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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20100908

Dossier : T-1095-09

Référence :  2010 CF 884

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2010

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

DANY FRADETTE

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur occupe un poste de gestionnaire au sein de l’entreprise HMS Host International depuis 1998 et il exerce ses fonctions à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. Dans le cadre de son travail, il doit accéder aux zones règlementées de l’aéroport et pour ce faire, il doit détenir une habilitation de sécurité qui lui permet d’obtenir un laissez-passer.

 

[2]               Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités (le Ministre), rendue en date du 4 juin 2009 et au terme de laquelle il a annulé l’habilitation de sécurité du demandeur. La décision est fondée sur l’existence d’un casier judiciaire qui révèle que le demandeur a été reconnu coupable de fraude à deux reprises.

 

Contexte

[3]               En février 1992, le demandeur a été reconnu coupable de fraude ne dépassant pas 1 000 $. En 2006, il a été reconnu coupable de fraude dépassant 5 000 $. Il est acquis que le demandeur n’a jamais tenté de dissimuler son casier judiciaire au défendeur.

 

[4]               Lorsque le demandeur a commencé son travail en 1998, le ministre lui a émis une habilitation de sécurité et ce, malgré l’existence de l’infraction commise en 1992. Cette habilitation a été renouvelée en 2004. Les habilitations de sécurité doivent être renouvelées à chaque période de cinq ans et en janvier 2009, le demandeur a fait une autre demande de renouvellement de son habilitation de sécurité. Une vérification des antécédents judiciaires du demandeur a révélé une deuxième condamnation pour fraude, cette fois-ci pour un montant dépassant 5 000 $.

 

[5]               Le 3 mars 2009, Madame Mary Ann Mattioli, chef des programmes de filtrage de sécurité, a avisé le demandeur que les vérifications de son dossier avaient révélé les infractions ci-haut mentionnées et que cette information avait « soulevé des doutes quant à [son] aptitude à obtenir une habilitation de sécurité.» Madame Mattioli a informé le demandeur que son dossier allait être référé à l’Organisme consultatif pour l’habilitation de sécurité en matière de transport (l’Organisme consultatif) qui formulerait une recommandation au Ministre. Le demandeur a également été invité à soumettre des renseignements supplémentaires par écrit à l’attention de l’Organisme consultatif.    

[6]               Le 4 mars 2009, le demandeur a écrit à Transports Canada. Dans sa lettre, il a expliqué le contexte de sa dernière condamnation et précisé qu’il ne représentait aucun risque au niveau de la sécurité :

J,ai recu un papier m,avertissant que ma passe de sécurité de l’aéroport P.E.T. était revoque du a mon casier judiciaire et j,espere qu,avec mes explications concernant ce dossier, vous comprendrez que je ne represente aucun danger pour l,aeroport ou mes employeurs direct, et je vous remercie de prendre le temps d,etudier mon dossier.

 

Pour resumer le tout, je vous explique la situation. On m’a accuse de choses pour lesquelles que je n,étais pas responsable et que la position que j,occupais a l,epoque, me mettait au premier plan pour cette accusation, et afin d eviter beaucoup de problemes a des personnes, et surtout a la recommandation de mon avocat j ai du opter pour la declaration coupable, et tout cela pour prevenir les problemes que cela aurait pu occasionner pour d autres personnes, temoignage, comparution a la cour etc… Mais a cause de mauvais conseils de mon avocat jai été accuse quand meme et malheureusement un dossier judiciaire a suivi par la suite.

 

J ai été declare coupable le 8 sept 2004, et le jugement rendu seulement le 9 février 2006, une attente qui a été longue mais cela semble normal dans le domaine de la justice. J ai purge ma peine dans la collectivite c.a.d. 9 mois sans troubler lordre et, sur votre demande je pourrai vous fournir tout document attestant ceci. Voici maintenant 3 ans que cela est termine, et rien ne m a été reproche depuis, j ai fait une erreur et appris beaucoup de cette erreur. Tout ce temps j ai continue a travailler a l aeroport et occasionner aucun probleme, soit a mon employeur ou a la securite de laeroport en respectant les normes et standards de la securite aeroportuaire, j,aime mon travail et l ambiance que occasionne mon travail a l aeroport, et cela fait maintenant 10 ans que je suis pour HMS HOST en tant que gerant

