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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100908

Dossier : IMM-4042-09

Référence : 2010 CF 882

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

GORDON DOUGLAS ROSENBERRY

et MURIEL HARDWICK ROSENBERRY

 

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision rendue le 31 juillet 2009 par laquelle la déléguée du ministre prend une mesure de renvoi contre chacun des demandeurs en vertu de l’article 44 de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), parce que les demandeurs ont contrevenu au paragraphe 29(2) de la Loi et sont interdits de territoire au sens de l’article 41.

 

[2]               Les demandeurs soulèvent également la question de savoir si la procédure prévue à l’article 44 de la Loi porte atteinte au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.

 

[3]               Les demandeurs demandent à la Cour d’annuler la décision.

 

Contexte

 

[4]               Les demandeurs sont citoyens des États‑Unis. Leur fille, Janice Howie, est résidente permanente du Canada et habite à Edmonton, en Alberta. En janvier 2008, Mme Howie a parrainé les demandeurs, qui voulaient immigrer au Canada à titre de membres de la catégorie du regroupement familial. Les demandeurs ont choisi de venir au Canada avant de recevoir la décision. Ils ont donc vendu leur maison en Californie et envoyé leurs effets personnels à la maison de Mme Howie.

 

[5]               Les demandeurs soutiennent qu’à l’époque, ils ne croyaient pas violer la loi canadienne s’ils venaient au Canada en attendant la décision. Toutefois, ils ont dû faire demi-tour à la frontière de l’Idaho, n’ayant pas réussi à convaincre l’agent qu’ils entraient au Canada afin d’y séjourner temporairement. Les demandeurs croient aussi que l’entrée au Canada leur a été refusée parce que la demanderesse, Muriel Rosenberry, présentaient des symptômes de la maladie d’Alzheimer.

 

[6]               En juin 2008, les demandeurs sont entrés au Canada par un autre poste frontalier sans avoir obtenu l’approbation nécessaire. Ils ont pris un vol à destination d’Edmonton, où ils avaient acheté une maison avant leur arrivée au pays.

 

[7]               Le 17 novembre 2008, les demandeurs ont demandé la prorogation de leur statut de visiteur. Un employé du bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) d’Edmonton a finalement communiqué avec les demandeurs le 26 juin 2009 et les a convoqués en entrevue à propos de leur demande de prorogation. Le 3 juillet 2009, l’avocat des demandeurs expliquait dans une lettre qu’il souhaitait participer à l’entrevue pour présenter des observations au nom des demandeurs, mais il demandait que l’entrevue soit reportée car il devait s’absenter la journée où elle devait avoir lieu.

 

[8]               Entre-temps, comme leur dossier en était au même point depuis plusieurs mois, les demandeurs ont envisagé d’autres solutions. Le 4 juillet 2009, ils ont présenté une deuxième demande de résidence permanente, depuis le Canada cette fois-là, pour considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi.

 

[9]               Un employé du bureau de CIC d’Edmonton a téléphoné au cabinet de l’avocat des demandeurs pour dire que l’entrevue ne serait pas repoussée. Le 9 juillet 2009, un agent d’immigration a mené l’entrevue en présence d’un autre avocat du même cabinet. L’agent d’immigration a refusé de proroger le séjour des demandeurs et, dans une lettre datée du 14 juillet 2009, il a enjoint aux demandeurs de quitter immédiatement le Canada. Pour parvenir à sa décision, l’agent a considéré la question des difficultés et a tenu compte de l’aveu des demandeurs et de Mme Howie, qui avaient reconnu que, même si les demandeurs avaient vendu leur maison, ils pouvaient vivre avec l’un ou l’autre de leurs fils, en Californie.

