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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date :  20100903

Dossier :  IMM-6304-09

Référence :  2010 CF 868

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2010

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

JUAN MANUEL CORNEJO ARTEAGA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (« la Loi »), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la « Commission ») au terme de laquelle la Commission a rejeté une requête en réouverture de la demande d’asile du demandeur. La demande de contrôle judiciaire est également accompagnée d’une demande de prorogation du délai en vertu de l’article 72(2)c) de la Loi pour signifier et déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

Contexte

[2]               Le demandeur est Mexicain et il exerçait le travail de journaliste. Il est arrivé au Canada le 9 février 2008 et il a fait une demande d’asile le 5 mars 2008, réclamant le statut de réfugié. Au soutien de sa demande d’asile, le demandeur a invoqué que lui et sa famille avaient reçu des menaces et qu’il avait été agressé après qu’il eu diffusé un reportage sur les néo-trafiquants. La femme du demandeur et leur fils ont également quitté le Mexique pour rejoindre le demandeur au Canada et ils ont fait une demande d’asile le 4 juin 2009.

 

[3]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission a convoqué le demandeur à une audience le 22 juin 2009 pour traiter sa demande d’asile. Le demandeur ne s’est pas présenté à l’audience au motif qu’il était malade. Il a laissé un message au bureau de son avocat qui en a informé la Commission. La Commission a alors informé l’avocat du demandeur qu’elle entamerait la procédure de désistement de la demande d’asile, mais qu’une seconde audience serait fixée le 21 juillet 2009 pour permettre au demandeur d’expliquer à la Commission pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé.

 

[4]               L’avis d’audience du 21 juillet 2009 reçu par le demandeur indique qu’il est invité à expliquer pourquoi la Commission ne devrait pas prononcer le désistement. L’avis d’audience indique également que l’audience débute à 13h15, mais que le demandeur doit se présenter à la Commission à 12h45. Avant la date fixée pour l’audience, le demandeur a déposé des pièces au dossier de la Commission. Lorsque l’audience du 21 juillet 2009 a débuté, le demandeur n’était pas présent. L’avocat du demandeur, qui était présent, a communiqué avec le demandeur qui l’aurait informé qu’il était en route, mais qu’il était pris dans la circulation et qu’il serait en retard. L’avocat a transmis cette information à la Commission qui a attendu une quinzaine de minutes. Comme le demandeur n’était toujours pas arrivé à 13h31, la Commission a conclu au désistement de la demande d’asile. Le demandeur s’est présenté à la Commission 13h45, mais le désistement de sa demande d’asile avait déjà été prononcé.

 

[5]               Le 11 août 2009, le demandeur a fait une demande de réouverture de sa demande d’asile en vertu des Règles 44 et 55(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés. Cette demande a été rejetée le 27 août 2009 en « raison du manque de preuve médicale corroborant l’absence du revendicateur à l’audience du 22 juin 2009 ».

 

[6]               Le demandeur soutient qu’il a par la suite retenu les services d’une consultante en immigration qui lui a suggéré de faire une nouvelle demande de réouverture de sa demande d’asile auprès de la Commission. Le demandeur a déposé une lettre adressée à la Commission, datée du 16 septembre 2009, dans laquelle il « demande l’aide de la Commission ». Le demandeur soutient qu’il a fait un suivi auprès de la Commission vers le mois de novembre 2009 et qu’il a alors été informé que sa demande n’avait pas eu de suite. La Commission lui aurait alors envoyé à nouveau la lettre de refus de réouverture de demande d’asile datée du 27 août 2009. Le demandeur aurait reçu cet envoi le 14 novembre 2009.

 

[7]               Le demandeur soutient qu’il a par la suite vécu une période de panique, de dépression et d’anxiété et que le 10 décembre 2009, il a finalement consulté une avocate qui l’a informé de la possibilité de recours en révision judiciaire à la Cour fédérale. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée à la Cour le 11 décembre 2009 et la demande d’autorisation a été accordée par le juge Shore le 2 juin 2010.

 

Analyse

[8]               La décision contestée a été rendue le 27 août 2009 et la demande d’autorisation et de demande de contrôle judiciaire a été déposée le 11 décembre 2009.

 

[9]               La prorogation du délai étant une condition préalable à l’examen de la demande de contrôle judiciaire et je vais traiter de cette question en premier lieu.

 

[10]           Le législateur a imposé des délais assez courts pour le dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. L’article 72 de la Loi prévoit ce qui suit :

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale

de toute mesure — décision, ordonnance,

question ou affaire — prise dans le

cadre de la présente loi est subordonné au dépôt

d’une demande d’autorisation.

