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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20100910

Dossier :  IMM-6532-09

Référence :  2010 CF 899

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2010

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

HONG SHUN CHEN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi ») d’une décision d’un agent des visas de l’Ambassade du Canada à Beijing en Chine en date du 22 septembre 2009, refusant la demande de visa temporaire de travail présentée par le demandeur. Le demandeur, de nationalité chinoise, souhaitait venir travailler comme cuisinier dans un restaurant de Rimouski pour une période de deux ans. L’agent des visas a refusé la demande de permis de travail du demandeur au motif que ce dernier ne lui avait pas démontré qu’il aurait quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisé.

[2]               Le défendeur a soulevé deux objections préliminaires à l’encontre de la demande de contrôle judiciaire. Au soutien de sa première objection, le défendeur invoque que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée à l’extérieur du délai de soixante jours prévu à l’alinéa 72(2)b) de la Loi et n’est pas accompagnée d’une demande de prorogation de délai. La deuxième objection est fondée sur l’absence d’affidavit signé par le demandeur au soutien de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[3]               Le demandeur soutient pour sa part que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire n’est pas tardive et, à titre subsidiaire et sous réserve de sa position principale, il a demandé, lors de l’audience, que la Cour lui accorde une prorogation de délai. Quant à l’objection relative à l’absence d’affidavit du demandeur, ce dernier soutient que l’affidavit du consultant en immigration est suffisant puisque ce dernier détient une connaissance personnelle du processus suivi par l’agent des visas.

 

L’objection relative au délai

[4]               La lettre de refus de l’agent des visas est datée du 22 septembre 2009. Le demandeur admet avoir reçu cette lettre le 29 septembre 2009. Suite à la réception de la décision, le consultant du demandeur a demandé les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STDI) afin de connaître les motifs du refus. Les notes STDI ont été reçues par le consultant le 13 novembre 2009.

 

[5]               Le 16 décembre 2009, soit plus de soixante jours après la date de réception de la lettre de refus, le demandeur a tenté de déposer sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sans l’accompagner d’une demande de prorogation de délai.

 

[6]                Dans une lettre datée du 16 décembre 2009 écrite à la demande de l’agent de greffe de la Cour, le procureur du demandeur a expliqué pourquoi il estimait que sa demande d’autorisation et de contrôle avait été déposée à l’intérieur du délai. Suite à une demande de directive de l’agent de greffe, le juge Harrington a autorisé le dépôt de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La demande d’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire a ensuite été accordée par le Juge Shore, le 2 juin 2010.

 

[7]                Le demandeur prétend que lorsqu’il a déposé sa demande de contrôle judiciaire le 16 décembre 2009, il respectait le délai de soixante jours prévu à l’alinéa 72(2)b) de la Loi puisque celui-ci commençait à courir à compter de la date à laquelle il a reçu les notes du STDI de l’agent de visas, soit le 13 novembre 2009, plutôt qu’au moment de la réception de la lettre de refus, le 29 septembre 2009.  

 

[8]               Il soutient que ce n’est qu’à partir de ce moment que le demandeur est en mesure d’apprécier les raisons pour lesquelles sa demande de permis de travail a été refusée et d’évaluer s’il avait un recours judiciaire à faire valoir.

 

 

[9]                L’article 72 de la Loi prévoit le délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire et sa méthode de computation. Il se lit comme suit :

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure – décision, ordonnance, question ou affaire – prise dans le cadre de la présente loi est subordonnée au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

 

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

. . .

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale – la Cour – dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter – a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised – under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

Application

(2) The following provisions govern an application under subsection (1) :

. . .

(b) subject to paragraph 169(f), notice of the application shall be served on the other party and the application shall be filed in the Registry of the Federal Court (“the Court”) within 15 days, in the case of a matter arising in Canada, or within 60 days, in the case of a matter arising outside Canada, after the day on which the applicant is notified of or otherwise becomes aware of the matter;

 

[10]           Le demandeur soutient que la décision non motivée reçue le 22 septembre 2009 constitue une «mesure» en vertu de l’article 72(1) de la Loi et que les motifs de la décision, soit, en l’espèce, les notes du STDI, constituent également une « mesure » au sens de ce même article. Cette mesure prend en l’occurrence la forme d’une « question ».

[11]           Il prétend que cette interprétation est encore plus évidente à la lecture de la version anglaise de l’article 72 qui réfère à une « question raised ». Le demandeur soutient qu’il n’a pas eu connaissance de la « question raised » tant qu’il n’a pas été en mesure de lire les motifs de la décision prise par l’agent des visas puisque ce n’est qu’à ce moment qu’il a pu évaluer s’il existait des erreurs et s’il avait des droits à faire valoir à l’encontre de la décision.

