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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100916

Dossier : IMM-416-10

Référence : 2010 CF 928

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

BETTINA TING TING OOI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté la demande d’asile de la demanderesse fondée sur sa prétendue homosexualité. La Commission a conclu que la demanderesse, une citoyenne de la Malaisie, n’était pas crédible; quoi qu’il en soit, cette dernière n’a pas produit de preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de la protection de l’État.

 

[2]               La légalité de la décision est contestée par la demanderesse aux motifs que la Commission a agi de manière capricieuse et arbitraire :

a)   en ne tenant pas compte du fait que la demanderesse était mineure avant 2004 et qu’on n’aurait pas dû lui poser la question sur le dossier d’immigration de sa mère ou sur l’endroit où cette dernière se trouvait;

b) en ne tenant pas compte des Directives de la HCNUR et celles de la CISR relatives aux demandes liées à l’appartenance sexuelle;

c)   en effectuant une lecture sélective de la preuve documentaire en ce qui a trait au traitement réservé aux homosexuels en Malaisie.

 

Conclusion défavorable concernant la crédibilité

 

[3]               D’abord, après avoir lu attentivement la décision contestée à la lumière de la preuve au dossier, il n’y a pas de raison de renverser la conclusion défavorable concernant la crédibilité tirée par la Commission. Ceci constitue déjà en soi une raison suffisante pour rejeter la demande d’asile de la demanderesse.

 

[4]               Il n’est pas contesté que la demanderesse était âgée de 16 ans lorsqu’elle a quitté la Malaisie, le 31 janvier 2002, avec sa mère, ses frères et sa sœur (la famille). Ils sont arrivés à Vancouver à titre de visiteurs en compagnie d’un certain Eiew Kooi Yeap qui s’est faussement présenté comme le père de la demanderesse. En fait, la famille avait déjà fait une demande de résidence permanente dont la demanderesse prétendait qu’elle n’en savait rien. La famille a habité à Vancouver pendant environ six mois avant de déménager à Calgary. Selon son Formulaire de renseignements personnels (FRP), c’est pendant cette période que la demanderesse a découvert qu’elle était lesbienne et qu’elle s’est faite une petite amie à Vancouver qu’elle a continué à fréquenter lors de son retour de Calgary.

 

[5]               En avril 2003, la mère de la demanderesse a épousé M Chieu Min Lam qui a parrainé la demande de résidence permanente de la famille. Cependant, après le mariage, les autorités de l’immigration ont perdu toute trace de la famille. M Lam a informé les autorités qu’il était sans nouvelle de la famille depuis le 22 août 2003. Selon lui, son épouse et les enfants étaient retournés en Malaisie. M Lam s’est ensuite retiré officiellement de la demande le 24 décembre 2003. Non seulement on ne sait pas où se trouvait la famille au cours des trois années suivantes, mais la chronologie des transformations personnelles que la demanderesse a subies pendant cette période, qui constituent le fondement de sa requête, est nébuleuse et incohérente. En septembre 2006, la demanderesse a demandé qu’on lui accorde le statut de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger.

 

[6]               On peut prétendre que le manque de connaissances de la demanderesse au sujet du dossier d’immigration de sa famille pourrait constituer un motif de rejet de la demande d’asile de la demanderesse. La Commission avait tout intérêt à connaitre l’endroit où résidait la demanderesse pendant toutes ces années, ce qui soulève la question de savoir si elle-même, sa mère, et le reste de sa famille sont restés au Canada ou sont retournés en Malaisie après que M. Lam eut annulé sa demande de parrainage. Ce n’est qu’en septembre 2006 que, selon la demanderesse, sa famille l’a rejetée en raison de son homosexualité, alors que, en août 2004, sa mère aurait payé pour le voyage de la demanderesse de Vancouver à Montréal où elle prétend avoir habité avec une autre petite amie. On peut certainement prétendre que ces faits accessoires permettent de déterminer si la version des faits la demanderesse est véridique et de savoir pourquoi elle a attendu si longtemps pour faire sa demande d’asile.

 

[7]               Cela dit, à l’exception du manque de clarté quant aux allées et venues de la demanderesse et de sa famille, la Commission a mis en doute la véracité des allégations principales faites par la demanderesse, qui ont été présentées comme preuve de son orientation sexuelle. Les motifs clairs et incontestables invoqués par la Commission pour ne pas croire la demanderesse ne sont ni capricieux ni arbitraires.

 

[8]               La demanderesse a déjà déclaré qu’elle avait rencontré sa petite amie pour la première fois en juin 2003 à Vancouver, affirmant qu’elle se souvenait de la date, car elle était proche de sa date d’anniversaire. Lorsque confrontée à sa déclaration voulant qu’elle ait amené la même petite amie au mariage de sa mère en avril 2003, la demanderesse s’est reprise en mentionnant que la rencontre avait eu lieu en 2002, avant le mariage de sa mère (Transcription de l’audience, pages 188 et189). De plus, bien qu’apparemment la famille de la demanderesse l’ait rejetée après l’annonce de son homosexualité, celle-ci a continué à vivre avec sa famille. Elle a été incapable de fournir l’adresse exacte où elle a habité avec sa famille pendant cette période. La demanderesse aurait ensuite habité à Montréal avec une amie d’août 2004 à septembre 2006. Cependant, la demanderesse n’a pas fourni de preuve de résidence ni d’explications sur comment elle avait subvenu à ses besoins au cours de ces deux années.

