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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20100917

Dossier :  IMM-258-10

Référence :  2010 CF 930

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2010

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

HAROLD WILSON BORBON MARTE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) d’une décision de l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) en date du 30 novembre 2009, qui a rejeté la demande d’ERAR formulée par le demandeur au motif qu’il n’avait pas établi qu’il risquait d’être torturé, de subir des traitements ou peines cruels et inusités ou de voir sa vie menacée advenant un renvoi vers la République dominicaine.

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est citoyen de la République dominicaine. Il est marié et père de deux enfants qui sont citoyens canadiens. Il s’occupe également des deux enfants issus de la première union de son épouse. Le demandeur a quitté son pays d’origine pour s’installer aux États-Unis en 1992. Le 8 janvier 1998, il a été condamné à soixante-dix mois d’emprisonnement après avoir été reconnu coupable de complot en vue de la distribution de cinq kilogrammes de cocaïne. Sa sentence a été réduite à une peine de trente-deux mois d’emprisonnement et cinq ans de probation après qu’il eu collaboré avec les autorités en dévoilant les noms de ses complices, dont celui de son cousin germain qui a lui aussi été accusé et condamné à une sentence d’emprisonnement.

 

[3]               À sa sortie de prison en mars 2000, le demandeur a été déporté des États-Unis vers la République dominicaine. Il soutient qu’à son retour en République dominicaine, il a été intimidé et menacé par les familles des complices qu’il avait dénoncés parce qu’on lui reprochait d’être responsable de l’emprisonnement de ces derniers.

 

[4]               Le demandeur soutient avoir quitté la République dominicaine en 2001 pour fuir les menaces et intimidation dont il faisait l’objet. Le demandeur est entré au Canada avec un visa de visiteur afin de rejoindre son frère, un joueur de baseball professionnel qui y résidait.

 

[5]               Le demandeur soutient que le harcèlement dont il a fait l’objet s’est poursuivi après son départ et que sa mère a aussi été menacée et harcelée par la famille du cousin qu’il avait dénoncé. Pour ces raisons, elle aurait également fui vers les États-Unis en 2002. Le demandeur soutient également qu’à sa sortie de prison, son cousin germain ainsi que d’autres personnes qu’il avait dénoncées ont proféré des menaces de mort et de vengeance à son endroit.

 

[6]               Le visa de visiteur du demandeur a été renouvelé par les autorités canadiennes à trois reprises et a expiré le 22 juin 2005.

 

[7]               Lors de son entrée au Canada, le demandeur n’a pas révélé ses antécédents judiciaires aux États-Unis. Ils ont été découverts par les autorités lors de vérifications effectuées alors que le demandeur avait été intercepté parce qu’il travaillait illégalement. Une mesure d’expulsion a conséquemment été émise contre lui le 13 mars 2007.

 

[8]               Le ou vers le 29 juin 2005, le demandeur a fait une demande de résidence permanente pour considérations humanitaires à partir du Canada. Cette demande a été rejetée le 2 mai 2007 au motif que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité au terme de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

 

[9]               Le 8 mars 2006, le demandeur a demandé l’asile au Canada. Sa demande a été rejetée le 24 février 2009 au motif qu’il était exclu de la Convention en vertu de l’alinéa 1Fb).

 

[10]           Le 1er juin 2009, le demandeur a fait une deuxième demande de résidence pour considérations humanitaires qui a été rejetée le 30 novembre 2010. Une demande d’autorisation de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision a été rejetée le 13 avril 2010.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[11]           L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré, selon la balance des probabilités, qu’il risquait la torture, des menaces à sa vie ou des traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la LIPR advenant son retour en République dominicaine.

