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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100910

Dossier : T-219-08

Référence : 2010 CF 905

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2010

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS

ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

demanderesse

 

et

 

564163 ONTARIO LIMITED,

faisant affaire sous le nom de STUDIO 4 TAVERN, alias STUDIO 4

défenderesse

 

 

T-221-08

ET ENTRE :

 

 

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS

ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

demanderesse

 

et

 

 

101511 ONTARIO LIMITED,

faisant affaire sous le nom de CLUB T-ZER’S

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les défenderesses dans les deux présentes actions sollicitent l’annulation d’un jugement par défaut prononcé par la Cour le 22 janvier 2009. Pour les motifs qui suivent, je conclus que les défenderesses ne répondent pas au critère applicable qui leur permettrait d’obtenir l’annulation des jugements. Les requêtes seront donc rejetées.

 

 

Le contexte

 

[2]               La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN) est une société sans but lucratif qui accorde des licences pour la représentation publique d’œuvres musicales et dramatico-musicales. La SOCAN a intenté les présentes actions en février 2008 pour recouvrer les redevances impayées pour une période ayant commencé en 2004 selon le tarif 3C, ou, à titre subsidiaire, pour obtenir des dommages-intérêts préétablis aux termes du paragraphe 38.1(4) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42.

 

[3]               L’action numéro T-219-08 a été intentée contre 564163 Ontario Limited, faisant affaire sous le nom de Studio 4 Tavern, alias Studio 4. L’action numéro T-221-08 a été introduite contre 1015111 Ontario Limited, faisant affaire sous le nom de Club T-Zers.  Les deux défenderesses exploitent des clubs de divertissement pour adultes et Peter Barth est le président des deux sociétés.

 

[4]               Ce ne sont pas les premières réclamations que la SOCAN a présentées contre les défenderesses. Des actions pour violation du droit d’auteur ont été intentées contre chacune des sociétés défenderesses et contre M. Barth, à titre personnel, au milieu des années 1990. Il était allégué dans ces actions que les défenderesses avaient utilisé les œuvres musicales de la SOCAN sans détenir les licences nécessaires. Les actions ont été réglées parce que les défenderesses dans ces actions ont consenti à des jugements favorables à la SOCAN.

 

[5]               Les déclarations relatives aux deux présentes actions ont été signifiées aux défenderesses le 19 février 2008. Le 19 mars 2008, les défenderesses ont tenté de déposer des défenses à la Cour. La Cour a refusé d’accepter le dépôt de ces documents parce qu’ils étaient signés par un parajuriste et non pas par un avocat représentant les sociétés, comme l’exige l’article 120 des Règles des Cours fédérales.

 

[6]               L’avocat représentant les défenderesses a tenté une nouvelle fois de déposer les défenses le 23 décembre 2008. Le 2 janvier 2009, le protonotaire chargé de la gestion de l’instance a donné une directive informant les avocats que les défenses avaient été déposées hors délai et que les défenderesses devaient soit présenter des requêtes en vue d’obtenir la prorogation des délais, soit obtenir le consentement des demanderesses au dépôt tardif des défenses. Le protonotaire responsable de la gestion de l’instance a également demandé qu’une conférence préparatoire soit tenue à la première date convenant aux deux avocats.

 

[7]               Entretemps, le 18 décembre 2008, la demanderesse avait présenté des requêtes ex parte en vue d’obtenir un jugement par défaut dans les deux actions. Un jugement par défaut a été rendu dans chacune des actions le 22 janvier 2010.

 

[8]               Des requêtes en annulation de ces jugements ont été déposées auprès de la Cour le 12 juillet 2010. La SOCAN a déposé les dossiers de requête de l’intimée le 16 juillet 2010. Le 27 juillet 2010, la Cour a fixé l’instruction de ces requêtes au 23 août 2010. Le mercredi 18 août 2010, les défenderesses ont signifié à la demanderesse des dossiers de requête supplémentaires, auxquels était joint un affidavit complémentaire. La SOCAN s’oppose à l’admission de ces documents supplémentaires. La première question que la Cour est appelée à trancher est donc celle de savoir s’il y a lieu d’accepter ces documents.

