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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100908

Dossier : T-1804-07

Référence : 2010 CF 883

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2010

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

TRACTOR SUPPLY CO. OF TEXAS, LP et

 TRACTOR SUPPLY COMPANY

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

et

 

TSC STORES L.P.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Les demanderesses sollicitent un sursis d’un recours en opposition actuellement en instance devant la Commission des oppositions des marques de commerce concernant les demandes de marque de commerce nos 1341965 et 1341975, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à cette action.

 

  • [2] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’un sursis d’un recours en opposition n’est pas justifié. En conséquence, la requête sera rejetée.

 

Résumé des faits

 

  • [3] Les demanderesses et leurs prédécesseurs œuvrent dans la vente de fournitures, de matériel et autres articles agricoles aux États-Unis depuis les années 1930. Dans les années 1960, elles sont venues s’établir au Canada en créant une filiale en propriété exclusive. En 1987, elles ont vendu leurs parts de la filiale canadienne aux cadres supérieurs de celle-ci.

 

  • [4] La vente a fait l’objet de deux contrats, la « convention d’achat » et la « convention de soutien », lesquelles portaient apparemment sur les droits aux diverses formes de propriété intellectuelle, y compris différentes marques de commerce. Les parties ne s’entendent pas sur la nature et sur l’étendue des droits conférés à la défenderesse en vertu de ces conventions. Les demanderesses insistent sur le fait que la défenderesse est devenue titulaire des marques de commerce en question, tandis que la défenderesse revendique la propriété de ces marques de commerce.

 

  • [5] Le 3 avril 2007, la défenderesse a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce « TSC Stores » et une version design de « TSC Stores » au Canada.

 

  • [6] Dans une déclaration émise le 12 octobre 2007, les demanderesses ont introduit la présente action en vue d’obtenir, entre autres, une déclaration qu’ils sont les propriétaires de la marque de commerce TSC, ainsi que de diverses marques de commerce, y compris sans s’y limiter « TSC Stores » et la version design de la marque « TSC Stores ». Ils sollicitent également la radiation de l’enregistrement de diverses marques de commerce au Canada, des dommages pour commercialisation trompeuse (ou « passing-off ») et une injonction intérimaire, interlocutoire et permanente empêchant la défenderesse d’utiliser les marques en question.

 

  • [7] Le 30 novembre 2007, la défenderesse a déposé une défense et une demande reconventionnelle dans lesquelles elle réclame différentes formes de recours, notamment une déclaration qu’elle est le propriétaire de la marque de commerce « TSC Stores » et de la version design de la « TSC Stores », des dommages pour contrefaçon des marques de commerce et une injonction interlocutoire.

 

  • [8] Au début de 2008, les demanderesses ont déposé une déclaration d’opposition à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada en lien avec la demande d’enregistrement de la marque « TSC Stores » et de la version design de la marque qui a été présentée par la défenderesse. Elles sollicitent maintenant une ordonnance de sursis aux procédures d’opposition jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à la demande.

 

  • [9] Avant que ne puissent être examinés les arguments de chacune des parties pour déterminer s’il y a lieu ou non d’accorder un sursis d’un recours en opposition, il faut tout d’abord trancher une question de droit. Plus précisément, quel critère convient-il d’appliquer à une telle requête en sursis?

 

 

Critère applicable

 

  • [10] La décision d’accorder ou non un sursis est discrétionnaire et je crois comprendre que les parties conviennent que le pouvoir discrétionnaire de la Cour de suspendre une instance doit être exercé avec parcimonie et uniquement dans les cas les plus évidents : voir par exemple, Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 39, [2005] 2 RCS 91, au paragraphe 12; Safilo Canada Inc. c. Contour Optik Inc., 2005 CF 278, [2005] A.C.F. no 384, au paragraphe 27, confirmé dans 2005 CAF 434, [2005] A.C.F. no 2118; Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc., (1997), 77 C.P.R. (3d) 451, [1997] C.F. no 1772 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 16, et Varnam v. Canada (Minister of National Health and Welfare), [1987] A.C.F. no 511, 12 F.T.R. 34 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 7.