 

[12]           Pour rendre sa décision, l’agent d’ERAR avait en sa possession les notes de l’entrevue du demandeur dans le cadre de sa demande de statut de réfugié, son formulaire de renseignements personnels (FRP), la décision de la Section de la protection des réfugiés, ses demandes de résidence pour considérations humanitaires ainsi qu’une lettre signée par sa mère dans laquelle elle fait mention des menaces dont elle a fait l’objet et de sa décision de quitter la République dominicaine.

 

[13]           L’agent d’ERAR a rejeté la demande du demandeur sur la base des éléments suivants :

  • Il n’a accordé aucun poids à la lettre de la mère du demandeur;
  • Il a jugé que, hormis cette lettre de sa mère, le demandeur n’avait pas déposé d’éléments de preuve personnelle au soutien de ses allégations et il a jugé que les seules allégations du demandeur étaient insuffisantes pour établir qu’il avait quitté la République dominicaine en raison de menaces ou représailles causées par son dossier criminel aux États-Unis;
  • Il a jugé que le fait que le demandeur ait attendu cinq ans après son arrivée au Canada pour déposer sa demande d’asile et ce, sans fournir d’explication n’était pas caractéristique d’une personne craignant véritablement la torture, des menaces à sa vie ou des traitements ou peines cruels et inusités.
  • Il a estimé que bien que la preuve documentaire fasse état de divers problèmes de droits humains en République dominicaine, celle-ci était insuffisante pour établir que le demandeur était personnellement ciblé.

 

[14]           L’agent d’ERAR indique en outre que l’absence de preuves personnelles probantes constitue l’élément déterminant de sa décision.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           La présente demande soulève les questions suivantes qui découlent des prétentions du demandeur :

a.                L’agent d’ERAR a-t-il erré en concluant que le FRP du demandeur constituait un énoncé de ses allégations plutôt qu’un élément de preuve?

b.               L’agent d’ERAR a-t-il erré en n’accordant pas de crédibilité à la lettre de la mère du demandeur et en y inférant des conclusions négatives?

c.                L’agent d’ERAR a-t-il erré dans son appréciation globale de la preuve?

d.               L’agent d’ERAR a-t-il erré en considérant comme pertinent le délai entre l’arrivée du demandeur au Canada et sa demande d’asile?

e.                L’agent d’ERAR a-t-il erré en ne convoquant par le demandeur à une audience?

i)                    L’agent d’ERAR a-t-il tiré des conclusions négatives quant à la crédibilité du demandeur?

ii)                   L’agent d’ERAR devait-il convoquer le demandeur à une audience parce qu’il a tiré des conclusions négatives quant à la crédibilité de la lettre de sa mère?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[16]           La  norme de contrôle applicable à la révision des décisions d’ERAR diffère selon la nature des questions soulevées.

 

[17]           Si ces décisions s’avèrent généralement révisables suivant la norme de la décision raisonnable, la norme de la décision correcte s’applique néanmoins lorsque les questions soulevées sont des questions de droit ou qui mettent en cause l’équité procédurale et les principes de justice naturelle (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799, [2010] ACF 980 (QL) [traduction non disponible en ce moment]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Patel, 2008 CF 747, [2009] 2 RCF 196; Girmaeyesus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 53, [2010] ACF 52 (QL)).

 

[18]           Il est par ailleurs établi qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle du décideur administratif et qu’elle doit faire preuve de déférence face à son évaluation de la preuve et à l’appréciation de la crédibilité. La norme de contrôle applicable à ces conclusions est  alors celle de la décision déraisonnable et la Cour n’interviendra que si ces dernières s’avèrent factuellement erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou si la décision ne tient pas compte de la preuve présentée (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 798 (disponible sur QL); Alinagogo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 545 (disponible sur QL).

 

[19]           En l’espèce, les trois premières questions concernent l’appréciation de la preuve et l’évaluation de la crédibilité par l’agent d’ERAR. Sur ces trois points, sa décision doit par conséquent être assujettie à la norme de la décision raisonnable.

