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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100915

Dossier : T-369-10

Référence : 2010 CF 921

Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

DANS L'AFFAIRE DE la Loi de l'impôt sur le revenu,

 

ET

 

DANS L'AFFAIRE DES avis de cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu;

 

CONTRE :

 

GÉRARD ROSS

47, rue de la Réserve

Les Escoumins (Québec) G0T 1K0

 

et

 

CLAIRE ROSS

47, rue de la Réserve

Les Escoumins (Québec) G0T 1K0

 

Débiteurs-intimés

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Par cette requête en reconsidération, les débiteurs-intimés recherchent l’annulation de l’ordonnance prononcée par le juge Beaudry le 1er juin 2010, confirmant l’ordonnance amendée de recouvrement compromis rendue le 15 mars 2010 par la juge Mactavish en application du paragraphe 225.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.) ch. 1 (la Loi fédérale).

 

  • [2] Dans ses motifs d’ordonnance (2010 CF 594), le juge Beaudry conclut que la preuve produite par les débiteurs-intimés ne soulève pas de doutes que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) de la Loi n’a pas été rencontré, tandis que la preuve supplémentaire déposée par l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) vient renforcer les motifs raisonnables de croire que le délai découlant du processus d’opposition compromettrait le recouvrement de la créance de Sa Majesté du chef du Canada.

 

  • [3] Selon le paragraphe 225.2(13) de la Loi fédérale, l’ordonnance du juge Beaudry est sans appel. Toutefois, la Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance lorsque des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue : alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, telles que modifiées (les Règles). Les faits entourant le dépôt de cette requête ne sont pas contestés; c’est plutôt leur qualification aux fins de l’exercice du pouvoir de reconsidération de la Cour, qui fait l’objet d’un différend.

 

  • [4] En l’espèce, les débiteurs-intimés contestent devant les autorités compétentes la validité des cotisations émises tant par le sous-ministre du Revenu du Québec en vertu de la Loi sur les impôts, L.R.Q., ch. I-3 (la Loi provinciale), que par le ministre du Revenu national (le Ministre) en vertu de la Loi fédérale. Des oppositions ont été formulées à cet égard au motif que M. Gérard Ross bénéficie d’une exemption fiscale découlant de son statut d’Indien au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.

 

  • [5] Au moment où le juge Beaudry a entendu l’affaire, la Cour du Québec ne s’était pas encore prononcée au sujet de l’appel de M. Gérard Ross visant à faire annuler les cotisations provinciales. En l’espèce, en confirmant la validité de l’ordonnance de recouvrement compromis, le juge Beaudry a présumé que les cotisations fédérales étaient valides, tout en notant que les cotisations provinciales faisaient l’objet d’un litige devant la Cour du Québec. Le développement exposé plus loin est survenu au cours du délibéré du juge Beaudry, sans que les procureurs impliqués n’en informent la Cour fédérale.

 

  • [6] Ainsi, dans un jugement rendu le 20 mai 2010, la Cour du Québec a donné raison à M. Ross et a annulé les cotisations provinciales (Gérard Ross c. Sous-ministre du Revenu du Québec, No. 200‑80-002022-067). Alléguant qu’il s’agit d’un « fait nouveau » et que le Ministre est lié par le jugement de la Cour du Québec, les débiteurs-intimés soumettent aujourd’hui que si le juge Beaudry avait eu connaissance dudit jugement, il aurait rendu une décision différente, d’où la présente requête en reconsidération.

 

  • [7] Pour sa part, le Ministre soumet que le jugement de la Cour du Québec n’est pas un fait nouveau et qu’il n’affecte pas la validité des cotisations fédérales ou des conclusions du juge Beaudry, d’autant plus que les débiteurs-intimés et leur procureur ont pris connaissance du jugement de la Cour du Québec quelques jours avant que le juge Beaudry ne rende son ordonnance, de sorte que les conditions pour qu’une requête en reconsidération soit accordée ne sont pas rencontrées en l’espèce.

 

  • [8] Il n’y a pas lieu d’annuler l’ordonnance du juge Beaudry. Même en présumant que le jugement de la Cour du Québec constitue un « fait nouveau » et qu’il a été impossible au procureur des débiteurs-intimés de communiquer avec le juge Beaudry dans les jours suivant sa réception, il n’a pas été démontré que ledit jugement est de nature à exercer une « influence déterminante » sur la décision que le juge Beaudry était appelé à rendre en application du paragraphe 225.2(11) de la Loi fédérale, de sorte que la présente requête doit échouer (Ayangma c. La Reine, 2003 CAF 382, 313 N.R. 312, au paragraphe 3).