 

[sic pour l’ensemble de la citation]

 

 

[7]               Le 7 avril 2009, l’Organisme consultatif a recommandé au Ministre d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur en raison de ses deux condamnations pour fraude. La recommandation indique que les renseignements fournis par le demandeur n’ont pas suffit pour emmener l’Organisme consultatif à recommander l’émission d’une habilitation de sécurité. Cette recommandation a été acceptée par le délégué du Ministre le 19 mai 2009 et le demandeur a été informé de la décision du Ministre dans une lettre du 4 juin 2009 signée par le Directeur du programme de sécurité. La lettre indique que l’habilitation de sécurité du demandeur est annulée sur la base de la recommandation de l’Organisme consultatif.

 

Les procédures

[8]               Le 7 juillet 2009, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du Ministre d’annuler son habilitation de sécurité. Cette demande n’a toutefois jamais été suivie du dépôt d’un dossier du demandeur, tel que requis en vertu de la Règle 309 des Règles des Cours fédérales DORS/98-106. Aucun affidavit n’a non plus été déposé, et ce, malgré des ordonnances à cet effet.

 

[9]               Le défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire sur la seule base que le dossier du demandeur est incomplet. Il demande, de façon subsidiaire, que la Cour interdise l’introduction par le demandeur de toute nouvelle preuve ou arguments qui n’apparaîtraient pas à la procédure de demande de contrôle judiciaire. Lors de l’audience, j’ai pris les objections du défendeur sous réserve et permis au demandeur, qui se représentait seul, de soumettre ses arguments.

 

[10]           Eu égard à l’objection quant à l’état de son dossier, le demandeur a indiqué qu’il ne comprenait pas ce qu’impliquait l’exigence de déposer un dossier à la Cour et il a précisé qu’il croyait que le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire suffisait.

 

[11]           Quant au mérite de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a soutenu qu’il ne comprenait pas pourquoi son habilitation de sécurité avait été annulée puisque lorsqu’il avait reçu sa première habilitation de sécurité en 1998 et lors du renouvellement en 2004, il avait déjà une condamnation pour fraude de moins de 1 000 $, ce qui n’avait pas empêché l’émission de son habilitation. Le demandeur a précisé que les infractions pour lesquelles il avait été reconnu coupable n’avaient aucun lien avec la sécurité aérienne et avec son travail et qu’il ne présentait aucun risque en matière de sécurité. Le demandeur a précisé qu’il demandait à la Cour d’annuler la décision du Ministre et de lui émettre une habilitation de sécurité.

 

[12]           Le défendeur a, pour sa part, soumis que la décision en cause était celle de 2009 et que les circonstances en 2009 étaient différentes de celles qui prévalaient en 1998 et en 2004, alors que les vérifications effectuées en 2009 avaient, pour la première fois, révélé la deuxième condamnation pour fraude prononcée contre le demandeur en 2006. La situation du demandeur en 2009 était donc différente de celle qui prévalait en 1998 et en 2004: il avait été condamné pour une deuxième infraction en matière de fraude et cette infraction était plus grave que celle pour laquelle il avait été condamné en 1992. Le défendeur soutient qu’à la lumière du casier judiciaire du demandeur, le Ministre a agi dans les paramètres du pouvoir discrétionnaire dont il est investi et que sa décision est raisonnable.

Analyse

[13]           Dans les circonstances du présent dossier, j’estime qu’il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les objections du défendeur quant au défaut du demandeur de déposer un dossier du demandeur et un affidavit au dossier de la Cour puisque sur le fond, le demandeur n’a démontré aucune erreur de la part du Ministre qui justifierait que la Cour intervienne et casse sa décision d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur.

 

Le cadre législatif et réglementaire

[14]           Le Ministre est responsable, suivant les dispositions de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A-2 (la « Loi »), de promouvoir la sûreté dans les aérodromes canadiens ce qui inclut le contrôle de l’accès aux zones réglementées de certains aéroports. Aux termes de la Loi et du Règlement canadien sur la sûreté aérienne, DORS/2000-111 (« le Règlement »), le rôle du Ministre comprend notamment la réglementation et l’octroi d’habilitation de sécurité pour les individus qui désirent accéder aux zones réglementées de certains aéroports désignés, dont l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. À cet égard, l’article 4.8 de la Loi octroie au Ministre le pouvoir « [d’]accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.»