 

[20]           Quant à la quatrième question, la décision de l’agent d’ERAR de prendre en considération le délai entre l’arrivée du demandeur au Canada et le dépôt de sa demande de statut de réfugié se situe au cœur de sa compétence et doit par conséquent également être révisée selon la norme de la décision raisonnable.

 

[21]           Concernant la cinquième question, la jurisprudence de la Cour est partagée quant à la norme de contrôle applicable. Dans certains jugements, la Cour a appliqué la norme de la décision correcte parce que la tenue d’une audience soulève une question d’équité procédurale (Hurtado Prieto c  Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 253 (disponible sur QL); Zemo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 800 (disponible sur QL); Latifi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1388, 58 Imm. LR (3d) 118; Lewis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 778, 159 ACWS (3d) 255.

 

[22]           Dans d’autres jugements, la Cour a adopté une approche qui varie selon la nature de la question en litige et jugé que l’omission  d’un agent d’ERAR de se questionner sur la pertinence de tenir une audience constitue une violation de l’équité procédurale et que la décision est alors assujettie à la norme de la décision correcte. Toutefois, l’analyse de la pertinence de tenir une audience à la lumière du contexte particulier d’un dossier et en application des facteurs prévus à l’article 167 du Règlement implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui commande la déférence et qui est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Kazemi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1010, 160 ACWS (3d) 850; Iboude c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1316, 150 ACWS (3d) 460); Puerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 464 (disponible sur QL).

 

[23]           En l’espèce, je considère que la première sous-question à savoir si l’agent a tiré des conclusions relatives à la crédibilité du demandeur devant conduire à une audience se trouve au cœur de sa compétence. Sur cet aspect, sa décision doit être assujettie à la norme de la décision raisonnable

 

[24]           Quant à la sous-question relative à la crédibilité de la lettre de la mère du demandeur, le défendeur soutient qu’il ne s’agit pas d’un élément pertinent aux fins de déterminer si une audience doit être tenue. La question est donc de savoir si une audience doit être tenue lorsque la crédibilité d’un tiers est mise en doute. À mon sens, cette sous-question en est une de droit qui est assujettie à la norme de la décision correcte.   

 

ANALYSE

a. L’agent d’ERAR a-t-il erré en concluant que le FRP du demandeur constituait un énoncé de ses allégations plutôt qu’un élément de preuve?

[25]           Le demandeur allègue que l’agent ERAR aurait dû considérer le FRP comme un élément de preuve plutôt que d’un simple énoncé des allégations du demandeur et que, si cela avait été le cas, il aurait tiré des conclusions de faits différentes qui l’auraient amené à rendre une décision positive à son égard.

 

[26]           Le demandeur tire sa prétention du présent passage de la décision :

Hormis cette lettre de sa mère, M. Borbon Marte n’a pas déposé d’éléments de preuve personnelle. J’ai tenu compte de ses allégations, mais estime que ceci est insuffisant pour établir qu’il a quitté la République dominicaine pour des menaces ou représailles causées par son dossier criminel aux États-Unis.


   

[27]           Avec égards, je ne pense pas que l’on puisse inférer du passage précité que l’agent d’ERAR n’a pas considéré le FRP comme un élément de preuve. Le passage précité, lu dans le contexte global de la décision, indique plutôt que l’agent d’ERAR a considéré le FRP comme un élément de preuve mais qu’il lui a accordé une faible valeur probante. D’abord, dans la quatrième section de sa décision, l’agent liste les éléments de preuve portés à son attention et y mentionne expressément le FRP du demandeur.

 

[28]           Deuxièmement, le FRP du demandeur contient effectivement l’énoncé de ses allégations, de son récit. Il ne s’ensuit pas pour autant que l’agent d’ERAR ait écarté ces allégations parce qu’il ne les considérait pas comme des éléments de preuve admissibles. Au contraire, l’agent d’ERAR mentionne expressément qu’il a considéré les allégations du demandeur, mais qu’il les a jugées insuffisantes pour établir qu’il avait quitté la République dominicaine en raison des menaces et représailles causées par ses dénonciations relativement à l’affaire criminelle dans laquelle il était impliqué aux États-Unis.

