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Date : 20100903

Dossier : T‑510‑10

Référence : 2010 CF 875

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

AFFAIRE INTÉRESSANT BRENT ROBARTS

et une demande du ministre du Revenu fondée sur

l’article 225.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

ENTRE :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

 

BRENT ROBARTS

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour statue sur une demande de révision d’une ordonnance conservatoire qui a été rendue par un juge de notre Cour le 12 avril 2010 en vertu du paragraphe 225.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Pour les motifs qui suivent, cette ordonnance devrait être annulée.

I – CADRE JURIDIQUE

 

[2]               Suivant le principe général énoncé au paragraphe 225.1(1) de la Loi, le ministre du Revenu national (le ministre) ne peut recouvrer les sommes dues par un contribuable que 90 jours après la mise à la poste de l’avis de cotisation.

 

[3]               Néanmoins, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement les mesures visées aux alinéas 215.1(1)a) à 225.1(1)g) de la Loi (les mesures de recouvrement) s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi au contribuable d’un délai pour payer le montant dont il est redevable compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

 

[4]               Cela dit, il est loisible au contribuable de demander à un juge de la Cour de réviser l’autorisation. Le juge statue sur la question de façon sommaire et peut confirmer, annuler ou modifier l’autorisation et rendre toute autre ordonnance qu’il estime indiquée. Cette ordonnance est sans appel (voir les paragraphes 225.2(8), (9), (11) et (13) de la Loi).

 

[5]               Les parties s’entendent sur les facteurs bien connus qui s’appliquent à la révision des ordonnances conservatoires (Ministre du Revenu national c. Services M.L. Marengère Inc., [2000] 1 C.T.C. 229, 2000 D.T.C. 6032, au paragraphe 63 (Services M.L. Marengère)). Un critère à deux volets s’applique à la révision, laquelle participe à fois d’un appel et d’une audience de novo.

 

[6]               Le contribuable doit d’abord présenter des éléments de preuve pour démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de douter que l’octroi au contribuable d’un délai pour payer l’impôt dont il est redevable compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant. Toutefois, même lorsque le contribuable ne réussit pas à s’acquitter de la charge de présentation, il est toujours loisible au juge saisi de la demande de révision d’annuler l’ordonnance conservatoire lorsque le ministre n’a pas respecté son obligation de procéder à une divulgation complète et franche.

 

[7]               Lorsque le contribuable a satisfait à ce critère préliminaire, le ministre a la charge ultime de démontrer que l’ordonnance conservatoire était justifiée. À cette étape ultérieure, la Cour examine l’ensemble de la preuve versée au dossier et se demande si, vu l’ensemble de la preuve soumise par les parties, il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai compromettrait le recouvrement de tout ou partie du montant qui a été établi.

 

II – DEMANDE EX PARTE DU MINISTRE

 

[8]               Âgé de 64 ans, le défendeur nommément désigné, M. Brent Robarts, est un homme d’affaires de Kelowna, en Colombie‑Britannique.

 

[9]               Le 1er février 2010, de nouvelles cotisations d’impôt au montant de 1 265 953,57 $ (la dette fiscale) ont été établies à l’égard du défendeur pour ses années d’imposition 2005, 2006 et 2008, ainsi qu’il ressort des avis de nouvelle cotisation qui ont été mis à la poste à cette date par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC).

 

[10]           Le 6 avril 2010, le ministre a demandé une ordonnance conservatoire relativement à la dette fiscale.

 

[11]           Un premier affidavit a été souscrit par Mme Amy Walterhouse le 7 avril 2010 au soutien de la demande du ministre (l’affidavit d’avril). Il renfermait les principales allégations formulées contre le défendeur. Il y a également un second affidavit souscrit également par Mme Walterhouse le 7 avril 2010, mais sa pertinence en ce qui concerne la présente révision est limitée (il porte uniquement sur la production des nouvelles cotisations).

 

[12]           Mme Walterhouse est l’agente de l’ARC assignée au dossier de recouvrement de M. Robarts.

 

[13]           Se fondant sur les affidavits de Mme Walterhouse, le ministre s’est dit d’avis qu’il y avait — et qu’il y a toujours — des motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai pour payer la dette fiscale compromettrait son recouvrement.

