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Date : 20100914

Dossier : T-502-09

Référence : 2010 CF 919

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Edmonton (Alberta), le 14 septembre 2010

En présence de Monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

NORMAN AMAHOOSE, WALLACE MOUNTAIN,

HENRY J. WATCHMAKER, ELAINE WATCHMAKER,

ELMER PAUL, VERNON BADGER, SIDNEY PAUL

et JOSEPH WALTER WATCHMAKER

 

demandeurs

et

 

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE KEHEWIN,

et LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de mandamus visant à obliger le chef et le conseil de la nation crie de Kehewin à recruter un vérificateur externe afin qu’il procède à la vérification des comptes de la nation pour toutes les années où il n’y en a pas eu, et à les obliger à afficher lesdites vérifications, dans un délai de sept (7) jours après leur achèvement, à un endroit bien en vue de la réserve de la bande, pour examen par les membres de la bande. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande, sans accorder les dépens à aucune des parties.

 

[2]               Les demandeurs, Norman Amahoose et autres, sont membres de la nation crie de Kehewin. Ils ne sont pas le chef de cette nation, ni les membres du conseil de cette nation. Les défendeurs sont le chef et le conseil de la nation crie de Kehewin. À l’origine, le ministère des Affaires indiennes était également désigné comme défendeur, mais les demandeurs se sont désistés de la procédure introduite contre lui. Nul n’a donc comparu ni n’a présenté de conclusions au nom du ministère des Affaires indiennes, parfois appelé Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC).

 

[3]               Les parties s’accordent pour dire que les affaires financières de la nation crie de Kehewin sont dans un triste état. En 1995, une vérification d’envergure a eu lieu, et un rapport appelé rapport Browning a été rendu, qui décrivait en détail nombre des difficultés financières qui avaient été constatées. Depuis cette date, les parties en conviennent, des rapports de vérification comme ceux que prévoit le paragraphe 8(1) du Règlement sur les revenus des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 953 ont été établis et affichés, mais les demandeurs font valoir qu’ils ne suffisent pas à révéler la nature et l’étendue des difficultés financières. Dans le dossier qui m’a été soumis figurent les rapports de vérification des années 2006, 2007 et 2008. Les demandeurs affirment que ces rapports sont lacunaires et qu’il faut, pour chacune des années écoulées depuis 1995, quelque chose qui ressemble au rapport Browning. D’après la preuve qui m’a été soumise, l’établissement de rapports de vérification du genre de ceux que voudraient obtenir les demandeurs coûterait entre 70 000 $ et 100 000 $ par année, et encore uniquement s’il est possible de trouver les documents comptables. Je ne sais pas si les documents comptables requis existent encore et s’il est possible de les trouver. En résumé, les demandeurs cherchent à obtenir un genre de redressement qui, même s’il est possible, coûterait au bas mot un million de dollars. Nul ne sait qui paierait cette somme. Certains des demandeurs supposent, dans leurs témoignages, que c’est AINC qui paierait, mais il n’est certainement pas établi que AINC serait tenu de payer le coût de telles vérifications, ni même qu’il serait disposé à le payer.

 

[4]               Il ne fait aucun doute que la situation financière de la nation crie de Kehewin est désastreuse. Dans son affidavit, le chef Ernest Gadwa le reconnaît et affirme que, selon ce qu’il croit, le pire est passé. En contre-interrogatoire, il a reconnu que plusieurs administrateurs financiers ont successivement été engagés pour rétablir la situation. Au cours de l’audience qui s’est déroulée devant moi, l’avocat des demandeurs et celui des défendeurs ont reconnu que je pourrais prendre en compte le fait que, depuis l’introduction de la présente procédure, AINC a placé la nation crie de Kehewin sous sa tutelle directe. Cette mise sous tutelle est cependant contestée devant les tribunaux.

 

[5]               Il ressort clairement de la preuve, en particulier de la transcription des contre-interrogatoires des demandeurs, que les demandeurs n’allèguent aucune fraude, simplement une mauvaise gestion.

 

[6]               L’avocat des demandeurs fait valoir que le redressement sollicité est le seul moyen dont les membres disposent pour évaluer la situation et pour connaître pleinement et exactement l’état actuel des finances de la nation crie de Kehewin. Sans cette évaluation, affirme-t-il, il est impossible pour les membres de savoir quelles mesures pourraient être proposées ou prises pour corriger la situation. S’agissant des frais, soutient-il, les vérifications pourraient avoir lieu au cours d’une certaine période et les épargnes qu’elles feraient apparaître pourraient servir à amortir leur coût.

