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Date : 20100909

Dossier : IMM‑260‑10

Référence : 2010 CF 885

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2010

En présence de Monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

MEHRANGIZ YAZDANI

demanderesse

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

Dossier : IMM‑261‑10

 

DOREH KARIMKHANI

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

Dossier : IMM‑262‑10

 

HAMED JERJISI

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 


Dossier : IMM‑318‑10

 

NOUSHIN BAHARESTANI

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

Dossier : IMM‑319‑10

 

HUSSEIN ATAEI‑FASHTAMI

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

Dossier : IMM‑321‑10

 

TAHAREH EBRAHIMIFAR

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Mehrangiz Yazdani a demandé, en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. 1985, ch. F‑7), le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté sa demande de résidence permanente.

 

[2]               Cinq autres demandeurs ont présenté des demandes distinctes fondées sur les mêmes faits sous‑jacents. La question en litige qui intéresse toutes ces demandes est de savoir qui assume le risque dans le cas où des avis sont envoyés par courriel par un agent d’examen, mais ne sont pas reçus par l’agent du demandeur qui a fait preuve d’une diligence raisonnable.

 

[3]               À l’audience du 11 août 2010, j’ai ordonné la réunion des six demandes. Mes motifs énoncés dans la présente demande principale s’appliqueront à chacune des demandes suivantes :

 

Hamed Jerjisi c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration IMM‑262‑10

Doreh Karimkhani c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration IMM‑261‑10

Tahareh Ebrahimifar c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration IMM‑321‑10

Hussein Ataei‑Fastami c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration IMM‑319‑10

Noushin Baharestani c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration IMM‑318‑10

 

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

 

 

Contexte factuel

 

Généralités

 

[5]               Les six demandeurs ont présenté des demandes de résidence permanente auprès de l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie, entre le 24 octobre 2004 et le 21 mars 2005. Chacun des six demandeurs était représenté par le même consultant en immigration. Chaque demandeur avait donné comme coordonnées le nom et l’adresse du consultant en immigration, en indiquant l’adresse électronique de son bureau.

 

[6]               M. Jamil Azimzadeh (le consultant) a écrit à la section de l’immigration de l’ambassade du Canada à Damas et a déposé des nouvelles demandes et des documents pour l’un des demandeurs, Mme Yazdani. Sa lettre, datée du 4 octobre 2004, portait l’en‑tête de son cabinet et indiquait son adresse électronique.

 

[7]               En raison du nombre élevé de demandes de visa en attente de traitement à Damas, ces six dossiers de visa ont été envoyés pour traitement à l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne, entre le 27 mai 2009 et le 28 mai 2009. Un agent de la section des visas à Varsovie a envoyé des courriels à chacun des demandeurs à l’adresse électronique du consultant au cours de la période du 29 juin 2009 au 29 juillet 2009 (collectivement appelés les courriels de Varsovie).

 

[8]               Dans le courriel de Varsovie du 29 juin 2009 envoyé à Mme Yazdani, il était notamment énoncé ce qui suit :

[traduction] La présente vise à vous informer que votre demande a été transférée pour traitement à l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne. Ce transfert vise à accélérer le processus de traitement de votre demande. Veuillez prendre note que toute correspondance relative à votre dossier devrait dès lors être envoyée à l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne, à l’adresse indiquée ci‑dessus. Vous êtes prié de ne pas envoyer des documents ou de la correspondance à l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie.

 

[…] Nous sommes maintenant prêts à traiter votre demande et nous vous demandons certains renseignements et documents. […]

 

Nous vous demandons de nous faire parvenir les documents énumérés dans le tableau ci‑joint dans les 90 jours suivant la date de la présente lettre. […]

 

Cette demande est présentée en vertu du paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui prévoit que l’auteur d’une demande au titre de la Loi doit donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les documents requis. […] Par conséquent, à défaut de vous conformer à cette exigence, votre demande pourrait être refusée.

