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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100917

Dossier : T-290-09

Référence : 2010 CF 935

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

JAIME H. ORTIZ

demandeur

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Pendant bon nombre d’années, M. Ortiz a fourni des services de traduction de l’espagnol vers l’anglais à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). Il a travaillé dans la région du Grand Toronto, principalement dans deux centres de détention. Il a signé une série de contrats d’un an, dont le dernier a été signé en 2006. Cependant, il n’a eu aucun travail cette année-là. Il a pris la décision de porter plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en faisant valoir qu’il était victime de discrimination à cause de son âge. La Commission a nommé une enquêteuse, qui a déclaré qu’à son avis la preuve n’appuyait pas les prétentions de M. Ortiz. Plutôt que de nommer un conciliateur ou de renvoyer l’affaire devant le Tribunal canadien des droits de la personne pour une audience complète, la Commission a approuvé le rapport et a rejeté la plainte. M. Ortiz a demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               L’enquêteuse s’est déclarée compétente, car indépendamment du fait que M. Ortiz était un employé, comme il l’a fait valoir, ou un entrepreneur indépendant, comme l’a fait valoir la CISR, on a eu recours à ses services et la question de la discrimination pouvait donc être examinée.

 

[3]               La demande de contrôle judiciaire de M. Ortiz s’appuie sur deux arguments. Le premier fait valoir que l’enquêteuse a effectué son travail de manière inéquitable d’un point de vue procédural. Le deuxième fait valoir que la décision de la Commission de rejeter sa plainte était déraisonnable.

 

[4]               M. Ortiz, qui se représentait lui-même, n’avait pas une idée claire des recours qui lui étaient offerts lors du contrôle judiciaire. Il a demandé l’adjudication des dépens, incluant le salaire qu’il aurait gagné de janvier 2006 jusqu’à la date de dépôt de son mémoire des faits et du droit, c’est-à-dire en juin de cette année. Je lui ai expliqué que dans le cas où j’accueillerais sa demande, la réparation consisterait à renvoyer l’affaire devant la Commission pour qu’une nouvelle enquête soit tenue. Les dépens adjugés par notre Cour n’incluent pas les revenus d’emploi perdus.

 

[5]               Les prétentions selon lesquelles la procédure était inéquitable se fondent sur le fait que l’enquêteuse a interrogé sept témoins proposés par la CISR, mais seulement un des quatre témoins proposés par M. Ortiz. Ce dernier a été interrogé au téléphone et il fait valoir qu’il aurait dû être interrogé en personne. De plus, il a déclaré qu’on ne lui a pas accordé l’occasion équitable de répondre aux arguments avancés par la CISR. Il a indiqué que si l’examen avait été complet, l’enquêteuse aurait conclu qu’il avait été victime de discrimination.

 

[6]               La réponse simple est que même si l’enquête était inéquitable du point de vue procédural, et je conclus expressément que ce n’était pas le cas, l’issue d’une autre enquête serait forcément la même. C’est un fait indéniable que M. Ortiz, qui était dans la mi-cinquantaine, était plus jeune d’un an que la moyenne d’âge des interprètes employés à l’époque par la CISR (Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, 163 N.R. 27). S’il y a eu discrimination, celle-ci ne pouvait être fondée sur l’âge.

 

[7]               En vérité, M. Ortiz se plaint d’avoir été maltraité par Mme Rita Prashad, la directrice de la Section des interprètes et des enregistrements de la CIDR – région du centre parce qu’elle ne l’aimait pas et parce qu’il agissait comme organisateur syndical. C’est elle qui a décidé qu’il ne fallait plus lui donner de travail. Même si ces assertions sont véridiques, les recours dont M. Ortiz dispose n’incluent pas l’intervention de la Commission. Les fondements de la compétence de la Commission sont les motifs de discrimination qui sont interdits en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, c’est-à-dire « la  race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience » (article 3).