 

 

La Cour devrait-elle autoriser le dépôt du dossier de requête supplémentaire?  

 

[9]               Les parties conviennent que le critère applicable dans les présentes circonstances est celui qu’a exposé la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Atlantic Engraving Ltd. c Lapointe Rosenstein, [2002] ACF n° 1782. C’est-à-dire que la Cour peut autoriser le dépôt d’un affidavit complémentaire lorsque les conditions suivantes sont réunies :

i)  les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

ii)  les éléments de preuve aideront la Cour;

iii) les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse : au paragraphe 8.

 

 

 

[10]           En outre, la partie qui sollicite l’autorisation de déposer des documents complémentaires doit démontrer que les éléments de preuve qu’elle cherche à produire n’étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne devrait pas pouvoir scinder sa preuve et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible : Atlantic Engraving, au paragraphe 9.

 

[11]           Je constate que l’affaire Atlantic Engraving avait été introduite par voie de demande et non par voie de requête. Toutefois, dans l’arrêt Fibremann Inc. c Rocky Mountain Spring (Icewater 02) Inc., [2005] ACF n° 1238, la Cour a déclaré que le même critère devait s’appliquer aux requêtes : voir le paragraphe 12.

 

[12]           En outre, dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), [2006] ACF n° 1243, la Cour a jugé que, même s’il n’y avait pas eu de contre-interrogatoire, la partie qui souhaitait obtenir l’autorisation de produire une preuve complémentaire devait démontrer que celle-ci n’était pas disponible avant une étape antérieure (par exemple, le moment du dépôt de sa preuve par affidavit principale) : au paragraphe 20.

 

[13]           En l’espèce, la preuve supplémentaire que l’on souhaite présenter consiste en un affidavit émanant d’un parajuriste du cabinet d’avocats des défenderesses. Sont joints à titre de pièces à cet affidavit des factures ou des relevés mensuels de redevances envoyés par la SOCAN à « Arzac Tavern Limited - Jason’s ». D’après l’affidavit, « Jason’s » est [traduction] « un établissement de taille comparable à celui des défenderesses et situé dans la ville de Windsor ».

 

[14]           À mon avis, la preuve que l’on cherche à produire ne va pas dans le sens des intérêts de la justice et n’aidera pas la Cour. Les factures en question concernent un autre établissement qui, à la lecture des documents, est assujetti à un tarif différent (tarif 3B dans le cas de Jason’s, au lieu du tarif 3C dans le cas des défenderesses). C’est pourquoi ces documents ont une faible force probante, voire aucune, dans la présente affaire.

 

[15]           En outre, les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve expliquant pourquoi ces renseignements n’auraient pu être obtenus auparavant, en exerçant une diligence raisonnable. Je constate que les affidavits de M. Barth à l’appui des requêtes ont été déposés en février 2010, alors que les requêtes en annulation des jugements par défaut n’ont été déposées que le 12 juillet 2010. Les affidavits supplémentaires n’ont été signifiés que le 18 août 2010.

 

[16]           Par conséquent, je ne suis pas disposé à exercer mon pouvoir discrétionnaire et à autoriser le dépôt des documents et affidavit supplémentaires.

 

[17]           Avant de terminer sur cette question, je ferais également remarquer que les affidavits supplémentaires ne contenaient rien qui aurait pu modifier l’issue des requêtes en annulation des jugements par défaut. Cela vient du fait que les affidavits ne contiennent aucune explication de l’omission de la part des défenderesses de déposer une défense, ni de raisons pour lesquelles les défenderesses n’ont pas déposé ces requêtes dans un délai raisonnable.

 

 

Y a-t-il lieu d’annuler les jugements par défaut?

 

[18]           Le paragraphe 399(1) des Règles des Cours fédérales énonce que la Cour peut, sur requête, annuler une ordonnance rendue sur requête ex parte si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue.