[…]

 

(Souligné dans l’original.)

 

 

[9]               Dans trois cas, le bureau des visas de Varsovie a reçu une notification d’état de remise après l’envoi du courriel, qui énonçait ce qui suit :

[traduction]

Objet : TR : Notification d’état de remise  (relais)

 

Cette notification d’état de remise est générée automatiquement.

 

Votre message a été correctement relayé aux destinataires suivants mais il se peut que la destination ne génère pas les notifications d’état de remise demandées.

 

            INFO@CIP‑CANADA.COM

 

 

[10]           Les notes du STIDI prises dans ces cas ont consigné ce message comme une confirmation de réception ou de livraison.

 

[11]           Aucun des demandeurs n’a répondu, directement ou par l’intermédiaire du consultant.

 

[12]           Des agents des visas ont examiné les six dossiers entre le 28 octobre 2009 et le 26 novembre 2009. Dans chacun des cas, l’agent d’examen a conclu que le demandeur n’avait pas fourni des renseignements établissant son admissibilité à l’immigration et qu’il n’était pas interdit de territoire au Canada. L’agent des visas a rejeté chacune des demandes parce que le demandeur ne s’est pas conformé à l’exigence de fournir les renseignements demandés, comme le prévoit le paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La demande de Mme Yazdani a été rejetée le 28 octobre 2009.

 

 

Le consultant en immigration

 

[13]           M. Azimzadeh est consultant en immigration depuis onze ans. Il est membre en règle de la Société canadienne des consultants en immigration. Il exploite une entreprise prospère de consultation en immigration.

 

[14]           M. Azimzadeh a déclaré dans son affidavit qu’il n’a jamais reçu ces six demandes de renseignements additionnels envoyées par courriel, dont celle concernant Mme Yazdani.

 

 

La réponse aux courriels en matière d’immigration

 

[15]           M. Azimzadeh s’est occupé de 250 dossiers d’immigration entre le 28 juin et le 31 août 2009. Il a déclaré dans son affidavit qu’il répond normalement à la correspondance d’Immigration Canada le jour suivant sa réception, dans la pratique courante de ses activités. Il a dit avoir reçu des courriels d’Immigration Canada concernant 107 dossiers d’immigration durant la période du 28 juin au 31 août 2009 et a présenté la liste des numéros de dossier pour permettre la vérification de sa déclaration. Ces courriels ont été envoyés ou reçus au cours de la même période où les courriels de Varsovie ont été envoyés.

 

 

Aucune suppression des courriels

 

[16]           M. Azimzadeh a déclaré avoir fait des vérifications et avoir conclu qu’aucun courriel en matière d’immigration n’avait été supprimé après sa réception.

 

 

Aucun blocage dû à la protection contre les pourriels

 

[17]           Il a dit que les courriels n’ont pas été bloqués par son système de protection contre les pourriels, puisqu’il laisse passer tous les courriels et qu’il indique simplement s’il s’agit de pourriels potentiels. Il a mentionné qu’un courriel concernant l’un des dossiers en litige, IMM‑319‑10, a été identifié comme pourriel, mais que le système l’a néanmoins laissé passer. Il a joint à son affidavit une copie du courriel en question, à titre de preuve précise du fonctionnement de son système de courriel. Ce courriel constituait la réponse de l’agent des visas de Damas à sa demande concernant l’état de ce dossier.

 

 

Aucune interruption de service

 

[18]           M. Azimzadeh a déclaré également qu’il n’y a pas eu d’interruption du service de courriel, de panne d’électricité ni de panne du système à son bureau.

 

 

Aucune autre notification d’échec de remise des courriels

 

[19]           Il a ajouté qu’à l’exception des six dossiers des demandes de visa en litige, il n’a reçu aucune notification concernant des courriels en matière d’immigration envoyés à son bureau mais non reçus au cours de la période pertinente.

 

 

Aucune réponse automatique

 

[20]           Enfin, il a dit que son bureau n’utilise pas la fonction de réponse automatique aux courriels reçus.

