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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20100920

Dossier : IMM-5405-10

Référence : 2010 CF 938

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 20 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

ORLANDO SANABRIA VARGAS, GLADYS SANCHEZ,

ANA MARIA SANABRIA SANCHEZ, DAYANA SANABRIA

demandeurs

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Les demandeurs ont présenté une requête, avec un court préavis, en vue d’obtenir une ordonnance de sursis à leur renvoi du Canada vers la Colombie, qui est actuellement prévu pour le mardi 21 septembre 2010.Ils sollicitent une suspension en attendant qu’une décision définitive soit rendue à l’égard de leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’un refus de reporter leur renvoi.

 

  • [2] J’ai examiné les documents écrits et les observations valables présentés par les deux avocats et je me suis penché sur le critère conjonctif en trois volets énoncé dans l’arrêt Toth c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (1988) 86 N.R. 302 (C.A.F.) et le seuil plus élevé de « vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie » établi par notre Cour dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2001] 3 CF 682, où un demandeur sollicite le contrôle judiciaire du refus d’un agent d’exécution d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de reporter son renvoi.J’ai conclu que cette requête doit être rejetée.

 

  • [3] Les demandeurs sont les membres d’une même famille.Orlando Sanabria Vargas, le demandeur principal, a quitté la Colombie le 31 octobre 1987 et est entré illégalement aux États-Unis d’Amérique.Il a prétendu l’avoir fait pour s’échapper des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC - Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo).Il a été appréhendé, mais il a violé les conditions de sa libération sous caution et est resté aux États-Unis.Son épouse, Gladys Sanchez, et sa fille Ana Maria Sanabria Sanchez l’ont rejoint aux États-Unis en septembre 1989.Pendant qu’il vivait aux États-Unis, le couple a eu deux autres enfants, Orlando Sanabria et Dayana Sanabria; les deux sont des citoyens des États-Unis.La famille est entrée au Canada en provenance des États-Unis le 3 avril 2008 et a présenté une demande d’asile fondée sur l’expérience du père avec les FARC.Orlando est retourné aux États-Unis et s’est engagé dans les forces armées.

 

  • [4] La demande d’asile a été rejetée par la Commission le 13 juillet 2009, et une demande subséquente d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par notre Cour le 2 novembre 2009.

 

  • [5] Les demandeurs ont ensuite déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) le 8 septembre 2009.Le 24 février 2010, une décision défavorable a été rendue à l’égard de la demande d’ERAR.Une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par notre Cour le 4 mai 2010.

 

  • [6] Le 3 mars 2010, les demandeurs ont demandé et obtenu un report du renvoi pour que Dayana Sanabria puisse terminer sa 10e année scolaire.

 

  • [7] Le 22 mars 2010, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, qui est toujours en suspens.

 

  • [8] Le 2 septembre 2010, on a signifié aux demandeurs l’ordre de se présenter qui prévoyait le renvoi dont ils demandent maintenant le sursis.Dans une lettre datée du 13 septembre 2010, les demandeurs ont demandé le report du renvoi en Colombie.Une décision défavorable à l’égard de cette demande a été rendue le 16 septembre 2010.C’est cette décision qui sous-tend la présente requête.

 

  • [9] La demande de report exposait deux fondements de la demande : le premier était propre à Ana et le second était propre à Dayana.Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, d’après les documents soumis à la Cour, il serait possible de surseoir au renvoi d’Ana, ce qui lui permettrait de demeurer au Canada, tout en rejetant la demande de sursis pour les autres membres de la famille.Comme Dayana est mineure (elle est âgée de 16 ans) si un sursis lui était accordé, le renvoi de ses parents devrait aussi être suspendu.Tel n’est pas le cas pour Ana, qui est âgée de 26 ans.Elle est adulte et peut prendre soin d’elle-même.Je souligne qu’elle a aussi une partenaire au Canada.

