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Date : 20100913

Dossier : IMM-5581-09

Référence : 2010 CF 907

TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE

Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2010

En présence de Monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

FRANCISCO JAVIER GARCIA OSORIO

SANDRA MARGARITA FORERO SAMPER

NICHOLAS GARCIA

DANIEL GARCIA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a refusé aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention et la qualité de personnes à protéger. Le demandeur principal (le demandeur) et son épouse sont Colombiens tandis que les deux enfants sont citoyens des États-Unis.

 

[2]               Les demandeurs ont sollicité l’asile en affirmant craindre les Forces armées révolutionnaires de la Colombie (les FARC), un mouvement de guérilla qui sévit de longue date en Colombie. Le demandeur est venu à l’attention des FARC en raison de son travail, qui consistait à distribuer du matériel pédagogique dans les écoles du pays. Les FARC voulaient que le demandeur diffuse pour elles leur propagande sous couvert de distribution de matériel pédagogique. Le demandeur a affirmé que sa vie aurait été menacée s’il ne s’était pas plié aux exigences des FARC.

 

[3]               La Commission a trouvé que le demandeur était crédible, mais elle a conclu qu’il n’était guère probable qu’il soit persécuté par les FARC en cas de retour en Colombie.

 

II.         CONTEXTE

[4]               En janvier 1999, alors qu’il travaillait comme vendeur de matériel pédagogique, le demandeur a été abordé par les FARC. Parce qu’il avait accès à des écoles, les FARC ont trouvé qu’il ferait une parfaite couverture et un parfait distributeur de leur propre propagande. Lorsqu’il a été contacté la première fois, le demandeur a eu peur de refuser carrément d’agir au nom des FARC, et il n’a donc pas dit qu’il ne ferait pas ce qu’elles exigeaient.

 

[5]               En mars 1998, les FARC ont informé l’épouse du demandeur que les imprimés de propagande étaient prêts à être distribués. Au lieu de commencer leur distribution, les demandeurs sont allés vivre dans une autre ville.

 

[6]               Cependant, un mois plus tard, les FARC ont rattrapé le demandeur dans l’autre ville. En mai, il a été informé qu’une réunion aurait lieu en juin pour le lancement de la distribution des imprimés. Le demandeur ne s’est pas présenté à la réunion de juin.

 

[7]               En juillet de cette année-là, le demandeur et son épouse ont été interceptés sur le bas-côté d’une route, une arme a été braquée sur le demandeur, et on lui a dit que c’était la dernière occasion qu’il avait d’aider les FARC; autrement, il serait éliminé.

 

[8]               À la suite de cette rencontre, le demandeur et son épouse sont partis aux États-Unis en août 1998, où ils sont restés durant 11 ans. Ils ont tenté d’obtenir l’asile aux États-Unis, mais leur demande a été refusée. Puis ils sont venus au Canada, où ils ont présenté leur demande d’asile.

 

[9]               Le reste de la famille du demandeur (parents et fratrie) est resté en Colombie. Le demandeur a affirmé que sa famille recevait des menaces et qu’on l’interrogeait sur l’endroit où il se trouvait, et ses parents avaient donc dû déménager plusieurs fois durant cette période de 11 ans.

 

[10]           Le demandeur avait produit, parmi les éléments de preuve, une lettre de sa mère qui confirmait les menaces, et le fait que des inconnus voulaient savoir où il se trouvait et quand il reviendrait. La lettre confirme ensuite que, à cause de ces visites, la mère et le père avaient déménagé de nombreuses fois.

 

[11]           Comme je l’ai indiqué plus haut, la Commission a trouvé que le demandeur était crédible et que son témoignage était digne de foi. Elle a admis ses craintes subjectives, mais a jugé qu’elles n’étaient pas confirmées par une preuve objective. La principale preuve objective sur laquelle s’est fondée la Commission était le fait que 11 années s’étaient écoulées depuis le départ du demandeur et que les conditions en Colombie avaient notablement évolué, de telle sorte que la menace constituée par les FARC s’était considérablement réduite. La Commission a conclu que le demandeur n’était plus une cible, ni un membre d’un groupe social qui était ciblé par les FARC; les groupes visés par les FARC étaient les politiciens et les riches.