 

[8]               La situation est devenue critique en décembre 2005 lorsque, selon la CISR, M. Ortiz ne s’est pas présenté à une audience dans un centre de détention. Il a déclaré qu’on lui avait fait comprendre que cela avait entraîné son congédiement. Le coordinateur l’aurait informé que Mme Prashad lui avait dit ne plus appeler M. Ortiz à l’avenir. M. Ortiz a appelé Mme Prashad, et voici ce dont il se rappelle de leur conversation :

[traduction] Mme Prashad m’a dit que « la suspension allait être longue » et lorsque je lui ai demandé à nouveau de donner ses motifs, Mme Prashad a dit « vous êtes toujours en retard, si vous étiez plus jeune, peut-être que les choses seraient différentes ».

 

[Mis en évidence par M. Ortiz.]

 

 

Mme Prashad nie avoir fait quelque commentaire que ce soit concernant l’âge. Bien que M. Ortiz n’ait reçu aucun travail pendant un certain temps, on lui a offert un nouveau contrat pour 2006 et il l’a signé. La CISR dit avoir essayé de le joindre pour lui offrir du travail, mais il n’a jamais répondu. M. Ortiz nie avoir été appelé, mais d’un autre côté il admet n’avoir jamais appelé la CISR pour obtenir du travail en 2006.

 

[9]               L’enquêteuse a conclu que le fait que M. Ortiz n’a pas eu d’offres d’emploi au cours de l’année 2006 résultait des violations de contrat causées par le fait qu’il arrivait en retard au travail, ou qu’il ne se présentait pas du tout, et qu’il n’avait pas donné ses disponibilités. Les conclusions de l’enquêteuse reposaient largement sur les conclusions de crédibilité et rien dans le dossier ne permet de dire que ses conclusions n’ont pas été réfléchies et qu’elles n’étaient pas raisonnables. En vérité, M. Ortiz désire que la Cour soupèse la preuve à nouveau.

 

[10]           La CISR fait valoir qu’en 2003 et 2004, après le dépôt de plaintes concernant le fait que des interprètes arrivaient en retard, dix interprètes, dont M. Ortiz, ont reçu des avertissements. Il a reçu le sien en septembre 2004. Bien que M. Ortiz se souvienne avoir assisté à une réunion, il a dit qu’il n’y avait pas été question d’un avertissement.

 

[11]           Entre cette date et le 20 décembre 2005, il a été en retard 41 fois et ne s’est pas présenté à deux reprises. L’élément culminant s’est produit lorsqu’il ne s’est pas présenté à un centre de détention le 20 décembre 2005. Il a déclaré qu’il s’était présenté, mais que le centre faisait l’objet d’un confinement cellulaire et qu’il a appelé la CISR pour le rapporter. La personne qu’il dit avoir contactée n’en a aucun souvenir. Le dossier de la CISR indique qu’il devait se présenter dans un autre centre et que la seule interprétation qui devait être faite au centre de détention où il dit s’être présenté était une interprétation du polonais vers l’anglais et qu’elle avait eu lieu, c’est‑à‑dire qu’il n’y a pas eu de confinement cellulaire.

 

[12]           Bien que M. Ortiz admette qu’il a été en retard à quelques occasions, il a déclaré que les feuilles de présence qui montraient qu’il avait été en retard à environ 40 reprises avaient été falsifiées. Plus particulièrement, il dit qu’il devait signer les feuilles de présence personnellement. Les feuilles en question n’étaient pas signées. Cependant, un témoin choisi par le demandeur a confirmé l’argument de la CISR selon lequel les interprètes signaient parfois les feuilles, alors qu’à d’autres moments on les signait à leur place. M. Ortiz a eu l’occasion de contester la véracité des dossiers, mais il n’a pas fourni son propre journal des événements pour les jours en question.

 

[13]           En ce qui concerne le manque de travail en 2006, la CISR fait valoir qu’elle appelait les interprètes et vice versa. M. Ortiz plaide que la politique était « pas la peine d’appeler, on vous appellera ». Toutefois, le témoin qu’il a désigné a confirmé l’argument de la CISR.