 

[14]           Cinq moyens sont allégués au paragraphe 36 de l’affidavit d’avril :

(i)   Les fonds se trouvant dans les comptes bancaires du défendeur, qui totalisaient environ 687 706,62 $, étaient les seuls actifs importants connus du défendeur qui étaient suffisants pour payer la dette fiscale en totalité ou en partie.

(ii)  Le défendeur était en mesure de retirer des fonds avant que l’ARC soit par ailleurs en mesure de certifier la dette et d’obtenir la saisie‑arrêt de ses comptes bancaires.

(iii) Le défendeur n’avait déclaré qu’une petite partie de ses revenus. Dans le passé, il n’avait pas déclaré avec exactitude au fisc ses revenus d’entreprise et ses revenus locatifs.

(iv) Le sursis de 90 jours prévu par la loi en ce qui concerne les nouvelles cotisations était toujours en vigueur. Il était donc loisible au défendeur de déposer des avis d’opposition aux nouvelles cotisations, ce qui empêcherait le ministre de recouvrer la dette fiscale avant l’expiration de tout délai d’opposition ou d’appel.

(v)  Le défendeur avait mené ses affaires fiscales d’une manière peu orthodoxe. Il semble qu’il a dilapidé deux importants éléments d’actif après avoir été avisé des nouvelles cotisations.

 

[15]           Ainsi que Mme Walterhouse l’explique dans son affidavit d’avril, le 23 mars 2010, elle a effectué des recherches dans divers registres de la Colombie‑Britannique ainsi que dans les comptes que le défendeur détenait dans diverses institutions financières, à savoir la CIBC, ING Direct et Scotiabank iTrade, dans le but de retracer les actifs du défendeur. Elle a alors découvert qu’un peu plus tôt, le 27 janvier 2010, le défendeur avait retiré 109 000 $ d’un de ses comptes Scotiabank iTrade et que, le 28 janvier 2010, il avait transféré à Mme Voll sa moitié indivise d’un immeuble situé en Arizona (l’immeuble de l’Arizona). Ces opérations ont eu lieu quelques jours à peine après qu’elle eut parlé des nouvelles cotisations avec le défendeur.

 

[16]           Le juge Zinn s’est dit convaincu que la preuve présentée par le ministre au soutien de sa demande démontrait qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai pour payer la dette fiscale compromettrait le recouvrement de la dette fiscale. Il a donc rendu l’ordonnance demandée le 12 avril 2010.

 

[17]           À la suite de la délivrance de l’ordonnance, l’ARC a bloqué et saisi tous les comptes bancaires et tous les actifs du défendeur. En fait, l’ARC a saisi 147 178,67 $ des comptes que le défendeur avait à la CIBC et chez ING Direct et a bloqué les comptes qu’il possédait à la Scotiabank iTrade, de même que le REER de 250 000 $ qu’il avait à la CIBC (collectivement appelés les fonds).

 

III – LA REQUÊTE SOUMISE

 

[18]           Le défendeur demande à notre Cour d’annuler l’ordonnance et d’ordonner au ministre de lever la saisie et le blocage des fonds.

 

[19]           Les seuls actifs que le défendeur possède au Canada sont les fonds susmentionnés. Niant toute intention de dilapider ses biens ou de les soustraire à la portée du ministre, le défendeur affirme que ses comptes bancaires comprenaient déjà des régimes enregistrés et des certificats de placements garantis, qui sont des placements à long terme. D’ailleurs, tous les revenus que le défendeur a gagnés récemment proviennent d’opérations sur des valeurs mobilières qu’il a effectuées par le biais du compte qu’il possède à la Scotiabank iTrade. Sinon, il n’est pas en mesure de gagner un revenu pour subvenir à ses propres besoins.

 

[20]           Excipant de sa bonne foi, le défendeur souligne également que rien ne permettait au ministre de conclure qu’il n’avait pas déclaré ses revenus de façon exacte. Des avis d’opposition aux nouvelles cotisations ont été déposés. D’ailleurs, c’est à la section d’appel de l’ARC et à la Cour canadienne de l’impôt qu’il appartient de se prononcer sur la question de savoir si défendeur n’a [traduction] « déclaré qu’une petite partie de ses revenus ». Le défendeur avait plusieurs raisons de croire qu’il n’était pas tenu de déclarer les revenus en question. Il fait en outre valoir qu’il n’a jamais gagné de revenus locatifs et que la demande d’ordonnance conservatoire était exagérée et que les prétentions du ministre ne sont pas fondées.