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à

la demande d’autorisation :

a) elle ne peut être présentée tant que les

voies d’appel ne sont pas épuisées;

b) elle doit être signifiée à l’autre partie

puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours,

selon que la mesure attaquée a été rendue au

Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa

169f), la date où le demandeur en est avisé

ou en a eu connaissance;

c) le délai peut toutefois être prorogé, pour

motifs valables, par un juge de la Cour;

 

d) il est statué sur la demande à bref délai et

selon la procédure sommaire et, sauf autorisation

d’un juge de la Cour, sans comparution

en personne;

e) le jugement sur la demande et toute décision

interlocutoire ne sont pas susceptibles

d’appel.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted;

(b) subject to paragraph 169(f), notice of the application shall be served on the other party and the application shall be filed in the Registry of the Federal Court (“the Court”) within 15 days, in the case of a matter arising in Canada, or within 60 days, in the case of a matter arising outside Canada, after the day on which the applicant is notified of or otherwise becomes aware of the matter;

(c) a judge of the Court may, for special reasons, allow an extended time for filing and serving the application or notice;

(d) a judge of the Court shall dispose of the application without delay and in a summary way and, unless a judge of the Court directs otherwise, without personal appearance; and

 

(e) no appeal lies from the decision of the Court with respect to the application or with respect to an interlocutory judgment.

 

 

[11]           Cet article est complété, en matière d’immigration et de protection des réfugiés, par la Règle 6 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 :

6. (1) Toute demande visant la prorogation du délai au titre de l’alinéa 72(2)c) de la Loi, se fait dans la demande d’autorisation même, selon la formule IR-1 figurant à l’annexe.

 

(2) Il est statué sur la demande de prorogation de délai en même temps que la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier.

6. (1) A request for an extension of time referred to in paragraph 72(2)(c) of the Act shall be made in the application for leave in accordance with Form IR-1 set out in the schedule.

(2) A request for an extension of time shall be determined at the same time, and on the same materials, as the application for leave.

 

[12]           Malgré la Règle 6(2), la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont reconnu que le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire avait compétence pour se prononcer sur la demande de prorogation de délai lorsque le juge ayant accordé la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle n’avait pas tranché cette question et qu’il n’y a pas lieu d’inférer de la décision du premier juge qu’il a aussi accordé une prorogation de délai (Succession Deng c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection Civile), 2009 CAF 59; McBean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1149; Villatoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 705).

 

[13]           Les délais imposés pour déposer une demande de contrôle judiciaire sont impératifs et à moins qu’un juge n’en autorise la prorogation, ils doivent être respectés. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Berhad, 2005 CAF 267, les délais servent l’intérêt public et doivent permettre aux décisions des tribunaux administratifs d’acquérir un caractère définitif.

 

[14]           Dans Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, la Cour fédérale d’appel a réitéré le principe énoncé dans Berhad et réaffirmé au paragraphe 24 que « le délai imposé à quiconque veut contester une décision administrative n'est pas affaire de caprice ».

 

[15]           Le législateur a par ailleurs accordé au juge la discrétion de proroger un délai pour des « motifs valables ». Bien que chaque demande de prorogation de délai doit être analysée à la lumière des circonstances propres au dossier, le juge ne doit pas perdre de vue l’importance des délais imposés par le législateur. En revanche, il est tout aussi important pour le juge de s’assurer que justice soit faite entre les parties (Tarsem Singh Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.). La jurisprudence a développé des critères qui peuvent guider le juge dans son appréciation des « motifs valables ». Ces facteurs ont été énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] A.C.F. no 846 (QL), et ils ont constamment été repris depuis. Le demandeur doit démontrer :

a.       une intention constante de poursuivre sa demande;

b.      que les moyens soulevés au mérite révèlent une cause défendable;

c.       que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et

d.      qu’il a une explication raisonnable justifiant le délai.

 

[16]           La partie qui demande une prorogation de délai doit également être en mesure de fournir des explications pour tout le délai en cause (Villatoro).

 

[17]           La jurisprudence largement majoritaire a établi que la bonne foi et l’ignorance de la Loi ne constitue pas des motifs justifiant une prorogation de délai et, que de façon générale, l’erreur du représentant ne justifie pas non plus, à elle seule, la prorogation du délai. Comme l’a mentionné la juge Tremblay-Lamer dans Mutti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 97 au par. 4 « [a]voir une représentation déficiente et ne pas connaître le droit n’excuse ni ne justifie un retard ». Je souscris également aux opinions du juge Barnes dans Première Nation Washagamis de Keewatin (Ontario) c. Ledoux, 2006 CF 1300 et de la juge Gauthier dans McBean, qui ont privilégié, lorsque l’erreur du représentant est invoquée, une approche qui commande l’examen non seulement du comportement de l’avocat, mais également de celui du demandeur.

 

[18]           Une approche similaire a été retenue par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Larouche, [1994] A.C.F. no 1720 (QL) au par. 6. Bien que ce jugement ait été rendu dans un contexte différent de celui qui nous occupe, le principe énoncé par la Cour est tout aussi applicable en l’espèce : 

La jurisprudence de cette Cour est claire : la bonne foi et l’ignorance de la loi n’excuse pas à elles seules le défaut de se conformer à une prescription législative; encore faut-il, en effet, que la prestataire retardataire démontre qu’elle a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer des droits et des obligations que lui impose la Loi.