 

  • [11] Les parties ne sont pas d’accord sur le critère qui devrait régir l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans des circonstances telles qu’aux présentes, où l’objet de la demande de sursis est l’une des deux procédures intentées sous deux instances différentes.

 

  • [12] La défenderesse soutient qu’il est bien établi dans la jurisprudence que le critère devant s’appliquer est le critère à trois volets établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

 

  • [13] C’est à dire, la défenderesse affirme que les demanderesses doivent démontrer :

i) qu’il existe une question importante à juger;

 

ii) que la défenderesse subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé;

 

iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

 

  • [14] Pour soutenir cette affirmation, la défenderesse s’appuie sur la décision de notre Cour dans Prenbec Equipment Inc. v. Timberblade Inc., 2010 FC 23, [2010] A.C.F. no 25, au paragraphe 26, ainsi que sur les décisions de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Canada (Tribunal du Commerce extérieur), 2006 CAF 395, [2006] A.C.F. no 1827, au paragraphe 12; SC Prodal 94 SRL c. Spirits International B.V., 2009 CAF 88, [2009] A.C.F. no 330, au paragraphe 8; et United States Steel Corporation c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 200, [2010] A.C.F. no 902, au paragraphe 4.

 

  • [15] Inversement, les demanderesses soutiennent que le critère approprié à une requête en sursis de l’une de deux instances parallèles est le critère à deux volets décrit dans Figgie International Inc. v. Citywide Machine Wholesale Inc. (1993) 50 C.P.R. (3d) 89, [1993] A.C.F. no 662, au paragraphe 6 (C.F. 1re inst.). Le juge Rothstein avait alors déclaré que pour justifier une suspension, deux conditions doivent être réunies, une positive et une négative. Ces conditions sont les suivantes :

i) le défendeur doit convaincre le tribunal que la poursuite de l’action entraînerait une injustice parce qu’elle serait abusive ou vexatoire pour lui ou qu’elle constituerait un abus de procédure d’une manière quelconque;

 

ii) le sursis ne doit causer aucune injustice à la défenderesse. Il incombe aux demanderesses de démontrer l’existence de ces conditions.

 

 

  • [16] Les demanderesses soulignent que ce critère a été appliqué dans Royal Bank of Canada v. Canadian Imperial Bank of Commerce, [1994] A.C.F. no 1341, 84 F.T.R. 148 (C.F. 1re inst.), une instance plus ou moins semblable à la présente. Les demanderesses s’appuient également sur Prenbec Equipment Inc.

 

  • [17] Le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., est libellé ainsi : Il dispose que :

 

50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire:

 

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

 

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

50. (1) The Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter,

 

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

 

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

 

 

 

  • [18] Les demandeurs s’appuient sur le paragraphe 50(1)b) de la Loi pour faire valoir leur requête, alléguant qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder un sursis d’un recours en opposition.

 

  • [19] Il ne fait aucun doute que le critère dans RJR-MacDonald est souvent appliqué dans les demandes de sursis. Ce critère s’applique définitivement lorsque l’objet de la demande de sursis est l’application d’un règlement en attendant une décision judiciaire de sa constitutionnalité. En fait, dans RJR-MacDonald, c’était la question dont était saisie la Cour suprême du Canada.

 

  • [20] Le critère appliqué dans RJR-MacDonald s’applique également clairement lorsque l’objet de la demande de sursis est la décision d’une cour ou d’un tribunal inférieur en appel ou en attente d’un contrôle judiciaire de cette décision. Telle était la situation de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Canada (Tribunal du Commerce extérieur) et United States Steel Corporation c. Canada (Procureur général), cités ci-dessus.