 

  • [10] La demande de report est fondée en premier lieu sur le fait qu’Ana a deux demandes en instance.La première est adressée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin de rouvrir sa demande d’asile, et la deuxième est une deuxième demande d’ERAR.Les deux sont basées sur son orientation sexuelle; Ana est lesbienne.Elle déclare que ce fait pertinent n’a pas été soulevé comme motif de risque dans la première demande d’asile en raison de l’incompétence de l’avocat (contre qui une plainte a été déposée auprès du Barreau du Haut-Canada) ni dans sa demande initiale d’ERAR.La raison pour laquelle son orientation sexuelle n’a pas été évoquée dans sa première demande d’ERAR est moins certaine dans mon esprit.Le dossier des demandeurs comprend un affidavit de leur avocat chargé de la demande d’ERAR (qui n’était pas leur avocat pour la demande d’asile) qui indique qu’Ana ne lui aurait parlé de son orientation sexuelle qu’après la préparation de la demande d’ERAR.Elle lui aurait dit que le premier avocat de la famille qui s’était chargé de leur demande d’asile avait été informé de son orientation sexuelle, mais [traduction] « lui avait dit que son cas était fondé sur les circonstances de son père et que son homosexualité n’était pas pertinente ».L’avocat chargé de l’ERAR déclare également ce qui suit : [traduction] « Je me rappelle qu’il était trop tard pour inclure le fait de son orientation sexuelle dans la demande d’ERAR, mais comme je savais que la famille avait l’intention de présenter une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, j’ai mentionné que c’était certainement une question pertinente pour cette demande. »

 

  • [11] L’agent d’exécution a examiné cette demande et son fondement.L’agent a noté que le risque fondé sur l’orientation sexuelle n’avait jamais été mentionné auparavant, bien qu’il y ait eu de nombreuses occasions où il aurait pu l’être.L’agent d’exécution en conclut ce qui suit [traduction] : « Cela me démontre que l’allégation de risque présentée par Ana n’est ni suffisante ni opportune. »

 

  • [12] L’agent d’exécution examine ensuite l’explication de l’omission de mentionner le risque plus tôt, à savoir l’incompétence de l’avocat, et conclut : [traduction] « [...] toute personne a le droit d’être assistée par un avocat, mais si elle décide d’exercer ce droit, la responsabilité de l’issue de toute procédure incombe toujours à l’individu et non à l’avocat choisi. »

 

  • [13] Il est allégué que le préjudice irréparable causé à Ana est étroitement lié aux questions sérieuses soulevées dans la demande, lesquelles, selon les demandeurs, visent à déterminer si l’agent d’exécution a rendu une décision déraisonnable et a violé les droits d’Ana garantis par l’article 7 de la Charte en refusant de reporter le renvoi en attendant une nouvelle évaluation des risques.

 

  • [14] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les demandeurs n’ont pas démontré selon ces faits qu’ils auraient probablement gain de cause relativement à la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, ce qui est le critère énoncé par le juge Pelletier dans la décision Wang.

 

  • [15] Les deux anciens avocats de ces demandeurs ont choisi de ne pas mentionner l’orientation sexuelle d’Ana ni dans la demande d’asile ni dans la première demande d’ERAR.L’avocat actuel des demandeurs affirme qu’ils ont fait preuve de négligence en omettant de le faire.L’avocat du défendeur soutient que les décisions prises étaient des [traduction] « choix stratégiques » faits par un avocat.Il n’est pas clair et évident pour moi, d’après le dossier, que l’omission de soulever l’orientation sexuelle d’Ana comme un risque était une négligence de la part de l’avocat.Il ressort clairement de l’affidavit de leur deuxième avocat que le premier avocat a décidé de procéder en se fondant sur le risque auquel était exposé le père.Il s’agit là d’une décision qu’il a prise et qui s’est avérée a posteriori mauvaise; mais s’est-il montré négligent?Je conclus que les faits de la décision Mathon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] ACF no 707, invoqués par les demandeurs, sont distincts.Dans la décision Mathon, on avait décidé de présenter une demande pour un nouvel examen et la demanderesse avait signé les documents nécessaires, mais son avocat avait ensuite omis de déposer la demande dans les délais prévus par la loi.Cela diffère de la situation actuelle où aucune décision n’a été prise de mentionner son orientation sexuelle à la Commission ou dans la demande d’ERAR, même si deux avocats distincts étaient au courant à temps pour la soulever.Il convient de noter que, contrairement à l’affidavit de l’avocat, la demande d’ERAR n’avait pas encore été tranchée lorsqu’il a été informé de l’orientation sexuelle d’Ana et que la demande aurait pu être modifiée.