 

[10]           Ces motifs ont constitué le fondement des rapports d’interdiction de territoire établis conformément au paragraphe 44(1). L’allégation d’interdiction de territoire était formulée en termes relativement simples : les demandeurs étaient des étrangers interdits de territoire en vertu de l’article 41 et du paragraphe 29(2) de la Loi parce qu’ils n’avaient pas quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

[11]           Le 31 juillet 2009, les demandeurs se sont présentés à une enquête menée par la déléguée du ministre. L’avocat des demandeurs était présent; d’entrée de jeu, il a demandé l’ajournement de l’enquête jusqu’à l’issue de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La demande d’ajournement a été rejetée. À la fin de l’enquête, la déléguée du ministre a pris une mesure de renvoi contre les deux demandeurs.

 

Questions en litige

 

[12]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         La procédure prévue à l’article 44 de la Loi porte-t-elle atteinte à l’article 7 de la Charte?

            2.         La déléguée du ministre a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité envers les demandeurs en refusant d’accorder l’ajournement?

 

Observations écrites des demandeurs

 

Question constitutionnelle

 

[13]           La procédure prévue à l’article 44 porte atteinte aux principes de justice fondamentale. Un délégué du ministre ne peut examiner un rapport préparé par un agent du même service pour décider si la personne visée par le rapport doit être renvoyée. Le même service exerce à la fois un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire, ce qui contrevient au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. Par conséquent, tous les rapports examinés aux termes du paragraphe 44(2) doivent être envoyés à la Section de l’immigration. La procédure prévue à l’article 44 s’applique dans des situations différentes de celle où l’agent refoule quelqu’un à un point d’entrée, car le visiteur a déjà obtenu la permission d’entrer au Canada et a donc le droit d’être traité différemment.

 

Manquement à l’équité procédurale

 

[14]           Pour respecter l’obligation d’équité, le délégué du ministre doit offrir aux demandeurs une procédure ouverte, et donner aux demandeurs la possibilité de présenter leur point de vue et leurs éléments de preuve complètement de sorte qu’ils soient considérés par le décideur. En l’espèce, la déléguée du ministre a manqué à son obligation car elle a empêché les demandeurs de présenter des observations et n’a pas considéré les éléments de preuve que les demandeurs avaient soumis.

 

[15]           La déléguée du ministre s’est opposée à la requête de l’avocat des demandeurs, qui voulait présenter une demande préliminaire en vue de faire ajourner l’instance. Elle a écouté à contrecœur l’argument de l’avocat et l’a ensuite interrompu pour lui demander de prouver qu’il avait l’autorisation d’agir pour le compte des demandeurs, de sorte qu’en définitive, l’avocat n’a pas eu la pleine possibilité de faire valoir son point de vue. À l’appui de sa demande, l’avocat a présenté un cahier de documents qui traitaient de ce qui suit :

-         le caractère inadéquat de l’entrevue précédente (l’entrevue du 9 juillet);

-         le délai demandé (jusqu’à l’issue de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire);

-         la preuve médicale selon laquelle la demanderesse, Muriel Rosenberry, était en assez bonne santé lorsqu’elle s’est présentée à la frontière, mais qu’elle était maintenant atteinte de la maladie d’Alzheimer au stade avancé, ce qui rendait son départ difficile;

-         des éléments de preuve montrant que les demandeurs s’étaient conformés à la Loi dans le passé;

-         les dispositions de la Loi, du Règlement et des guides des politiques qui parlent de souplesse lorsqu’il s’agit de permettre à des parents de se rendre au Canada à titre de visiteurs en attendant le traitement de leurs demandes de parrainage.

La déléguée du ministre n’a cependant pas regardé le cahier.

 

[16]           L’obligation d’équité comprend aussi le droit de se faire représenter par un avocat. La déléguée du ministre a porté atteinte à ce droit en ne tenant pas compte des documents présentés par l’avocat.

 

Manquement structurel à l’équité procédurale

 

[17]           La question soulevée ci‑dessus concernant des personnes d’un même service qui exercent un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire suscite une crainte raisonnable de partialité. La personne qui prend une décision à la suite d’un rapport relève du même service que les personnes qui ont rédigé le rapport et qui exécuteront la décision.

