si la Cour décidait de prononcer des mesures de réparation déterminées.

 

L’équité procédurale

 

[97]           Si les demanderesses ont qualité pour intervenir dans une demande de permis devant la Commission, il convient d’examiner la question de l’équité procédurale d’un point de vue général.

 

[98]           Le PGC fait observer qu’AREVA et la Commission ont communiqué à l’ARG toutes les écritures déposées dans cette affaire. L’ARG a également eu la possibilité de se faire représenter par un avocat et de proposer des observations. La Commission a demandé des informations spéciales à son propre personnel aussi bien qu’à AREVA au sujet de leurs démarches de consultation de l’ARG. En outre, la Commission a accordé aux demanderesses une prorogation de délai de 30 jours pour présenter des observations écrites.          

 

[99]           Compte tenu du contexte de la demande de renouvellement de permis formée par AREVA et du fait que sept autres intervenants ont participé à l’audience de la Commission, soutient le PGC, l’ARG a eu toute possibilité de faire valoir son point de vue devant cette dernière. Par conséquent, la Commission a bel et bien donné aux demanderesses, sur le plan procédural, toutes les chances de participer véritablement à son processus d’audience. Voir par exemple Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa).

 

AREVA

            La compétence de la Commission

                                   

[100]       AREVA note que les demanderesses ont adopté dans leur avis modifié de demande une position sur la compétence de la Commission qui diffère de celle qu’elles avaient formulée dans leur exposé des faits et du droit. En effet, les demanderesses soutiennent maintenant que la Commission n’a pas de mandat explicite ni implicite pour décider des questions de droit, des questions constitutionnelles, ou des points relatifs aux droits ancestraux ou issus de traités, alors qu’elles ont déclaré à l’audience de la Commission qu’[TRADUCTION] « il entre tout à fait dans le mandat de la Commission d’examiner cette question et de donner des directives à son sujet ».

 

[101]       La Cour suprême du Canada a posé dans Paul, précité, que le tribunal administratif investi du pouvoir de décider toute question de droit est présumé posséder le pouvoir concomitant d’examiner cette question à la lumière de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou de toute autre disposition constitutionnelle pertinente.

 

[102]       La Cour d’appel de la Colombie-Britannique, appliquant l’arrêt Paul, précité, a conclu dans Carrier, précité, que le tribunal quasi judiciaire investi du pouvoir de décider des questions de droit est également compétent pour décider s’il y a obligation de consultation dans l’affaire dont il est saisi et, dans l’affirmative, si cette obligation a été remplie. Comme elle l’explique au paragraphe 54 de Carrier, [TRADUCTION] « [l’]honneur de la Couronne exige non seulement que le représentant de celle‑ci consulte, mais aussi que le tribunal réglementaire tranche tout différend relatif à la consultation qui s’élève sous le régime des dispositions qu’il applique ».

 

[103]       L’article 8 de la Loi dispose que la Commission est mandataire de Sa Majesté, et l’article 20, qu’elle est une cour d’archives, l’exécution de ses décisions et ordonnances s’effectuant selon les mêmes modalités que celle des décisions et ordonnances de la Cour fédérale. Ces dispositions donnent à penser que la Commission a le pouvoir d’examiner plus que de simples questions de fait.

 

[104]       AREVA fait valoir que la Commission est un tribunal quasi judiciaire investi du pouvoir de décider des questions de droit. Par conséquent, elle était compétente pour établir s’il y avait obligation de consultation dans la présente affaire et, dans l’affirmative, si cette obligation avait été remplie.

 

L’obligation de consultation

 

[105]       L’obligation de consultation prend naissance lorsque la Couronne : a) a connaissance de l’existence possible de droits ancestraux, d’un titre ancestral ou de droits issus de traités, et b) envisage de prendre des mesures susceptibles de porter atteinte à ces droits. Cependant, il se peut que l’obligation de consultation ne soit pas déclenchée si l’atteinte possible aux droits ou au titre revendiqués est minime. En effet, il doit y avoir des éléments de preuve établissant l’existence d’un risque d’atteinte aux droits ancestraux. En outre, ces éléments doivent : a) étayer la conclusion qu’un droit déterminé risque d’être lésé; b) être liés au projet ou à la décision en question; et c) être plus que de simples observations ou généralités. Voir Brokenhead, précitée, paragraphes 30, 33 et 34. Comme l’explique la Cour au paragraphe 34 de Brokenhead, « pour démontrer l’existence d’un manquement procédural [...] il faut présenter des éléments de preuve qui établissent l’existence de répercussions défavorables sur une revendication territoriale plausible ou sur des droits ancestraux ainsi qu’une consultation insuffisante des intéressés »; et elle ajoute un peu plus loin que l’exploitation des terres à des fins publiques « doit entraîner des répercussions non négligeables et non résolues pour que naisse l’obligation de consultation de la Couronne ».

 

[106]       Dans la présente espèce, soutient AREVA, les demanderesses n’ont pas précisé à quels droits ancestraux ou issus de traités la décision de la Commission risquerait de porter atteinte. De plus, les demanderesses n’ont produit aucun élément de preuve tendant à établir le risque d’effets préjudiciables sur des droits déterminés, qu’ils soient ancestraux ou issus de traités. Elles se sont plutôt contentées d’exprimer des préoccupations générales touchant des questions non liées à la demande précise de permis dont la Commission était saisie. Qui plus est, les installations d’exploitation minière et de concentration d’uranium faisant l’objet du permis de McClean Lake existent depuis plus de dix ans. AREVA soutient que, pour toutes ces raisons, il n’y avait pas obligation de consultation.

 

[107]       AREVA soutient subsidiairement que s’il y avait dans la présente espèce une obligation de consultation, elle était de portée minime et imposait seulement d’aviser les demanderesses, de les informer et de discuter avec elles des questions qu’elles avaient soulevées dans le cadre de la demande de permis.

 

L’obligation a été remplie

 

[108]       La Commission a conclu que, dans la mesure où il y avait obligation de consultation en l’occurrence, cette obligation avait été remplie par son propre processus et par les possibilités de consultation offertes dans ce cadre. AREVA fait valoir que l’État est tenu de déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter, et que ces efforts suffisent à remplir son obligation de consultation. Voir Nation Haïda, précité, paragraphe 52.

 

[109]       Les préoccupations des demanderesses dans la présente espèce concernaient principalement des demandes d’information et l’insuffisance de leur compréhension des activités de l’installation nucléaire de McClean Lake. Tout au long du processus réglementaire, soutient AREVA, les demanderesses ont reçu des informations complémentaires. De plus, rappelle‑t‑elle, on leur a accordé une prorogation de délai pour leur permettre de participer pleinement au processus de la Commission.

 

[110]       En outre, les préoccupations des demanderesses touchant l’effet potentiel de la demande de permis sur leur capacité à participer à l’évaluation environnementale du projet de Midwest ont reçu réponse au cours du processus réglementaire; il leur a aussi été bien précisé que la décision de révoquer le permis de Midwest n’aurait aucun effet sur l’évaluation environnementale de ce site.

 

[111]       La demande d’AREVA tendant à la révocation du permis de Midwest et à l’incorporation  des activités de surveillance et d’entretien y autorisées dans celui de McClean Lake a aussi été examinée à l’audience de la Commission. Le personnel de celle‑ci a expliqué que, du point de vue de la réglementation, cette demande était de nature administrative et que les installations nucléaires seraient soumises au même niveau de contrôle et aux mêmes exigences, qu’elles fissent l’objet de deux permis ou d’un seul.

 

[112]       Dans Carrier, précité, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que le régime réglementaire était le cadre qui convenait le mieux pour décider les questions de consultation. Elle explique au paragraphe 42 de cet arrêt que [TRADUCTION] « le droit des autochtones n’est pas, il est vrai, le pain quotidien de la Commission », mais qu’« il n’y a pas de for plus apte à décider les questions de consultation en temps voulu et de manière efficace ». La Cour fédérale a formulé une conclusion semblable au paragraphe 37 de Brokenhead, précitée, qui porte que, « [s]auf dans la mesure où l’on ne peut donner suite aux préoccupations autochtones, c’est devant l’Office qu’il convient de traiter des questions se rapportant au projet et non devant la gouverneure en conseil ou le ministère qui pourrait être compétent en la matière dans le cadre d’une discussion parallèle ».

 

[113]       Dans la mesure où les préoccupations des demanderesses ne se rapportent pas à la demande de permis en question, mais plutôt à leurs efforts visant à obtenir l’aval du gouvernement de la Saskatchewan pour la mise en œuvre de leur projet de protocole de consultation, elles échappent à la compétence et au mandat de la Commission, et ne peuvent être valablement examinées dans le cadre de ce régime réglementaire fédéral.

 

[114]       AREVA compare la présente affaire à celle qui a donné lieu à l’arrêt Taku River, précité, où la Cour suprême du Canada a conclu que la province s’était acquittée de son obligation de consultation et d’accommodement malgré le fait que certaines des préoccupations d’ordre général des demandeurs (intimés devant la CSC) soient en dehors du cadre de l’évaluation environnementale et ne pussent faire l’objet que de négociations ultérieures avec la province. La Cour fédérale est arrivée à une conclusion semblable dans Brokenhead, précitée, où elle s’est déclarée d’avis que le tribunal administratif en question ne pouvait examiner les préoccupations d’ordre général mises de l’avant par les Autochtones et que de telles questions générales, telles que les revendications territoriales, ne pouvaient être valablement décidées qu’en dehors du processus réglementaire.

 

[115]       Dans la présente espèce, soutient AREVA, l’obligation de consultation incombant à la Couronne a été remplie par les activités d’information et de consultation publique d’AREVA, par le processus réglementaire lui-même et par la participation des demanderesses à ce processus.

 

Il n’y a pas eu cession de permis

 

[116]       Les articles 24 et 25 de la Loi confèrent à la Commission des pouvoirs étendus pour ce qui concerne la délivrance de licences ou de permis. S’il est vrai que le paragraphe 24(8) dispose que les licences et les permis sont incessibles, la Commission a eu raison de conclure que l’incorporation dans le permis de McClean Lake des activités de surveillance et d’entretien afférentes au site de Midwest ne constituait pas une cession de permis et ne contrevenait donc pas à ce paragraphe. 

 

La réparation

 

[117]       AREVA soutient que la présente demande devrait être rejetée. Cependant, dans l’hypothèse où la Cour déciderait qu’une mesure de réparation se justifie, ajoute AREVA, l’annulation de la décision de la Commission serait une solution excessive, non adaptée aux circonstances.

 

[118]       La Cour suprême du Canada a posé, dans Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] A.C.S. no 2 (Mines Alerte), que les tribunaux judiciaires peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder de mesures de réparation ou de ne pas accorder la totalité de la réparation demandée. AREVA fait valoir que la possibilité d’effets disproportionnés sur des tiers est un facteur pertinent à prendre en considération dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire par la Cour.

 

[119]       Une ordonnance annulant la décision de la Commission aurait des conséquences disproportionnées sur AREVA puisqu’elle aurait essentiellement pour effet de l’obliger à cesser ses activités d’exploitation minière et de concentration d’uranium à McClean Lake. Une telle ordonnance ne servirait les intérêts d’aucune des parties et, selon AREVA, [TRADUCTION] « irait à l’encontre du but recherché en nuisant aux relations [qu’elles] entretiennent ».

 

[120]       Enfin, AREVA soutient que les faits dont la Cour est saisie ne justifient pas cette mesure de réparation, puisqu’elle a établi avoir rempli toutes les conditions auxquelles était subordonnée la délivrance du permis demandé par elle.