 

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[21]           Dans sa lettre de décision du 29 juin 2009 adressée à Mme Yazdani, l’agent des visas a répété la déclaration figurant dans la demande antérieure envoyée par courriel, à savoir que la demande de visa avait été transférée pour traitement à l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne. L’agent a ajouté ce qui suit :

 

[traduction] Nous vous avons demandé par lettre […] de nous faire parvenir les documents suivants, dans un délai de 90 jours, pour nous permettre d’évaluer si vous répondez aux exigences pour immigrer au Canada :

 

            [liste des documents requis]

Vous n’avez pas produit les renseignements et les documents requis. En l’absence de ces documents, je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdite de territoire et que vous vous conformez à la loi. Je rejette donc votre demande.

 

 

[22]           Les motifs de refus étaient les mêmes dans le cas des cinq autres demandes.

 

 

Norme de contrôle

 

[23]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑ Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a dit que la cour de révision n’a pas toujours à de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle et qu’elle peut voir si la norme de contrôle a été déjà établie dans des décisions antérieures.

 

[24]           La question de savoir si un agent d’immigration a donné au demandeur une possibilité réelle de répondre aux préoccupations de l’agent des visas, est une question d’équité procédurale.  Rahim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1252, au par. 12.

 

[25]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, Li c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1284.

 

 

Dispositions législatives

 

[26]           Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) :

 

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

[…]

f) d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces;

3(1) the objectives of this Act with respect to immigration are

(f) to support by means of consistent standards and prompt processing, the attainment of immigration goals established by the Government of Canada in consultation with the provinces.

 

[…]

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis.

 

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

 

Questions en litige

 

[27]           J’estime que les questions à trancher dans la présente demande sont les suivantes :

 

1.      Les demandeurs ont‑ils été avisés de la possibilité de mettre à jour leurs observations?

 

2.      Laquelle des parties assume le risque d’une défaillance des communications par courriel?

 

 

Analyse

 

Les demandeurs ont‑ils été dûment avisés de la possibilité de mettre à jour leurs observations?

 

[28]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que, dans le cas de Mme Yazdani, le courriel de Varsovie, crucial en l’espèce, a été envoyé par l’agent des visas, mais n’a pas été reçu par le consultant. Je conclus également que le consultant a fait preuve de diligence en tenant à jour son système de courriel. Il en est de même dans les dossiers des autres demandeurs.

 

[29]           Les demandeurs ne contestent pas que l’agent des visas a envoyé le courriel en question. Ils ne sont toutefois pas d’accord pour dire que la remise du courriel a été confirmée.

 

[30]           Le bureau des visas de Varsovie a noté à l’occasion la réception d’une notification d’état de remise comme confirmation de réception ou de remise des courriels envoyés. Dans deux des dossiers, IMM‑260‑10 Yazdani et IMM‑262‑10 Jerjisi, les agents des visas à Varsovie ont consigné dans les notes du STIDI : [traduction] « confirmation de réception reçue ». Dans un autre dossier, IMM‑261‑09 Karimkhani, un agent des visas a consigné dans les notes du STIDI : « confirmation de réception reçue ». Dans les trois autres dossiers, il n’y avait pas de notes du STIDI sur des notifications d’état de remise ni de copies de tels messages.

 

[31]           De plus, l’agent des visas déclare qu’il n’y avait aucune notification d’échec de remise au sujet d’aucun des six courriels en question.

 

[32]           Il ressort clairement du texte de la notification consigné par l’agent de Varsovie que ce message n’avait pas pour effet de confirmer que le consultant a reçu le courriel. Là encore, cette notification énonçait ce qui suit :

[traduction]

Objet : Notification d’état de remise (relais)

 

Cette notification d’état de remise est générée automatiquement.

 

Votre message a été correctement relayé aux destinataires suivants mais il se peut que la destination ne génère pas les notifications d’état de remise demandées.

