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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100916

Dossier : T-2103-09

Référence : 2010 CF 925

[Traduction certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2010

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

ARBOUR RECYCLED PRODUCTS

demanderesse

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

RICHES, MCKENZIE & HERBERT LLP

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté, en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 [la LMC], d’une décision du registraire des marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (le registraire). Le registraire a décidé que la marque de commerce de la demanderesse, ARBOUR & DESIGN, enregistrement no TMA416,409 (la marque), devrait être radiée du Registre des marques de commerce (le Registre) du fait que la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve de l’emploi en réponse à un avis envoyé en application du paragraphe 45(1) de la LMC (avis prévu à l’article 45). Pour les motifs qui suivent, l’appel sera accueilli en partie.

I.       Le contexte

[2]               La demanderesse a enregistré initialement la marque le 3 septembre 1993. Elle a renouvelé son enregistrement en septembre 2008 en payant le droit réglementaire. Les marchandises suivantes sont énumérées dans l’enregistrement de la marque :

Papier écriture fin recyclé, papier à dessin recyclé, enveloppes recyclées, papier à ordinateur recyclé, blocs de papier recyclé, carton recyclé, chemise de classement recyclé, étiquettes de papier recyclé, cartes de souhaits de papier recyclé, tasse de voyage en plastique recyclé, boîtes de recyclage en plastique recyclé, sacs à provisions en coton non blanchi.

 

[3]               Les services suivants sont aussi énumérés dans l’enregistrement :

Photocopie, impression (p. ex., cartes professionnelles, papier à

en-tête, enveloppes, dépliants, invitations, affiches, rapports, blocs, étiquettes) sur papier recyclé avec des encres à base d’huile végétale, mise en page et composition.

 

[4]               Le défendeur, Riches, McKenzie & Herbert LLP, a demandé au registraire d’émettre l’avis prévu à l’article 45 à la demanderesse. En date du 22 juin 2009, le registraire a envoyé à la demanderesse, comme demandé, l’avis prévu à l’article 45 lui demandant de fournir une preuve de l’emploi de la marque avant la période de trois ans précédente. La demanderesse allègue qu’elle n’a jamais reçu l’avis. En date du 28 octobre 2009, le registraire a envoyé un deuxième avis à la demanderesse lui mentionnant qu’en raison de l’absence de preuve de l’emploi, la marque sera radiée du Registre conformément au paragraphe 45(5) de la LMC, sauf si appel est interjeté en vertu de l’article 56. La demanderesse a reçu ce deuxième avis.

 

[5]               La demanderesse interjette appel de la décision du registraire de son enregistrement au Registre. Aux fins du présent appel, la demanderesse a soumis un affidavit souscrit par M. Sean Twomey, copropriétaire et cofondateur de la demanderesse. M. Twomey y indique que la demanderesse n’a jamais reçu l’avis prévu à l’article 45 original et qu’elle n’était donc pas au fait de l’obligation de produire une preuve de l’emploi. Il explique ensuite l’emploi de la marque par la demanderesse durant la période en cause. Plus précisément, M. Twomey mentionne que la demanderesse a vendu des sacs à provisions en coton non blanchi pendant la période en cause, chaque sac portant la marque en litige. Les éléments suivants étaient joints à l’affidavit : trois reçus de vente, faisant état des ventes pendant la période en cause, ainsi que des photos des sacs. M. Twomey ne prétend pas qu’il y a eu emploi de la marque pendant la période en cause en association avec les autres marchandises ou services énumérés dans l’enregistrement TMA416,409.

 

[6]                La demanderesse demande à la Cour d’annuler la décision du registraire et de rétablir le statut initial de la marque. Ni l’un ni l’autre des défendeurs n’a déposé un avis de comparution ou n’a présenté des observations à la Cour quant au bien-fondé de cette cause.