 

  • [9] Puisque les cotisations provinciales ont été annulées par la Cour du Québec, les débiteurs-intimés soumettent que les cotisations fédérales sont maintenant nulles. Leur argument n’est pas fondé en droit. Les cotisations fédérales et provinciales ont été établies en vertu de lois différentes et par des autorités différentes. Le juge Beaudry n’avait pas compétence pour annuler les cotisations fédérales (Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), [2008] 2 R.C.S. 643, 2008 CSC 46, paragraphe 58). Rappelons que selon le paragraphe 152(8) de la Loi fédérale, les cotisations fédérales sont réputées valides sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de leur annulation par le Ministre ou la Cour canadienne de l’impôt, lors d’une opposition ou d’un appel.

 

  • [10] N’empêche, il est hautement spéculatif de prétendre aujourd’hui que la décision du juge Beaudry aurait été différente s’il avait eu connaissance du jugement de la Cour du Québec. Le Ministre a refusé d’annuler les cotisations fédérales et il y a fort à parier qu’un appel éventuel des débiteurs-intimés à la Cour canadienne de l’impôt sera chaudement contesté par le fisc canadien. En effet, le litige entre les parties porte sur le situs de l’entreprise de pêche exploitée par M. Ross et la portée de l’exonération que lui confère son statut d’Indien. Malgré l’existence d’une décision provinciale directement favorable à la thèse soutenue par les débiteurs-intimés, la Cour canadienne de l’impôt a rendu une décision contraire dans un cas apparemment similaire si l’on accepte les prétentions du procureur du Ministre : Ballantyne v. The Queen, 2009 TCC 325 (en appel). C’est en se fondant sur ce dernier précédent, nous a-t-on expliqué lors de l’audience de la requête en reconsidération, que le Ministre refuse aujourd’hui d’annuler les cotisations originales et a émis en 2010 de nouvelles cotisations à l’endroit des débiteurs-intimés.

 

  • [11] D’autre part, non seulement le sous-ministre du Revenu du Québec a-t-il porté le jugement de la Cour du Québec en appel, mais contrairement à ce que soutiennent les débiteurs-intimés, le Ministre n’a jamais accepté d’être lié par ce dernier jugement. Tout au plus, ce dernier convenait-il en 2008 de retarder l’examen des oppositions relatives aux cotisations originales de M. Ross (années 2001-2005) « jusqu’à ce qu’une décision soit rendue » par la Cour du Québec. Or, dans l’intervalle, des nouvelles cotisations (années 2001-2008) étaient établies en mars 2010, tandis qu’il y avait lieu de croire que le recouvrement des sommes dues par les débiteurs-intimés pourrait être mis en péril si un délai était accordé, d’où la décision de l’Agence de s’adresser à la Cour pour obtenir l’émission d’une ordonnance de recouvrement compromis.

 

  • [12] Enfin, compte tenu des circonstances, des dettes fiscales des débiteurs-intimés, du plan d’action élaboré et des démarches entreprises par M. Ross pour transférer son entreprise à son fils, le juge Beaudry a conclu que l’Agence avait démontré en l’espèce qu’elle avait des motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai aux débiteurs-intimés compromettrait le recouvrement des sommes dues à Sa Majesté du chef du Canada. Les débiteurs-intimés n’ont pas sérieusement attaqué cette conclusion et les faits qui sous-tendent l’ordonnance rendue par le juge Beaudry. À ce chapitre, le jugement de la Cour du Québec n’est pas pertinent.

 

  • [13] En conclusion, il n’appartient pas au juge révisant une ordonnance de recouvrement compromis de se prononcer sur la légalité d’un avis de cotisation. Le caractère définitif d’une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 225.2(11) de la Loi fédérale sert un intérêt public important. En l’espèce, la Cour fédérale n’est pas liée par un jugement prononcé par un tribunal autre que la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada. À cet égard, en invoquant le jugement de la Cour du Québec à titre de « fait nouveau », les débiteurs-intimés tentent de faire indirectement ce qu’ils ne peuvent faire directement.

 

  • [14] Pour ces motifs, la présente requête est rejetée avec dépens.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête de bene esse en reconsidération et en annulation de l’ordonnance rendue par le juge Beaudry le 1er juin 2010, soit rejetée avec dépens.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-369-10

 

INTITULÉ :  Loi de l'impôt sur le revenu

  c.

  GÉRARD ROSS ET CLAIRE ROSS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  9 septembre 2010

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :  15 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Martin Lamoureux

 

POUR LA CRÉANCIÈRE-SAISISSANTE

Me Daniel Des Aulniers

 

POUR LES DÉBITEURS-INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA CRÉANCIÈRE-SAISISSANTE

LAVERY, De BILLY

Québec (Québec)

POUR LES DÉBITEURS-INTIMÉS

 

 

 

 

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