 

Observations écrites du défendeur

 

[18]           Les étrangers qui résident temporairement au Canada sont peu protégés par la Loi tant en qui a trait aux questions de fond qu’aux questions de procédure. Les agents d’immigration et les délégués du ministre aux termes du paragraphe 44(2) sont souvent simplement chargés de rechercher les faits. Ils sont tenus de prendre des mesures lorsque les faits indiquent qu’un étranger est interdit de territoire. En l’espèce, les faits indiquant l’interdiction de territoire ne sont pas contestés. Ces agents n’ont pas à examiner des considérations d’ordre humanitaire ni des facteurs de risque qui seraient pris en compte dans l’examen des risques avant renvoi.

 

[19]           Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. Les demandeurs étaient accompagnés d’un avocat tant à leur entrevue du 9 juillet 2009 qu’à leur enquête du 31 juillet 2009. L’argument selon lequel ils ont été privés du droit à un avocat est sans fondement.

 

[20]           La déléguée du ministre n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire en rendant sa décision. Elle a obtenu confirmation auprès des demandeurs que les allégations contenues dans le rapport étaient étayées par les faits et par la preuve. Elle s’est assurée que les demandeurs comprenaient bien les allégations et le fait que des mesures de renvoi seraient prises contre eux si les allégations se révélaient fondées. Elle n’était pas tenue d’examiner des considérations d’ordre humanitaire ni des facteurs de risque.

 

Analyse et décision

 

[21]           Première question en litige

            La procédure prévue à l’article 44 de la Loi porte‑t‑elle atteinte à l’article 7 de la Charte?

            L’argument des demandeurs ne saurait être retenu. La grande préoccupation des demandeurs semble tenir au fait que la preuve présentée contre eux a été préparée par un agent du service même dont relève la déléguée du ministre ayant tranché l’affaire, ce qui, soutiennent les demandeurs, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Cet argument revient à dire qu’une grande partie, voire la totalité, des décisions administratives devraient être prises par un membre du pouvoir judiciaire ou, à tout le moins, par un organisme quasi judiciaire indépendant au sein de l’administration.

 

[22]           Manifestement, le principe constitutionnel non écrit de la primauté du droit ne peut être appliqué sans que le gouvernement n’établisse une séparation adéquate entre les fonctions et les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. Il ne faut cependant pas conclure à l’invalidité de toute disposition autorisant un service administratif du pouvoir exécutif à rendre une décision sans la supervision d’un membre du pouvoir judiciaire ou d’un organisme quasi judiciaire. Je ne suis pas convaincu qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Charte.

 

[23]           La loi peut autoriser des agents administratifs à rendre des décisions concernant les droits et les intérêts de particuliers.

 

[24]           En conclusion, je suis d’avis que la procédure prévue à l’article 44 ne porte pas atteinte au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.

 

[25]           Pour que l’obligation d’équité soit honorée, les décideurs administratifs doivent paraître impartiaux (voir R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484). Les décideurs administratifs doivent aussi être indépendants (voir Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, [1995] A.C.S. no 1 (QL); D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, 1998 (édition en feuilles mobiles, mise à jour en septembre 2009), au paragraphe 11.1110).

 

[26]           Les concepts de partialité et de manque d’indépendance sont liés. Le tribunal doit aussi satisfaire à la norme d’indépendance institutionnelle. Lorsque la relation entre un tribunal et le pouvoir exécutif est autorisée dans la loi même, la norme sera respectée, à moins qu’il n’y ait atteinte aux articles 7 ou 11 de la Charte (voir Canadien Pacifique Ltée, précité, et Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350, 276 D.L.R. (4th) 594).

 

[27]            Les organismes de réglementation administratifs, comme CIC, sont souvent dûment autorisés à exercer à la fois des fonctions d’enquête, des fonctions d’exécution de la loi et des fonctions judiciaires sans pour autant faire preuve de partialité illicite. En fait, Brown et Evans, précité, au paragraphe 11.3360, ont expliqué pourquoi ces organismes multifonctionnels ont généralement besoin de cette marge de manœuvre pour remplir adéquatement leur rôle :

[traduction]

Dans l’administration de la justice pénale, une nette distinction est établie entre, d’une part, les fonctions d’enquête et de poursuite dans une affaire exercées par la police et les procureurs de la Couronne et, d’autre part, l’instruction de l’affaire par le juge. Plus précisément, le juge ne peut avoir une connaissance préalable de l’affaire qui découlerait de sa participation à une étape antérieure du processus. En revanche, il n’est pas rare de voir un organisme de réglementation administratif exercer à la fois les fonctions de législateur, de police et d’arbitre. [...]

