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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100902

Dossier : IMM-6310-09

Référence : 2010 CF 825

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

JOHN PIERRE, KATIANA PIERRE,

ET KERDESHA AMBER ABIGAIL PIERRE,

représentée par son tuteur à l'instance, JOHN PIERRE

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

[1]               Les demandeurs ont raison. Il existe différents critères pour la protection des réfugiés et les exemptions fondées sur les motifs d’ordre humanitaire. Le fait qu’il existe une protection de l’État dans le pays d’origine des demandeurs ne signifie pas nécessairement que leurs allégations de risque ne constituent pas des difficultés qu’il faut examiner lors d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH).

 

[2]               Néanmoins, en l’espèce, la Cour ne conclut pas que l’agent a commis une erreur dans son examen de la demande CH. La décision montre clairement que l’agent avait pleine connaissance des critères distincts à appliquer. L'agent a noté :

[traduction] Je suis l’agent qui a examiné la demande d’ERAR des demandeurs et, par conséquent, j’ai eu connaissance de la décision et des motifs de la SPR. Je suis guidé par le principe que lorsqu’on cite le risque comme facteur dans une demande CH, le risque doit être examiné dans le contexte du degré de difficultés auxquelles les demandeurs seraient exposés.[Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier des demandeurs, page 8).

 

[3]               Il a ensuite écrit :

[traduction] Après avoir examiné tous les documents dont je dispose, je ne suis pas convaincu que les demandeurs seraient personnellement exposés à une menace à leur vie ou à leur sécurité s'ils devaient retourner à Sainte-Lucie. Je ne suis pas d’avis que la crainte de risque des demandeurs à Sainte-Lucie constituerait une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive s’ils devaient y retourner pour présenter une demande de visa de résident permanent au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier des demandeurs, à la page 10).

 

[4]               L’agent a mentionné les conclusions de la Section de la protection des réfugiés (SPR) en ce qui a trait à la protection de l’État, au sujet de laquelle la Cour note la décision Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404, 304, R.T.R. 136, dans laquelle le juge Yves de Montigny a conclu :

[43]      [i]l est tout à fait légitime pour un agent de s’appuyer sur le même ensemble de conclusions factuelles en appréciant une demande CH et une demande d’ERAR, à condition que ces faits soient analysés sous le bon angle [...]

 

[5]               La Cour conclut que l’agent a analysé les faits sous le bon angle.

[6]               La Cour note que la décision Segura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 894, [2009] A.C.F. no 1116 (QL) précise que l’utilisation de l’expression « difficultés » par un agent examinant l’intérêt supérieur d’un enfant ne constitue pas en soi une erreur.

 

[7]               Dans la décision Segura, précitée, la Cour a aussi conclu :

[29]      Comme l'a fait remarquer le juge Mosley dans la décision De Zamora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1602, au paragraphe 18, le fond devrait l'emporter sur la forme. « Je n'estime pas cependant que l'arrêt Hawthorne établisse que l'agent d'immigration qui emploie cette expression lorsqu'il examine l'intérêt supérieur des enfants commet une erreur susceptible de contrôle ou rend une décision qui est déraisonnable dans l'ensemble. » Je suis d’accord. Ce n’est pas l’emploi de mots particuliers qui est déterminant, mais plutôt la question de savoir si l’on peut dire en lisant la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et procédé à une analyse appropriée.

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]               La Cour avait ajouté ce qui suit :

[32]      Dans l'arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 475, la Cour d'appel a fait remarquer que lorsqu'on procède à une analyse de l'intérêt supérieur d'un enfant dans le contexte de motifs d'ordre humanitaire, il est nécessaire d'évaluer l'avantage dont bénéficierait les enfants si leur parent n'était pas renvoyé, de pair avec une évaluation des difficultés auxquelles seraient confrontés les enfants si leur parent était renvoyé ou s'ils étaient renvoyés avec lui.

 

II. La procédure judiciaire

[9]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) d’une décision rendue le 29 octobre 2009 par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui rejetait la demande CH des demandeurs.