 

 

[19]           En l’espèce, je considère que le demandeur a démontré qu’il avait maintenu son intention de contester la décision de la Commission. Je suis également satisfaite que son dossier au mérite est défendable et que le dépôt tardif de sa demande de contrôle judiciaire ne cause pas de préjudice au défendeur. Je considère toutefois que le demandeur n’a pas établi de façon satisfaisante qu’il avait des explications raisonnables pour justifier son défaut d’agir dans le délai imparti.

 

[20]           Le demandeur explique son retard par deux motifs. Dans un premier temps, le demandeur soutient qu’il a été mal conseillé par une consultante en immigration qui l’a incité à intenter le mauvais recours, soit la deuxième demande de réouverture déposé à la Commission le 16 septembre 2009. Cette première circonstance expliquerait le délai entre le moment où il a reçu la décision du 27 août 2009 et le mois de novembre 2009 lorsqu’il a communiqué avec la Commission pour faire un suivi de sa deuxième demande de réouverture.

 

[21]           Je trouve bien malheureux que le demandeur ait consulté une consultante en immigration qui l’a mal conseillé. Je suis également convaincue que le demandeur a agit de bonne foi. Toutefois, et tel qu’indiqué précédemment, l’ignorance de la loi et une représentation déficiente ne justifient pas à eux seul le défaut de respecter un délai. Je considère au surplus que le demandeur lui-même n’a pas été suffisamment diligent. Le demandeur était représenté par un avocat lors des deux audiences convoquées pour traiter de sa demande d’asile et des procédures de désistement. Le demandeur était probablement encore en contact avec son avocat jusqu’à ce que la décision de la Commission ait été rendue et cet avocat a certainement lui aussi reçu une copie de la décision. La preuve ne permet pas de déterminer si le demandeur s’est entretenu avec son avocat après qu’il eut reçu la décision, mais le contraire serait des plus surprenants. Le demandeur n’explique pas pourquoi il a choisi de cesser de retenir les services de cet avocat pour consulter une consultante en immigration, mais se faisant, il prenait un risque. De plus, la décision de la Commission refusant la demande de réouverture d’asile du demandeur indique clairement qu’il peut présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. L’annotation sur la décision se lit comme suit :

Aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, vous pouvez, avec l’autorisation d’un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale, présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue. Veuillez consulter un conseil sans tarder, car la Loi prévoit un délai limité pour la présentation d’une demande d’autorisation.

 

[22]           Il y avait là une piste très claire de la voix à prendre pour contester la décision et de l’existence de délais pour se faire que le demandeur a négligé de suivre.

 

[23]           Pour justifier son retard entre le moment ou il a été informé que sa deuxième demande de réouverture n’avait pas eu de suite, soit le ou vers le 14 novembre 2009 et le 10 décembre 2009, date à laquelle il a consulté une avocate, le demandeur invoque son état de santé. Il déclare ce qui suit aux paragraphes 18 et 19 de son affidavit :

18- J’ai été pris de panique, et j’ai souffert d’anxiété et de stress important. Je ne savais pas quoi faire et j’ai consulté plusieurs personnes;

 

19- Finalement, le 10 décembre 2009, j’ai pu rencontrer Me Andrea Claudia Molina, avocate qui m’a expliqué les procédures de contrôle judiciaire de la Cour fédérale et qui m’a également appris que la demande de réouverture pour motifs humanitaires déposés à l’aide de la consultante en immigration n’était pas le moyen légal pour contester la décision de la CISR;

 

[24]           Cette allégation est soutenue par une preuve insuffisante. Le demandeur a déposé une attestation d’un médecin qui indique avoir vu le demandeur en consultation le 13 décembre 2009. Cette attestation est laconique; elle ne précise pas la raison de la consultation ni n’indique un quelconque diagnostic. De surcroit, la consultation est postérieure au dépôt de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et ne peut certainement pas servir à expliquer le défaut d’agir du demandeur avant la date du dépôt de la demande. Je considère également que la seule déclaration du demandeur qu’il a vécu de l’anxiété et du stress ne permet pas de conclure qu’il était dans l’impossibilité d’agir.

 

[25]           J’estime donc que les explications fournies par le demandeur ne justifient pas l’octroi d’une prorogation du délai.

 

[26]           La prorogation de délai n’est donc pas accordée et en conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[27]           Aucune question d’importance n’a été soumise par les parties pour certification et aucune question ne sera certifiée.  


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de prorogation du délai applicable au dépôt et à la signification de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est refusée; par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6304-09

 

INTITULÉ :                                       JUAN MANUEL CORNEJO ARTEAGA

                                                            et MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 août 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphanie Valois

 

POUR LE DEMANDEUR

Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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