 

[7]               L’avocat des défendeurs fait valoir que le chef et le conseil sont au fait des difficultés financières et qu’ils prennent des mesures raisonnables pour les aplanir. Outre que les rapports de vérification requis par l’article 8 du Règlement ont été produits, des administrateurs financiers ont été engagés et la nation a été placée sous la tutelle directe de AINC, même si cette mesure est aujourd’hui contestée. L’avocat des défendeurs a soutenu que le recouvrement du coût des vérifications ainsi que le proposent les demandeurs est pure conjecture et que les failles que pourrait révéler une telle vérification sont elles aussi hypothétiques.

 

[8]               L’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 dispose clairement que la Cour a toute latitude de décerner ou non un mandamus du genre que sollicitent les demandeurs :

44. Indépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition, soit selon les modalités qu’elle juge équitables.

 

 

L.R. (1985), ch. F-7, art. 44; 2002, ch. 8, art. 41.

44. In addition to any other relief that the Federal Court of Appeal or the Federal Court may grant or award, a mandamus, an injunction or an order for specific performance may be granted or a receiver appointed by that court in all cases in which it appears to the court to be just or convenient to do so. The order may be made either unconditionally or on any terms and conditions that the court considers just.

 

R.S., 1985, c. F-7, s. 44; 2002, c. 8, s. 41.

 

[9]               Le juge Phelan, de la Cour fédérale, exposait, dans la décision Bande et nation indienne d’Ermineskin c. Canada, 23 septembre 2008, 2008 CF 1065, au paragraphe 31, les facteurs dont dépend l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire :

Sur la question du mandamus, la Cour d’appel exposait ainsi, dans l’arrêt Apotex c. Canada (P.G.), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.F.), les principes applicables au mandamus :

 

1.         Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.

2.         L’obligation doit exister envers le requérant.

3.         Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a)         le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b)         (i) il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

4.         Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

a)         le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

b)         un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

c)         le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

d)         un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

e)         un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé », c’est‑à-dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.

[Soulignement ajouté par le juge Phelan.]

 

 

[10]           Les avocats ont admis que, par principe, le chef et le conseil d’une bande ou d’une nation tels que les défendeurs ici sont dans une relation fiduciaire avec les membres de la bande ou de la nation. Ils admettent tous deux ce principe, énoncé par le juge Skipp dans la décision Williams Lake Indian Band c. Abbey, [1992] 4 C.N.L.R. 21, [1992] B.C.W.L.D. 1783, au paragraphe 14 :

[traduction] Il ne saurait faire de doute qu’un chef dûment élu, tout comme les membres d’un conseil de bande, sont des fiduciaires pour autant que soient concernés tous les autres membres de la bande.

 

[11]           Cependant, en l’espèce, je suis convaincu que le chef et le conseil n’ont pas agi d’une manière irrégulière, ni d’une manière injuste ou oppressive, ni d’une manière qui dénote la mauvaise foi. Je suis d’avis que le chef et le conseil sont au fait des difficultés et qu’ils prennent les mesures requises pour en venir à bout.

 

[12]           Je ne crois pas que le redressement sollicité dans la présente demande aurait véritablement pour effet d’améliorer la situation. Au mieux, l’effet escompté est largement hypothétique. Le coût du redressement proposé est sans commune mesure avec le résultat espéré, et l’on ne sait absolument pas qui l’assumera.

 

[13]           Dans ces conditions, je refuse donc d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et je ne décernerai pas le mandamus demandé.

 

[14]           Quant aux dépens, je suis d’avis que chacune des parties devrait supporter ses propres dépens, et il n’y aura donc pas d’ordonnance adjugeant les dépens.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS susmentionnés,

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Il n’est pas adjugé de dépens.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-502-09

 

INTITULÉ :                                                   NORMAN AMAHOOSE ET CONSORTS

                                                                        c. LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE KEHEWIN ET CONSORTS

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT:                         LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Stolfa

 

POUR LES DEMANDEURS

David F. Holt

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Grey Munday Stolfa s.a.r.l.

Avocats

Cold Lake (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

Hladun et Compagnie

Avocats

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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