 

La Commission canadienne de sûreté nucléaire

                                    La qualité d’intervenant

 

[121]       La Cour a accordé à la Commission la qualité d’intervenant, lui permettant ainsi de présenter ses observations sur la nature de sa compétence concernant l’obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones. La Commission estime cette occasion importante parce qu’il n’existe pas actuellement de jurisprudence relative à sa compétence en matière de consultation des peuples autochtones.

 

[122]       La Cour a également autorisé la Commission à exprimer son point de vue sur la norme de contrôle judiciaire applicable à ses décisions. La Commission se réjouit aussi de cette occasion parce qu’il n’existe pas non plus pour l’instant de jurisprudence concernant la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à ses décisions.

 

[123]       Les demanderesses sollicitent dans leur demande :

[TRADUCTION] (u)ne ordonnance ou un jugement déclaratoire obligeant la CCSN à faire bénéficier les demanderesses [l’ARG], aux fins de prise en compte et de conciliation des droits et des préoccupations des autochtones, d’un processus de consultation remplissant au minimum les conditions énoncées dans les « Lignes directrices provisoires à l’intention des fonctionnaires fédéraux afin de remplir l’obligation légale de consulter », publiées par le gouvernement du Canada en février 2008.

 

À en juger par ce passage de leur demande, les demanderesses paraissent reconnaître tacitement que le processus de la Commission est le cadre qui convient à l’examen de l’obligation de consultation et que la Commission est compétente pour décider les questions relatives à cette obligation.

 

[124]       Cependant, indépendamment du point de vue des demanderesses, soutient la Commission, son processus est bel et bien le cadre qui convient à l’examen des questions relatives à l’obligation de consultation, dans la mesure où ces questions relèvent de sa compétence sous le régime de la Loi.

 

[125]       En outre, la Commission fait valoir qu’elle est compétente pour décider des questions constitutionnelles, y compris celles qui se posent sous le régime de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour autant qu’ont été déployés des efforts raisonnables d’information et de consultation, la Commission est fondée à décider que l’obligation de consultation existante a été remplie.

 

La nature de la compétence de la Commission

 

[126]       Selon la Commission, la relation de représentation (ou relation fiduciaire) liant la Couronne à au moins certaines des demanderesses n’a pas pour effet de l’obliger elle-même à se prononcer dans l’intérêt de celles‑ci. Voir Office national de l’énergie, précité.

 

[127]       Lorsque la Commission, à titre de mandataire de la Couronne, établit qu’il y a obligation de consultation, l’étendue de cette obligation varie selon les circonstances. Cette étendue est proportionnée à la solidité de la revendication et à la gravité des effets préjudiciables que l’activité prévue pourrait entraîner.

 

[128]       La Commission soutient que non seulement elle avait compétence sur les questions liées à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais qu’elle constitue aussi le seul for apte à décider ces questions dans des délais souhaitables. Qui plus est, l’honneur de la Couronne l’oblige à se prononcer sur ces questions. [TRADUCTION] « En tant qu’organisme investi de pouvoirs par le législateur, fait valoir la Commission, elle ne doit pas refuser aux groupes autochtones la possibilité de se faire entendre dans les meilleurs délais devant une instance de décision compétente sur l’objet de leurs revendications. »

 

[129]       La Commission soutient qu’elle a compétence en matière de consultation au nom de la Couronne dans les cas où les projets en cause soulèvent des questions susceptibles de faire craindre aux détenteurs de droits des atteintes qui sont de son ressort. Voir par exemple le paragraphe 40 de Standing Buffalo, précité.

 

La norme de contrôle

 

[130]       La Commission affirme que, pour ce qui concerne l’obligation de consultation, son processus devrait être contrôlé suivant la norme de la décision raisonnable. La question en litige est celle de savoir si le régime réglementaire de la Commission, considéré dans son ensemble, respecte le droit ancestral collectif en question. Voir Nation Haïda, précité, paragraphe 62. Autrement dit, explique la Commission, [TRADUCTION] « [p]our autant que le processus de la Commission témoigne d’efforts raisonnables d’information et de consultation, il est raisonnable de conclure que l’obligation a été remplie et cette conclusion devrait être confirmée ».

 

[131]       Ce n’est que dans le cas où la Commission se méprend sur la solidité de la revendication ou la gravité de l’atteinte possible aux droits qu’il convient d’appliquer la norme de la décision correcte pour ce qui concerne l’obligation de consultation.

 

Le procureur général de la Saskatchewan

                                    La qualité d’intervenant

 

[132]       La Cour a accordé au procureur général de la Saskatchewan (le PGS) la qualité d’intervenant afin qu’il pût s’exprimer sur les questions de savoir : a) si les demanderesses ont droit à la consultation; b) si la Commission a outrepassé sa compétence en se prononçant sur l’obligation de consultation; c) si la Commission est le for qui convient à l’examen de l’obligation de consultation de la Couronne; et d) si la Commission a omis de remplir son obligation de consultation. La Cour fédérale a aussi autorisé le PGS à exprimer son point de vue sur toutes conclusions présentées par les demanderesses concernant l’obligation de consultation et d’accommodement.

 

[133]       Le PGS est intervenu dans la procédure de la Commission par lettre en date du 8 juin 2009, où il exposait la politique de consultation de la province et la position de cette dernière touchant ses pouvoirs sur les terres publiques. Cette lettre portait que [TRADUCTION] « toutes questions relatives à l’obligation de consultation et d’accommodement envers les peuples autochtones qui incombe à la province [...] échappent au mandat de la Commission et, en fait, dépassent les limites constitutionnelles de sa compétence ».

 

[134]       Bien que les demanderesses se réfèrent à une lettre écrite par le sous-ministre, le PGS fait valoir qu’il n’est pas évident que la Commission en soit saisie : en effet, elle n’en fait pas mention dans l’exposé de ses motifs.

 

La compétence de la Commission

 

[135]       Le PGS soutient que, quelle que soit la compétence de la Commission par rapport à l’obligation de consultation, elle ne comprend pas le pouvoir d’établir si une obligation provinciale a été déclenchée ni si les consultations provinciales sont suffisantes.

 

[136]       L’obligation de consultation est déclenchée lorsque la Couronne envisage de prendre des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur l’exercice de droits ancestraux ou issus de traités. Dans la présente espèce, les seules mesures de la Couronne en question étaient les décisions relatives aux permis que la Commission devait rendre. La Commission est un organisme fédéral, dont la Saskatchewan n’est aucunement responsable et sur lequel elle n’a aucun pouvoir. Par conséquent, on ne peut valablement considérer la décision ou le processus de la Commission comme une mesure susceptible de déclencher une obligation de consultation pour la Saskatchewan.

 

[137]       La Couronne est divisible, et il ne naît d’obligation d’accommodement pour la Saskatchewan que lorsque c’est la Couronne du chef de cette province qui envisage des mesures susceptibles d’avoir des effets préjudiciables sur l’exercice de droits ancestraux ou issus de traités. [TRADUCTION] « C’est à la Couronne du chef de la Saskatchewan, affirme le PGS, qu’il appartient de s’informer pour établir si ses décisions ou activités déclenchent une obligation et, dans l’affirmative, de décider l’étendue que doit avoir la consultation. » Il ne convient pas qu’une commission fédérale s’attribue cette responsabilité.

 

[138]       La Première nation ou le groupe autochtone qui fait valoir l’existence d’une obligation provinciale de consultation ou met en litige l’étendue de la consultation nécessaire doit porter ces questions devant la province. Si cette dernière ne répond pas dans le sens voulu, on peut exercer un recours devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan. Les offices fédéraux ne sont pas les fors qui conviennent à l’examen ni à la décision de telles questions.

 

[139]       La Commission a eu raison de ne pas se prononcer dans sa décision sur le point de savoir si la Saskatchewan avait une obligation de consultation, ou avait rempli celle qu’elle aurait eue, dans la présente affaire. La Commission a en effet rappelé dans sa décision qu’il ne lui appartenait pas de contrôler les efforts ou les obligations de consultation de la province.

 

[140]       En reconnaissant ainsi les limites de sa compétence, la Commission s’est conformée à l’arrêt Office national de l’énergie, précité, où la Cour suprême du Canada pose en principe que la compétence d’un office fédéral se limite aux questions d’intérêt fédéral.

 

[141]       À l’argument des demanderesses qui invoquent l’arrêt Office national de l’énergie, précité, pour soutenir que la fonction de la Commission serait « dénuée de sens ou privée d’efficacité » si elle ne pouvait se prononcer sur le caractère suffisant ou non des mesures provinciales de consultation, le PGS répond qu’elles se méprennent sur la leçon de cet arrêt. Celui‑ci ne dit pas que l’Office national de l’énergie aurait compétence pour établir si les décisions, politiques ou processus provinciaux étaient suffisants, encore moins que sa fonction serait dénuée de sens ou privée d’efficacité s’il n’avait pas cette compétence. En outre, ajoute le PGS, la Cour d’appel fédérale a confirmé dans Standing Buffalo, précité, que l’Office national de l’énergie n’a pas compétence pour contrôler les mesures provinciales de consultation.

 

[142]       La compétence de la Commission a les mêmes limites. Si tel n’était pas le cas, il en résulterait une situation constitutionnelle intenable où une commission fédérale pourrait servir d’instance de révision des décisions provinciales relatives aux licences et permis et des processus y afférents.

 

La non-pertinence des autres allégations

 

[143]       Les demanderesses formulent contre la province un certain nombre d’allégations dénuées de pertinence pour la présente demande. Ces allégations sont les suivantes :

a.                   La Couronne provinciale se déchargerait sur la Couronne fédérale de toutes responsabilités de consultation des autochtones dans les cas mettant en jeu l’environnement et la sécurité des Canadiens. La province affirme le contraire : [TRADUCTION] « Elle prend au sérieux son obligation de consulter les peuples autochtones dans les cas où ses décisions ou ses activités risquent d’avoir un effet préjudiciable sur l’exercice de droits ancestraux ou issus de traités. »

b.                  Les demanderesses font état de la lettre du sous-ministre en date du 22 avril 2009, que la Commission n’a pas pris en considération dans sa décision.

c.                   Les demanderesses invoquent une contradiction entre, d’une part, des lettres relatives à l’obligation de consultation, et d’autre part, un exposé de politique sur le même sujet, tous documents non pertinents pour la présente espèce.

d.                  Les lignes directrices provisoires de la province sur la consultation constitueraient [TRADUCTION] « un régime administratif de nature discrétionnaire et non structuré ».

 

La Couronne n’est pas tenue de consulter l’ARG

 

[144]       La province ne reconnaît pas à l’ARG le titre d’entité ayant droit à la consultation ou à l’accommodement. Ces obligations, lorsqu’elles sont déclenchées, sont dues [TRADUCTION] « à la collectivité ou aux collectivités détentrices des droits, confirmés ou revendiqués, qui risquent de subir une atteinte ». Le PGS fait observer que, si certains des membres de l’ARG sont des collectivités détentrices de tels droits, l’ARG lui-même n’est pas une entité envers laquelle la Couronne aurait une obligation de consultation.

 

[145]       La jurisprudence de la Cour fédérale établit que la Couronne n’a pas d’obligation de consultation envers un organisme représentant des peuples autochtones, même si elle peut en avoir une envers ses membres. Voir Native Council of Nova Scotia c. Canada, 2002 CFPI 6, [2002] A.C.F. no  4 (Native Council of Nova Scotia), paragraphe 13. [TRADUCTION] « [C]es décisions, fait valoir le PGS, s’inscrivent parmi d’autres de la Cour fédérale où celle‑ci a conclu que de tels organismes représentatifs n’avaient pas qualité pour ester en justice sur le fondement de droits ancestraux ou issus de traités. »

 

[146]       S’il est vrai que certains tribunaux judiciaires ont posé que la Couronne peut remplir son obligation de consultation au moyen de processus multilatéraux, leurs décisions ne veulent pas dire qu’elle serait tenue de consulter de cette manière ou de consulter un organisme représentatif. Voir Bande indienne des Ahousaht c. Canada (Pêches et Océans), 2008 CAF 212, [2008] A.C.F. no  946 (Ahousaht), paragraphes 47 à 51; et R. c. Douglas, 2007 BCCA 265, [2007] B.C.J. No. 891 (Douglas), paragraphe 40.