 

[14]           En ce qui concerne les trois autres témoins potentiels désignés par M. Ortiz, l’enquêteuse a indiqué dans son rapport qu’ils n’étaient pas disposés à parler ou qu’ils demandaient des conditions impossibles à satisfaire. Même si l’argument de M. Ortiz selon lequel ils avaient peur des représailles en raison du fait qu’il y avait trop d’interprètes pour la quantité de travail disponible et que le favoritisme jouait un rôle était fondé, je précise encore une fois qu’il ne peut s’appuyer sur la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[15]           L’enquêteuse jouissait d’une latitude considérable dans la façon de mener son enquête. La jurisprudence a été passée en revue par le juge Zinn dans McFadyen c. Canada (Procureur général), 2009 CF 78, 340 F.T.R. 221, et Tinney c. Canada (Procureur général), 2010 CF 605, [2010] A.C.F. n 744 (QL). Je n’ai rien à ajouter aux propos du juge Zinn figurant au paragraphe 45 de McFadyen :

Cinquièmement, le demandeur prétend que l’enquête n’était pas rigoureuse, puisque l’enquêteuse a omis d’interroger [traduction] « bon nombre de décideurs liés de façon cruciale » à l’ARC.  Cette prétention ne peut être soutenue.  Premièrement, je constate que l’enquêteuse a interrogé les décideurs les plus importants de l’ARC, à savoir Mmes McGetchie et McKenny, et qu’elle a eu, en outre, un entretien avec Mme Erskine qui était agente principale des décisions à l’ARC.  Le juge Nadon, qui siégeait alors à la Cour fédérale — Section de première instance, avait fait remarquer, au par. 69 de la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, que le fait que l’enquêteuse n’interroge pas toutes les personnes que le demandeur a proposées comme témoins ne rend pas nécessairement le rapport invalide. L’enquêteuse est maître de sa propre procédure.  Les enquêteurs possèdent de l’expérience et des connaissances dans ce domaine, et il faut leur accorder beaucoup de latitude dans la façon de mener leurs enquêtes.  Lorsque, comme en l’espèce, des témoins clés sont interrogés, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard d’une conclusion portant que l’enquête est entachée d’un vice parce que les autres témoins n’ont pas été interrogés, sauf s’il est prouvé de façon claire et convaincante que ceux qui n’ont pas été interrogés détenaient des éléments de preuve cruciaux.  Il n’y a aucune preuve de cette nature en l’espèce, et je conclus que la décision de l’enquêteuse d’interroger certaines personnes plutôt que d’autres était raisonnable.

 

 

[16]           Conformément à la pratique de la Commission, le rapport de l’enquêteuse et les commentaires de la CISR ont été communiqués à M. Ortiz et celui-ci a eu l’entière possibilité d’y répliquer.

 

[17]           Pour résumer, l’enquêteuse a accompli son travail de manière équitable et raisonnable. Son rapport et les conclusions qu’il contient étaient mûrement réfléchis et raisonnables, tout comme l’était la décision de la Commission de rejeter la plainte plutôt que de prolonger l’examen ou de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

 

[18]           En ce qui concerne les dépens, au cours de l’audience j’ai expliqué aux deux parties que la Cour préfère de loin accorder une somme globale pour les dépens et d’en fixer le montant, que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie ou non.

 

[19]           M. Ortiz a plaidé que le fait de voir sa demande rejetée constituerait une peine suffisante. Même si cet argument était fondé, je précise qu’il n’a pas été pénalisé par la Commission. J’ai accordé la somme globale de 1500 $ pour les dépens au défendeur, ce qui est très peu, car si j’avais inclus tous les frais juridiques, cela aurait entraîné l’adjudication d’une somme manifestement plus élevée.


ORDONNANCE

 

            POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS, LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée et que les dépens, d’une somme totale de 1500 $, soient adjugés au défendeur.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        T-290-09

 

INTITULÉ :                                       Jaime H. Ortiz c. Procureur général du Canada

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 15 septembre 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 17 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jaime H. Ortiz

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Gillian Patterson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jaime H. Ortiz

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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