 

[9]               La conclusion défavorable concernant la crédibilité est fondée sur la preuve et constitue un choix raisonnable malgré le fait que la demanderesse continue de prétendre qu’elle est lesbienne. En l’espèce, la demanderesse a témoigné de manière incohérente, hésitante et non corroborée sur un nombre de points essentiels de son dossier, comme la prétendue relation difficile avec sa famille en raison de son homosexualité, son lieu de résidence et ses activités financières sur une période de deux ans.

 

[10]           De plus, la Commission a établi que le comportement de la demanderesse ne correspondait pas à celui d’une personne qui craint pour sa vie. Cette conclusion est fondée sur la longue période de temps qui s’est écoulée avant que la demanderesse demande l’asile et sur son défaut de produire un document écrit de son dossier d’immigration. En l’espèce, la demanderesse a passé plus de quatre ans au Canada avant de demander l’asile. La seule explication donnée par la demanderesse pour ne pas avoir demandé l’asile plus tôt, c’est qu’elle ne connaissait pas les procédures adéquates qu’il faut suivre pour demander cette protection.

 

[11]           Un délai initial d’un an aurait été raisonnable dans les circonstances telles que décrites par la demanderesse, dans la mesure où nous la croyons : arriver dans un nouveau pays et constater soudainement que son orientation sexuelle ne correspond pas aux attentes de sa culture. Cependant, le fait d’attendre presque trois ans dans un nouveau pays, après avoir quitté sa seule famille, est très inhabituel. Étant donné la situation, une si longue attente pourrait justifier la conclusion que la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécutée. La Commission pouvait également rejeter l’explication de la demanderesse voulant qu’elle ne connaissait pas la procédure qu’il faut suivre pour demander l’asile.

 

Les directives concernant les demandes d’asile fondées sur le sexe

 

[12]           Je vais maintenant brièvement examiner le deuxième motif invoqué par la demanderesse selon lequel la Commission n’a pas tenu compte des Directives de la HCNUR et de celles de la CISR relativement aux demandes d’asile fondées sur le sexe. Cette allégation n’est pas étayée par l’examen de l’évaluation de la Commission sur les faits particuliers allégués par la demanderesse et de son examen de la preuve documentaire portant sur le traitement des homosexuels en Malaisie.

 

[13]           La principale question en litige consiste à déterminer si la décision de la Commission reflète ou non les valeurs que les Directives visent à inculquer au décideur. La Cour est convaincue que c’est le cas en l’espèce. La Commission n’a peut-être pas mentionné qu’elle tenait compte des Directives, mais il est évident que la Commission les avait à l’esprit lorsqu’elle s’est penchée sur la situation des homosexuelles en Malaisie. La Commission n’a tout simplement pas cru la version de la demanderesse. De plus, la preuve documentaire concernant le traitement des lesbiennes en Malaisie est plutôt ténue, voire quasi absente, et en examinant cette question, la Commission a pu rejeter les allégations générales formulées par la demanderesse quant à sa crainte d’être persécutée, car elles semblaient n’être que de pures conjectures.

 

Examen de la preuve documentaire

 

[14]           Je suis aussi convaincu que la Commission s’est acquittée de son obligation de tenir compte de la preuve documentaire.

 

[15]           La Commission n’était pas tenue de mentionner explicitement dans sa décision les éléments de preuve sur lesquelles elle s’est fondée et le degré de valeur probante qu’elle a accordée à chacun des documents qu’elle a examinés. L’analyse de la Commission est brève, mais approfondie et couvre tous les points essentiels :

·        La Commission fait mention du cartable national de documentation sur la Malaisie, produite sous la cote A-1;

·        Il y a des différences entre la situation des homosexuels et celle des homosexuelles (aucune femme n’a été emprisonnée pour homosexualité);

·        La participation d’une équipe de balle molle malaisienne ouvertement lesbienne aux Jeux gais 2002 à Sydney, Australie, est soulignée;

·        Il est question de la vitalité et la visibilité de la communauté gaie à Kuala Lumpur. (La demanderesse alléguait que Kuala Lumpur était une ville violente et qu’une de ses amies avait été attaquée, mais aucune preuve à l’appui de ces allégations n’a été fournie);

·        Enfin, on a souligné que le Cartable national de documentation sur la Malaisie mentionne que le gouvernement malaisien punit sévèrement la violence anonyme et criminelle contre les femmes. 

 

 

[16]           Par conséquent, le troisième motif de contestation invoqué par la demanderesse doit être rejeté.


Conclusion

 

[17]           La présente demande doit être rejetée. Dans l’ensemble, la décision contestée est raisonnable. Malgré les efforts déployés par l’avocat de la demanderesse afin de mettre en doute le raisonnement et les conclusions de la Commission, la décision de rejeter la demande d’asile au motif que la demanderesse n’est pas crédible ou, subsidiairement, que la protection d’État n’est pas offerte aux lesbiennes en Malaisie appartient aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit.

 

[18]           Aucune question d’importance générale n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B. 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-416-10

 

INTITULÉ :                                       BETTINA TING TING OOI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT              

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 16 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan Bohbot

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sylviane Roy

 

                POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan Bohbot

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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