 

  • [21] Cependant, les sursis sont également demandés dans les cas où le critère dans RJR‑MacDonald ne s’applique pas. Ainsi, une instance relevant d’une compétence peut être suspendue en faveur d’une instance dans une cour différente en raison de l’application du principe forum non conveniens ou parce que l’autre cour « convient davantage » : voir par exemple les décisions de la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc., 2003 CAF 235, [2003] A.C.F. no 838, demande d’autorisation d’interjeter appel rejetée [2003] 2 R.C.S. p. v, et Discreet Logic Inc. v. Canada (Registrar of Copyrights), [1994] A.C.F. no 582, 55 C.P.R. (3d) 167 (CAF).

 

  • [22] Une suspension de procédure peut également être accordée lorsque la conduite des représentants de l’État est telle que la procédure en instance constitue un abus de procédure : voir, par exemple Mugesera, cité ci-dessus, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3RCS 391, et Canada (Procureur général) c. Sheriff, 2007 CAF 90, [2007] A.C.F. no 380. Là encore, le critère dans RJR-MacDonald ne s’applique pas.

 

  • [23] Une bonne partie de la jurisprudence traite de situations où le sursis demandé porte sur l’une de deux procédures intentées sous deux instances différentes : voir, par exemple, Safilo Canada Inc. c. Contour Optik Inc., cité ci-dessus, Plibrico (Canada) Limited v. Combustion Engineering Canada Inc., [1990] A.C.F. no 36, 30 C.P.R. (3d) 312 (C.F. 1re inst.); Ass’n of Parents Support Groups v. York, [1987] A.C.F. no 141, 14 C.P.R. (3d) 263 (C.F. 1re inst.); Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc. (cité ci-dessus); 94272 Canada Ltd. v. Moffatt, [1990] A.C.F. no 422 31 C.P.R. (3d) 95 (C.F. 1re inst.); General Foods, Ltd. c. Struthers Scientific and International Corp., [1974] RCS 98.

 

  • [24] Le juge Dubé a résumé en ces termes les principes issus de ces décisions dans White c. E.B.F. Manufacturing Ltd., [2001] A.C.F. no 1073, au paragraphe 5 :

1. La poursuite de l’action causerait-elle un préjudice ou une injustice (non seulement des inconvénients et des frais additionnels) au défendeur [les demandeurs aux présentes]?

 

2. La suspension créerait-elle une injustice envers le demandeur [le défendeur aux présentes]?

 

3. Il incombe à la partie qui demande la suspension d’établir que ces deux conditions sont réunies.

 

4. L’octroi ou le refus de la suspension relèvent de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge.

 

5. Le pouvoir d’accorder une suspension peut seulement être exercé avec modération et dans les cas les plus évidents.

 

6. Les faits allégués, les questions de droit soulevées et la réparation demandée sont-ils les mêmes dans les deux actions?

 

7. Quelles sont les possibilités que le [sic] deux tribunaux tirent des conclusions contradictoires?

 

8. À moins qu’il y ait un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question, la Cour devrait répugner fortement à limiter le droit d’accès d’une partie en litige à un autre tribunal.

 

9. La priorité ne doit pas nécessairement être accordée à la première instance par rapport à la deuxième ou vice versa.

 

 

  • [25] Au moment de déterminer le critère applicable en l’espèce, je vais tout d’abord examiner une décision rendue récemment par la Cour dans Prenbec Equipment Inc., citée ci-dessus, sur laquelle se sont appuyées les deux parties pour étayer leurs positions respectives.

 

  • [26] Dans Prenbec Equipment Inc., la Cour s’est penchée spécifiquement sur la question du critère qu’il convient d’appliquer à une requête en sursis de réexamen d’une instance concernant un brevet jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à une action en contrefaçon intentée devant la Cour fédérale.