 

[147]       Plusieurs des membres de l’ARG ne sont pas des collectivités détentrices de droits envers lesquelles la Couronne aurait une obligation de consultation, mais plutôt des entités créées par la législation provinciale. En outre, l’ARG, qui se compose à la fois de collectivités des Premières nations et de collectivités provinciales, n’est pas une entité que la Couronne serait tenue de consulter.

 

ANALYSE

            Observations générales

 

[148]       À l’audience de la présente affaire, tenue à Saskatoon le 8 juin 2010, les demanderesses ont apporté à leur position des changements notables – concernant la capacité et la compétence de la Commission en matière d’examen des obligations de consultation de la Couronne, ainsi que les mesures de réparation demandées à notre Cour – qui ont éclairé à la fois leurs objectifs dans la présente instance et les raisons pour lesquelles elles considèrent la décision contrôlée comme une occasion de se rapprocher de ces objectifs.

 

[149]       S’agissant des initiatives d’exploitation minière et, en général, d’aménagement des ressources dans la région de l’Athabasca (Nord de la Saskatchewan), les demanderesses estiment que ni la province ni la Couronne fédérale ne prennent au sérieux leurs droits et intérêts, et elles veulent jouer un rôle plus important dans toutes les initiatives de cette nature, un rôle qui équivaudrait en fait à un degré sensible de contrôle. Elles ont élaboré un protocole de consultation, une procédure d’examen des activités de mise en valeur des ressources et une procédure d’approbation de ces activités, qui devraient selon elles régir toutes les initiatives d’aménagement dans leur région. Elles n’ont cependant pas encore réussi à faire reconnaître pleinement leur position au niveau politique. La Couronne du chef de la Saskatchewan, par exemple, ne reconnaît pas à l’ARG le titre d’entité ayant droit à la consultation et à l’accommodement.

 

[150]       Se sentant encore marginalisées et négligées par les instances qui contrôlent l’aménagement de leur région du Nord de la Saskatchewan, les demanderesses se sont adressées à la Cour en vue de faire établir judiciairement le degré de consultation et de contrôle auquel elles estiment avoir droit touchant l’aménagement du bassin de l’Athabasca. Elles ont choisi, en fait, de se servir de la décision ici contrôlée pour obtenir la reconnaissance judiciaire des droits énoncés dans leur propre protocole de consultation. En outre, elles ont invité la Cour à utiliser ce protocole comme élément de comparaison permettant de constater ce qu’elles jugent être l’insuffisance de la consultation qui a entouré la décision de la Commission de renouveler le permis de McClean Lake et d’y incorporer les activités de surveillance et d’entretien afférentes au site de Midwest.

 

[151]       Le résultat qu’elles recherchent – et la principale mesure de réparation qu’elles demandent – est la mise en place ordonnée par la Cour d’un processus de négociation que celle‑ci superviserait, par lequel la province et la Couronne fédérale établiraient avec elles un protocole de consultation (ressemblant à celui qu’elles proposent) qui régirait tous les aspects de l’aménagement du bassin de l’Athabasca. Cela voudrait dire aussi que la Cour ordonnerait aux Couronnes fédérale et provinciale d’assumer entièrement les charges pécuniaires et autres afférentes aux négociations en vue d’un tel protocole.

[152]       Autrement dit, les demanderesses voudraient maintenant que la Cour ordonne à la province et à la Cour fédérale de négocier avec elles, et qu’elle supervise le processus qui leur permettrait d’atteindre leurs objectifs d’aménagement pour le bassin de l’Athabasca, tels que les exprime leur proposition de protocole de consultation.

 

[153]       Les demanderesses n’ont proposé cette mesure de réparation qu’à l’audience : elle ne figure pas dans leurs écritures. Par conséquent, ni la Cour ni les avocats des parties adverses n’ont eu la possibilité d’examiner de manière approfondie les implications d’une telle mesure ni le point de savoir s’il existe un quelconque précédent judiciaire pour ce qui serait inévitablement une épreuve aussi longue que conflictuelle pour tous les intéressés. La Cour ne sait rien des autres collectivités (autochtones ou autres) de la région, dont certaines pourraient avoir des idées très différentes des demanderesses. En dernière analyse, la Cour ne peut obliger la Couronne fédérale et la province à négocier avec les demanderesses sur des questions d’une telle difficulté historique. La Cour n’a pas été saisie dans la présente espèce de données suffisantes pour lui permettre d’établir ce qu’impliquerait une mesure de la nature proposée, les aspects juridiques de sa mise en œuvre et les raisons pour lesquelles l’ARG – entité que la province, au moins, ne reconnaît même pas – aurait qualité pour jouer un tel rôle compte tenu des intérêts de l’ensemble de la région. Les demanderesses n’ont établi de justification ni en fait ni en droit pour une mesure de réparation aussi extraordinaire.

 

[154]       Les demanderesses prient la Cour, pour le cas où elle ne pourrait ou ne voudrait pas ordonner la mise en place du régime de négociation décrit plus haut dans ses grandes lignes, d’annuler la décision de renouvellement du permis de McClean Lake. Une telle annulation aurait évidemment de très graves conséquences, et pas seulement pour AREVA. Celle‑ci exploite la mine de McClean Lake depuis des années. Le développement de la province, de la région et des collectivités concernées, aussi bien que les moyens d’existence de personnes physiques, dépendent de cette mine. En fait, il ressort à l’évidence de la preuve produite devant moi que les demanderesses elles-mêmes ont tout intérêt à ce que se poursuive l’exploitation de la mine de McClean Lake.

 

[155]       La lettre de soutien de la société Athabasca Basin Development Limited Partnership dont le texte suit figurait parmi les écritures produites devant la Commission dans le cadre de son examen du renouvellement et de la modification du permis de McClean Lake :

[TRADUCTION]

 

La société en commandite Athabasca Basin Development Limited Partnership (ABDLP) appartient à sept collectivités de la partie de l’Athabasca située dans le Nord de la Saskatchewan : trois Premières nations (Black Lake, Fond du Lac et Hatchet Lake) et quatre villages ou hameaux (Camsell Portage, Uranium City, Stony Rapids et Wollaston Lake).

 

ABDLP est une entreprise offrant divers services d’exploitation minière et de prospection : construction, extraction souterraine, foration, nettoyage, entretien, sécurité et logistique. L’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs lui a récemment décerné le premier Prix Skookum Jim, destiné aux entreprises autochtones canadiennes du secteur de l’exploitation minière et de la prospection qui se distinguent par leur excellence.

 

ABDLP appuie le renouvellement du permis d’exploitation de McClean Lake dans sa forme présente, étant donné les considérables avantages que procure l’établissement actuel d’exploitation de ce site. Cet établissement nous a donné, et continuerait de nous donner, des contrats de construction, de sécurité, de foration, ainsi que d’entretien et de nettoyage. La mine de McClean Lake a aussi pour effet d’alimenter le trafic vers Points North Landing, ce qui profite à l’une de nos entreprises, le transitaire Points North Freight Forwarding.

 

Du fait des contrats attribués à ABDLP et des emplois directement offerts par AREVA, l’exploitation de la mine de McClean Lake procure à la région de l’Athabasca des bienfaits qu’elle continuera de lui procurer si elle se poursuit. Parmi ces bienfaits, signalons l’accroissement sensible du taux d’emploi chez les Premières nations, le développement de l’éducation et de la formation des employés locaux, qu’ils appartiennent ou non aux Premières nations, et d’autres retombées avantageuses pour les membres des Premières nations et leurs collectivités.

 

ABDLP s’est associée à AREVA parce que nous pensons que ses établissements s’efforceront de procurer des avantages économiques à l’Athabasca, d’assurer la sécurité de leurs employés et de la région, ainsi que d’apporter la prospérité à celle‑ci et à ses habitants.

 

La région de l’Athabasca s’est fixé pour but de participer pleinement à l’économie, et ABDLP appuie tous les établissements et entreprises qui partagent ce but. Nous sommes persuadés que l’établissement actuel de McClean Lake partage notre objectif et nous donnons notre plein appui au renouvellement du permis y afférent dans sa forme présente.

 

 

 

[156]       Cette lettre de soutien témoigne éloquemment de l’importance régionale de la mine et de la nécessité de renouveler le permis de McClean Lake.

 

[157]       La Cour ne peut s’empêcher de constater que la société ABDLP – qui a écrit une lettre si enthousiaste à l’appui du renouvellement du permis de McClean Lake – se compose des Premières nations de Black Lake, Fond du Lac et Hatchet Lake, ainsi que des collectivités de Camsell Portage, Uranium City, Stony Rapids et Wolaston Lake Settlement, soit les entités mêmes qui forment l’ARG. Or, à titre de demanderesses à la présente espèce, les membres de l’ARG soutiennent maintenant devant notre Cour que, si elle ne peut ordonner aux deux Couronnes de mettre en place sous une forme ou une autre un processus de négociation obligatoire qui leur permette à eux-mêmes de jouer un rôle important dans l’utilisation des terres et l’aménagement de la région, elle devrait annuler le permis de McClean Lake pour une durée indéfinie.

 

[158]       Les demanderesses n’ont proposé aucune explication de cette contradiction. Apparemment, tous les avantages exposés dans la lettre d’ABDLP peuvent maintenant être sacrifiés pour leur donner des moyens de négociation avec les Couronnes provinciale et fédérale en vue de l’établissement d’un protocole général de consultation pour le bassin de l’Athabasca.

 

[159]       Quelle que soit la raison de cette contradiction, elle fait ressortir la nécessité d’une extrême prudence dans l’examen de la preuve, des moyens et des propositions de mesures réparatrices par lesquels les demanderesses essaient maintenant de justifier devant la Cour l’annulation de la décision de la Commission. En fait, l’un des problèmes que pose cette contradiction est que la Cour ne peut avoir la certitude que les personnes qui plaident la présente demande au nom des demanderesses expriment vraiment les opinions et objectifs de celles‑ci. La Cour ne dispose pas de résolutions qui l’assureraient que ces représentants sont autorisés, et on lui demande de prononcer des mesures de réparation draconiennes sur la base d’un dossier qui ne permet pas de savoir avec certitude ce que les demanderesses veulent vraiment. Cette confusion est devenue évidente à l’audience, lorsque les demanderesses ont essayé de se distancier de leur volonté précédemment exprimée d’obtenir une ordonnance annulant la décision, pour réclamer plutôt l’imposition par la Cour d’un processus de négociation qui conduirait à l’adoption de leur projet de protocole de consultation.

 

[160]       Il ressort également à l’évidence des observations présentées par les demanderesses à la Commission et du dossier dont je suis saisi dans la présente espèce que celles‑ci revendiquent un droit général à la consultation et un droit au contrôle de l’aménagement de la région de l’Athabasca, indépendamment du point de savoir si sont en jeu les droits confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Or, comme je l’expliquerai plus loin, la jurisprudence actuelle n’étaye pas l’existence d’un tel droit général.