 

            INFO@CIP‑CANADA.COM

 

            (Non souligné dans l’original.)

 

 

[33]           Le message indique clairement que le courriel a été « relayé ». La demanderesse compare cette situation à une course de relais, où le coureur doit transmettre un bâton à l’équipier suivant. La demanderesse fait valoir que le terme « relayé » n’a pas le sens de « remis ». Le texte de la notification vient lui‑même à l’appui de cette position, lorsqu’il indique qu’« il se peut que la destination ne génère pas les notifications d’état de remise demandées ». Ainsi, ce message indique à sa face même qu’il n’a pas été généré par le destinataire. Il ne fait que confirmer que le courriel a été envoyé à l’adresse électronique indiquée. Je conclus que la notification d’état de remise confirme que le courriel de Varsovie en question a été envoyé, mais non qu’il a été reçu par le destinataire.

 

[34]           Considérant la preuve de la demanderesse, à savoir l’affidavit du consultant, je suis convaincu que celui‑ci a fait preuve de diligence en tenant à jour son système de courriel et que ce système fonctionnait correctement.

 

[35]           En conséquence, je suis convaincu que, bien que le courriel de Varsovie ait été envoyé, il n’a pas été reçu.

 

[36]           Il est clair que le courriel par lequel l’agent des visas demandait des documents additionnels constituait un élément crucial de correspondance. L’omission de répondre commande un rejet pour les motifs prévus par la loi. La demande de l’agent des visas de lui faire parvenir des documents constitue une étape importante dans le processus relatif aux demandes de visa, dont le demandeur doit être au courant. La demanderesse, sans faute de sa part ou de la part de son consultant, n’était pas au courant de cette demande.

 

[37]           Je conclus que la demanderesse n’a pas été avisée de l’obligation de mettre à jour sa demande.

 

 

Laquelle des parties assume le risque d’une défaillance des communications par courriel?

 

[38]           Les décisions relatives aux courriels suivent la jurisprudence établie à l’égard des transmissions par courrier et par télécopieur.

 

[39]           Dans la décision Ilahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1399, où il était d’un avis envoyé par courrier, le juge O’Reilly a statué qu’un agent des visas n’a pas à prouver que le demandeur a reçu l’avis d’entrevue, mais qu’il doit prouver qu’il a envoyé l’avis en question. Le juge a dit ce qui suit, au paragraphe 7 :

 

Je reconnais que les agents ont l’obligation d’envoyer un avis d’entrevue. Mais je ne suis pas d’accord avec M. Ilahi que le défendeur doit prouver que le demandeur a bien reçu l’avis. Cependant, le défendeur doit prouver que l’agent a envoyé un avis d’entrevue au demandeur : Canada (Procureur général) c. Herrera, [2001] A.C.F. no 120 (C.A.). Cette obligation comprend implicitement celle d’envoyer l’avis à la bonne adresse. Le demandeur doit s’assurer d’aviser le bureau des visas de tout changement d’adresse. Il est clair que M. Ilahi s’est acquitté de cette obligation.

 

 

[40]           Dans Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 124, la juge Snider a conclu qu’une agente des visas avait envoyé un avis par courrier à la bonne adresse. La preuve du demandeur voulant que la lettre n’avait pas été reçue a posé problème à la juge. Fait intéressant, celle‑ci a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de renseignements quant aux systèmes utilisés par son représentant pour faire en sorte que son courrier ne soit pas égaré.

 

[41]           Dans Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 207, la juge Snider a été saisie d’une affaire où le demandeur affirmait n’avoir pas reçu un avis d’entrevue envoyé par télécopieur. La juge a dit ce qui suit, au paragraphe 9 :

 

En général, il incombe aux agents d’immigration postés dans les bureaux des visas à l’étranger de s’assurer qu’un avis d’entrevue est envoyé. La Cour doit être convaincue que l’avis a bien été envoyé (décisions Herrara, Ilahi et Dhoot, précitées). La preuve doit être examinée dans chaque cas, mais si la réception de la télécopie au numéro fourni par un demandeur ou par son conseiller est établie, alors cette preuve suffit en principe. Si personne n’est présent pour recevoir la télécopie, s’il y a un mauvais fonctionnement de l’équipement de réception, ou encore s’il se produit des erreurs administratives, lorsque par exemple un conseiller a négligé d’informer son client, il s’agit là de problèmes dont les agents d’immigration ne sauraient être tenus responsables.