 

[15]           En vertu du paragraphe 36(1) du Règlement, l’exploitant d’un aéroport désigné doit établir, appliquer et exécuter les mesures de sécurité énoncées, notamment celle relative à l’exigence d’une carte d’identité pour avoir accès aux zones réglementées. Le Règlement prévoit également qu’une habilitation de sécurité est requise pour qu’une personne puisse obtenir le laissez-passer nécessaire pour accéder aux zones réglementées.

[16]           Aux fins d’exercer ses pouvoirs en matière d’habilitation de sécurité, le Ministre a adopté la « Politique sur le programme d’habilitation de sécurité en matière de transport » (le Programme d’habilitation) qui prévoit le processus de traitement des demandes d’habilitation de sécurité. Le Programme d’habilitation est administré par le Directeur des programmes de filtrage de sécurité de Transport Canada. Ce dernier procède entre autres à l’examen des demandes d’habilitation et effectue les vérifications de sécurité appropriées, notamment en procédant à une vérification du dossier criminel de la personne en cause. Lorsque le Directeur estime que les renseignements obtenus justifient une recommandation de refus de l’habilitation de sécurité, il en saisit l’Organisme consultatif (l’Organisme consultatif) composé du directeur des programmes de filtrage de sécurité et de deux autres membres, qui a comme responsabilité de procéder à une analyse complète du dossier et de formuler une recommandation à l’intention du Ministre. L’article II.35 1 du Programme d’habilitation prévoit que « l’Organisme consultatif peut recommander au ministre de refuser ou d’annuler l’habilitation d’une personne s’il est déterminé que la présence de ladite personne dans la zone réglementée d’un aéroport est contraire aux buts et objectifs du présent programme.» À la suite de la recommandation de l’Organisme consultatif, le Ministre exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu de l’article 4.8 de la Loi.

 

Norme de contrôle

[17]           La jurisprudence antérieure à l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, avait établit que la norme applicable à une décision prise par le Ministre en vertu de l’article 4.8 de la Loi était celle de la décision manifestement déraisonnable (Lavoie c. Canada (Procureur général), 2007 CF 435; Fontaine c. Canada (Transports Canada sécurité et sûreté), 2007 CF 1160; Singh c. Canada (Procureur général), 2006 CF 802). À la lumière de Dunsmuir, cette norme doit maintenant être celle de la décision déraisonnable.

 

[18]           En l’espèce, je considère que la décision prise par le Ministre se situait dans les paramètres de son pouvoir discrétionnaire et qu’elle était, à la lumière du casier judiciaire du demandeur, tout à fait raisonnable. La situation du demandeur est malheureuse compte tenu des conséquences de l’annulation de son habilitation de sécurité sur son emploi, mais son désaccord avec la décision du Ministre ne la rend pas déraisonnable pour autant.

 

[19]           Le demandeur a indiqué qu’il ne comprenait pas pourquoi le ministre avait annulé son habilitation alors que sa situation en 2009 était similaire à celle qui prévalait lors de l’émission de sa  première habilitation de sécurité puisqu’il avait déjà une condamnation pour fraude à son dossier criminel. Avec égards, le dossier du demandeur n’était pas le même en 2009 : une deuxième condamnation pour une infraction reliée à de la fraude, mais plus grave que celle de 1992, s’était rajoutée à son dossier. Le demandeur soumet que ces infractions n’ont pas de lien avec son travail et qu’il ne présente pas de risque en matière de sécurité. Cette information est peut-être exacte mais en l’absence de démonstration que le processus de vérification a violé les règles de justice naturelle ou d’équité procédurale ou que la décision est déraisonnable, la Cour n’interviendra pas. La Cour n’a pas à se substituer au Ministre ni aux personnes à qui il a délégué le pouvoir d’examiner les demandes d’habilitation et d’effectuer les vérifications requises en matière de sécurité. En l’espèce, cette démonstration n’a pas été faite et la décision du Ministre m’apparaît tout à fait raisonnable.

 

[20]           Pour ses motifs la demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1095-09

 

INTITULÉ :                                       DANY FRADETTE

                                                            et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            La juge Bédard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dany Fradette

(se représente lui-même)

 

POUR LE DEMANDEUR

Michelle Kellam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

n/a

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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