 

            La qualité pour agir

 

[161]       Les contradictions et les dimensions politiques manifestes de la preuve soulèvent de sérieux doutes sur la qualité des demanderesses pour former la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[162]       D’abord, l’ARG n’est pas une personne morale. Selon son avocat, « Athabasca Regional Governement » n’est qu’une désignation collective des demanderesses. Par conséquent, l’ARG n’a pas de droits en propre qu’il pourrait revendiquer ni n’a qualité pour plaider de son propre chef dans la présente espèce. Tous droits qu’on voudrait ici revendiquer doivent être ceux des demanderesses considérées isolément.

 

[163]       La substance de la présente demande donne à penser que les demanderesses veulent invoquer à la fois les droits confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et le droit à la consultation par la Couronne que notre jurisprudence reconnaît aux peuples autochtones dans certains contextes. Il est bien possible que Camsell Portage, Uranium City, Stony Rapids et Wollaston Lake comptent des résidents autochtones et aient des liens avec des collectivités autochtones, mais ces entités elles-mêmes ne détiennent pas de droits sous le régime de l’article 35. L’avocat des demanderesses a expliqué que ces entités servent, pour des raisons de commodité, à représenter les autochtones qui en font respectivement partie, mais il n’a été produit devant la Cour aucun élément tendant à établir comment elles avaient acquis cette qualité représentative et en quoi elles seraient véritablement autorisées à former la présente demande au nom de leurs membres autochtones. Par conséquent, pour autant que la présente demande se fonde sur les droits confirmés par l’article 35 et sur l’obligation de la Couronne de consulter les autochtones, collectivement ou individuellement, les circonscriptions de Camsell Portage, Uranium City, Stony Rapids et Wollaston Lake n’ont pas établi qu’elles aient qualité pour agir.

 

[164]       Un problème plus général se pose relativement au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, ainsi libellé :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

[165]       La décision de la Commission consiste dans le renouvellement du permis de McClean Lake pour huit ans et dans l’addition à ce même permis des activités de surveillance et d’entretien relatives au site de Midwest. Selon le paragraphe 18.1(1), le demandeur de contrôle judiciaire doit être « directement touché » par l’objet de la demande, qui est en l’occurrence la décision susdite. Or il n’est pas du tout évident pour la Cour en quoi les demanderesses, ou l’une quelconque d’entre elles, s’estiment ainsi touchées. Les demanderesses n’ont pas revendiqué ni essayé d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public. Selon leur propre lettre de soutien en tant que membres d’ABDLP, il convenait de renouveler le permis de McClean Lake parce que les activités de cet établissement procurent de [TRADUCTION] « considérables avantages » à la région. Si les demanderesses sont directement touchées par la décision, la preuve produite devant moi donne à penser que ce ne peut être que dans un sens favorable.  

 

[166]       Les mêmes entités, battant maintenant le pavillon de l’ARG, soutiennent que la décision devrait être annulée s’il le faut, parce qu’on leur a dénié le droit à la consultation dans le cadre du processus qui a conduit au renouvellement du permis de McClean Lake. Bref, les demanderesses veulent maintenant voir annuler un renouvellement de permis d’exploitation qu’elles ont appuyé avec enthousiasme en tant que membres de la société ABDLP.

 

[167]       La seule explication logique que je puisse trouver de ce paradoxe est que les demanderesses sont favorables au renouvellement du permis de McClean Lake, mais veulent aussi faire valoir des droits culturels, politiques et de common law (sous la forme d’un droit à la consultation sur l’aménagement de leur région et d’un droit de regard sur celui‑ci), et qu’ils ont choisi le processus de délivrance de permis de la Commission comme cadre pour faire valoir ces droits.  

[168]       Cependant, je vois mal comment les demanderesses peuvent s’exprimer en faveur d’une mesure donnée, puis, une fois que celle‑ci est décidée, essayer de faire annuler cette décision parce qu’elles veulent maintenant invoquer des droits sous le régime de l’article 35 et alléguer l’insuffisance de la consultation.

 

[169]       Cette démarche contradictoire jette le doute sur le fond de l’opposition des demanderesses à la décision telle qu’elles l’expriment dans la présente demande. En outre, elle soulève la question de savoir comment un groupe qui a milité en faveur de la décision par l’intermédiaire de sa propre société en commandite peut maintenant soutenir qu’il est « directement touché » par cette décision de telle sorte qu’il faudrait lui reconnaître la qualité pour l’attaquer et essayer de la faire annuler dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. 

 

[170]       C’est là une situation unique d’après mon expérience. Elle m’amène à penser que c’est en vue de promouvoir un objectif plus large que les demanderesses attaquent maintenant une décision en faveur de laquelle elles se sont prononcées en tant que membres d’ABDLP. Je pense qu’elles savent très bien que l’exploitation de la mine de McClean Lake doit se poursuivre parce que, entre autres raisons, elle procure à la région et à ses habitants autochtones les nombreux bienfaits qu’elles ont elles-mêmes recensés. Sachant que le permis de McClean Lake sera maintenu, elles veulent aujourd’hui se servir de la décision pour obtenir un autre avantage, en demandant à la Cour de sanctionner et d’ordonner un accroissement de leur pouvoir sur l’aménagement général du bassin de l’Athabasca.

 

[171]     Comment les demanderesses peuvent-elles soutenir qu’une décision bienvenue, à laquelle elles ont contribué dans une mesure importante, porte atteinte à leurs droits en common law, leur impose une obligation légale ou les lèse directement, de telle sorte qu’elles auraient maintenant qualité pour l’attaquer par la voie d’une demande de contrôle judiciaire? À mon sens, elles ne le peuvent pas. Si la décision a des conséquences imprévues et qu’elles regrettent maintenant d’avoir milité en sa faveur (ce qu’aucun élément de preuve n’indique), on ne peut reprocher à la Commission de telles conséquences dont elle n’était pas saisie. Et si les demanderesses souhaitent maintenant utiliser cette décision pour promouvoir un droit général à la consultation en une tentative d’accroître leur maîtrise de l’aménagement de leur région, je ne pense pas qu’on puisse les considérer comme « directement touché[es] » par la décision de la manière exigée par notre jurisprudence relative à la qualité pour agir. Les demanderesses elles-mêmes, en tant que membres d’ABDLP, ont favorisé, appuyé et avalisé tout effet de la décision.

 

[172]       Notre Cour a posé en principe qu’il ne convient pas d’interpréter dans un sens restreint l’expression « quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Voir Alberta c. Canada (Commission du blé), [1998] 2 C.F. 156 (Alberta). Cependant, elle a aussi formulé la conclusion suivante dans Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229, 102 D.L.R. (4th) 696, page 737 (Friends, citée d’après D.L.R.) :

[...] le libellé du paragraphe 18.1(1) attribue à la Cour le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir quand elle est convaincue que les circonstances particulières de l’espèce et le type d’intérêt qu’a le requérant justifient cette reconnaissance. (À supposer bien sûr qu’il y ait une question réglable par les voies de justice et qu’il n’existe aucun autre moyen efficace et pratique de soumettre la question aux tribunaux.)

 

[173]       Dans Alberta, précitée, il y avait un grand nombre de détenteurs de carnet de livraison directement touchés par la décision contrôlée, dont aucun ne s’était inscrit comme partie à la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, la Cour a conclu que la demanderesse ne remplissait pas les conditions de la qualité pour agir au motif qu’il y avait manifestement une autre manière de porter la question devant elle.

 

[174]       La décision Alberta, au paragraphe 31, fait également une distinction utile entre le fait  d’avoir un intérêt dans une décision et le fait d’être directement touché par elle :

La preuve versée au dossier ne porte pas à conclure que la requérante serait « directement touché[e] » au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Si, à n’en pas douter, la requérante possède un intérêt dans le programme de livraison de grains de l’intimée, et la preuve le confirme en effet, j’estime que cela ne permet pas d’affirmer que la requérante est directement touchée.

 

[175]     La Cour d’appel fédérale examine aussi la question de la qualité pour agir sous le régime de l’article 18.1 dans son récent arrêt Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2009] A.C.F. no 449 (Irving). Elle y conclut au paragraphe 28 que « la question de la qualité pour agir des appelantes devrait être tranchée [...] dans le contexte du motif de contrôle sur lequel elles s’appuient, soit, le manquement à l’obligation d’équité procédurale ». Par conséquent, si les appelantes ont droit à l’équité procédurale, elles ont également le droit de former leur demande devant la Cour. Cependant, « si elles n’ont pas droit à l’équité procédurale, le débat devrait, en règle générale, être clos » (paragraphe 28).

 

[176]       La jurisprudence d’autres tribunaux se révèle également utile pour délimiter la portée de l’expression « directement touché ». Par exemple, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta fait observer dans Athabasca Environmental Assn. (Friends of) c. Alberta (Public Health Advisory and Appeal Board), (1993), 24 Admin. L.R. (2d) 156, [1994] A.J. No. 296 (Athabasca) [QL], que l’expression « directement touché » a un sens différent du mot « touché » employé seul, parce que [TRADUCTION] « l’adverbe "directement" vient restreindre la signification du terme "touché" ».

 

[177]       Le Conseil privé éclaire aussi cette question à la page 483 de Re Endowed Schools Act, [1898] A.C. 477 (C.P.), où il note que l’expression « directement touché » évoque [TRADUCTION]  « un intérêt personnel et individuel, par opposition à un intérêt général, appartenant à l’ensemble de la collectivité ».

 

[178]       La décision Tribus Kwicksutaineuk/Ah-kwa-mish c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2003 CFPI 30, [2003] A.C.F. no 98 (Tribus), s’avère également pertinente pour la présente espèce. La Cour fédérale y déclare ce qui suit au paragraphe 12 :

Le fait qu’une activité peut « manquer de respect » envers le mode de vie d’une personne ne suffit pas pour établir que cette personne subit un préjudice direct par suite de l’activité en question, de sorte qu’elle est visée par les dispositions du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

[179]       Donc, selon la décision Tribus, précitée, pour pouvoir être dit directement touché par la décision en litige, il faut subir « un préjudice direct » par suite de cette dernière. Or les demanderesses à la présente espèce n’ont produit aucun élément de preuve tendant à établir qu’elles auraient subi un préjudice direct du fait du renouvellement du permis de McClean Lake ou de l’incorporation dans celui‑ci des activités de surveillance et d’entretien relatives au site de Midwest. En effet, les demanderesses autochtones n’ont fait état d’aucun droit ancestral ou issu d’un traité auquel auraient porté atteinte le renouvellement du permis ou le transfert des activités susdites. Qui plus est, les collectivités non autochtones n’ont même pas établi qu’elles possèdent un droit auquel il aurait pu être porté atteinte d’une quelconque façon.

 

[180]       En outre, comme on l’a vu plus haut, la lettre d’ABDLP appuyant la demande de permis démontre que la décision contrôlée est en fait avantageuse pour les collectivités demanderesses. On ne peut donc dire que cette décision leur cause un préjudice direct. En conséquence, j’estime qu’aucune des demanderesses n’a qualité pour former la présente demande devant la Cour fédérale.

 

            Les problèmes de preuve

 

[181]       AREVA soutient que les affidavits des demanderesses contiennent des déclarations qui relèvent du ouï-dire, de l’opinion ou de l’argumentation, et qu’ils font référence à des questions extrinsèques et dénuées de pertinence. En outre, ajoute AREVA, ces affidavits sont remplis d’éléments dont la Commission n’était pas saisie lorsqu’elle a rendu sa décision. AREVA a déposé des affidavits pour rectifier les passages qu’elle estime inexacts des affidavits des demanderesses, pour le cas où la Cour conclurait à l’admissibilité en preuve de ces passages. Cependant, AREVA soutient que, compte tenu de toutes les circonstances, la Cour devrait écarter les affidavits des demanderesses et ne leur attribuer que peu de poids ou aucun.

 

Les problèmes que pose la preuve de Fond du Lac

 

[182]       L’examen des affidavits en question me convainc qu’ils contiennent une grande part de ouï-dire, d’opinions et/ou d’arguments et d’éléments d’information extrinsèques.