 

Par conséquent, le fait d’imposer machinalement aux organismes multifonctionnels le concept de la partialité comme il a évolué pour illustrer la structure contradictoire de la justice pénale pourrait empêcher l’organisme d’exécuter efficacement ses fonctions de réglementation.

 

[28]           Le fait que des personnes travaillent dans le même service ne permet pas de conclure au manque d’indépendance, surtout dans le contexte d’une décision qui ne présente d’intérêt direct ni pour les agents concernés, ni pour l’institution.

 

[29]           S’il est déterminé que la partie qui poursuit a un intérêt pécuniaire ou propriétal dans l’issue de l’instance, que cette partie choisit les membres du tribunal ou qu’elle exerce un contrôle sur le tribunal, le tribunal manque alors d’indépendance institutionnelle (voir Canadien Pacifique Ltée, précité).

 

[30]           Dans le contexte de l’immigration et plus particulièrement dans le cadre du processus prévu à l’article 44, si l’agent qui prépare un rapport en application du paragraphe 44(1) peut par analogie être assimilé à la partie qui poursuit, la Cour ne comprend pas vraiment quel intérêt cet agent pourrait bien avoir dans l’issue de l’affaire. Les agents d’immigration et les délégués du ministre en vertu du paragraphe 44(2) sont de simples représentants d’un organisme de réglementation multifonctionnel, qui s’applique à faire respecter le droit canadien de l’immigration, mais qui n’a aucun intérêt général dans l’issue des cas particuliers. Tout intérêt pécuniaire ou propriétal est assurément absent. Rien n’indique non plus que l’agent a son mot à dire dans la nomination de celui ou celle qui se prononcera sur le rapport en vertu du paragraphe 44(2).

 

[31]           Le processus bifurqué prévu à l’article 44 renforce d’ailleurs les garanties procédurales. En effet, la prise d’une mesure d’exclusion ne dépend pas d’un seul agent, mais de deux agents qui doivent parvenir à la même conclusion. Il semble que l’agent qui exécute la fonction prévue au paragraphe 44(2) occupe un poste plus élevé dans la hiérarchie que l’agent qui prépare le rapport visé au paragraphe 44(1). À mon avis, l’indépendance de la conclusion n’en est que plus évidente.

 

[32]           Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincu qu’il faille annuler, pour manque d’indépendance institutionnelle, les mesures de renvoi prises par l’agent simplement parce que cet agent travaille dans le même service que ceux qui avaient rédigé le rapport.

 

[33]           Deuxième question en litige

            La déléguée du ministre a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité envers les demandeurs en refusant d’accorder l’ajournement?

            La présente demande de contrôle judiciaire ne vise pas la décision finale de la déléguée du ministre selon laquelle les demandeurs sont interdits de territoire, mais plutôt le refus de la déléguée d’ajourner l’enquête jusqu’à l’issue de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il s’agit donc de déterminer si la déléguée du ministre a manqué à son obligation d’équité en rejetant la demande d’ajournement sans avoir examiné toutes les observations des demandeurs. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement.

 

[34]           Les organismes administratifs sont maîtres de leur propre procédure, et le pouvoir d’accorder un ajournement est généralement discrétionnaire (voir Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, au paragraphe 48). Par conséquent, si les tribunaux n’ont pas à faire preuve de retenue judiciaire à l’égard des questions d’équité procédurale, il est reconnu que la décision d’accorder ou de refuser un ajournement est de nature discrétionnaire.