 

 

III.       Le contexte

[10]           Les demandeurs, M. John Pierre, son épouse, Mme Katiana Pierre, et leur fille Kerdesha Amber Abigail Pierre, sont tous citoyens de Sainte-Lucie. La deuxième fille de M. et Mme Pierre, Breanna, née au Canada le 8 septembre 2007, est citoyenne canadienne.

 

[11]           Les demandeurs sont venus au Canada pour la première fois en 1999 et ils ont été renvoyés du pays en 2004. Les demandeurs sont revenus au Canada en 2005 pour présenter une demande d’asile. Les demandeurs soutiennent que M. Pierre a été menacé et attaqué par un gang criminel après qu’une cache de drogues située près de sa propriété eut disparu. La SPR a rejeté la demande des demandeurs, et leur demande d’ERAR a aussi été rejetée.

 

 

IV.       La décision contestée

[12]           La demande CH des demandeurs était fondée sur des allégations de difficultés découlant de risques auxquels ils pourraient faire face s’ils retournaient à Sainte-Lucie, en raison de la rupture de leur établissement au Canada, de leurs liens familiaux au Canada et de l’intérêt supérieur des enfants.

 

[13]           En ce qui a trait aux allégations de risque des demandeurs, l’agent a noté la conclusion de la SPR selon laquelle M. Pierre n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État avec des preuves claires et convaincantes. L’agent a noté les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs sous la forme de lettres et de photographies envoyées par les parents de M. Pierre. Il est allégué dans ces lettres que le gang criminel recherche et continue de poursuivre la famille de M. Pierre à Sainte-Lucie. Les photographies montrent des dommages causés à une automobile appartenant censément à M. Pierre. De plus, des notes ont été présentées en preuve qui auraient censément été écrites par des membres du gang criminel en question.

 

[14]           L’agent a accordé peu de poids aux nouveaux éléments de preuve parce que les lettres ont été écrites par des parties qui avaient un intérêt dans l’issue de la cause des demandeurs. Les lettres étaient datées de 2007 et contenaient des renseignements qui ne pouvaient pas être vérifiés. L’agent a accordé peu de poids aux photographies qui avaient été produites en preuve.

 

[15]           Le représentant des demandeurs a soutenu que Mme Pierre et Kerdesha feraient face à un risque à Sainte-Lucie en raison de leur appartenance à un groupe social particulier, soit les femmes dans la société de Sainte-Lucie. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour étayer cette allégation; aucun élément de preuve en soi n’avait démontré un risque personnalisé pour les demanderesses. L’agent a conclu que la crainte de risque des demandeurs à Sainte-Lucie ne constituerait pas une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive si la famille était renvoyée du Canada.

 

[16]           L’agent a noté les antécédents d’emploi des demandeurs, l’éducation de Kerdesha, les problèmes de santé de Mme Pierre et divers autres éléments de preuve qui démontraient leur niveau d’établissement au Canada. Après avoir examiné ces preuves, l’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que le fait de rompre leurs liens au Canada constituerait une difficulté. Il est bien établi que les demandeurs d’asile peuvent habiter et travailler au Canada et qu’on s’attend à ce qu’ils atteignent un certain niveau d’établissement.

 

[17]           L’agent a examiné la preuve au sujet des liens des demandeurs envers les membres de leur famille qui habitent au Canada. Néanmoins, l’agent a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une difficulté suffisante constituant un obstacle au renvoi.

 

[18]           En ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a examiné l’intérêt supérieur des deux filles, ainsi que celui de la nièce et du neveu; cependant, l’agent a conclu que les parents n’avaient pas démontré que leurs filles avaient formé des liens au Canada qui empêcheraient leur renvoi en raison de difficultés excessives.

 

[19]           L’agent a examiné les observations du représentant des demandeurs au sujet de possibles difficultés économiques à Sainte-Lucie, mais il a quand même conclu que les demandeurs ont des antécédents d’emploi dans leur pays d’origine. L’agent a conclu que la preuve ne démontrait pas que la structure familiale existante à Sainte-Lucie ne soutiendrait pas les demandeurs.