 

[183]       Dans les cas comme celui‑ci où les déposants ne se sont pas conformés aux Règles des Cours fédérales dans la rédaction de leurs affidavits, la Cour peut décider soit de radier tout ou partie de chaque affidavit défectueux, soit de ne lui attribuer aucun poids.

 

[184]       Je conclus que, s’il ne convient pas de radier les affidavits des demanderesses dans leur totalité, les défauts notés ci‑dessus font qu’ils ne constituent pas un fondement probatoire suffisant pour les principales allégations formulées par elles dans la présente espèce, et certainement pas pour les mesures de réparation draconiennes qu’elles réclament.

 

[185]       Par conséquent, les graves problèmes qui se posent à propos de la qualité pour agir et de la preuve produite devant moi m’incitent à penser que la Cour ne devrait pas prononcer les mesures de réparation demandées. J’examinerai néanmoins la présente demande au fond.

 

La décision

 

[186]       La décision contrôlée se divise en deux éléments principaux :

a.                   Elle renouvelle le permis de McClean Lake sous le régime de l’article 24 de la Loi, avec effet du 1er juillet 2009 au 30 juin 2017.

b.                  Elle révoque sous le régime du même article le permis de préparation du site de Midwest pour une mine d’uranium, et elle incorpore les activités de surveillance et d’entretien afférentes à ce site dans le permis de McClean Lake.

 

[187]        Ce qui pourrait arriver au site de Midwest occupe une grande place dans la preuve et les conclusions des demanderesses. Cependant, le processus relatif à ce site suivra son propre cours, et les demanderesses auront toute possibilité d’y participer et de soulever toutes objections qu’elles pourraient avoir longtemps avant que ne commence l’exploitation. Si on ne leur donne pas cette possibilité, il leur sera loisible de faire valoir leurs préoccupations devant notre Cour au moment voulu. Comme je l’expliquerai plus loin, l’incorporation dans le permis de McClean Lake des activités provisoires de surveillance et d’entretien relatives au site de Midwest ne change rien sur le terrain : c’est une simple mesure administrative qui n’a aucune incidence sur les droits des demanderesses. La Commission a pour pratique courante, partout en Saskatchewan, de réunir des sites différents sous un seul permis lorsqu’elle n’y voit aucun inconvénient pour l’exercice des attributions que lui assigne la Loi. En essayant de diriger aussi sur la situation au site de Midwest leur présente attaque contre le permis de McClean Lake, les demanderesses ne font que révéler plus clairement, ce me semble, l’absence de motifs authentiques de leur demande en annulation de la décision.

 

Les motifs supposés de la présente demande

            La compétence et la capacité

 

[188]       En règle générale, je souscris à la plupart des moyens des défendeurs concernant le fond de la présente demande. Par conséquent, j’ai repris à mon compte et incorporé dans le présent exposé des motifs certains passages de leurs conclusions parce qu’ils récapitulent de manière détaillée la jurisprudence applicable.

 

[189]       Les demanderesses soutiennent dans leurs écritures que la Commission n’a ni compétence ni capacité à l’égard des questions de consultation au nom de la Couronne et qu’elle ne peut qu’examiner et décider le point de savoir si cette dernière a rempli par ailleurs son obligation de consultation.

 

[190]       Ce moyen se révèle en contradiction avec l’une des mesures de réparation réclamées par les demanderesses. Elles demandent en effet à la Cour :

[TRADUCTION]

c) [u]ne ordonnance ou un jugement déclaratoire obligeant la [Commission] à faire bénéficier les demanderesses [...], aux fins de prise en compte et de conciliation des droits et des préoccupations des autochtones, d’un processus de consultation remplissant au minimum les conditions énoncées dans les « Lignes directrices provisoires à l’intention des fonctionnaires fédéraux afin de remplir l’obligation légale de consulter », publiées par le gouvernement du Canada en février 2008.

 

 

[191]       Les demanderesses ne solliciteraient pas cette mesure de réparation si elles pensaient vraiment que la Commission ne disposait pas de la compétence et de la capacité nécessaires pour exécuter une ordonnance de cette nature. À l’audience (tenue le 8 juin 2010), les demanderesses ont admis devant la Cour que la Commission a bel et bien la compétence et la capacité voulues pour se prononcer sur les droits confirmés par l’article 35 et sur les obligations de la Couronne en matière de consultation. Je pense que cette position est juste.

 

[192]       Comme le PGC l’a rappelé dans ses conclusions, le paragraphe 8(2) de la Loi est libellé comme suit :

8(2) La Commission est mandataire de Sa Majesté et ne peut exercer ses attributions qu’à ce titre.

8(2) The Commission is for all its purposes an agent of Her Majesty and may exercise its powers only as an agent of Her Majesty.

 

[193]       Dans la mesure où la Couronne est tenue de consulter les demanderesses concernant son action, la Commission peut remplir cette obligation dans le cadre de son propre processus global de consultation.

 

[194]       La mission de la Commission, telle que la formule l’article 9 de la Loi, est la suivante :

9. La Commission a pour mission :

 

a) de réglementer le développement, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire ainsi que la production, la possession et l’utilisation des substances nucléaires, de l’équipement réglementé et des renseignements réglementés afin que :

 

(i) le niveau de risque inhérent à ces activités tant pour la santé et la sécurité des personnes que pour l’environnement, demeure acceptable,

 

(ii) le niveau de risque inhérent à ces activités pour la sécurité nationale demeure acceptable,

 

 

 

(iii) ces activités soient exercées en conformité avec les mesures de contrôle et les obligations internationales que le Canada a assumées;

 

b) d’informer objectivement le public — sur les plans scientifique ou technique ou en ce qui concerne la réglementation du domaine de l’énergie nucléaire — sur ses activités et sur les conséquences, pour la santé et la sécurité des personnes et pour l’environnement, des activités mentionnées à l’alinéa a).

 

9. The objects of the Commission are

 

(a) to regulate the development, production and use of nuclear energy and the production, possession and use of nuclear substances, prescribed equipment and prescribed information in order to

 

 

 

(i) prevent unreasonable risk, to the environment and to the health and safety of persons, associated with that development, production, possession or use,

 

(ii) prevent unreasonable risk to national security associated with that development, production, possession or use, and

 

(iii) achieve conformity with measures of control and international obligations to which Canada has agreed; and

 

 

(b) to disseminate objective scientific, technical and regulatory information to the public concerning the activities of the Commission and the effects, on the environment and on the health and safety of persons, of the development, production, possession and use referred to in paragraph (a).

 

 

[195]       Par conséquent, il entre dans le mandat de la Commission d’évaluer et de réduire les risques qu’entraînent le développement, la production ou l’utilisation des substances nucléaires pour la santé et la sécurité des personnes, ainsi que pour l’environnement. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la Commission a pris les mesures voulues touchant ces risques. En effet, elle possède et applique les compétences techniques nécessaires pour recueillir, interpréter et évaluer des informations complexes sur la production et la manutention des substances nucléaires, et elle offre au public un processus lui permettant d’exprimer ses préoccupations, qu’elle examine et auxquelles elle donne suite, touchant la production de ces substances.

 

[196]       En outre, l’article 25 de la Loi confère à la Commission le pouvoir de refuser de délivrer, comme de suspendre, révoquer ou assortir de conditions, tout permis ou licence autorisant des activités qui mettent en jeu des substances nucléaires. Comme les défendeurs l’ont rappelé, dans les cas où l’activité, projetée ou effective, de tout détenteur ou demandeur de permis comporte des risques inacceptables ou indéterminés pour la santé ou la sécurité des personnes, ou pour l’environnement, la Commission dispose des ressources voulues pour évaluer ces risques, ainsi que du pouvoir de prononcer et de faire exécuter les mesures nécessaires d’atténuation des impacts, et, en dernier recours, de révoquer le permis délivré ou de refuser la délivrance du permis demandé.

 

[197]       L’arrêt Taku River, précité, de la Cour suprême du Canada, confirme que la Couronne peut recourir aux processus réglementaires existants pour remplir son obligation de consultation, mais n’est pas tenue de le faire si elle choisit d’employer d’autres moyens.

 

[198]       Étant donné les pouvoirs conférés à la Commission et les procédures de consultation qu’elle applique, les préoccupations des demanderesses relatives aux risques pour l’environnement, la santé et la sécurité publique, et aux obligations de consultation de la Couronne, me paraissent toutes entrer dans le mandat que la Loi assigne à la Commission. À ce sujet, je renvoie au paragraphe 25 de Brokenhead, précitée, où la Cour fédérale, citant à la fois la Cour suprême du Canada et la Cour suprême de la Colombie-Britannique, formule les observations suivantes :

Pour décider si, et dans quelle mesure, la Couronne est tenue de consulter les peuples autochtones au sujet des projets ou activités susceptibles d’avoir des incidences sur leurs intérêts, la Couronne peut légitimement tenir compte des mécanismes de consultation des autochtones prévus par le processus d’examen réglementaire ou environnemental existant [...] Ce processus d’examen peut être suffisant pour répondre aux préoccupations des autochtones, sous réserve bien sûr de l’obligation prépondérante de la Couronne de vérifier s’ils sont suffisants dans un cas précis. Il ne s’agit pas d’une délégation de l’obligation de consultation de la Couronne, mais seulement d’un moyen par lequel celle‑ci peut s’assurer que les préoccupations des autochtones ont été entendues et, le cas échéant, qu’on y a répondu. [Renvois omis.]

 

 

 

[199]       Dans cette même décision, le juge Barnes rejette explicitement, lorsque le processus réglementaire en question offre des possibilités suffisantes de consultation et de réduction des impacts, la nécessité de le remplacer ou de le compléter par un autre processus de consultation. Il y déclare ce qui suit au paragraphe 37, en réponse à la thèse des Premières nations selon laquelle il fallait que le processus de l’Office national de l’énergie soit remplacé par un autre mécanisme de consultation :  

Cette affirmation me semble traduire une conception étriquée de l’obligation de consultation parce qu’elle supposerait un exercice répétitif et essentiellement dépourvu d’intérêt. Sauf dans la mesure où l’on ne peut donner suite aux préoccupations autochtones, c’est devant l’Office qu’il convient de traiter des questions se rapportant au projet et non devant la gouverneure en conseil ou le ministère qui pourrait être compétent en la matière dans le cadre d’une discussion parallèle.

 

 

[200]       La Cour a conclu au paragraphe 25 de Brokenhead que l’Office national de l’énergie, qui pouvait assurer la réduction voulue des impacts et prendre d’autres mesures en réponse aux inquiétudes environnementales, était l’instance légitime et la mieux placée pour répondre aux préoccupations de la Première nation ojibway de Brokenhead concernant le passage d’un pipeline sur son territoire ancestral.

 

[201]       Les faits de la présente espèce s’apparentant à ceux de Brokenhead, j’estime que, dans la mesure où l’objet de la consultation se rapporte à des questions qui relèvent du mandat assigné par la Loi à la Commission, celle‑ci est l’organisme qui convient pour examiner et trancher la question de l’obligation de consulter les collectivités autochtones au nom de la Couronne. 

 

La compétence de la Commission pour se prononcer sur le caractère suffisant de la consultation

 

[202]       La Cour suprême du Canada a posé en principe, au paragraphe 39 de Paul, précité, que si la loi habilitante accorde implicitement ou expressément au tribunal administratif le pouvoir d’interpréter ou de trancher toute question de droit, ce tribunal est présumé posséder aussi le pouvoir de décider cette question à la lumière de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

[203]       Dans le contexte de l’obligation de consultation, il faut prendre en considération les faits particuliers de chaque espèce pour établir si l’objet de la consultation et de l’accommodement entre dans le mandat de l’organisme décideur.