 

 

[42]           Dans Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 935 (Kaur), le juge Barnes a statué ainsi dans une affaire portant sur une communication par courriel, au paragraphe 6 :

 

La présente affaire soulève le problème relativement courant de l’omission par un demandeur de répondre à une demande de renseignements additionnels causée par ce qui semble être un problème de communication. La Cour doit déterminer quelle partie doit subir les conséquences de ce problème. Comme l’a fait valoir de manière très éloquente M. Garvin, selon la jurisprudence, « cela dépend ».

 

 

Le juge Barnes a ajouté ce qui suit, au paragraphe 12 :

 

En résumé, lorsqu’une lettre est envoyée correctement par un agent des visas à une adresse (électronique ou autre) fournie par un demandeur, que cette adresse n’a pas fait l’objet d’une révocation ou d’une révision, et qu’on a reçu aucun indice de la possibilité que la communication ait échoué, le risque de défaut de livraison repose sur les épaules du demandeur, et non du défendeur.

 

[43]           Le juge Barnes a souligné que l’adresse électronique fournie par le représentant de Mme Kaur n’existait plus. Il a conclu qu’il n’était pas raisonnable pour le représentant de s’attendre à ce que le haut‑commissariat infère, à partir de l’absence de mention d’une adresse de courriel dans sa dernière lettre, que l’adresse de courriel répertoriée précédemment n’était plus valide.

 

[44]           Le juge Barnes a évoqué plus tard l’affaire Kaur dans Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 75 (Zhang). Les faits de cette dernière affaire sont à peu près analogues à ceux de l’espèce. L’ambassade du Canada à Beijing avait envoyé un courriel à l’avocat de Mme Zhang à Vancouver, dans lequel elle demandait des documents. Aucun document n’a été reçu et la demande de Mme Zhang a été refusée. Toutefois, dans Zhang, le juge Barnes a souligné que l’avocat de Mme Zhang n’a pas indiqué dans son affidavit que le courriel en question n’a pas été reçu, mais plutôt qu’il n’était pas au courant de sa réception et qu’il était possible que le courriel ait été supprimé par inadvertance ou bloqué par un filtre de pourriel. Enfin, le juge Barnes a indiqué qu’il n’existait aucune preuve quant aux mesures que l’avocat avait prises pour déterminer si le courriel soit avait été soit bloqué par inadvertance soit supprimé, et qu’il n’y avait non plus de preuve quant aux mesures que celui‑ci avait prises pour veiller à ce que les courriels provenant de l’ambassade ne soient pas bloqués en tant que pourriels. Après avoir examiné la preuve dont il disposait, le juge Barnes a dit, ce qui suit, aux paragraphes 13 et 14 :

 

[traduction] La conclusion que je tire à partir de la preuve dont je suis saisi est que, le 15 août 2008, la demande envoyée par courriel à M. Wong a été reçue par son bureau et qu’elle à été bloquée ou supprimée, par inadvertance.

 

Compte tenu de l’ensemble de ces faits, je ne peux que conclure que la responsabilité de la défaillance de communication incombe à la demanderesse et à son avocat.

 

 

[45]           Dans les affaires susmentionnées, le litige repose sur une conclusion de faute de la part de l’une des parties. Dans les cas où l’agent des visas n’a pas été en mesure de prouver qu’il avait envoyé l’avis en question, le défendeur devait assumer les risques des communications manquées. Dans les cas où l’agent des visas avait prouvé qu’il avait envoyé l’avis, mais que la communication a échoué en raison d’une erreur de la part du demandeur (tel qu’un changement d’adresse électronique ou le blocage par un filtre de pourriel), le demandeur devait assumer les risques à cet égard.