 

  • [27] Au paragraphe 26 des motifs, la Cour indique que le critère RJR-MacDonald doit être appliqué à une telle requête. Cependant, le paragraphe suivant de cette décision reprend les facteurs énumérés dans White c. E.B.F. Manufacturing Ltd., les jugeant pertinents pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour. En outre, un examen de l’analyse subséquente de la Cour ne montre aucune conclusion explicite relativement à la question sérieuse ou à la prépondérance des inconvénients que l’on trouve dans le critère RJR-MacDonald. Au contraire, l’analyse semble porter essentiellement sur les facteurs dans White c. E.B.F. Manufacturing Ltd.

 

  • [28] Pour cette raison, je suis d’avis que la décision dans Prenbec Equipment Inc. est d’une utilité limitée aux présentes.

 

  • [29] Il est évident qu’il existe un certain chevauchement entre les facteurs dans White c. E.B.F. Manufacturing Ltd. et le critère RJR-MacDonald, surtout que ce dernier se rapporte à des questions de préjudice irréparable et de prépondérance des inconvénients. Comme la présente vise essentiellement à déterminer si le fait que deux procédures soient poursuivies simultanément constitue un abus de procédure, je suis d’avis que des facteurs tels que ceux qui sont invoqués dans White c. E.B.F. Manufacturing Ltd. sont plus pertinents et plus appropriés à l’examen d’une telle requête que ne le sont les trois volets du critère RJR-MacDonald.

 

  • [30] Ayant déterminé le critère pertinent, l’étape suivante consiste à déterminer si je dois ou non exercer mon pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension dans les circonstances de cette affaire.

 

Faut-il accorder un sursis en l’espèce?

 

  • [31] Au moment de déposer la présente requête, les demanderesses ont également sollicité l’exemption de l’application de la règle d’engagement tacite pouvant s’appliquer aux documents qu’ils avaient obtenus de la défenderesse au moment de l’interrogatoire. Les éléments de preuve déposés par les demanderesses à l’appui de leur requête comprennent l’affidavit d’Alex Stanton, vice-président principal, Finance et stratégie, au sein de Tractor Supply Company. L’affidavit de M. Stanton ne porte que sur la question de l’engagement tacite.

 

  • [32] Avant de revenir sur la requête en sursis, les parties se sont entendues sur la question de l’engagement tacite, comme le montre l’ordonnance du protonotaire Aronovitch datée du 18 août 2010. En vertu de cette ordonnance, « la demanderesse Tractor Supply Co. of Texas, LP, et la défenderesse sont exemptées de tout engagement tacite ». L’ordonnance autorise le dépôt de tout élément de preuve déposé dans le cadre de la présente instance, y compris la production des interrogatoires et des éléments de preuve documentaire dans le cadre du recours en opposition.

 

  • [33] C’est ce qui distingue les faits en l’espèce de la situation à laquelle faisait face la Cour dans la décision Royal Bank of Canada sur laquelle s’appuient les demanderesses. En accordant une suspension de la procédure qui a été présentée au registraire des marques de commerce en l’espèce, en attendant le règlement de l’affaire dont la Cour était saisie, le juge Noël a de toute évidence été influencé par le fait que la Royal Bank avait obtenu des éléments de preuve préjudiciables pour la partie opposée au moyen du processus d’interrogatoire, ce qui ne pouvait pas être fait dans la procédure administrative dont était saisi le registraire des marques de commerce.

 

  • [34] Ce fait a convaincu le juge Noël que la poursuite de la procédure devant le registraire des marques de commerce pourrait causer un préjudice grave à la Royal Bank, car les questions, y compris la validité de ses marques de commerce, ne pouvaient pas être débattues à fond devant le registraire des marques de commerce.