 

[29]           Bien que je concède que l’agent ait pu manquer de clarté à cet égard, une analyse globale de sa décision démontre que lorsqu’il fait référence à l’absence de preuve personnelle relativement au risque du demandeur, il réfère vraisemblablement à des éléments autres que le FRP du demandeur, que la lettre de sa mère et de la preuve qui était au dossier. Au final, il n’a accordé aucun poids à la lettre de la mère du demandeur et jugé que la preuve du demandeur était insuffisante.

 

[30]           Le reproche formulé par le demandeur n’est donc pas fondé. À cet égard, l’agent d’ERAR n’a pas apprécié la preuve de manière déraisonnable. L’intervention de la Cour serait donc injustifiée.

 

b. L’agent d’ERAR a-t-il erré en n’accordant pas de crédibilité à la lettre de la mère du demandeur et en y inférant des conclusions négatives?

[31]           L’agent d’ERAR n’a accordé aucun poids à la lettre de la mère du demandeur parce qu’il a vu une contradiction entre le fait qu’elle y allègue avoir quitté la République dominicaine en 2000 et le fait que sa carte de résidence permanente indique qu’elle est résidente américaine depuis 1991.

 

 

[32]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR a mal interprété la situation de sa mère en présumant que cette dernière ne pouvait se trouver en République dominicaine lors des événements d’intimidation et de menaces allégués puisqu’elle était  alors déjà résidente permanente des États-Unis et que cette conclusion n’était pas fondée sur la preuve au dossier.

 

[33]           Je ne partage pas les prétentions du demandeur. L’agent d’ERAR n’a pas conclu que la mère du demandeur ne pouvait se trouver en République dominicaine lors des événements allégués mais plutôt que le fait que cette dernière soit résidente permanente des États-Unis depuis 1991 ne corroborait pas l’allégation selon laquelle est « avait dû quitter son pays » pour protéger sa famille. De plus, il m’apparaît tout à fait raisonnable que l’agent d’ERAR ait vu une contradiction entre les déclarations de la mère du demandeur et son statut de résidente permanente aux États-Unis depuis 1991.

 

[34]           Dans l’affidavit déposé à l’appui de sa demande devant cette Cour, le demandeur fournit des explications additionnelles relativement à la situation de sa mère à l’époque concernée. Il y déclare que jusqu’en 2002, sa mère partageait son temps entre la République dominicaine et les États-Unis et que la famille était séparée entre ces deux pays. Il ajoute que depuis son divorce, sa mère passait presque la totalité de son temps en République dominicaine. Ces informations additionnelles offrent un éclairage différent de celui fournit  par la lettre de la mère du demandeur.

 

[35]           L’agent d’ERAR ne disposait toutefois pas de cette information au moment de sa prise de décision. Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR aurait dû s’efforcer d’obtenir des éclaircissements. Je ne suis pas de cet avis.

 

[36]           Il appartenait au demandeur de fournir les explications contenues dans son affidavit au soutien de sa demande d’ERAR et à ce stade-ci, il est trop tard pour compléter une preuve déficiente.

 

[37]           L’affaire Gosal c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2010 CF 620 (disponible sur QL) est analogue. Au stade de la demande en sursis, le demandeur avait fourni un affidavit qui offrait de l’information beaucoup plus détaillée sur ses craintes de risque advenant un retour dans son pays d’origine.

 

[38]           Le juge Shore a conclut que bien que cet affidavit aurait aidé l’agent d’ERAR à comprendre le dossier de la demanderesse, il ne se trouvait toutefois pas en sa possession au moment de rendre la décision. Il a par conséquent jugé que sur la base des preuves qui étaient devant lui et de l’analyse qu’il en a faite, la décision de l’agent était tout à fait raisonnable et ne nécessitait pas l’intervention de la Cour.

