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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100921

Dossier : IMM-795-10

Référence : 2010 CF 941

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 21 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

CAO, CHAO QIAO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Chao Qiao Cao, le demandeur, est un citoyen de la République populaire de Chine (la Chine) âgé de 27 ans. En raison de son poste de chef cuisinier dans la succursale d’Urumqi d’une grande chaîne de restaurants en Chine, il s’est vu offert un poste de cuisinier dans un nouveau restaurant chinois à Rouyn-Noranda (Québec). Il conteste la légalité de la décision rendue par un agent des visas (l’agent) par laquelle il a refusé sa demande de permis de travail temporaire.

 

 

[2]               L’agent n’est pas convaincu que le demandeur est un véritable visiteur qui quittera le Canada à l’expiration de son permis de travail, notamment parce que ce dernier n’a pas suffisamment de liens avec la Chine sur le plan financier et sur le plan personnel. La famille du demandeur est petite, son salaire en Chine est modeste compte tenu de son poste relativement élevé, il a peu de possibilités d’avancements en Chine et il n’acquerra pas d’expérience pratique utilisable à son retour en Chine.

 

[3]               L’examen des faits de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 614, 347 F.T.R. 24, paragraphe 19). Pour les raisons énoncées ci-après, la Cour estime que la conclusion de l’agent ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[4]               Il incombe au demandeur de prouver à l’agent qu’il est un véritable visiteur au Canada et qu’il quittera bel et bien le pays lorsque son permis de travail temporaire aura expiré. Un élément important de cette preuve consiste à établir l’existence de liens suffisants avec le pays d’origine. Il est évident, à la lecture du dossier, que le demandeur n’a eu aucune difficulté dans les circonstances à s’acquitter de ce fardeau.

 

[5]               En matière de contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Ainsi, une décision qui est théoriquement fondée sur les faits de l’espèce, mais qui, en réalité, est fondée sur des généralités et des suppositions ne respecte pas cette norme.

 

[6]               Essentiellement, l’agent a rejeté la demande de permis de travail temporaire présentée par le demandeur, car l’attrait de rester au Canada est fort. Toutefois, compte tenu de la preuve et de la jurisprudence, une telle supposition est tout simplement insuffisante pour justifier ce résultat. Plus précisément, l’analyse de l’agent est superficielle et n’est pas axée sur le présent dossier.

 

[7]               Comme c’est le cas pour pratiquement tous les demandeurs de permis de travail temporaire, il existe un incitatif financier à travailler au Canada. Ce fait ne devrait pas jouer contre un demandeur, car cela se traduirait par le rejet de la grande majorité des demandes (Rengasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1229, 86 Imm. L.R. (3d) 106, paragraphe 14). Il doit y avoir des raisons objectives pour douter de la motivation d’un demandeur. Des tentatives passées d’immigration, des séjours indûment prolongés dans d’autres pays, un passé criminel, peuvent, par exemple, constituer une raison suffisante de mettre en doute l’intention du demandeur de quitter le Canada à la fin de la période autorisée.

 

[8]               En l’espèce, l’agent n’a pas suffisamment pris en compte le fait que les liens familiaux du demandeur avec la Chine sont plutôt forts, puisqu’aucun membre de sa famille n’habite ailleurs (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, 76 Imm. L.R. (3d) 265, paragraphe 30), et que les liens du demandeur avec la Chine peuvent être prouvés, car ils sont étayés par tous les documents requis ainsi que par des documents additionnels :

a.       Le demandeur a une épouse et un enfant (le nombre maximal permis selon la politique chinoise de l’enfant unique) qui resteront tous les deux en Chine;

b.      Les parents et le frère du demandeur restent aussi en Chine;

c.       L’épouse du demandeur est propriétaire d’une résidence en Chine, comme en témoigne la copie de l’acte, dont l’agent n’a pas fait mention;

d.      Le demandeur et son épouse ont économisé un montant d’argent important, comme en témoigne une photocopie du certificat bancaire (l’agent a affirmé que la photocopie était de piètre qualité et ne comportait aucun élément de sécurité; cependant, une photocopie était tout ce qui était requis et l’agent n’a fait aucun examen du document original).

 

[9]               Dans la décision Dhanoa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CarswellNat 2159, 2009 CF 729 (Dhanoa), la Cour a récemment annulé le refus d’accorder un permis de travail temporaire parce que l’agent n’était pas convaincu que les liens familiaux du demandeur avec l’Inde étaient suffisants pour l’emporter sur les possibilités offertes au Canada sur le plan socioéconomique. M. Dhanoa s’est vu offert un emploi de travailleur dans la construction au Canada et toucherait un salaire beaucoup plus élevé que celui qu’il gagnait en Inde. Par contre, il était marié et avait deux enfants, travaillait à la ferme familiale et n’avait jamais voyagé.