 

[21]           Le défendeur conteste également l’allégation du ministre suivant laquelle il a [traduction] « mené ses affaires fiscales d’une manière peu orthodoxe et semble avoir dilapidé deux importants éléments d’actif ». Le ministre n’a d’ailleurs pas présenté d’éléments de preuve pertinents au sujet du retrait de 109 000 $ effectué en janvier 2010.

 

[22]           En résumé, le défendeur affirme que l’ordonnance a été rendue sur le fondement :

a)   de renseignements incomplets, alors que le ministre pouvait aisément obtenir les renseignements dont il avait besoin;

b)   d’un résumé incomplet des règles de droit applicables;

c)   de faits non établis qui ont été présentés de manière à dépeindre le défendeur sous un jour défavorable;

d)   d’une présentation erronée de la jurisprudence pertinente qui était cruciale pour la thèse du ministre.

 

[23]           À l’appui de ses motifs de contestation, le défendeur a soumis un affidavit qu’il a souscrit le 5 mai 2010, en plus de produire l’affidavit souscrit le 5 mai 2010 par Mme Corina Voll. Depuis 1993, Mme Voll et le défendeur ont vécu des périodes successives de cohabitation et de séparation. Ces éléments de preuve, dont ne disposait pas le juge Zinn, expliquent les raisons pour lesquelles le contribuable conteste les nouvelles cotisations et donnent également des éclaircissements sur la situation et les intentions des contribuables en ce qui concerne les deux opérations que Mme Walterhouse qualifie dans son affidavit d’avril de [traduction] « comportement peu orthodoxe » et de [traduction] « dilapidation de biens »

 

[24]           En revanche, le ministre affirme qu’il y a lieu de confirmer l’ordonnance au motif que :

a)   Le défendeur n’a pas invoqué de motifs raisonnables de douter que le critère permettant d’accorder l’ordonnance a été respecté;

b)   La preuve présentée par le défendeur est insuffisante pour modifier les conclusions du juge Zinn;

c)   Le ministre a procédé à une divulgation complète et franche devant la Cour en ce qui a trait à tous les renseignements alors connus utiles pour juger la demande d’ordonnance.

 

[25]           Le ministre affirme en conséquence qu’il était raisonnable de conclure en l’espèce que, si l’ordonnance n’était pas accordée, le fait d’octroyer au défendeur un délai pour payer le montant de la cotisation compromettrait en tout en ou en partie le recouvrement de ce montant. À cet égard, le ministre fait valoir que les éléments de preuve déjà produits et les explications déjà fournies par le défendeur sont insuffisants pour douter raisonnablement que l’octroi d’un délai pour acquitter la dette fiscale compromettrait le recouvrement de ce montant.

 

[26]           En plus de se fonder sur l’affidavit d’avril, le ministre se fonde sur le troisième affidavit qui a été souscrit par Mme Walterhouse le 15 juillet 2010 et sur les pièces qui y sont jointes (l’affidavit de juillet). L’affidavit de juillet vise surtout à répondre aux allégations formulées par le défendeur suivant lesquelles il n’y a pas eu de divulgation prompte et franche au moment où la demande a été présentée.

 

[27]           Dans son affidavit de juillet, Mme Walterhouse explique qu’elle a fourni tous les renseignements pertinents qui se trouvaient en la possession de l’ARC au moment où l’ordonnance conservatoire a été demandée. En premier lieu, elle ne savait pas que le défendeur avait déposé de nouveau les 109 000 $ dans son compte Scotiabank iTrade malgré le fait qu’elle avait demandé qu’on lui communique les renseignements les plus récents. En second lieu, l’ARC n’était au courant d’aucun des renseignements fournis à la Cour au sujet de la cession de la moitié indivise de l’immeuble de l’Arizona et, au moment où la demande a été faite, le ministre a bien précisé que l’ARC entendait établir des cotisations à l’égard de Mme Voll en vertu de l’article 160 de la Loi.

 

IV – DÉCISION ET CONCLUSIONS DU JUGE SAISI DE LA DEMANDE DE RÉVISION

 

[28]           Il y a lieu de faire droit à la présente requête présentée par le défendeur en vue de faire annuler l’ordonnance.

 

[29]           Premièrement, je ne suis pas convaincu que le ministre a respecté son obligation de divulgation complète et franche.

 

[30]           Deuxièmement, je conclus que le défendeur a présenté des éléments de preuve solides suivant lesquels il existe des motifs raisonnables de douter que l’octroi d’un délai compromettrait le recouvrement de tout ou partie de la dette fiscale.