 

 

V. Les questions en litige

[20]           1) Dans son examen de la demande CH, l’agent a-t-il appliqué le mauvais critère au sujet des difficultés fondées sur le risque?

2) L’agent a-t-il tiré une conclusion déraisonnable au sujet des difficultés fondées sur des risques?

3) L’agent a-t-il commis une erreur au sujet du niveau d’établissement des demandeurs au Canada?

4) L’agent a-t-il tiré une conclusion déraisonnable au sujet des difficultés auxquelles la famille au Canada des demandeurs ferait face si les demandeurs sont renvoyés?

5) L'agent a-t-il commis une erreur relativement à l'intérêt supérieur des enfants?

 

VI. Les dispositions légales applicables

[21]           Voici le libellé du paragraphe 25(1) de la LIPR

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25.      (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25.      (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

VII.      La norme de contrôle

[22]           La Cour examinera chacune de ces questions en fonction de la norme de la décision raisonnable, reconnaissant qu’il s’agit de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit et, par conséquent, qu’elles relèvent de l’expertise spécialisée de l’agent.

 

[23]           Au moment d'appliquer la norme de la décision raisonnable, une cour doit faire preuve de déférence à l'égard du raisonnement de l'organisme examiné et doit être consciente du fait que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué, « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

VIII. Analyse

1) Dans son examen de la demande CH, l’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère lorsqu’il a examiné les difficultés fondées sur le risque?

 

[24]           Les demandeurs ont raison. Il existe différents critères pour la protection des réfugiés et les exemptions fondées sur les motifs d’ordre humanitaire. Le fait qu’il existe une protection de l’État dans le pays d’origine des demandeurs ne signifie pas nécessairement que leurs allégations de risque ne constituent pas des difficultés qu’il faut examiner lors d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH).

 

[25]           Néanmoins, en l’espèce, la Cour ne conclut pas que l’agent a commis une erreur dans son examen de la demande CH. La décision montre clairement que l’agent avait pleine connaissance des critères distincts à appliquer. L'agent a noté :

[traduction] Je suis l’agent qui a examiné la demande d’ERAR des demandeurs et, par conséquent, j’ai eu connaissance de la décision et des motifs de la SPR. Je suis guidé par le principe que lorsqu’on cite le risque comme facteur dans une demande CH, le risque doit être examiné dans le contexte du degré de difficultés auxquelles les demandeurs seraient exposés.[Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier des demandeurs, à la page 8).

 

 

[26]           Il a ensuite écrit :

[traduction] Après avoir examiné tous les documents dont je dispose, je ne suis pas convaincu que les demandeurs seraient personnellement exposés à une menace à leur vie ou à leur sécurité s'ils devaient retourner à Sainte-Lucie. Je ne suis pas d’avis que la crainte de risque des demandeurs à Sainte-Lucie constituerait une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive s’ils devaient y retourner pour présenter une demande de visa de résident permanent au Canada.

[Non souligné dans l’original.]]

 

(Dossier des demandeurs, à la page 10).

 

[27]           L’agent a mentionné les conclusions de la Section de la protection des réfugiés (SPR) en ce qui a trait à la protection de l’État, au sujet de laquelle la Cour note la décision Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404, 304, R.T.R. 136, dans laquelle le juge Yves de Montigny a conclu :

[43]      [i]l est tout à fait légitime pour un agent de s’appuyer sur le même ensemble de conclusions factuelles en appréciant une demande CH et une demande d’ERAR, à condition que ces faits soient analysés sous le bon angle [...]

 

[28]           La Cour conclut que l’agent a analysé les faits sous le bon angle.

 

2) L’agent a-t-il tiré une conclusion déraisonnable au sujet des difficultés fondées sur des risques?

 

[29]           Les demandeurs contestent l’analyse de l’agent au sujet de la preuve provenant des parents de M. Pierre. Les demandeurs citent la décision Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 714, [2006] 1 R.C.F. 129, dans laquelle la Cour a conclu qu’il était fautif de rejeter une preuve au sujet de l’identité d’un demandeur en raison de partialité, parce qu’elle provient des membres de la famille du demandeur.