 

[10]           Plus précisément, mon collègue le juge Harrington écrit ceci au paragraphe 16 :

La simple pensée [que le demandeur] puisse abandonner femme et enfants afin de profiter de meilleures possibilités socioéconomiques au Canada est de mauvais goût. Il est plutôt moralisateur de laisser entendre que notre société est plus attrayante pour lui que l’Inde, où il serait au sein de sa famille, simplement parce qu’il aurait 30 pièces d’argent de plus dans ses poches. Comme le disait Timothée 6 : 10, « Car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. »

 

 

 

[11]           La décision contestée était déraisonnable non seulement parce qu’elle était fondée sur des stéréotypes, mais aussi parce qu’elle reposait, comme raison principale pour le refus d’accepter cette personne, sur le facteur qui pourrait induire une personne à venir ici de façon temporaire (Dhanoa, paragraphe 18). Mais, en l’espèce, il y a lieu d’élaborer davantage. En plus d’avoir fourni toute la documentation nécessaire pour étayer les liens susmentionnés avec la Chine, le demandeur a produit une déclaration dont la valeur probante et la pertinence n’ont pas été sérieusement contestées ou mises en doute par l’agent ou le défendeur.

 

[12]           Cette déclaration traite précisément de la question de la prorogation indue d’un permis de travail temporaire. Le demandeur souligne aux paragraphes 8 et 9 que son employeur canadien et son conseiller en immigration l’ont informé des conséquences d’un séjour indûment prolongé au Canada :

[traduction] 

8. Mon employeur canadien m’a aussi averti que je dois me conformer aux lois et aux règlements canadiens, et que, donc, je dois quitter le Canada avant l’expiration de mon permis de travail, à défaut de quoi mon employeur me congédiera sur-le-champ et me retirera mes avantages, et ce, sans indemnité. Je comprends bien cet avertissement.

 

9. Mon conseiller m’a expliqué en détail et m’a averti que si je ne respectais pas ma promesse et que je ne quittais pas le Canada avant la date d’expiration de mon permis de travail, je deviendrais un immigrant illégal et je perdrais mon statut et mes avantages de travailleur étranger, je serais frappé par les sanctions prévues par les lois canadiennes, je serais déporté et je ne pourrais pas retourner au Canada. Il y aura aussi des répercussions sur mes possibilités de me rendre dans d’autres pays. Les membres de ma famille pourraient même être privés de la possibilité d’aller au Canada ou dans d’autres pays pour travailler, étudier ou résider, etc. Je comprends tout cela. C’est pourquoi je ne prorogerai pas indûment mon séjour au Canada, car je ne suis pas bête au point de gâcher mon avenir et celui de ma famille.

 

 

 

 

 

[13]           La décision de soumettre la déclaration du demandeur n’est pas un geste banal. La déclaration est une affirmation claire que le demandeur comprend les conséquences d’un prolongement indu de séjour au Canada, et pour cette raison, il n’aura pas lieu. Cette déclaration ne peut être présumée vraie, car les considérations de principe d’une telle approche générale seraient désastreuses : un demandeur n’aurait qu’à soumettre une déclaration semblable afin de « prouver » qu’il ne prorogera pas indûment son permis de travail temporaire. Cependant, les affirmations formulées dans cette déclaration doivent être examinées par l’agent au regard de l’ensemble de la preuve et de la situation personnelle du demandeur.

 

[14]           En l’espèce, l’avocat du défendeur a souligné le fait que l’utilité de l’expérience de travail acquise dans un petit restaurant chinois à Rouyn-Noranda est discutable, compte tenu notamment du manque de possibilités d’avancement chez son employeur actuel. Cependant, aucune preuve mettant en doute la validité de l’offre d’emploi ou tout autre élément des prétentions du demandeur n’a été produite. Si la crédibilité était en litige, l’agent aurait dû en faire part.

 

[15]           En définitive, la Cour souligne que le demandeur a fait tout ce qui était en son pouvoir pour convaincre l’agent qu’il quitterait le Canada dès que son permis de travail serait expiré. La conclusion tirée par l’agent que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve est déraisonnable et doit être rejetée. L’affaire sera renvoyée à l’ambassade canadienne à Beijing (Chine) pour nouvel examen par un autre agent des visas. Aucune question de portée générale n'a été soulevée et aucune n'est certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de l’agent de refuser la délivrance d’un permis de travail temporaire est rejetée et l’affaire est envoyée à l’ambassade canadienne à Beijing (Chine) pour nouvel examen par un autre agent des visas.

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-795-10

 

INTITULÉ :                                       CAO, CHAO QIAO

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 21 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

Sylviane Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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