 

[35]           En l’espèce, l’obligation d’équité ne signifiait pas qu’il fallait accorder l’ajournement. L’ajournement peut être demandé au cours d’une audience administrative pour que le demandeur ait la possibilité de présenter des éléments de preuve et des arguments au décideur. Dans le présent cas, le fond de la demande d’ajournement n’a rien à voir avec la question à trancher. Le fait d’attendre l’issue de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’aurait aucune incidence sur la question à trancher, soit l’interdiction de territoire actuelle des demandeurs.

 

[36]           Le fond de la décision n’obligeait pas la déléguée du ministre à tenir compte de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ni, d’ailleurs, d’aucun facteur d’ordre humanitaire. Lorsqu’ils appliquent l’article 44, les agents d’immigration ne font que rechercher les faits. Ils sont tenus de prendre des mesures quand les faits indiquent qu’un étranger est interdit de territoire. Il n’appartient pas à ces agents d’examiner des considérations d’ordre humanitaire ni des facteurs de risque qui seraient pris en compte dans l’examen des risques avant renvoi. Ce principe a récemment été confirmé dans Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409, aux paragraphes 35 et 37.

 

[37]           Il n’était pas non plus nécessaire, dans le contexte de la décision sur l’interdiction de territoire ou de la demande d’ajournement, d’examiner les questions concernant l’exécution des mesures de renvoi. Au moment où la demande a été faite, la déléguée du ministre aurait raisonnablement pu considérer que, si des mesures de renvoi étaient prises contre les demandeurs, ceux-ci auraient quand même le droit de présenter une requête en sursis en vertu du paragraphe 48 de la Loi, dans le cadre de laquelle la demande pendante fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et d’autres facteurs concernant l’exécution des mesures de renvoi seraient normalement examinés.

 

[38]           Pour respecter son obligation d’équité, la déléguée du ministre devait écouter la principale raison pour laquelle la demande avait été faite. Elle n’était pas tenue de permettre l’arrêt de la procédure et d’examiner tous les documents des demandeurs. Même s’il semble que les rapports entre l’avocat des demandeurs et la déléguée du ministre étaient loin d’être chaleureux, rien n’indique que la déléguée a mal compris la raison pour laquelle l’ajournement était demandé. La demande d’ajournement aura finalement été la seule observation présentée.

 

[39]            Au départ, l’avocat a demandé que l’enquête soit ajournée jusqu’à ce qu’une décision soit prise quant à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il a en outre décrit de vive voix le contenu d’un cahier de documents étayant sa requête, y compris l’information sur le délai de traitement de la demande et les rapports médicaux concernant Muriel Rosenberry. À ce moment-là, la déléguée du ministre a voulu savoir si l’avocat avait bel et bien l’autorisation de représenter les demandeurs, des personnes âgées. L’enquête a ensuite continué en partie comme suit :

[traduction]

Q [déléguée du ministre] : M. Semotiuk, j’ai étudié votre demande d’ajournement et décidé de procéder à l’enquête.

 

Avocat : Vous n’avez pas examiné toutes mes observations. Vous avez une obligation d’équité envers nous et devez au moins écouter mes arguments avant de prendre une décision. Vous souhaiterez peut-être consulter la décision Hernandez

 

Q : Merci. Si je comprends bien, vous avez demandé l’ajournement de la présente enquête jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par vos clients. Quand la demande a‑t-elle été faite?

 

Avocat : Le 4 juillet.

 

Q : De quelle année?

 

Avocat : De cette année – 2009. Je crois qu’il pourrait être utile que je présente seulement un autre argument.

 

Q : Et quel serait‑il?

 

Avocat : Janice [sic] Howey et son mari sont les seules personnes au monde qui peuvent aider ces octogénaires. Monsieur [sic] Rosenberry souffre de la maladie d’Alzheimer au stade avancé. Son mari, sa fille et son gendre s’occupent d’elle du mieux qu’ils peuvent. Il serait cruel et inusité dans ces circonstances de renvoyer ces gens du Canada sans avoir au moins entendu leurs considérations d’ordre humanitaire.

 

Q : Merci. J’ai étudié votre demande, mais je décide de poursuivre.