 

[12]           Dans sa réplique, le demandeur laisse également entendre que le fait que la Cour ait autorisé le dépôt de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire par voie de directive signifie aussi qu’elle a accepté ses prétentions quant au moment où commence à courir le délai pour déposer une demande d’autorisation.

 

[13]           Le défendeur soutient pour sa part que l’interprétation de l’article 72 de la Loi ne soulève aucune ambigüité. Le délai court à compter du moment où le demandeur est avisé ou prend autrement connaissance de la décision plutôt qu’au moment  de la réception des notes du STDI.

 

[14]           Quant à la permission accordée de déposer la demande d’autorisation, le défendeur soutient que rien dans la directive verbale du juge saisi de l’affaire ne permet d’inférer qu’il a entériné la position du demandeur et qu’il a plutôt laissé le tout à la discrétion du juge qui entendrait la cause au mérite.

 

[15]           Avec égards, je ne partage pas la position du demandeur et je considère que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée tardivement.

 

[16]           Je toucherai d’abord un mot sur ma compétence pour trancher la question des délais de dépôt de la demande. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont reconnu que le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire a compétence pour se prononcer sur la demande de prorogation de délai lorsque cette question n’a pas été tranchée ou ne peut être inférée de la décision accordant la demande d’autorisation (Succession Deng c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 59; McBean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1149; Villatoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 705).

 

[17]           En ce qui à trait à la présente directive, le juge ayant autorisé le « dépôt » de la demande n’a pas tranché l’objection relative au caractère tardif de la demande d’autorisation et aucune indication ne permet d’inférer qu’il a  par le fait même entériné la position du demandeur.

 

[18]           Le même principe s’applique également à la décision du juge ayant accordé la demande d’autorisation. On ne peut inférer qu’il a entériné la position du demandeur.  Il n’était pas non plus saisi de la demande de prorogation de délai puisqu’elle a été formulée ultérieurement, en audience.

 

[19]           Quant à la prétention du demandeur concernant le moment où commence à courir le délai pour déposer une demande d’autorisation, j’estime que bien qu’habile, elle ne résiste pas à l’analyse. Il m’apparaît clairement que le délai pour contester une décision refusant un visa temporaire commence à courir à compter du moment où le demandeur prend connaissance de la décision de refus et non à compter du moment où il reçoit les motifs de la décision.

 

[20]           Il ne fait pas de doute que la lettre de refus du visa temporaire constitue une « décision » qui, au sens de l’article 72 de la Loi, peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Les notes du STDI s’avèrent en quelque sorte un accessoire à la décision parce qu’elles en fournissent les motifs, mais, à mon sens, elles ne constituent pas en elles-mêmes une nouvelle « mesure » qui peut être contestée de façon indépendante.

 

[21]           En outre, à moins d’indication contraire expresse du législateur, je ne crois pas qu’aux fins de contestation, une même décision puisse être assujettie à deux délais différents. Lorsque le législateur a permis que les délais pour contester une décision puissent courir à compter de la réception des motifs de la décision, il le mentionne explicitement.

 

[22]           C’est  par exemple le cas de  l’article 169 de la Loi qui prévoit des dispositions qui s’appliquent aux décisions prises par les différentes sections de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). L’alinéa f) de cet article aborde la question des délais. Il appert clairement de cette disposition que le législateur a voulu que le délai pour contester une décision commence à courir à compter du plus tardif des événements entre la notification de la décision et la transmission des motifs :

169. Les dispositions qui suivent s’appliquent aux décisions, autres qu’interlocutoires, des sections :

(…)

 

f) les délais de contrôle judiciaire courent à compter du dernier en date des faits suivants : notification de la décision et transmission des motifs écrits.

 

 

[Je souligne.]

 

169. In the case of a decision of a Division, other than an interlocutory decision:

(…)

 

 

(f) the period in which to apply for judicial review with respect to a decision of the Board is calculated from the giving of notice of the decision or from the sending of written reasons, whichever is later.

 

[Emphasis added.]

 

[23]           Le législateur n’a pas jugé bon d’effectuer cette même distinction à l’égard d’une décision prise par un agent des visas.  En l’absence d’une mention explicite, l’on peut donc en déduire que le point de départ du délai pour contester cette mesure correspond à la date à laquelle le demandeur est avisé ou a connaissance de la décision de l’agent des visas.

 

[24]           L’alinéa 72(2)b) de la Loi indique d’ailleurs que l’alinéa 169f) constitue une exception lorsqu’il y est précisé que le délai court dans les 15 ou 60 jours « suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date ou le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance » [Je souligne]. Si l’alinéa 72(2)b) de la Loi était interprété comme permettant que le délai pour déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire puisse courir à compter de la réception des motifs de la décision, la mention expresse du législateur à l’alinéa 169f) de la Loi n’aurait dès lors plus de sens.