 

[46]           Toutefois, dans le cas de la demanderesse les faits sont différents.  En l’espèce, la demanderesse a établi que l’adresse électronique du consultant était valide et que le système de courriel fonctionnait correctement.

 

[47]           Il ne s’agit pas d’un cas où les demandeurs n’ont pas fourni des adresses électroniques à jour, ni d’un cas où le demandeur n’a pas pris toutes les précautions nécessaires pour empêcher l’échec de la remise des courriels. Il ne s’agit pas d’un cas d’absence de preuve quant aux mesures que le représentant du demandeur a prises pour déterminer si son système de courriel était la cause de l’échec de la communication par courriel. En l’espèce, il n’y a tout simplement aucun élément de preuve établissant que la demanderesse est responsable de l’échec de la communication par courriel. Contrairement à l’affaire Zhang, il m’est impossible de conclure à partir de la preuve que la demanderesse est la cause de la communication manquée.

 

[48]           Je conclus de la preuve en l’espèce que le système de communication par courriel a connu une défaillance pour cause(s) indéterminée(s).

 

[49]           Dans les circonstances de l’espèce, il paraît excessivement sévère de faire assumer le risque à la demanderesse, qui a déposé correctement sa demande de résidence permanente pour traitement, a fourni une adresse électronique valide, sans aucune preuve de défaillance, et qui attendait tout simplement d’autres instructions lorsqu’elle a découvert que sa demande avait été rejetée sans examen au fond.

 

[50]           Il faut déterminer si le défendeur devrait assumer le risque. La demanderesse admet qu’il ne semble pas y avoir de faute de la part de l’agent des visas du bureau des visas à Varsovie, à l’exception d’une compréhension erronée de la notification d’état de remise reçue. Elle n’insiste pas sur cette compréhension erronée. Je suis d’accord que cette erreur a peu d’importance.

 

[51]           Rien n’indique que l’agent des visas a envoyé le courriel en cause à la mauvaise adresse ou qu’il a répondu par courriel alors que la demanderesse avait indiqué qu’elle ne voulait pas recevoir des communications par courrier électronique. Toutefois, je ne vois pas en quoi il s’agit d’une affaire sans aucun égard à la faute. 

 

[52]           En fait, le défendeur a choisi de transférer unilatéralement le dossier de la demanderesse du bureau des visas de Damas au bureau de Varsovie. Il ne fait évidemment aucun doute que le défendeur est en droit d’agir ainsi, compte tenu surtout du fait qu’il visait à éliminer un arriéré dans le traitement des demandes de visa. Toutefois, la section des visas à Varsovie n’a pas avisé séparément la demanderesse du transfert ni n’a vérifié autrement si elle pouvait communiquer par courriel avec le consultant de la demanderesse.

 

[53]           Faisant valoir qu’il ne devrait pas assumer le risque d’une défaillance de la communication, le défendeur soutient que, compte tenu des pratiques relatives à l’équité procédurale, il faut prendre en considération le nombre considérable de demandes de visa traitées par les bureaux des visas. Le défendeur affirme que le risque pourrait être atténué si la demanderesse ou son consultant choisissait de ne pas communiquer par courriel.

 

[54]           Toutefois, mon examen du protocole de CIC sur les communications par courriel avec les clients propose un point de vue différent. Le protocole de CIC prévoit ce qui suit :

[traduction] Le but de ce protocole consiste à créer un cadre de mise en oeuvre pour les communications par courriel avec les clients, qui n’aura pas une incidence négative sur la protection des renseignements personnels des clients ou des employés et qui ne mettra pas inutilement à contribution les ressources de CIC.

 

[…] le présent Protocole sur les communications par courriel avec les clients cherche également à améliorer le service à la clientèle en offrant, entre autres :

 

·                    de meilleurs délais de réponse aux demandes de renseignements des clients;

·                    des temps de réponse plus courts en matière de demandes de renseignements;

·                    une efficacité opérationnelle accrue.