 

II.    Analyse

A.     La nouvelle preuve

[7]               Avant de me pencher sur le bien-fondé du présent appel, je dois tout d’abord déterminer si la preuve par l’affidavit de M. Twomey au sujet de l’emploi de la marque peut être acceptée par la Cour, étant donné qu’aucune preuve n’a été fournie au registraire. Le paragraphe 56(5) de la LMC mentionne que « [l]ors de l’appel [d’une décision du registraire], il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire […] » La Cour d’appel fédérale affirme clairement qu’une nouvelle preuve peut être produite en appel même si aucune preuve n’a été initialement fournie au registraire en réponse à l’avis donné en vertu de l’article 45 (Austin Nichols & Co., Inc. c Cinnabon Inc., [1998] 4 C.F. 569, paragraphe 17, 82 CPR (3d) 513 (CA)). Le même principe a été appliqué par la Cour (Vêtement Multi-Wear Inc. c. Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2008 CF 1237, paragraphe 17, 73 CPR (4th) 3 [Multi-Wear]).

 

[8]               En l’espèce, la demanderesse allègue ne jamais avoir reçu l’avis prévu à l’article 45. Elle n’était donc pas au courant de l’obligation de répondre en fournissant une preuve de l’emploi. Il est évident, selon les décisions susmentionnées que, dans ces conditions, la demanderesse a le droit de fournir ses nouveaux éléments de preuve (à savoir l’affidavit de M. Twomey) pour examen dans le présent appel.

 

B.     La norme de contrôle

[9]               La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F.145, au paragraphe 51, 5 CPR (4th) 180 (CA), a conclu que lorsque, en vertu de l’article 56 de la LMC, la présentation d’une preuve additionnelle peut « avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire », la norme de contrôle correcte est celle de la décision correcte. Le juge Shore, dans la décision Multi-Wear, précitée, au paragraphe 16, a appliqué ce principe dans un cas semblable celui dont la Cour est saisie. Il a conclu que « puisque la décision du registraire était basée une omission de fournir la preuve de l’usage […] la preuve additionnelle de l’usage produite […] a une valeur probante; par conséquent, la norme de contrôle […] est la décision correcte ». C’est également le cas en l’espèce – aucune preuve de l’emploi n’a été soumise au registraire. Une preuve de l’emploi est soumise à la Cour. Ainsi, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

C.     La preuve de l’emploi

[10]           Afin d’obtenir le gain de cause dans le présent appel, la demanderesse doit satisfaire aux critères fixés par l’article 45 de la LMC. Selon le paragraphe 45(1), il est évident qu’en réponse à un avis prévu à l’article 45, le propriétaire enregistré de la marque de commerce en cause doit fournir une preuve établissant « à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédents la date de l’avis » (non souligné dans l’original) et dans la négative, il doit expliquer pourquoi. Il est prévu au paragraphe 45(3) que l’enregistrement d’une marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence s’il apparaît que, soit « à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés […] soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou l’un de ces services, [la marque de commerce] n’a pas été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans » (non souligné dans l’original) sauf si le défaut d’emploi a été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient.

 

[11]           L’« emploi » qui doit être démontré doit être l’« emploi » au sens de l’article 4 de la LMC (Plough (Canada) Ltd c. Aerosol Fillers Inc., [1981] 1 CF 679, paragraphe 11, 34 NR 39 (CA); Guido Berlucchi & C. S.r.l. c. Brouillette Kosie Prince, 2007 C.F. 245, 56 CPR (4th) 401, paragraphe 18). Les paragraphes 4(1) et 4(2) de la LMC sont rédigés comme suit :

Quand une marque de commerce est réputée employée

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

Idem

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

When deemed to be used

 

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

 

 

Idem

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

 

 

[12]            Bien qu’il incombe au propriétaire enregistré de démontrer l’emploi en liaison avec chaque marchandise et service énumérés, la jurisprudence énonce clairement que le fardeau de la preuve n’est pas lourd. Il suffit que le propriétaire fournisse une preuve prima facie d’emploi (voir, par exemple, la décision Guido Berlucchi, précitée, paragraphe 18; Brouillette Kosie Prince c. Great Harvest Franchising, 2009 C.F. 48, 77 CPR (4th) 247, paragraphe 32). Comme l’a mentionné la Cour dans Philip Morris c. Imperial Tobacco Ltd (1987), 13 C.P.R. (3d) 289, 8 F.T.R. 310 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12 :

La preuve d’une seule vente, en gros ou en détail, effectuée dans la pratique normale du commerce peut suffire, dans la mesure où il s’agit d’une véritable transaction commerciale et qu’elle n’est pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l’enregistrement de la marque de commerce. La preuve qui donne suite à l’avis de l’[art. 45] doit se fonder sur la qualité, non la quantité, et une preuve surabondante serait inutile et injustifiable.