 

[19]           Les parties s’entendent également sur le critère applicable aux requêtes en annulation d’un jugement par défaut. Comme cela a été exposé dans des affaires comme SEI Industries Ltd. c Terratank Environmental Group, [2006] ACF n° 271, Taylor Made Golf Co. Inc. et al c 1110314 Ontario Inc. (1998), 148 FTR 212 et Brilliant Trading Inc. c Tung Wai Wong and Zhen Hing Enterprise Ltd., [2005] ACF n° 706, 2005 CF 571, il y a lieu d’examiner les questions suivantes :

1.  La défenderesse a-t-elle fourni une explication raisonnable de son omission de produire une défense?

2.  La défenderesse a-t-elle une défense prima facie sur le fond de la réclamation de la SOCAN?

3.  La défenderesse a-t-elle présenté la requête dans un délai raisonnable?

 

[20]           Les trois volets de ce critère sont cumulatifs. C’est-à-dire que les défenderesses doivent convaincre la Cour que les trois parties du critère ont été respectées : voir Contour Optik Inc. c E'lite Optik, Inc., [2001] A.C.F. n° 1952, au paragraphe 4.

 

[21]           Pour ce qui est du premier volet du critère, comme nous l’avons mentionné plus haut, les déclarations correspondant aux deux actions ont été signifiées aux défenderesses le 19 février 2008. Les défenderesses ont tenté de déposer des défenses à la Cour dans le délai prévu par les Règles des Cours fédérales, mais le dépôt des documents n’a pas été accepté parce qu’ils étaient signés par un parajuriste. Monsieur Barth admet dans son affidavit que cela s’est effectivement produit et n’affirme pas qu’il n’était pas au courant de cet aspect en mars 2008.

 

[22]           Le 15 avril 2008, l’avocat de la SOCAN a écrit à M. Barth pour le compte des défenderesses en lui demandant d’informer la SOCAN du moment auquel les défenderesses avaient retenu les services d’un avocat et auquel celles-ci prévoyaient être en mesure de présenter des défenses. Monsieur Barth ne nie pas avoir reçu cette lettre.

 

[23]           Dans la lettre du 5 mai 2008 que le parajuriste a envoyée à la SOCAN, il est indiqué que M. Barth se trouve à l’étranger et qu’il retiendrait les services d’un avocat à son retour au Canada le 25 mai 2008. Il ressort clairement de la lettre que les services du parajuriste n’avaient pas été retenus dans cette affaire et que le fait qu’il ait écrit à l’avocat de la SOCAN était un simple geste de courtoisie envers M. Barth.

 

[24]           Le 30 juin 2008, l’avocat de la SOCAN a écrit à M. Barth en sa qualité de président des deux défenderesses pour lui rappeler que les sociétés n’avaient pas produit de défense et pour l’avertir que la SOCAN pourrait demander un jugement par défaut contre les sociétés. Encore une fois, M. Barth n’a pas nié dans son affidavit avoir reçu cette lettre.

 

[25]           L’avocat de la SOCAN a reçu une autre lettre du parajuriste, plus tard ce même jour. Le parajuriste répète que ses services n’ont pas été retenus par la défenderesse, mais affirme que M. Barth se trouve à l’étranger et qu’il doit revenir le 21 juillet 2008.

 

[26]           Il ressort du dossier que les défenderesses n’ont retenu les services d’un avocat qu’en décembre 2008, le mois même au cours duquel la SOCAN a présenté ses requêtes en jugement par défaut. Il semble que l’avocat des défenderesses ait connu certains problèmes par la suite, parce qu’il était très malade à l’époque, mais cela n’excuse pas ou n’explique pas l’inaction des défenderesses entre les mois de mars et de décembre 2008.