 

[39]           Il appartient au demandeur qui dépose une demande d’ERAR de fournir une demande complète, claire et détaillée et de produire toutes les preuves au soutien de ses allégations.

 

 

[40]           La Cour a établi à de nombreuses occasions que l’agent d’ERAR n’a pas l’obligation de recueillir ou de rechercher des preuves additionnelles ou de faire une quelconque enquête. Il n’a pas non plus l’obligation d’entreprendre des démarches et des recherches pour éclaircir des points obscurs, contradictoires ou pour combler une preuve insuffisante (Yousef c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 864, 149 ACWS (3d) 1097). Ces mêmes principes ont été appliqués récemment dans l’arrêt Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 186 (disponibles sur QL) et dans l’arrêt Gosal, précité).

 

[41]           Par conséquent, l’appréciation que l’agent d’ERAR a faite de la lettre de la mère du demandeur n’est pas déraisonnable et à cet égard, l’intervention de la Cour n’est pas non plus requise.

 

c. L’agent d’ERAR a-t-il erré dans son appréciation globale de la preuve?

[42]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR aurait dû conclure par présomption de faits que le demandeur ferait l’objet de menace ou de représailles s’il retournait en République dominicaine.

 

[43]           Je considère qu’il était tout à fait raisonnable pour l’agent d’ERAR de conclure que la preuve soumise était insuffisante pour conclure que le demandeur serait l’objet de menaces ou représailles s’il retournait en République dominicaine.

 

d. L’agent d’ERAR a-t-il erré en considérant comme pertinent le délai entre l’arrivée du demandeur au Canada et sa demande d’asile.

[44]           L’agent d’ERAR a jugé que le long délai avant de demander l’asile n’était pas représentatif du comportement de quelqu’un craignant l’un des risques inhérents à l’article 97 de la LIPR. D’abord, il est clair que cette conclusion n’est pas l’élément déterminant de la décision de l’agent d’ERAR. Il mentionne cet élément tout en précisant dans la même phrase qu’il « conclut néanmoins que l’absence de preuves personnelles probantes est suffisante en soi pour rejeter la demande ».

 

[45]           Deuxièmement, il n’était pas déraisonnable pour l’agent d’ERAR de considérer la crainte subjective du demandeur dans le cadre de son analyse (voir Abdou c Canada (Solliciteur général) 2004 CF 752, 45 Imm LR (3d) 300).

 

[46]           En conséquence, il n’y a pas non plus de raison que la Cour intervienne sur ce point.

 

e. L’agent d’ERAR avait-il erré en ne convoquant pas le demandeur à une audience?

[47]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR a tiré des conclusions négatives eu égard à la crédibilité du demandeur et de sa mère et que, dès lors, il aurait dû convoquer une audience en application de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[48]           De façon générale, les demandes d’ERAR sont traitées sur la base des soumissions écrites du demandeur ou de la demanderesse et de la preuve documentaire soumise. L’alinéa 113b) de la LIPR prévoit par ailleurs la possibilité de tenir une audience si le ministre « l’estime requis compte tenu des facteurs règlementaires ».

 

[49]           L’article 167 du Règlement énonce les facteurs à prendre en considération pour déterminer si une audience est requise:

Facteurs pour la tenue d’une audience

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs

aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

Hearing —prescribed factors

 

 

167. For the purpose of determining

whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the

following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

[50]           Pour déclencher un examen des facteurs afin de déterminer si une audience est requise, il faut premièrement que la demande d’ERAR soulève une question relative à la crédibilité. En l’espèce, le demandeur soutient que l’agent d’ERAR aurait dû convoquer une audience parce qu’il a tiré des conclusions négatives relativement à la crédibilité du demandeur et de sa mère. 

 

e. i) L’agent d’ERAR a-t-il tiré des conclusions négatives quant à la crédibilité du demandeur?