 

  • [35] Le juge Noël a conclu que l’allégation de la partie opposée voulant que le fait que la Royal Bank « n’avait pas utilisé ses marques de commerce en lien avec ses activités bancaires, ou qu’elle ne pouvait pas le faire, en raison d’une interdiction légale, ne l’exemptait pas d’un examen, vu la pratique de la CIBC même que l’interrogatoire avait fait ressortir au cours de cette action ». Il a conclu que « [la] poursuite de la procédure [devant le registraire des marques de commerce] constituerait un abus du processus judiciaire dans la mesure où cela permettrait de rendre des décisions sans le bénéfice d’éléments de preuve extrêmement pertinents dans des circonstances où l’on sait que lesdits éléments de preuve existent et sont à la disposition des deux parties » : toutes les citations se trouvent au paragraphe 16.

 

  • [36] Vu l’ordonnance du protonotaire Aronovitch datée du 18 août 2010, il n’y a plus de motifs de croire que les demanderesses ne pourront pas produire d’éléments de preuve pertinents dans le cadre du recours en opposition. À cet égard, il convient de noter que, non seulement l’affidavit d’Alex Stanton ne renferme pas d’éléments de preuve spécifiques que les demanderesses seront incapables de soumettre à la Commission des oppositions des marques de commerce, il ne précise aucun autre préjudice que souffriront les demanderesses si le recours en opposition n’est pas suspendu.

 

  • [37] L’examen des plaidoiries dans cette action, ainsi que des déclarations d’opposition dans le recours en opposition, montre qu’il existe certains traits communs entre les deux litiges, même s’il semble que Tractor Supply Company n’est pas partie au recours en opposition. Il existe également un certain chevauchement entre les questions soulevées dans les deux recours, en ce qui concerne la nature et l’étendue des droits de la défenderesse sur la marque de commerce « TSC Stores » et sur la version design de la marque « TSC Stores ». Cependant, la mesure de redressement demandée dans les deux recours est différente.

 

  • [38] Dans le recours en opposition, les demanderesses sollicitent le rejet de la demande d’enregistrement par la défenderesse des deux marques en question. Inversement, aux présentes, les demanderesses souhaitent obtenir une déclaration qu’elles sont propriétaires de la marque de commerce TSC, ainsi que de diverses marques de commerce, y compris sans s’y limiter les deux marques en cause dans le recours en opposition. Les demanderesses souhaitent aussi la radiation de diverses marques de commerce canadiennes (en sus des deux en cause dans le recours en opposition, lesquelles n’ont pas encore été enregistrées), des dommages et une injonction interlocutoire.

 

  • [39] Même s’il y a toujours un certain risque de conclusions contradictoires lorsque deux procédures sont intentées sous deux instances différentes, les demanderesses ne m’ont pas convaincue qu’il existe un risque important de conclusions contradictoires aux présentes. La présente situation diffère de celle dans Royal Bank précité où, parce que les dossiers de preuve des deux procédures comportaient des différences importantes, le risque de conclusions contradictoires était réel.

 

  • [40] En outre, contrairement à la situation de la Cour dans Prenbec Equipment Inc., rien n’indique que le fait de permettre la tenue des deux recours en opposition puisse rendre ce recours inefficace : voir Prenbec Equipment Inc. au paragraphe 45.

 

  • [41] À cet égard, il convient également de mentionner que, si les demanderesses devaient ne pas avoir gain de cause devant la Commission des oppositions des marques de commerce, il leur sera toujours loisible de modifier leur déclaration produite à l’appui de la présente action de manière à modifier leur demande de radiation de l’enregistrement des deux marques en litige au motif l’absence d’admissibilité.

 

  • [42] À l’audience de cette requête, les demanderesses ont aussi soutenu que la Commission des oppositions des marques de commerce n’était pas bien placée pour trancher les problèmes complexes de crédibilité qui entourent la question de la propriété des marques de commerce en cause. Non seulement les demanderesses ont-elles omis d’inclure cet argument dans leur mémoire des faits et du droit, mais elles n’ont pas non plus indiqué de manière précise en quoi consistent les problèmes de crédibilité.