 

[204]       Comme les défendeurs l’ont rappelé, le paragraphe 8(2) de la loi habilitante de la Commission dispose qu’elle est mandataire de la Couronne. En outre, le paragraphe 20(1) de la Loi porte que la Commission est une cour d’archives, et les paragraphes 20(2) à 21(1) lui confèrent des pouvoirs étendus qui lui permettent de contraindre à comparaître, de recueillir des preuves, ainsi que de rendre toutes sortes de décisions et d’en assurer l’exécution, y compris le pouvoir implicite de trancher des questions de droit.

[205]       L’étendue de la compétence d’un organisme donné sur les questions relatives à la consultation reste un point de droit indéterminé dans bien des cas. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu dans Carrier, précité, que la Commission des services publics n’avait pas le pouvoir explicite de décider les questions de consultation, mais qu’elle était implicitement compétente pour se prononcer sur le caractère suffisant de la consultation. Le juge Donald déclarait au paragraphe 51 de cet arrêt que la Commission des services publics non seulement avait compétence pour se prononcer sur les questions relatives à l’article 35, mais qu’elle était tenue de le faire :

[TRADUCTION] Non seulement la Commission a compétence pour décider la question de la consultation, mais encore elle est le seul for légitime qui puisse la décider dans les délais souhaitables. En outre, l’honneur de la Couronne l’oblige à le faire. En tant que délégataire de pouvoirs de la Couronne, elle ne doit pas refuser à l’appelant la possibilité de se faire entendre sans retard par une instance décisionnelle compétente sur l’objet du litige.

 

 

[206]       Le PGC soutient que le point de vue adopté par la Cour d’appel fédérale dans Standing Buffalo, précité, est plus conforme à la jurisprudence‑clé de la Cour suprême du Canada, constituée notamment par les arrêts Nation Haïda et Taku River, précités. Par exemple, dans Standing Buffalo, la Cour d’appel fédérale a examiné le point de savoir si l’Office national de l’énergie avait le pouvoir de décider les questions relatives à l’obligation de consultation incombant à la Couronne. Le juge Ryer a répondu à cette question au moyen du raisonnement suivant, apte à servir de modèle :

40        Premièrement, comme on l’a vu, l’arrêt Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie) établit que l’ONÉ, lorsqu’il exerce sa fonction décisionnelle, doit se conformer aux règles constitutionnelles et, notamment, au paragraphe 35(1) de la Constitution. En l’espèce, l’ONÉ devait statuer sur trois demandes de certificat d’utilité publique. Chaque demande constitue un processus distinct, dans lequel un demandeur donné cherche à obtenir une approbation visant un projet déterminé. Le processus met l’accent sur le demandeur, auquel l’ONÉ impose d’importantes obligations de consultation. Chaque demandeur doit consulter les groupes autochtones, définir leurs préoccupations et tenter d’y répondre, à défaut de quoi l’ONÉ peut imposer des mesures d’accommodement. Ce processus fait selon moi en sorte que le demandeur prenne dûment compte des droits ancestraux existants qui sont reconnus et confirmés au paragraphe 35(1) de la Constitution. En veillant à ce que le demandeur respecte ces droits ancestraux, l’ONÉ démontre, à mon avis, qu’il exerce sa fonction décisionnelle conformément aux règles de cette disposition constitutionnelle.

 

41        Deuxièmement, les appelants ont été incapables de citer la moindre disposition de la Loi sur l’ONÉ ou de toute autre loi qui empêcherait l’organisme de délivrer le certificat visé à l’article 52 sans avoir au préalable effectué l’analyse Nation Haïda ou qui l’habilite à ordonner à la Couronne de procéder à la consultation définie dans Nation Haïda.

 

42        Troisièmement, la province de la Saskatchewan a soutenu que l’ONÉ n’a pas compétence pour procéder à l’analyse Nation Haïda lorsque c’est la Couronne du chef d’une province qui est visée par l’allégation qu’il existe une obligation de consulter aux termes de cet arrêt. Les appelants n’ont pas contesté cette restriction de la capacité de l’ONÉ d’effectuer l’analyse à l’égard d’une province.

 

43        Quatrièmement, la conclusion que l’ONÉ n’est pas tenu de déterminer, avant de rendre les décisions, si la Couronne assume une obligation de type Nation Haïda et si elle s’en est acquittée, n’empêcherait pas l’examen de ces questions par le tribunal judiciaire compétent. De fait, les citations tirées des paragraphes 37 et 60 de Nation Haïda et du paragraphe 47 de Paul indiquent qu’on peut s’adresser aux tribunaux judiciaires dans un tel cas.

 

 

[207]       Relativement à la demande de permis dont elle était saisie, la Commission, dans la présente espèce, avait compétence sur les questions de droit en vertu de sa loi habilitante, et l’objet de la consultation entrait dans le champ de son mandat et de son expertise. Par conséquent, la Commission avait à mon sens le pouvoir de décider si la consultation était suffisante sous le régime de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

Y a‑t‑il obligation de consultation dans la présente espèce?

 

[208]       Comme il ressort à l’évidence de la preuve, les demanderesses ont été consultées dans une mesure considérable sur la décision qui nous occupe. Mais il ne s’ensuit pas pour autant qu’il y avait obligation de consultation.

 

[209]       Une obligation légale de consultation prend naissance lorsque la Couronne, connaissant l’existence de droits ancestraux, d’un titre ancestral ou de droits issus de traités, envisage des mesures susceptibles d’y porter atteinte.

 

[210]       Comme les défendeurs le font observer, il peut arriver que la Couronne ne soit pas tenue de consulter du tout dans les cas où se révèle relativement minime l’effet préjudiciable possible sur le titre ancestral, les droits ancestraux ou les droits issus de traités que revendiquent les autochtones. Dwight Newman récapitule les cas où l’obligation de consultation peut prendre naissance à la page 34 de The Duty to Consult: New Relationships with Aboriginal Peoples, Saskatoon, Purich, 2009 :

[TRADUCTION]

 

L’application du critère de déclenchement de l’obligation n’a évidemment rien de simple. Lorsque le ministère en question ne sait pas avec certitude si son action déclenche une obligation de consultation, le plus sûr peut être de faire comme si tel était le cas et de donner au moins avis de la mesure envisagée aux collectivités autochtones qu’elle est susceptible de toucher. Au bout du compte, la non-consultation risque en effet de provoquer un litige qui retardera l’exécution de cette mesure. En outre, il y a une raison importante de ne pas adopter une attitude trop formaliste à l’égard de l’obligation de consultation : dans les cas où une collectivité autochtone se trouve en mesure de permettre à la Couronne de mieux comprendre les incidences de décisions déterminées, il peut se révéler utile de considérer l’obligation de consultation comme déclenchée simplement afin de faire en sorte de recueillir les observations de cette collectivité.

 

Les ministères ne sont pas tenus de consulter lorsque le titre ou le droit ancestral, ou le droit issu d’un traité, est essentiellement douteux. Ils ne sont pas tenus non plus de consulter dans les cas où la mesure envisagée ne risque plausiblement d’avoir aucun effet préjudiciable sur une revendication autochtone. Ils n’ont pas non plus l’obligation de consulter s’ils ne participent pas aux sortes d’activités qui déclenchent l’obligation de consultation. Cependant, il n’est pas toujours facile pour les fonctionnaires de savoir avec certitude si ces critères sont remplis, ce qui peut militer en faveur du principe que, pour éviter le risque de n’avoir pas consulté lorsqu’on l’aurait dû, il convient d’aviser au moins les collectivités autochtones de la mesure en question lorsqu’il y a la moindre justification de le faire – et que c’est réalisable dans la pratique. En effet, il ne serait pas concrètement envisageable de consulter à propos de chaque décision gouvernementale; il faut donc faire preuve de jugement dans l’application de ce principe.

 

 

[211]       Pour que naisse l’obligation de consultation, il faut que soient produits des éléments de preuve tendant à établir un risque d’effet préjudiciable sur les droits des autochtones. En outre, les éléments tendant à établir le risque d’une atteinte à un intérêt précis et tangible doivent être liés au projet ou à la décision en question et constituer plus que de simples observations ou généralités.

 

[212]       La Cour fédérale a confirmé au paragraphe 34 de la décision Brokenhead, précitée, qu’il n’y a pas d’obligation générale de consultation en l’absence de répercussions non négligeables et non résolues :

Je ne remets pas en question le fait que les déclarations précitées reflètent les vives préoccupations non seulement du chef Nelson, mais aussi d’autres membres de la collectivité autochtone manitobaine. Le problème, c’est que, pour démontrer l’existence d’un manquement procédural dans le cas de projets comme ceux‑ci, il faut présenter des éléments de preuve qui établissent l’existence de répercussions défavorables sur une revendication territoriale plausible ou sur des droits ancestraux ainsi qu’une consultation insuffisante des intéressés. Les Premières nations visées par le Traité no 1 ont tout simplement tort de prétendre dans leur preuve que le gouvernement du Canada a l’obligation de les consulter « avant de prendre des décisions se rapportant aux terres situées dans notre territoire traditionnel visé par le Traité no 1 ». Il n’y a pas d’obligation générale de consulter qui soit déclenchée uniquement par l’exploitation de terres à des fins publiques. Cette exploitation doit entraîner des répercussions non négligeables et non résolues pour que naisse l’obligation de consultation de la Couronne. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[213]       Il est de droit constant que le contenu de l’obligation de consultation, lorsqu’elle a pris naissance, varie selon les circonstances. Il est néanmoins possible d’affirmer, déclare la Cour suprême du Canada au paragraphe 39 de Nation Haïda, précité, que l’étendue de l’obligation dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur l’un ou l’autre de la mesure gouvernementale prévue.

 

[214]       Il est également de droit constant que les obligations particulières de consultation qui peuvent naître s’inscrivent dans un continuum. À l’une des extrémités de celui‑ci se trouvent les cas où la revendication autochtone est relativement peu solide, et faible le risque d’effet préjudiciable : les obligations de la Couronne peuvent alors se limiter à celles d’aviser le groupe autochtone intéressé, de lui communiquer des renseignements et de discuter avec lui des questions soulevées par suite de l’avis. À l’autre extrémité du continuum, où la revendication repose sur une preuve à première vue solide et où le risque de préjudice est élevé, une consultation approfondie peut se révéler nécessaire. Voir Nation Haïda, précité, paragraphes 43 et 44.

 

[215]       On voit donc que la jurisprudence applicable, citée par les défendeurs, établit que l’obligation s’inscrit dans un continuum qui peut aller de l’exigence minimale de la communication d’un avis jusqu’à celle d’un certain degré d’accommodement, c’est‑à‑dire de prise en compte des intérêts autochtones. Le continuum ainsi décrit exclut tout droit de veto autochtone sur les mesures particulières susceptibles d’être décidées. Voir Nation Haïda, précité, paragraphes 47 et 48.

 

[216]       Il est permis à la Couronne de déléguer des aspects procéduraux de la consultation aux promoteurs, mais c’est elle qui assume la responsabilité légale en dernière instance de la consultation et de l’accommodement. L’honneur de la Couronne ne peut faire l’objet d’une délégation.

 

[217]       Mon examen du dossier dont la Commission était saisie révèle que les demanderesses n’ont pas établi ni même précisé à quels droits déterminés – ancestraux ou issus de traités – risquait de porter atteinte la décision d’accueillir la demande d’AREVA tendant à obtenir le renouvellement du permis de McClean Lake, et/ou la décision d’incorporer dans ce dernier les activités de surveillance et d’entretien afférentes au site de Midwest. En outre, bien qu’elles aient pu sans restriction se présenter devant la Commission et déposer plusieurs mémoires, les demanderesses n’ont produit aucun élément de preuve tendant à établir un risque d’effet préjudiciable ou d’incidence non souhaitée sur des droits déterminés, qu’ils soient ancestraux ou issus de traités. Elles se sont plutôt contentées d’exprimer des préoccupations générales sur des questions étrangères à la demande de permis dont la Commission était saisie.