 

[30]           La Cour conclut que les faits dans la décision Shafi, précitée, ne sont pas analogues aux circonstances en l’espèce. Shafi a été tranchée dans le contexte d’un contrôle judiciaire d’une demande d’ERAR, alors que l’affaire en l’espèce porte sur une décision prise en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Dans le même ordre d’idées, la Cour dans Shafi a conclu qu’il était fautif pour un agent de ne pas tenir compte de la preuve de membres de la famille dans le contexte de l’identification d’un réfugié, au sens de l’article 106 de la LIPR. Cette notion reconnaît la difficulté de prouver l’identité nationale avec des documents acceptables provenant de pays où l’administration civile est instable. L’article 106 porte sur la preuve concernant l’identité des demandeurs d’asile et il ne s’applique pas en l’espèce.

 

[31]           La Cour conclut que l’agent a raisonnablement examiné la preuve des parents de M. Pierre. L’agent a pris connaissance des lettres et des photographies, auxquelles il a accordé peu de poids en raison de préoccupations justifiées. La norme de la décision raisonnable établit que la Cour ne peut pas substituer sa propre évaluation de la preuve à celle faite par le décideur en première instance.

 

[32]           Les demandeurs soutiennent aussi que l’agent a rejeté de façon déraisonnable le risque auquel la population de Sainte-Lucie en général fait face en raison du crime. Les demandeurs citent la décision Mooker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 518, 167 A.C.W.S. (3d) 579, dans laquelle le juge Michel Beaudry a conclu :

[19]      Le courant jurisprudentiel sur lequel les demandeurs se sont fondés (Ramirez et Mooker, précitées; Dharamraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 853, 2006 CF 674; Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 366, 2005 CF 296), impose à l’agent chargé de trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire l’obligation d’apprécier le risque généralisé de violence ou les risques découlant de la discrimination en fonction du critère approprié, mais il ne l’oblige pas à conclure que la discrimination et un risque généralisé de violence constituent toujours des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[33]           La jurisprudence citée par l’agent, en plus de celle citée par les demandeurs et par le défendeur, montre clairement que tant le risque personnalisé que le risque général sont des facteurs pertinents dans l’examen d’une demande CH. La plupart des observations des demandeurs présentées à l’agent font état d’allégations de risques personnalisés qui découlent de diverses raisons liées à une persécution réelle, le cas échéant. Par conséquent, une grande partie de la décision porte sur ces allégations. Après avoir tiré sa conclusion, l’agent a conclu :

 

[…] Je ne suis pas d’avis que la crainte de risque des demandeurs à Sainte-Lucie constituerait une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive s’ils devaient y retourner pour présenter une demande de visa de résident permanent au Canada.

 

(Dossier des demandeurs, à la page 10).

 

[34]           La Cour note aussi la décision du juge Sean Harrington dans l’affaire Chand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 964, [2009] A.C.F. no 1175 (QL), où il a conclu :

[6]        Pour examiner l'intérêt supérieur des enfants, l'agent n'a pas seulement tenu compte de l'opinion de Mme Pilowski, mais aussi de la situation dans leur pays. Il a admis que les enfants de même que leurs parents pourraient subir un traumatisme s’ils retournaient au Guyana et qu’ils sont excessivement inquiets de leur avenir. Toutefois, l’agent a fait une remarque tout à fait raisonnable, selon laquelle il y a un grand nombre de victimes d’actes criminels au Guyana et que si, comme l’indique le dossier d’information sur le pays, les agressions sont fréquentes dans les écoles, les Chand ne se trouveraient pas dans une situation spéciale. Ils ne devraient pas être dans une meilleure posture parce qu’ils ont quitté le Guyana, alors que d’autres ont dû y rester. Comme il est dit dans Ramotar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 362, [2009] A.C.F. nº 472, être la victime probable d’activités criminelles généralisées ne suffit pas. Il doit y avoir autre chose.

 

[35]           Il est évident que l’agent était conscient de la situation générale du pays à Sainte-Lucie, mais qu’il n’a pas pu relever de difficulté inhabituelle ou excessive compte tenu de l’absence d’une situation qui dépasse celle à laquelle font face tous les Saint-Luciens.