 

  • [43] Par conséquent, j’admets que la poursuite du recours en opposition peut occasionner des contretemps et des dépenses aux demanderesses, mais elles ne m’ont pas persuadée qu’elle serait abusive ou vexatoire ou qu’elle constituerait un abus de procédure d’une matière quelconque.

 

  • [44] Je pense aussi que retarder le règlement du recours devant la Commission des oppositions des marques de commerce en vue de refuser à la demanderesse l’accès au processus d’enregistrement des marques de commerce et aux avantages légaux potentiels inhérents aux marques de commerce enregistrées causerait un préjudice à la défenderesse : voir Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., [1998] A.C.F. no 1634, 84 C.P.R. (3d) 292 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9.

 

  • [45] Enfin, je note que le recours en opposition a été déposé en février 2008. Les deux parties ont déposé des éléments de preuve et ceux-ci ont fait l’objet de contre-interrogatoires. Comme l’exigeait l’ordonnance du protonotaire Aronovitch du 18 août, les éléments de preuve supplémentaires obtenus lors des interrogatoires menés aux fins des présentes sont maintenant soumis à la Commission des oppositions des marques de commerce. Il est permis de croire que, si les demanderesses étaient réellement préoccupées par le préjudice ou l’injustice découlant de la procédure devant la Commission des oppositions des marques de commerce, elles auraient déposé leur requête en sursis bien avant.

 

  • [46] Les demanderesses ne m’ont donc pas persuadée que je suis saisie du « cas le plus évident » où il est dans l’intérêt de la justice d’accorder une suspension des procédures devant la Commission des oppositions des marques de commerce. Par conséquent, la requête des demanderesses est rejetée.

 

 

La conclusion aurait-elle été différente si j’avais appliqué le critère RJR-MacDonald?

 

  • [47] Avant de conclure, et au cas où une cour de révision ait une opinion divergente du critère légal applicable à une requête telle que celle aux présentes, je mentionnerai simplement que ma conclusion quant au rejet possible de la requête aurait été la même si j’avais appliqué le critère RJR‑MacDonald.

 

  • [48] Pour avoir droit à un sursis au moyen du critère RJR-MacDonald, la partie requérante doit présenter des éléments de preuve clairs et non spéculatifs démontrant qu’elle subira un préjudice irréparable si sa requête est rejetée : voir par exemple Aventis Pharma S.A. c. Novopharm Ltd. 2005 CF 815, [2005] A.C.F. no 1019, au paragraphe 59, confirmé dans 2005 CAF 390, 44 C.P.R. (4th) 326.

 

  • [49] Comme il est mentionné précédemment, l’affidavit d’Alex Stanton fait état de l’allégation de préjudice invoquée par les demanderesses du fait de leur comparution devant la Commission des oppositions des marques de commerce si elles n’avaient pas été dégagées de leur engagement tacite. Vu l’ordonnance du protonotaire Aronovitch du 18 août, ce problème ne se pose plus. La Cour n’est pas saisie d’éléments de preuve clairs et non spéculatifs que les demanderesses subiront une autre forme quelconque de préjudice si la procédure devant la Commission des oppositions des marques de commerce n’est pas suspendue.

 

 

Dépens

 

  • [50] J’estime que la défenderesse devrait avoir droit à ses dépens relativement à la requête, lesquels s’établissent à 1 500 $.

ORDONNANCE

 

 

  LA COUR ORDONNE ET ADJUGE ce qui suit : La requête en sursis est rejetée, avec dépens attribués à la défenderesse pour un montant fixe de 1 500 $.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :  T-1804-07

 

 

INTITULÉ :  TRACTOR SUPPLY CO. OF TEXAS, LP ET AL c.

  TSC STORES L.P.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 30 août 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 ET ORDONNANCE :  La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :  Le 8 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cliff Cole

James Buchan

 

  POUR LES DEMANDERESSES/

  DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

Mark Robbins

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLINGS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

BERESKIN & PARR, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

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