 

[218]       Les établissements d’exploitation minière et de concentration d’uranium en question existent depuis plus de dix ans, AREVA demandait le renouvellement d’un permis d’exploitation, et les demanderesses n’ont produit aucun élément de preuve tendant à établir que l’accueil de cette demande par la Commission entraînerait un effet préjudiciable sur des droits déterminés – ancestraux ou issus de traités – qu’elles détiendraient. Au vu de ces faits, j’estime qu’AREVA est fondée à affirmer que l’obligation de consultation n’a pas même été déclenchée.

 

[219]       On peut tout au plus dire que, vu le seuil peu élevé auquel prend naissance l’obligation de consultation, l’obligation déclenchée, s’il y en avait une, était de faible étendue, se situait au bas du continuum et s’est trouvée remplie par le processus suivi.

 

[220]       Dans Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388 (Mikisew), les Mikisew contestaient la décision du ministre d’approuver la construction d’une route d’hiver devant longer la limite de leur réserve. Il y avait des éléments de preuve tendant à établir que l’exécution de ce projet réduirait l’étendue du territoire sur lequel les Mikisew exerçaient des droits issus d’un traité, interdirait la chasse dans le corridor de la route et aurait un effet préjudiciable sur l’exercice de leurs droits dans la forêt environnante. La Cour suprême du Canada a conclu que là où la route projetée devait traverser des terres cédées (où les droits de chasse, de pêche et de piégeage des Mikisew étaient subordonnés à la « prise » de terres), l’obligation de la Couronne se situait au bas du continuum. La Couronne était tenue de discuter directement avec les Mikisew, de les informer, de s’informer elle-même de leurs préoccupations et d’essayer de réduire au minimum les effets préjudiciables sur les droits issus du traité en question.

 

[221]       Dans la présente espèce, où l’objet de la demande était le renouvellement du permis d’exploitation d’une mine et d’une usine de concentration d’uranium en activité depuis plus de dix ans, sans nouvelle prise de terres ni autorisation de nouvelles activités, et où aucun élément de preuve n’établissait que la décision d’accueillir la demande de permis aurait des effets préjudiciables sur les droits des demanderesses – ancestraux ou issus de traités –, l’obligation de consultation, s’il y en avait une, était de faible portée et consistait à aviser les demanderesses, à leur communiquer des renseignements et à discuter avec elles des questions qu’elles soulèveraient par suite de la demande de permis. Or toutes ces mesures ont été prises.

 

[222]       En conséquence, si les faits de la présente espèce donnaient naissance à une obligation de consultation, la décision de la Commission sur l’existence et l’étendue de cette obligation, eu égard aux circonstances, me paraît correcte.

 

[223]       Comme la Commission l’a elle-même fait observer dans sa décision, les préoccupations précises exprimées par les demanderesses touchant l’affaire dont elle était saisie se rapportaient principalement à des demandes de renseignements et à leur besoin de comprendre certains aspects techniques de l’exploitation de l’installation nucléaire en question. La preuve produite devant moi établit que, dans le cadre du processus réglementaire, les demanderesses ont reçu un supplément de renseignements concernant la demande de permis et obtenu une prorogation de délai propre à leur permettre de participer pleinement au processus de la Commission. De plus, les demanderesses ont déposé plusieurs mémoires devant la Commission, leur conseiller juridique et un représentant de leurs dirigeants ont participé à l’audience publique, et elles ont dialogué et discuté de leurs préoccupations aussi bien avec le personnel de la Commission qu’avec AREVA.

 

[224]       En outre, au cours du processus réglementaire, on a examiné les préoccupations exprimées par les demanderesses concernant l’incidence potentielle de la demande de permis sur leur capacité à participer à l’évaluation environnementale du projet de Midwest, et on y a répondu. Les mémoires déposés par le personnel de la Commission et AREVA précisaient bien que le projet de Midwest n’était pas l’objet de la demande de renouvellement du permis de McClean Lake et que la décision de révoquer le permis de Midwest n’aurait aucun effet sur le processus d’évaluation environnementale de ce projet.

 

[225]       La demande d’AREVA tendant à obtenir la révocation du permis de Midwest et l’incorporation des activités de surveillance et d’entretien autorisées dans le permis de McClean Lake a aussi été examinée au cours de la deuxième journée de l’audience publique, à laquelle les demanderesses ont participé. Le personnel de la Commission a alors expliqué que, du point de vue de la réglementation, cette demande était de nature purement administrative, et que les installations nucléaires resteraient soumises au même niveau de contrôle et aux mêmes exigences, qu’elles fissent l’objet de deux permis ou d’un seul. Le personnel de la Commission a aussi expliqué que la demande de permis n’avait aucun effet sur le processus d’évaluation environnementale du projet de Midwest, processus pour lequel la méthode de consultation était en cours d’élaboration sous la direction du Bureau de gestion des grands projets.

 

[226]       Dans la mesure où elles ne se rapportaient pas véritablement à la demande de permis examinée par la Commission, mais visaient plutôt à faire avaliser leur projet de protocole de consultation par le gouvernement de la Saskatchewan, les préoccupations exprimées par les demanderesses échappaient au mandat de la Commission et ne pouvaient être valablement prises en considération dans le cadre du régime réglementaire fédéral qui gouverne la délivrance de permis d’exploitation d’installations nucléaires.

 

[227]       Comme les défendeurs l’ont fait observer, la Cour suprême du Canada a conclu dans Taku River, précité, que l’État provincial avait rempli son obligation de consultation et d’accommodement au moyen de son processus d’évaluation environnementale, et ce, bien qu’elle avait aussi conclu que les questions plus générales soulevées par la Première nation tlingit de Taku River – soit celles de l’élaboration d’une stratégie d’utilisation du territoire, du partage des recettes et du pouvoir d’approbation des permis relatifs au projet qu’elle souhaitait exercer – dépassaient les limites du processus d’évaluation environnementale et ne pouvaient faire l’objet que de négociations ultérieures avec la province. 

 

[228]       De même, dans Brokenhead, précitée, la Cour fédérale a conclu que l’Office national de l’énergie n’avait pas compétence sur les questions générales soulevées par les autochtones, telles que les revendications territoriales non réglées. Ces questions ne pouvaient être valablement examinées qu’en dehors du processus réglementaire.

 

[229]       Compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, la Cour pense comme AREVA que, s’il y avait effectivement une obligation de consultation pour la Couronne, elle s’est trouvée remplie par les activités d’information et de consultation du public qu’a menées cette société relativement à sa demande de permis, par le processus réglementaire et par la pleine participation des demanderesses à celui‑ci.

La province et l’obligation de consultation

 

[230]       À mon sens, l’obligation de consultation ne concernait pas la province de la Saskatchewan dans la présente espèce. La raison est qu’il n’y avait pas en litige devant la Commission de décision ou de mesures provinciales qui pussent donner naissance à une telle obligation pour cette province. Et même si une obligation provinciale avait pris naissance, la Commission n’était pas compétente pour décider si la province l’avait remplie. La Commission a donc prononcé valablement sur ces questions dans sa décision.

 

[231]       Je veux bien que les demanderesses soient déçues de l’attitude de la province concernant l’acceptation et la mise en œuvre de leur projet de protocole de consultation, mais il y a d’autres procédures et d’autres recours pour régler cette question. Celle‑ci n’est pas pertinente pour les points dont je suis ici saisi. Les demanderesses prient en fait la Cour d’ordonner à la province de négocier avec elles à leurs propres conditions. La Cour n’a pas compétence pour ce faire. C’est là une question que les demanderesses doivent régler avec la province : elle échappe au ressort de la Commission comme de notre Cour.

 

Résumé

 

[232]       En dernière analyse, les demanderesses essaient ici à mon sens de faire valoir un droit général à la consultation qui serait indépendant de tout droit ou effet déterminé relevant de l’article 35. C’est là la position qu’elles expriment dans le projet de protocole de consultation qu’elles voudraient voir adopter par la province aussi bien que par la Couronne fédérale. Or, comme la jurisprudence précitée le fait bien comprendre, un tel droit général, sans attaches, n’existe pas en droit canadien. 

[233]       La preuve produite dans la présente espèce établit sans ambiguïté que les processus d’AREVA aussi bien que de la Commission ont donné aux demanderesses la possibilité de comprendre la nature de la décision en question et d’exprimer leur point de vue concernant tous droits – ancestraux ou issus de traités – mis en jeu et toutes atteintes à ces droits. Or les demanderesses n’ont invoqué aucun droit autochtone précis auquel la décision risquerait de porter atteinte ni aucun risque d’atteinte déterminé. La Commission a raison de faire observer ce qui suit au paragraphe 131 de sa décision :

[…] les préoccupations qui ont été exprimées concernaient surtout l’information fournie et la capacité des membres des collectivités touchées à comprendre les renseignements sur les activités du site titulaire du permis. Les intervenants n’ont pas fourni d’information sur les droits précis qui pourraient être touchés par le renouvellement du permis d’exploitation de l’établissement de McClean Lake.

 

 

[234]       Peu de choses avaient changé au moment de l’audience de la présente affaire devant notre Cour, tenue le 8 juin 2010. Bien que la Cour ait essayé de savoir quelles questions elles estimaient que la Commission avait omis d’examiner et à quels droits confirmés par l’article 35 il pouvait avoir été porté atteinte, les demanderesses n’ont pas clarifié ces points. Elles ont formulé quelques vagues généralités et conjectures sur la concentration des activités minières dans la région, mais rien à partir de quoi la Cour ou la Commission pût agir. En fin de compte, la Cour a eu la nette impression que les demanderesses s’inquiètent de ce qui pourrait arriver au site de Midwest, question qu’elles auront la possibilité de faire examiner au cours du processus d’aménagement de ce site, mais elles n’ont pu formuler clairement les raisons pour lesquelles elles estiment que la poursuite des activités à McClean Lake ait porté atteinte, ou pourrait porter atteinte, à leurs droits. Il n’y a là rien d’étonnant si l’on se rappelle le soutien, établi par la preuve, que les demanderesses avaient antérieurement apporté à AREVA pour ce qui concerne le permis de McClean Lake. Il me paraît que les demanderesses, en formant la présente demande de contrôle judiciaire, n’avaient pas vraiment pour but de faire contrôler la décision de la Commission, mais plutôt d’essayer d’amener la Cour à imposer leur protocole de consultation à la province et à la Couronne fédérale afin d’accroître leur droit de regard sur les opérations générales d’utilisation des terres et d’aménagement des ressources dans leur région. Je ne reproche pas aux demanderesses ce qui me paraît être un projet politique tout à fait légitime, mais le contrôle judiciaire n’est pas fait pour régler de telles questions.

 

Les activités de surveillance et d’entretien au site de Midwest

 

[235]       Les demanderesses soutiennent que la Loi n’autorisait pas la Commission à incorporer dans le permis d’AREVA applicable à McClean Lake les activités de surveillance et d’entretien afférentes à son site de Midwest.

 

[236]       Cependant, comme AREVA l’a rappelé dans ses conclusions, la Commission dispose de pouvoirs étendus, énoncés aux articles 24 et 25 de la Loi, concernant la délivrance de licences et de permis. Par exemple, elle peut, de sa propre initiative, suspendre en tout ou en partie, modifier, révoquer ou remplacer une licence ou un permis.