 

[25]            En outre, les Règles 9 et 10 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés fournissent une autre indication que le législateur n’a pas voulu, à moins de mention expresse, que la computation des délais pour déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire s’effectue à partir de la réception des motifs de la décision. Ces règles prévoient en effet un mécanisme pour permettre au demandeur de compléter son dossier lorsqu’il n’a pas encore reçu les motifs écrits d’une décision au moment où il dépose sa demande d’autorisation. Elles indiquent clairement que le demandeur doit procéder dans le délai imparti mais qu’il peut par la suite mettre son dossier en état en le complétant à la lumière des motifs ultérieurement reçus.

 

[26]           La Règle 9 édicte que lorsque le demandeur n’a pas reçu les motifs écrits du tribunal administratif, il peut l’indiquer dans sa demande d’autorisation et le greffe de la Cour entreprendra alors des démarches pour que le demandeur puisse obtenir les dits motifs. La Règle 10 prévoit ensuite un mécanisme pour permettre au demandeur de mettre sa demande d’autorisation en état une fois qu’il a reçu les motifs de la décision. Les Règles 9 et 10 n’auraient aucune raison d’être si le délai pour déposer une demande d’autorisation de contrôle judiciaire était computé à partir de la réception des motifs de la décision.

 

[27]           Il m’apparaît donc clairement que le délai pour contester une décision refusant un visa temporaire commence à courir à compter du moment où le demandeur prend connaissance de la décision de refus et non à compter du moment où il reçoit les motifs de la décision.

 

La demande de prorogation de délai

[28]           La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire n’était pas accompagnée d’une demande de prorogation de délai et la demande de prorogation de délai a été formulée à titre subsidiaire par le procureur du demandeur, directement en audience.

 

[29]           Tout d’abord, le demandeur n’a pas respecté la Règle 6 des Règles en matière d’immigration et de protection des réfugiés qui prévoit qu’une requête en prorogation de délai doit être incluse dans la demande d’autorisation et il n’a fourni aucune explication pour justifier son omission. Même si le demandeur soutient que sa demande a été déposée à l’intérieur du délai, rien ne l’empêchait de faire une demande de prorogation à titre subsidiaire lors de sa demande d’autorisation plutôt que d’attendre, comme il l’a fait, à l’audience.

 

[30]           Quoi qu’il en soit, je considère que le demandeur n’a présenté aucun motif qui justifierait que j’accorde une prorogation de délai. Le demandeur n’a soumis aucune explication pour justifier les délais encourus sauf en mentionnant que tous les intervenants dans le dossier avaient agi de bonne foi et avec diligence. Ces explications ne sont pas suffisantes. Les délais pour déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ont été fixés par le législateur qui a d’ailleurs prévu plus de temps lorsque les décisions sont rendues à l’extérieur du Canada.

 

[31]           Ces délais ne sont pas extensibles à loisir et leur respect n’est pas facultatif. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Berhad, 2005 CAF 267, les délais servent l’intérêt public et permettent aux décisions des tribunaux administratifs d’acquérir un caractère définitif.

 

[32]           Une demande de prorogation de délai doit être accordée uniquement lorsque le demandeur a des « motifs valables » à faire valoir (alinéa 72(2)c) de la Loi). La jurisprudence a développé des critères qui servent à guider l’appréciation des « motifs valables ». Ces facteurs ont été énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.) et dans Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] A.C.F. no 846 (QL), et ils ont constamment été repris depuis. Le demandeur doit démontrer :

a.       une intention constante de poursuivre sa demande;

b.      que les moyens soulevés au mérite révèlent une cause défendable;

c.       qu’il a une explication raisonnable pour justifiant le délai; et

d.      que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai.

 

[33]           En l’espèce, bien que le demandeur ait une cause défendable à faire valoir au mérite de sa demande, il n’a fourni aucune explication raisonnable pour justifier son retard.

 

[34]           La demande de contrôle judiciaire a donc été déposée tardivement et les circonstances du présent dossier ne justifient pas que la Cour accorde une prorogation du délai.

 

[35]           Compte tenu de mes conclusions quant au caractère tardif de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, il n’y a pas lieu que je me prononce sur la deuxième objection soulevée par le défendeur ni sur les moyens soulevés par le demandeur à l’encontre de la décision contestée. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

[36]           Les procureurs n’ont proposé aucune question d’importance générale pour certification.   

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6532-09

 

INTITULÉ :                                       HONG SHUN CHEN

                                                            et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 août 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            La juge Bédard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

Michelle Joubert

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jean-François Bertrand

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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