 

3) L’agent a-t-il commis une erreur au sujet du niveau d’établissement des demandeurs au Canada?

 

[36]           Les demandeurs citent les décisions Amer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 713, 81 Imm. L.R. (3d) 278, Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804, 29 Imm. L.R. (3d) 253, Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385, 121 A.C.W.S. (3d) 932 et Shafqat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1186, [2009] A.C.F. no 1624 (QL), pour appuyer la proposition selon laquelle un agent ne peut pas raisonnablement accorder peu de points à un niveau exceptionnel d’établissement en qualifiant un tel établissement d’« attendu » compte tenu des circonstances. Les demandeurs soutiennent que la preuve démontre que le niveau d’établissement de la famille Pierre est vraiment exceptionnel.

 

[37]           Dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1062, [2009] A.C.F. no 1322 (QL), le juge Richard Mosley a établi la distinction entre les affaires Amer, Jamrich et Raudales :

[10]      En ce qui a trait à l'évaluation par l'agent de la preuve d'établissement, les demandeurs s'appuient sur la récente décision de madame la juge Elizabeth Heneghan dans Nuria Ben Amer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 713, [2009] A.C.F. no 878. Dans cette affaire, la juge Heneghan a conclu que l’agent avait commis une erreur donnant ouverture à révision en arrivant à la conclusion que l’établissement de la demanderesse correspondait, sans plus, à ce à quoi on se serait attendu d’une personne qui a été au Canada sans statut depuis plusieurs années : voir aussi les décisions Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804 (C.F. 1re inst.), [2003] A.C.F. no 1076; Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385 (C.F. 1re inst.), [2003] A.C.F. no 532.

 

[11]      Dans les décisions Ben Amer, Jamrich et Raudales, l'examen de l'établissement avait été effectué sans référence adéquate aux circonstances particulières des demandeurs. Ce n’est pas le cas en l’espèce puisque l’agent a minutieusement examiné la preuve d’établissement.  Il n’était pas nécessaire que l’agent se penche expressément sur des questions comme les relevés bancaires et les cartes de crédit, comme on l’a fait valoir en argumentation.

 

[38]           Dans un même ordre d’idées, dans la décision Shaqfat, précisée, la Cour a conclu que l’agent avait commis une erreur en décrivant le niveau d’établissement du demandeur au Canada comme étant exceptionnel et en n’accordant aucun poids à ce facteur (Shaqfat), aux paragraphes 3 et 4)

 

[39]           La Cour conclut que les conclusions de l’agent au sujet du niveau d’établissement des demandeurs est raisonnable. La Cour note que plusieurs pages de la décision de l’agent sont dédiées à l’analyse de l’établissement des demandeurs. Dans un même ordre d’idées, l’agent a examiné un grand nombre de facteurs pour tirer sa conclusion. La Cour conclut que l’agent a adéquatement examiné la situation particulière de la famille Pierre et a tiré une décision raisonnable.

 

[40]           Comme il a été mentionné, les demandeurs citent la décision Benyk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 950, 84 Imm. L.R. (3d) 35, pour étayer la proposition selon laquelle un agent ne peut pas omettre de tenir compte du niveau d’établissement au Canada d’un demandeur en raison de son manque de statut pendant la période au cours de laquelle l’établissement a eu lieu.

 

[41]           Bien que l’agent eût mentionné que le niveau d’établissement des demandeurs a été obtenu alors que la famille n’avait pas de statut, la Cour n’est pas convaincue que l’agent n’a pas examiné correctement la situation de la famille Pierre. Comme je l’ai expliqué, les motifs de l’agent démontrent clairement qu’il a examiné l’ensemble de la situation de la famille. L’agent a examiné la preuve et a tiré la conclusion selon laquelle le niveau d’établissement des demandeurs était insuffisant pour justifier une décision favorable pour la demande CH.

 

4) L’agent a-t-il tiré une conclusion déraisonnable au sujet des difficultés auxquelles la famille au Canada des demandeurs ferait face si les demandeurs sont renvoyés?