 

[27]           La seule explication qu’aient fournie les demanderesses pour leur défaut de déposer leur défense entre mars et décembre 2008 est l’affirmation qui se trouve dans l’affidavit de M. Barth selon laquelle [traduction] « le représentant des défenderesses […] a par la suite communiqué régulièrement avec l’avocat de la demanderesse entre avril et octobre 2008 dans le but d’en arriver à un règlement à l’amiable sans qu’il soit nécessaire de poursuivre ce contentieux… »

 

[28]           Dans l’affidavit qu’elle a produit pour le compte de la SOCAN en opposition à la requête, Sakina Virjee nie qu’il y ait eu des discussions au sujet d’un tel règlement.

 

[29]           Je préfère le témoignage de Mme Virjee à celui de M. Barth, parce qu’il est plus conforme au dossier documentaire contemporain. Il ressort clairement de l’échange de lettres auxquelles était partie l’avocat de la SOCAN que M. Barth savait que la Cour n’avait pas accepté la production des défenses des défenderesses et que les sociétés devaient retenir les services d’un avocat pour le faire. Il est également clair que le parajuriste n’a pas été chargé de représenter les défenderesses dans cette affaire. En outre, la SOCAN avait invité à plusieurs reprises les défenderesses à déposer leurs défenses.

 

[30]           Il est révélateur que M. Barth affirme que le parajuriste des défenderesses et la SOCAN aient eu régulièrement des discussions au sujet d’un règlement entre avril et octobre 2008, mais qu’il n’a produit aucune lettre ni aucun courriel à l’appui de cette affirmation. Et surtout, les défenderesses n’ont pas produit d’affidavit à cet effet du parajuriste.

 

[31]           Par conséquent, j’estime que les défenderesses dans les présentes actions n’ont pas fourni d’explication raisonnable pour justifier leur défaut de produire une défense dans le délai requis.

 

[32]           Par ailleurs, j’estime que les défenderesses n’ont pas présenté les présentes requêtes dans un délai raisonnable. Il ressort clairement du dossier documentaire que les défenderesses avaient été informées du fait que des jugements par défaut contre elles avaient été obtenus le 7 octobre 2009, au plus tard, dans le cas du Studio 4, et le 24 novembre 2009, dans le cas du Club T-Zers.

 

[33]           Le 24 novembre 2009, les défenderesses avaient retenu les services d’un avocat et avaient eu quelques discussions avec la demanderesse au sujet d’un règlement. La SOCAN a présenté aux défenderesses un projet de règlement le 3 décembre 2009. La SOCAN a demandé à plusieurs reprises aux défenderesses de répondre à ce projet, mais celles-ci n’ont jamais fourni de réponse adéquate à ce sujet.

 

[34]           Monsieur Barth affirme que, lorsqu’il est devenu clair qu’il n’y avait aucune possibilité d’en arriver à un règlement, ce qui s’est produit d’après lui en janvier 2010, les défenderesses ont pris immédiatement des mesures pour retenir les services de leur avocat actuel en vue de présenter des requêtes en annulation des jugements par défaut.

 

[35]           En février 2010, les défenderesses avaient retenu les services d’un avocat pour qu’il présente ces requêtes. Comme cela a été mentionné plus haut, les affidavits à l’appui de M. Barth n’ont été signés que le 27 février 2010. Je ne dispose d’aucune preuve expliquant pourquoi les requêtes n’ont pas été présentées en vue de leur instruction à cette date. En fait, les requêtes en annulation des jugements par défaut n’ont été déposées à la Cour que le 12 juillet 2010. Il est évident que les défenderesses n’ont pas présenté ces requêtes dans un délai raisonnable.

 

[36]           Étant donné que les défenderesses ne répondent ni au premier, ni au troisième volet du critère, leurs requêtes sont rejetées; les dépens des deux requêtes sont fixés au montant total de 1 500 $. Une copie des présents motifs sera placée dans chacun des dossiers de la Cour.

 

 

 


ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE que les requêtes soient rejetées; les dépens sont fixés à 1 500 $.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-219-08 et T-221-08

 

 

INTITULÉ :                                      SOCAN c 564163 ONTARIO LIMITED et autres

                                                            SOCAN c 101511 ONTARIO LIMITED et autres

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 août 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel B. Pollack

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gregory Wrigglesworth

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kirwin Partners LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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