 

 

[55]           Le protocole de CIC reconnaît que les communications par courriel avec les clients constituent un avantage pour le défendeur ainsi que pour le client sur le plan de l’efficacité opérationnelle. L’agent des visas du bureau de Varsovie soutient également que la communication par courriel constitue un moyen privilégié parce qu’elle est fiable, rapide et pratique tant pour les demandeurs que pour le bureau des visas.

 

[56]           L’objet du protocole de CIC correspond à l’objet de la LIPR, énoncé comme suit à l’alinéa 3(1)f) :

 

f) d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces.

 

 

[57]           À mon avis, le choix des demandeurs de ne pas utiliser la communication par courriel irait à l’encontre de l’objet du protocole visant l’amélioration de l’efficacité opérationnelle et serait contraire à l’objet de la LIPR, à savoir d’atteindre, par l’application d’un traitement efficace des demandes, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement.  

 

[58]           La solution ne semble donc pas reposer sur le fait de mettre en garde les demandeurs contre l’utilisation de la communication par courriel ou de les détourner de ce moyen de communication, mais de trouver plutôt une stratégie face aux erreurs occasionnelles qui surviennent à cet égard, notamment lorsqu’un demandeur a fait tout son possible pour s’adapter à la communication par courriel.

 

[59]           La communication par courriel dans le cas des demandes de visa connaîtra une augmentation à l’avenir. La technologie relative au courriel connaîtra des changements et progressera à des vitesses variables selon les pays. Des erreurs inexpliquées dans la transmission des courriels, comme c’est le cas dans les présents dossiers, surviendront sans aucun doute à l’avenir. Vu la possibilité de défaillance occasionnelle de la communication par courriel, j’estime que le défendeur a l’obligation de faire preuve de diligence lorsqu’il envoie des communications par courriel dans le processus de demandes de visa.

 

[60]           Le défendeur doit nécessairement respecter l’objet de la LIPR de manière équitable envers les demandeurs de visas d’immigrant qui le méritent. Ainsi, l’adoption des communications par courriel commande des mesures qui, sans imposer des fardeaux supplémentaires aux agents d’immigration, ajoutent des mesures de sauvegarde au processus de demandes de visa pour répondre à l’échec de transmission des courriels dans le cas des communications cruciales.

 

[61]           En l’espèce, il n’y avait pas eu antérieurement d’échange réussi de courriels entre l’agent des visas de Varsovie et le bureau du consultant. Le protocole de CIC sur les communications par courriel ne prévoit pas non plus de mesures de sauvegarde contre les défaillances de la transmission des courriels (tel un suivi par courrier). Enfin, le régime des demandes de visa ne prévoit pas de nouvel examen dans de telles circonstances.

 

[62]           Le défendeur a choisi d’envoyer par courriel à la demanderesse un avis d’importance capitale sans mettre en place des mesures de sauvegarde. Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur a assumé le risque d’une défaillance de la transmission des courriels lorsqu’il envoyé la demande cruciale à la demanderesse.

 

 

Conclusion

 

[63]           Je conclus que le défendeur assume le risque, dans le dossier de la demanderesse ainsi que dans les dossiers connexes, de l’échec de la remise par courriel de la demande cruciale de fournir des documents additionnels.

 

[64]           Compte tenu des faits de l’espèce, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire ainsi que les demandes connexes réunies.

 

[65]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Dans chacune des demandes réunies, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen;

 

2.                  Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                                  IMM‑260‑10, IMM‑261‑10, IMM‑262‑10, IMM‑318‑10, IMM‑319‑10, IMM‑321‑10

 

 

INTITULÉ :                                                   MEHRANGIZ YAZDANI, ET AL. c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (C.‑B.)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 11 août 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 9 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Kurland

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jennifer Dagsvik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kurland, Tobe

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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