 

  • [16] Il est également à noter qu’Ana n’a jamais invoqué sa sexualité comme un risque lorsqu’elle a écrit à l’agent d’exécution le 3 mars 2010 pour demander le report en vue de permettre à sa sœur de terminer son année scolaire.Il est noté qu’elle y a déclaré que si le report était accordé [traduction] « nous promettons d’acheter nos propres billets d’avion pour retourner dans notre pays ».Aucun billet n’a été acheté par les demandeurs malgré le fait que le report leur a été accordé.Plus important encore, Ana ne laisse pas entendre qu’elle a peur de retourner dans son pays, mais semble plutôt vouloir y retourner si le report est accordé.Cela appuie en partie la déclaration de l’agent d’exécution selon laquelle [traduction] « l’allégation de risque présentée par Ana n’est ni suffisante ni opportune ».

 

  • [17] Je n’accepte pas non plus que les demandeurs soient susceptibles d’avoir gain de cause relativement à l’allégation selon laquelle l’agent d’exécution a entravé son pouvoir discrétionnaire et n’a pas tenu compte des nouvelles allégations de risque soulevées dans la deuxième demande d’ERAR qui lui a été soumise.Notre Cour a tranché qu’un agent d’exécution a le devoir de tenir compte de nouvelles allégations de risque lorsque le risque est « est évident et très grave et qu’il était impossible de l’invoquer précédemment :  Jamal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2001 CFPI 494, au paragraphe 7.Même en admettant que les deux premiers critères soient satisfaits, le dernier ne l’est certainement pas.L’agent d’exécution n’était pas tenu de procéder à une évaluation rapide des risques fondée sur l’allégation d’orientation sexuelle lorsque les demandeurs l’ont soulevée pour la première fois au dernier moment alors que cela aurait pu être soulevé et déterminé précédemment.

 

  • [18] Je conclus que Dayana ne subirait aucun préjudice irréparable si la mesure de renvoi n’était pas suspendue.

 

  • [19] Les demandeurs ont demandé un report de six mois en raison de l’état psychologique de Dayana.Une preuve médicale a été soumise à l’agent d’exécution pour établir qu’elle entend des voix, qu’elle a des visions et qu’elle est déprimée.Un rapport médical indique que [traduction] « Dayana pourrait présenter des symptômes avant-coureurs de la schizophrénie » et qu’une évaluation nécessite un environnement stable pour les 4 à 6 prochains mois.Il n’y a aucun rapport médical ou élément de preuve me permettant de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que Dayana est susceptible de souffrir de schizophrénie.C’est spéculatif.Je me fonde en partie sur le fait que, bien que rédigé deux mois plus tôt, le deuxième rapport médical décrit les mêmes symptômes et son auteur écrit [traduction] « [qu’]il n’y avait aucune autre preuve de trouble psychiatrique majeur à ce moment ».De plus, comme l’a soutenu le défendeur, la preuve de la dépression montre clairement qu’elle est liée aux incertitudes quant à son statut. Le deuxième rapport indique que Dayana [traduction] « a une humeur dépressive, qui semble être une réaction d’adaptation à l’éventuelle déportation imminente et aux craintes entourant une telle mesure. »

 

  • [20] Les deux parties étaient d’avis que la prépondérance des inconvénients serait en faveur des demandeurs, s’ils avaient satisfait aux deux premiers critères.Ils ne les ont pas satisfaits.À mon avis, étant donné que les demandeurs ont bénéficié de la plupart des recours du système d’immigration canadien, sans succès, et qu’ils ont bénéficié d’un report de renvoi, la prépondérance des inconvénients est favorable au ministre.

 

  • [21] Pour ces motifs, la requête est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis soit rejetée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  IMM-5405-10

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :  ORLANDO SANABRIA VARGAS, GLADYS SANCHEZ, ANA MARIA SANABRIA SANCHEZ, DAYANA SANABRIA c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 20 SEPTEMBRE 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :  LE 20 SEPTEMBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

 

POUR LES DEMANDEURS

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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