 

[42]           Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte des répercussions que le renvoi des demandeurs aurait sur les membres de la famille qui habitent au Canada et qui obtiennent un soutien des demandeurs.

 

[43]           La décision montre clairement que l’agent a raisonnablement tenu compte des difficultés qui pourraient découler du renvoi des demandeurs. L’agent a explicitement mentionné les souhaits de la famille étendue des demandeurs et les difficultés que la séparation de la famille soulèverait si les demandeurs étaient renvoyés à Sainte-Lucie. Cependant, l’agent n’était pas d’avis que cela constituait des difficultés inhabituelles ou excessives dans les circonstances.

 

[44]           L’agent a aussi tenu compte de l’intérêt supérieur de la nièce et du neveu de M. Pierre et a conclu que le fait de rompre les liens avec ces enfants ne constituerait pas une difficulté inhabituelle ou excessive.

 

[45]           Apres avoir examiné le dossier, la Cour ne peut pas conclure que l’agent a omis de tenir compte de l’intérêt de la famille des demandeurs. L’agent a accepté les lettres présentées par les membres de la famille et a reconnu la difficulté que le renvoi causerait; cependant, il n’était pas convaincu que cela constituait une difficulté inhabituelle ou excessive.

 

[46]           La Cour conclut que la norme de la décision raisonnable impose une retenue envers les pouvoirs discrétionnaires de l’agent.

 

5) L'agent a-t-il commis une erreur relativement à l'intérêt supérieur des enfants?

[47]           La Cour doit déterminer si l’agent a correctement respecté le critère tel qu’établi par la Cour d’appel fédérale.

 

[48]           La Cour est d’accord avec le défendeur au sujet du fait que l’agent a effectué un examen raisonnable de l’intérêt supérieur des enfants en fonction du dossier. Les demandeurs n’ont présenté aucune observation précise au sujet de l’intérêt supérieur des enfants. La preuve a démontré que Kerdesha fréquente l’école et qu’elle est attachée émotionnellement à ses amis et à ses cousins. Les motifs de l’agent démontrent clairement qu’il a explicitement tenu compte de la preuve au dossier :

[traduction]

Aux pages 6 et 7 de ses observations pour la demande CH, l’avocat a présenté des instructions sur la façon de traiter l’intérêt supérieur des enfants ; cependant, aucune information précise au sujet de l’intérêt supérieur de la fille du demandeur, Kerdesha Amber Abigail Pierre, n’a été présentée. Je note qu’elle fréquente l’école au Canada et qu’elle s’est fait des amis (des lettres d’amis ont été présentées avec les observations pour la demande CH). Les demandeurs adultes ont aussi une fille de 2 ans qui est citoyenne canadienne, mais aucune observation précise au sujet de l’intérêt supérieur de cette enfant n’a été faite. La tante des enfants, Suzanna Bryon, a déclaré que ses enfants ont de forts liens avec leurs cousins et qu’ils aiment leur tante, Katiana Pierre. J’ai tenu compte de l’intérêt supérieur des filles; cependant, les demandeurs adultes n’ont pas démontré que leurs filles ont établi des liens au Canada au point tel que le fait de rompre ces liens aurait des répercussions négatives si importantes qu’elles constitueraient une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive. J’ai aussi tenu compte de l’intérêt des enfants de Suzanna Bryon et je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que le fait de rompre les liens avec ces enfants aurait des répercussions négatives si importantes que cela constituerait une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive.

(Dossier des demandeurs, à la page 12.)

 

 

[49]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour reconnaît que l’agent a raisonnablement tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants.

 

IX. Conclusion

[50]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire. Il s'ensuit que :

[48]      [La déférence] C'est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. […]

 

(Dunsmuir, précité.)

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6310-09

                                                           

 

INTITULÉ :                                       JOHN PIERRE, KATIANA PIERRE,

ET KERDESHA AMBER ABIGAIL PIERRE,

                                                            représentée par son tuteur à l'instance, JOHN PIERRE

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 10 AOÛT 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 SEPTEMBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

POUR LES DEMANDEURS

Alex Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MAMANN, SANDALUK

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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