[51]           Il est bien établi que pour qu’une audience soit requise, il faut que la crédibilité du demandeur soit mise en doute et que cet élément soit déterminant dans la question que doit trancher l’agent d’ERAR (Tekie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 27, 50 Imm LR (3d) 306); Abdou, précité. Les facteurs réglementaires doivent être analysés à la lumière des faits de chaque dossier.

 

[52]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR l’a jugé non crédible et que cet aspect était déterminant dans sa décision. Il soutient également que si l’agent d’ERAR jugeait que la lettre contenait des éléments contradictoires ou imprécis, il aurait dû s’en enquérir davantage en tenant une audience ou en demandant des explications additionnelles.

 

[53]           Le défendeur soutient pour sa part que l’agent d’ERAR n’a pas mis en doute la crédibilité du demandeur mais qu’il a plutôt conclu que la preuve présentée était insuffisante pour se décharger de son fardeau et qu’il n’y avait  par conséquent pas lieu de convoquer une audience pour trancher la question de la crédibilité.

 

[54]           Pour déterminer si la décision de l’agent d’ERAR est fondée sur la crédibilité du demandeur ou sur l’insuffisance de la preuve, la Cour doit analyser la décision de l’agent d’ERAR en allant au-delà des termes qu’il a lui-même utilisé. Par exemple, même si l’agent indique que sa décision est fondée sur l’insuffisance de la preuve, il est possible qu’il ait, dans les faits, remis en question la crédibilité du demandeur (Hurtado Prieto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 253 (disponible sur QL); Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, 74 Imm LR (3d) 306).

 

[55]           À l’inverse, même lorsque l’agent d’ERAR indique dans sa décision qu’il met en doute la crédibilité du demandeur, la Cour doit déterminer le véritable fondement de la décision avant de conclure si elle repose sur l’absence de crédibilité ou l’insuffisance de preuve (Wang, précité au para 19 [traduction non disponible]; voir également Zemo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 800 (disponible sur QL)).

 

[56]           Une question similaire se posait dans l’affaire Ferguson dans laquelle le juge Zinn a fait une analyse exhaustive de l’approche à suivre pour distinguer entre les concepts de crédibilité et de suffisance de la preuve.

 (…)  [25]    Lorsqu’un demandeur d’ERAR présente une preuve, soit sous forme orale, soit sous forme documentaire, l’agent peut effectuer deux évaluations différentes de cette preuve. Premièrement, il peut évaluer si la preuve est crédible. Lorsqu’il conclut que la preuve n’est pas crédible, en réalité, c’est une conclusion selon laquelle la source de la preuve n’est pas fiable. Les conclusions sur la crédibilité peuvent être tirées sur le fondement que les déclarations précédentes du témoin ne sont pas cohérentes avec la preuve qu’il présente à ce moment‑là ou contredisent cette nouvelle preuve (voir par exemple la décision Karimi, précitée) ou parce que le témoin n’a pas présenté cette preuve importante plus tôt, ce qui amène ainsi à se poser la question de savoir s’il agirait d’une fabrication récente; voir par exemple Sidhu c. Canada, 2004 CF 39. On peut aussi conclure que la preuve documentaire n’est pas fiable parce que son auteur n’est pas crédible. Les rapports qui servent les intérêts de leurs auteurs peuvent entrer dans cette catégorie. Dans l’un ou l’autre cas, le juge des faits peut accorder peu de poids ou ne pas accorder de poids du tout à la preuve présentée, en se fondant sur sa fiabilité, et décider que le demandeur ne s’est pas acquitté de sa charge de persuasion.