 

 

[40]           Les demandeurs soutiennent que la déléguée du ministre ne leur a pas permis de présenter leurs observations, mais le procès-verbal ne contient aucun élément qui va dans ce sens. Même si la déléguée du ministre a traité promptement la demande et l’a rejetée, rien n’indique qu’elle ait empêché les demandeurs de présenter un argument important qui aurait pu appuyer la demande d’ajournement.

 

[41]           En fait, à mon avis, la déléguée du ministre a correctement traité la demande. Ce processus administratif ne présentait aucune des caractéristiques d’une procédure quasi judiciaire. La déléguée du ministre a estimé, de manière parfaitement légitime, que tous les arguments avancés, et plus particulièrement le dernier, seraient traités plus adéquatement et plus judicieusement dans le cadre d’une demande présentée en vertu de l’article 48 de la Loi. Il m’apparaît également qu’un résumé des documents contenus dans le cahier a été présenté à l’agent.

 

[42]           À mon avis, les demandeurs ont eu droit à une procédure équitable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[43]           Les demandeurs ont soumis à mon attention une question grave de portée générale à certifier. Elle va comme suit :

[traduction]

Le paragraphe 44(2) de la LIPR est‑il ultra vires dans la mesure où il dispose qu’un étranger qui a été admis au Canada à titre de résident permanent peut être renvoyé du pays à la suite d’une décision rendue non pas par la Section de l’immigration, mais par un agent d’immigration à lui seul?

 

 

Je ne suis pas disposé à certifier cette question, qui a déjà été tranchée par les tribunaux.

JUGEMENT

 

[44]           LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

            2.         Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

22.(1) Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b) et n’est pas interdit de territoire.

 

 

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

 

 

29.(1) Le résident temporaire a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’autorisation d’entrer au Canada et d’y séjourner à titre temporaire comme visiteur ou titulaire d’un permis de séjour temporaire.

 

(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

 

 

 

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

44.(1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

22.(1) A foreign national becomes a temporary resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(b) and is not inadmissible.

 

(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

29.(1) A temporary resident is, subject to the other provisions of this Act, authorized to enter and remain in Canada on a temporary basis as a visitor or as a holder of a temporary resident permit.

 

 

(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re-enter Canada only if their authorization provides for re-entry.

 

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

 

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

 

44.(1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

228.(1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci-après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

 

[...]

 

c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

 

(i) l’obligation prévue à la partie 1 de la Loi de se présenter au contrôle complémentaire ou à l’enquête, l’exclusion,

 

(ii) l’obligation d’obtenir l’autorisation de l’agent aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi, l’expulsion,

 

(iii) l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi de prouver qu’il détient les visa et autres documents réglementaires, l’exclusion,

 

(iv) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, l’exclusion,

 

 

(v) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de se conformer aux conditions imposées à l’article 184, l’exclusion;

 

d) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger pour inadmissibilité familiale aux termes de l’article 42 de la Loi, la même mesure de renvoi que celle prise à l’égard du membre de la famille interdit de territoire.

 

228.(1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsections (3) and (4), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order made shall be

 

 

. . .

 

 

(c) if the foreign national is inadmissible under section 41 of the Act on grounds of

 

 

(i) failing to appear for further examination or an admissibility hearing under Part 1 of the Act, an exclusion order,

 

(ii) failing to obtain the authorization of an officer required by subsection 52(1) of the Act, a deportation order,

 

(iii) failing to establish that they hold the visa or other document as required under section 20 of the Act, an exclusion order,

 

(iv) failing to leave Canada by the end of the period authorized for their stay as required by subsection 29(2) of the Act, an exclusion order, or

 

(v) failing to comply with subsection 29(2) of the Act to comply with any condition set out in section 184, an exclusion order; and

 

(d) if the foreign national is inadmissible under section 42 of the Act on grounds of an inadmissible family member, the same removal order as was made in respect of the inadmissible family member.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4042-09

 

INTITULÉ :                                       GORDON DOUGLAS ROSENBERRY et

                                                            MURIEL HARDWICK ROSENBERRY

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andriy J. Semotiuk

 

POUR LES DEMANDEURS

Camille N. Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hansma Bristow & Finlay LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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