 

[237]       Le paragraphe 24(8) de la Loi dispose que les licences et les permis sont incessibles. La Commission, après examen de la demande de permis d’AREVA, a conclu que l’incorporation des activités de surveillance et d’entretien dans le permis de McClean Lake ne constituait pas une cession de permis sous le régime du paragraphe 24(8).

 

[238]       Au vu de la preuve produite devant moi et des faits de la présente espèce, j’estime qu’il n’y a pas eu cession de permis. La Commission a révoqué le permis de Midwest et, pour des raisons administratives, a inclus les obligations actuelles de surveillance et d’entretien relatives à ce site dans sa décision de renouvellement du permis de McClean Lake.

 

[239]       Il n’y a rien d’extraordinaire dans le fait de réunir deux sites sous un même permis, et rien n’a changé pour ce qui concerne la propriété du site de Midwest ou les obligations de surveillance et d’entretien y afférentes. Il est à noter que les deux sites sont à trois kilomètres l’un de l’autre, et que la collectivité permanente la plus proche (Hatchet Lake) se trouve à 50 kilomètres de là.

 

[240]       La Cour ne voit pas en quoi la Loi interdirait cette mesure de la Commission, en quoi la mesure pourrait engendrer de l’incertitude ou pécher contre l’exigence de l’examen public, en quoi elle peut avoir bouleversé le processus d’examen des demandes de permis, ni en quoi elle pourrait porter préjudice aux demanderesses – ou à qui que ce soit d’ailleurs. Ce qui compte, c’est que les activités en question soient réglementées comme il se doit. Or on ne m’a présenté aucun élément de preuve qui donnerait à penser que les nouvelles clauses du permis de McClean Lake concernant la surveillance et l’entretien du site de Midwest fassent obstacle à une réglementation valable et efficace.

 

[241]       Une fois encore, les demanderesses semblent attaquer cet aspect de la décision afin de se donner un moyen de plus de réaliser leur projet général de faire adopter leur protocole de consultation par la province et la Couronne fédérale.

 

Conclusions de la Cour

 

[242]       Les constatations et conclusions de la Cour que j’expose ici n’ont pas pour but de critiquer ni de décourager les efforts que déploient les demanderesses pour s’assurer un plus grand contrôle sur l’utilisation des terres et la mise en valeur des ressources dans la région de l’Athabasca (Nord de la Saskatchewan). En fait, je ne perçois non plus aucune désapprobation ni tentative de dissuasion de cette nature dans les conclusions des défendeurs ou des intervenants. Tous les participants admettent à l’évidence que la région, comme ceux qui y vivent et travaillent, a absolument besoin d’objectifs et de processus qui soient en harmonie et se renforcent mutuellement. Les objections soulevées par les défendeurs et les intervenants visent la méthode choisie par les demanderesses pour faire valoir leurs aspirations.

 

[243]       La présente demande de contrôle judiciaire porte, comme il est inévitable, sur une décision déterminée. La contestation de cette décision par les demanderesses a révélé que leurs préoccupations véritables se rapportent à des questions de principe et de pratique plus générales touchant l’aménagement de la région. C’est pour cette raison que leur premier choix en fait de mesures de réparation serait que la Cour ordonne et supervise la mise en œuvre d’un processus de négociation qui ferait reconnaître par la province aussi bien que par l’État fédéral leur protocole de consultation et le point de vue général qu’il exprime.   

 

[244]       Cependant, si l’on s’en tient aux questions et à la jurisprudence que la Cour est obligée de prendre en considération dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, je ne pense pas qu’on puisse dire que les demanderesses aient établi que la décision de la Commission soit entachée d’une quelconque erreur donnant lieu à révision. Même en admettant que l’obligation de consultation soit déclenchée dans la présente affaire, ce que je ne pense pas, cette obligation s’est trouvée remplie dans le cadre du processus d’examen de la demande de permis. De plus, j’estime que la présente demande soulève, sur les plans de la preuve et de la qualité pour agir, de graves problèmes qui interdisent d’accorder aux demanderesses les mesures de réparation qu’elles réclament. Mais rien de ce qui précède ne vise à critiquer leurs aspirations plus générales, et je suis heureux de constater, à l’examen des conclusions des défendeurs et des intervenants, qu’ils n’ont pas abordé la présente demande d’un point de vue politiquement défavorable : ils se sont plutôt concentrés sur la décision en litige et sur la jurisprudence relative à la consultation.

 

[245]       À l’audience, les demanderesses ont soutenu que la décision manquait à l’équité procédurale en ce qu’on leur avait refusé de l’information et la possibilité d’exposer leurs préoccupations devant la Commission. Elles se contentent d’affirmer que le dossier ne contient aucun élément de preuve établissant que la Commission et/ou AREVA aient recueilli les opinions traditionnelles ou aient tenu compte des questions qui les préoccupent. Cependant, mon examen du dossier révèle qu’il est rempli d’éléments infirmant cette allégation. AREVA applique un programme détaillé d’information, et l’on trouve de nombreuses lettres adressées aux demanderesses sur les activités relatives à la demande de permis qui nous occupe. Interrogé sur ces éléments de preuve à l’audience, l’avocat des demanderesses n’a pu fournir d’explication satisfaisante des contradictions entre leurs affirmations et ce que révèle le dossier.

 

[246]       Les demanderesses se plaignent aussi de ne pas avoir reçu tous les éléments d’information qu’elles avaient demandés, et dont elles avaient besoin pour prendre une décision éclairée sur le point de savoir si leurs droits étaient menacés. Il se peut en effet qu’elles n’aient pas reçu tout ce qu’elles voulaient et quand elles le voulaient, mais il faut aussi se rappeler que c’est sur le renouvellement d’un permis de longue date que la Commission avait à prononcer. Les demanderesses le savaient, comme elles n’ignoraient pas qu’aucune nouvelle activité n’était envisagée. Il faut prendre pour acquis qu’elles savaient quels étaient leurs droits sous le régime de l’article 35, et la durée d’exploitation antérieure de la mine de McClean Lake leur avait donné tout le temps et toute possibilité d’observer et de définir, le cas échéant, en quoi il était porté atteinte à ces droits. On leur a maintenant communiqué tous les éléments d’information nécessaires. Or elles n’ont toujours pas invoqué d’effet préjudiciable précis sur des droits ancestraux ou issus de traités.

 

[247]       Tout ce qu’a pu dire l’avocat des demanderesses dans sa plaidoirie est que ces dernières [TRADUCTION] « s’inquiétaient des conséquences possibles » du renouvellement du permis de McClean Lake et de l’incorporation dans ce permis des activités de surveillance et d’entretien afférentes au site de Midwest. Il n’a apporté aucune précision concernant les droits touchés ou un quelconque effet préjudiciable, ni d’ailleurs sur les questions générales de sûreté, de sécurité et de protection de l’environnement.

 

[248]       Les demanderesses soutiennent également qu’aucun élément du dossier n’indique qu’on ait pris leurs préoccupations en considération. Indépendamment du refus ou de l’incapacité des demanderesses de formuler sous le régime de l’article 35 des préoccupations précises auxquelles la Commission aurait pu répondre, il ressort à l’évidence du texte de sa décision qu’elle a examiné et pris en compte leurs sujets d’inquiétude. Ce dont les demanderesses semblent se plaindre, c’est que la Commission n’ait pas utilisé tout le processus de demande de permis pour les aider dans leurs négociations avec l’État provincial sur leur projet de protocole de consultation. Pour les motifs déjà exposés plus haut, et comme la Commission l’explique dans sa décision, cela dépassait sa compétence et n’était pas pertinent pour la question dont elle était saisie.

 

[249]       À l’audience de la présente instance, l’avocat des demanderesses a admis [TRADUCTION] « la possibilité que la décision n’ait aucun effet sur aucun des droits des demanderesses ». Le problème invoqué semble donc être que la Commission ne se soit pas suffisamment interrogée sur le point de savoir si sa décision pourrait avoir un tel effet. Les demanderesses font maintenant valoir que [TRADUCTION] « personne ne sait avec certitude ce que sera cet effet ».

 

[250]       J’estime non seulement que cette position est dépourvue du caractère substantiel nécessaire pour que la Cour envisage d’accorder les mesures de réparation demandées, mais aussi qu’elle témoigne d’un manque de sincérité. En effet, la mine de McClean Lake est exploitée en vertu d’un permis de longue date; toutes ses activités sont massivement réglementées; les demanderesses ont eu des années, et toutes les occasions nécessaires, pour établir en quoi, le cas échéant, elle portait atteinte à leurs droits; et le renouvellement du permis ne met en jeu ni nouvelles activités ni nouveaux effets sur les droits : il ne fait que maintenir le statu quo.

 

[251]       Les demanderesses soutiennent maintenant devant la Cour que, si aucun élément de preuve ne tendait à établir l’existence d’effets préjudiciables sur leurs droits, de tels effets étaient possibles en théorie. C’est sur le fondement de ce moyen qu’elles demandent à la Cour d’annuler le permis de McClean Lake et de prononcer la cessation des activités de la mine. Je ne puis imaginer de stratégie plus mal inspirée pour atteindre l’objectif général des demanderesses, à savoir l’accroissement de leur contrôle sur l’utilisation des terres et l’aménagement des ressources de leur région, question où il faut chercher le véritable motif de la présente demande.

 

[252]       Les demanderesses n’ont pas établi que la Commission était incompétente pour rendre la décision contrôlée, ni qu’elle avait manqué à l’équité procédurale en la rendant, ni que cette décision soit incorrecte ou déraisonnable sous quelque rapport que ce soit. Le succès de la mine de McClean Lake et son importance pour les habitants de la région sont suffisamment attestés par les demanderesses elles-mêmes, qui, à titre de membres de la société ABDLP, ont sans hésitation assuré la Commission qu’elles étaient [TRADUCTION] « persuadé[e]s que l’établissement actuel de McClean Lake partage[ait leur] objectif », de sorte qu’elles donnaient leur « plein appui au renouvellement du permis y afférent dans sa forme présente ».


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Toute partie et tout intervenant peuvent présenter à la Cour leurs observations sur la question des dépens. Ils le feront, au moins initialement, en la forme écrite.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1234‑09

 

INTITULÉ :                                      PREMIÈRE NATION DENESULINE DE FOND DU                   LAC, PREMIÈRE NATION DENESULINE DE             BLACK LAKE, PREMIÈRE NATION DENESULINE    DE HATCHET LAKE

et

COLLECTIVITÉS PROVINCIALES AUTOCHTONES (HORS PREMIÈRES NATIONS) DE CAMSELL PORTAGE, URANIUM CITY, STONY RAPIDS et WOLLASTON LAKE (collectivement désignées « Athabasca Regional Government »)

demanderesses

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

AREVA RESOURCES CANADA INC.

défendeurs

et

 

COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE et PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN

         

intervenants

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 septembre 2010


COMPARUTIONS :

 

Bruce Slusar                                                                             DEMANDERESSES

                                 

Scott Spencer                                                                           DÉFENDEUR

                                                                                                Procureur général du Canada

 

Marlon Miller                                                                           DÉFENDEUR

                                                                                                Procureur général du Canada

 

Douglas C. Hodson                                                                  DÉFENDERESSE

                                                                                                Areva Resources Canada Inc.

 

Vanessa M. Enweani                                                                DÉFENDERESSE

                                                                                                Areva Resources Canada Inc.

 

Michael  A. James                                                                    INTERVENANTE      

Commission canadienne de sûreté nucléaire

 

James Fyfe                                                                               INTERVENANT

                                                                                                Procureur général de la  

Saskatchewan

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

 

Bruce J. Slusar

Avocat

Saskatoon (Saskatchewan)                                                       DEMANDERESSES

 

 

Myles J. Kirvan                                                                        DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

 

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