 

[26]           Si le juge des faits décide que la preuve est crédible, une évaluation doit ensuite être faite pour déterminer le poids à lui accorder. Il n’y a pas seulement la preuve qui a satisfait au critère de fiabilité dont le poids puisse être évalué. Il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité. Cela arrive nécessairement lorsque le juge des faits estime que la réponse à la première question n’est pas essentielle parce que la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable. Par exemple, la preuve des tiers qui n’ont pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits au sujet desquels ils témoignent, se verra probablement accorder peu de poids, qu’elle soit crédible ou non.

 

[27]           La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité,  parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle‑même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire.

 

 

[57]           Je souscris aux principes énoncés par le juge Zinn et, en l’espèce, je considère que l’agent d’ERAR n’a pas remis en cause la crédibilité du demandeur mais qu’il a plutôt conclu que la preuve qu’il a soumise était insuffisante pour se décharger du fardeau qui lui incombait.

 

[58]           Dans sa décision, l’agent d’ERAR n’indique aucunement qu’il remet en cause la crédibilité du demandeur. Il indique plutôt qu’il a tenu compte des allégations du demandeur, mais qu’il les a jugées insuffisantes pour établir qu’il a quitté la République dominicaine en raison des menaces et représailles liées aux événements survenus aux États-Unis.

 

[59]           De plus, rien dans la décision ERAR ne permet d’inférer que l’agent a, dans les faits, mis en doute la crédibilité du demandeur. Les termes utilisés par l’agent d’ERAR et une lecture de la décision dans sa globalité démontrent plutôt qu’il a jugé que la preuve soumise par le demandeur était insuffisante pour prouver ses allégations. Dans sa conclusion, l’agent d’ERAR indique clairement qu’il estime qu’en raison de l’insuffisance des preuves personnelles, le demandeur n’a pas, selon la prépondérance des probabilités, établi le risque allégué.

 

[60]           Je considère au surplus qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure, à la lumière des éléments de preuve dont il disposait, que la preuve était insuffisante. Le FRP contient des allégations générales et bien peu de détails relativement aux menaces dont le demandeur soutient avoir été l’objet. Les notes d’entrevues et la demande d’ERAR formulée par l’avocate du demandeur reprennent essentiellement les éléments que l’on retrouve au FRP.

 

[61]           Ainsi, l’agent n’a pas remis en question la crédibilité du demandeur et il n’était donc pas tenu d’analyser les facteurs établis à l’article 167 du Règlement. Il n’y a donc pas de raison que la Cour intervienne à cet égard.

 

e. ii) L’agent d’ERAR devait-il convoquer  le demandeur à une audience parce qu’il a tiré des conclusions négatives quant à la crédibilité de la lettre de sa mère?

[62]           L’article 167 du Règlement précise qu’une audience pourra être considérée lorsque la crédibilité du demandeur et non celle d’un tiers est mise en cause. La jurisprudence confirme également ce principe (Lai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 361, [2008] 2 FCR 3).

 

[63]           En l’espèce, la mère du demandeur est un tiers à la demande et l’agent d’ERAR n’avait pas à considérer  la possibilité de tenir une audience. La Cour n’a donc aucune raison d’intervenir sur ce dernier motif.

 

Questions proposées aux fins de certification

[64]           Le demandeur a proposé deux questions à certifier :

a.  Est-ce que le FRP constitue un élément de preuve qui, en soi, peut être suffisant pour prouver les allégations du demandeur?

 

b.  Quelle est la définition de crédibilité dans le contexte de l’application de l’article 167 du Règlement aux fins de déterminer si une audience doit être tenue lorsque l’agent est confronté à une contradiction apparente?

 

 

[65]           L’alinéa 74(d) de la LIPR  énonce les circonstances dans lesquelles cette décision serait appelable.

74. Demande de contrôle judiciaire :

Les règles suivantes s’appliquent à la demande de contrôle judiciaire :

(…)

d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée

générale et énonce celle-ci.