 

III.       ANALYSE

[12]           La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait dans la présente affaire est celle de la décision raisonnable, c’est-à-dire que les conclusions de la Commission appellent une retenue considérable.

 

[13]           Le fond des arguments du demandeur, c’est qu’il était ciblé par les FARC, que sa vie était menacée et que les FARC renouvelleront leurs menaces et leurs pressions, ne serait-ce que pour se venger de son refus de se plier à leurs exigences. Cette menace future était confirmée par la lettre de sa mère et constituait donc une partie essentielle de ses arguments.

 

[14]           Dans sa décision, la Commission précise que le traitement de la famille était un élément important à considérer. Elle mentionne explicitement que la famille de l’épouse du demandeur n’a pas été soumise à de mauvais traitements ni à des menaces. Cependant, elle ne dit rien des expériences vécues par la famille du demandeur. Si la Commission a jugé utile d’évoquer la situation de la famille de l’épouse du demandeur, il était manifestement utile d’évoquer aussi la situation de la famille du demandeur. Elle ne l’a pas fait.

 

[15]           S’agissant de la lettre de la mère du demandeur, il ne fait aucun doute que c’est une lettre plutôt vague et avare de détails. Cependant, c’est une preuve documentaire invoquée par le demandeur, une preuve qui concerne la menace à laquelle il serait exposé en cas de retour en Colombie.

 

[16]           Si cette lettre est exacte, alors on peut prétendre que les FARC sont encore à la recherche du demandeur et que le demandeur a de bonnes raisons de craindre leurs représailles. La lettre de sa mère constitue donc ici un important élément. Or, dans l’analyse qu’elle fait des circonstances dans lesquelles se trouverait le demandeur en cas de retour, la Commission ne dit tout simplement rien de cette lettre.

 

[17]           Dans de nombreux jugements, la Cour fédérale a admis le raisonnement suivi dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425, et en particulier les paragraphes suivants :

15     La Cour peut inférer que l’organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation qu’un organisme donne de sa loi constitutive, s’il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d’un organisme en l’absence de conclusions expresses et d’une analyse de la preuve qui indique comment l’organisme est parvenu à ce résultat.

 

16     Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

17     Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[18]           Dans la présente affaire, la lettre de la mère du demandeur présentait un grand intérêt parce qu’elle rendait compte des menaces qui pesaient sur le demandeur. La lettre contredit les conclusions de la Commission, mais la Commission ne dit rien des éléments de preuve qui militent en faveur d’une conclusion autre que la sienne. Il est légitime pour la Cour d’en déduire que la lettre a été laissée de côté ou que, si elle a été prise en compte, la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle l’a récusée ou lui a accordé moins de poids qu’aux autres éléments de preuve documentaires.

 

[19]           Dans ces conditions, la Cour doit conclure que la Commission n’a pas satisfait à la norme de la décision raisonnable en arrivant à sa décision, puisqu’elle n’a pas considéré la preuve produite par le demandeur, ou qu’elle n’a pas suffisamment expliqué l’intérêt qu’elle présentait, ou son absence d’intérêt.

 

IV.       CONCLUSION

[20]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accordée, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la Commission afin qu’elle soit à nouveau examinée par un tribunal composé de membres différents. Aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accordée, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission, devant d’autres commissaires, pour nouvelle décision.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5581-09

 

INTITULÉ :                                                   FRANCISCO JAVIER GARCIA OSORIO

                                                                        SANDRA MARGARITA FORERO SAMPER

                                                                        NICHOLAS GARCIA

                                                                        DANIEL GARCIA

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 9 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 13 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

Alex C. Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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