 

 

[13]           Que le fardeau de la preuve ne soit pas lourd, selon le libellé de l’article 45 de la LMC, à moins de circonstances spéciales, il est clair que l’emploi doit être démontré en liaison avec chacune des marchandises et chacun des services énumérés dans l’enregistrement. Le juge Barnes a récemment souligné cette exigence dans la décision Tucumcari Aero, Inc. c. Cassels, Brock & Blackwell S.R.L. 2010 C.F. 267, 81 C.P.R. (4th) 372, au paragraphe 20, où il mentionnait que, aux fins de l’application de l’article 45, « la preuve doit démontrer que la marque de commerce a été employée en liaison avec chacune des marchandises spécifiées dans l’enregistrement ». Dans le même ordre d’idée, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt John Labatt Ltd c. Rainier Brewing Co. (1984), 80 C.P.R. (2d) 228 page 236, 50 NR 296 (CAF), a mentionné que :

Si [le propriétaire enregistré] prouve que la marque y est employée à l’égard de la totalité des marchandises spécifiées, manifestement l’enregistrement ne doit pas être touché. Si, en revanche, il indique que la marque est employée au Canada à l’égard d’une partie, mais non de la totalité des marchandises, l’enregistrement est susceptible de modification. [non souligné dans l’original]

 

[14]           En l’espèce, grâce à une combinaison des déclarations par affidavit de M. Twomey à l’égard des ventes de sacs de provisions et des photocopies des reçus de vente faisant état de leur vente pendant la période de trois ans en cause, la demanderesse s’est acquittée de son fardeau de démontrer l’emploi de la marque en liaison avec les « sacs de provisions en coton non blanchi ». Cependant, la demanderesse n’a pas fourni de preuve à l’égard des autres marchandises (p. ex., les articles de papier, les tasses de voyages, etc.) ou des autres services énumérés (p. ex., photocopie, impression, etc.) dans l’enregistrement. Elle n’a fourni non plus aucune explication pour l’absence d’emploi de la marque en liaison avec ces marchandises et ces services qui pourrait être considérée comme une « circonstance spéciale ». Bien que la demanderesse renvoie à des plans pour une utilisation élargie de la marque, la jurisprudence établit clairement que les plans d’emploi futur n’expliquent pas la période de non-emploi et ne sauraient donc constituer des circonstances spéciales au sens du paragraphe 45(3) (voir Les Papiers Scott Limitée c. Canada (Procureur général), 2008 C.A.F. 129, 291 DLR (4th) 660, au paragraphe 28).

 

III. Conclusion

[15]           Le présent appel est accueilli en partie. La décision du registraire de radier l’enregistrement TMA416,409 du Registre est annulée à l’égard des « sacs de provisions en coton non blanchi ». Bien que l’enregistrement demeure au Registre, les autres marchandises et services énumérés seront supprimés.

 


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE en partie le présent appel et ordonne :

1.                  la décision du registraire (c.-à-d., la décision portant que l’enregistrement TMA416,409 devrait être radié du Registre) est annulée;

2.                  l’enregistrement TMA416,409 pour la marque de commerce ARBOUR & DESIGN doit être maintenu au Registre, mais avec des modifications visant à supprimer tous services et marchandises autres que les « sacs de provisions en coton non blanchi »;

3.                  il n’est pas adjugé de dépens.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2103-09

 

INTITULÉ :                                       ARBOUR RECYCLED PRODUCTS

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

RICHES, MCKENZIE & HERBERT LLP

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE

(PAR VIDÉOCONFÉRENCE) :      Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS 

ET DU JUGEMENT :                       Le 16 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen B. Acker                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Marisa Victor

                                                                                               

Aucune comparution                                                                 POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP                                             POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

                                                                                               

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada                                          

 

 

 

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