74. Judicial review:

 

Judicial review is subject to the following provisions:

 

(…)

(d) an appeal to the Federal Court of Appeal

may be made only if, in rendering judgment,

the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

 

[66]           La Cour d’appel fédérale a clarifié ce qui pouvait constituer une « question grave de portée générale ». Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF 1637 (QL), 51 ACWS (3d) 910 au para 4, le juge Décary a précisé que la question doit transcender les intérêts des parties, qu’elle doit aborder des éléments qui ont des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et qu’elle doit être déterminante quant à l’issue de l’appel. Il a ajouté que le processus de certification ne doit pas « être assimilé au processus de renvoi (…) ni être utilisé comme un moyen d'obtenir, de la cour d'appel, des jugements déclaratoires à l'égard de questions subtiles qu'il n'est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée ».

 

[67]           Dans Zazai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 89, 36 Imm LR (3d) 167, la Cour d’appel fédérale a réitéré que pour être sujet à certification, une question doit permettre de régler un appel. Puis, dans Boni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 68, 57 Imm LR (3d) 4,  la Cour d’appel fédérale a à nouveau traité du sujet et réitéré que pour être certifiée, une  question  doit transcender la décision particulière dans le cadre de laquelle la question est certifiée et que par ailleurs, il ne « serait pas opportun pour la Cour de se prononcer sur la question certifiée [si] la réponse ne changerait rien au dénouement du litige (…) » (au para 11 du jugement).

 

[68]           En l’espèce, je considère que les questions proposées par le demandeur ne sont pas des questions graves de portée générale qui sont appropriées aux fins de certification.

 

[69]           Je considère que la première question ne permettrait pas de trancher l’affaire et qu’elle ne peut recevoir de réponse sans être appréciée à la lumière d’un contexte factuel. Le demandeur a tenté de faire un débat de principe en alléguant que l’agent d’ERAR n’avait pas considéré le FRP comme un élément de preuve. Or, j’ai rejeté cet argument et indiqué que l’agent d’ERAR avait spécifié qu’il avait considéré les allégations du demandeur, mais qu’il les considérait insuffisantes pour permettre au demandeur de se décharger de son fardeau. J’estime donc que la question proposée par le demandeur ne permettrait pas de disposer de l’affaire puisque l’agent n’a pas refusé de considérer le FRP. Quant à la question de savoir si le FRP est « suffisant  pour prouver les allégations du demandeur », il s’agit d’une question qui doit être évaluée à la lumière des faits et de la preuve de chaque dossier. En ce sens, il ne s’agit pas d’une question de portée générale.

 

[70]           Quant à la deuxième question proposée par le demandeur, je considère qu’il ne s’agit ni d’une question importante ni une question de portée générale au sens de l’alinéa 74d) de la LIPR. D’abord, la question proposée par le demandeur se rapporte au contexte ou l’agent est confronté à une contradiction. En l’espèce, la lettre de la mère du demandeur était le seul élément de preuve qui comportait une apparente contradiction. Or, j’ai déjà indiqué précédemment que la crédibilité d’une personne autre que le demandeur ne permettait pas de déclencher l’examen des facteurs prévus à l’article 167 du Règlement aux fins de déterminer si la tenue d’une audience était indiquée. En l’espèce, la question proposée n’est ni importante ni de portée générale.

 

[71]           Quant au récit du demandeur, il ne comportait pas de contradictions et ne saurait être visé par la question que le demandeur propose aux fins de certification. Au surplus, je considère que la jurisprudence a développé une approche tout à fait appropriée pour déterminer si une affaire soulève une question relative à la crédibilité du demandeur ou à la suffisance de la preuve présentée, et que cette distinction ne peut se faire sur une base théorique et indépendante des faits particuliers d’une affaire. Il n’y a donc pas lieu de certifier les questions proposées par le demandeur.

 

[72]           Pour les motifs invoqués, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit être rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-258-10

 

INTITULÉ :                                       HAROLD WILSON BORBON MARTE

                                                            et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            La juge Bédard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael N. Bergman

 

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael N. Bergman

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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