 

[31]           Troisièmement, vu l’ensemble de la preuve soumise par les parties, le ministre n’a pas démontré à la satisfaction de la Cour que l’ordonnance et les mesures de recouvrement qui ont été prises en conséquence étaient justifiées compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

 

[32]           Quatrièmement, à condition qu’il n’y ait pas de changement dans la situation et que le défendeur respecte tous les engagements mentionnés dans son affidavit, rien ne justifie de confirmer la saisie et le blocage des fonds.

 

V – LE MINISTRE N’A PAS RESPECTÉ SON OBLIGATION DE FAIRE UNE DIVULGATION FRANCHE ET COMPLÈTE

 

[33]           Le ministre était tenu de faire preuve d’une extrême bonne foi et de faire une divulgation franche et complète (Ministre du Revenu national c. Services M.L. Marengère Inc., [2000] 1 C.T.C. 229, 2000 D.T.C. 6032, au paragraphe 63). Cette obligation découle directement du fait que les audiences dans le cadre desquelles sont rendues des ordonnances conservatoires sont nécessairement des audiences ex parte, de sorte que le ministre doit exposer la situation de façon équitable et complète, et ce, en l’absence du défendeur.

 

[34]           Cette obligation de divulgation a été décrite et définie de diverses façons dans la jurisprudence.

 

[35]           Dans toutes les affaires ex parte, le demandeur est tenu de soumettre à l’attention de la Cour tous les faits en litige, même ceux qu’il juge inutiles ou inopportuns, ainsi que toute la jurisprudence pertinente (Ministre du Revenu national c. Arab, 2005 CF 264, [2005] 2 C.T.C. 107, au paragraphe 11). La communication complète et honnête exige effectivement que le ministre révèle « ce qui pourrait être raisonnablement considéré comme étant les points faibles, que connaît le ministre » (Ministre du Revenu national c. 159890 Canada Inc., [1997] 3 C.T.C. 284, 97 D.T.C. 5495 au paragraphe 10). Dans l’ensemble, la divulgation doit être « suffisante » ou « raisonnable », eu égard aux circonstances (R. c. Chamas, 2006 CF 1548, [2007] 2 C.T.C. 16, au paragraphe 37).

 

[36]           Premièrement, il ressort maintenant des nouveaux éléments de preuve qui ont été portés à l’attention de la Cour que la demande de renseignements que Mme Walterhouse a faite le 23 mars 2010 était incomplète et que des faits importants (il semble que le ministre n’était pas au courant de ces faits, ainsi que Mme Walterhouse l’a expliqué dans son affidavit de juillet) ont été omis de l’affidavit d’avril et de la plaidoirie que l’avocat a faite devant la Cour en avril 2010.

 

[37]           La présumée omission de faire une divulgation franche et complète porte sur le retrait de 109 000 $ qui a été effectué le 27 janvier 2010 d’un des comptes Scotia iTrade du défendeur deux jours après avoir été avisé des nouvelles cotisations. Dans son affidavit d’avril, Mme Walterhouse affirme qu’elle n’a pas été en mesure de retracer ces 109 000 $. Elle croyait donc que le défendeur était en train de dilapider les seuls actifs qui lui restaient, soit l’argent qui aurait servi à acquitter la dette fiscale. Le relevé du compte Scotia iTrade de mars 2010 du défendeur démontre toutefois clairement que l’hypothèse sur laquelle la représentante du ministre s’est fondée reposait sur des renseignements erronés étant donné que le montant de 109 000 $ a été déposé de nouveau le 10 mars 2010.

 

[38]           Le défendeur affirme que le défaut du ministre de préciser à la Cour que les 109 000 $ avaient été crédités de nouveau à son compte bancaire le 10 mars 2010 équivaut à un manquement à son obligation de divulgation franche et complète. Le défendeur soutient que le renseignement erroné suivant lequel on n’arrivait pas à retracer ce montant de 109 000 $ constituait le renseignement clé sur lequel le ministre s’est fondé pour réclamer l’ordonnance conservatoire. Ainsi, étant donné que Mme Walterhouse pouvait obtenir la bonne information avant de signer son affidavit d’avril, l’omission du ministre a eu une incidence directe sur l’issue de la décision de la Cour.

 

[39]           J’abonde dans le sens du défendeur. À mon avis, l’omission du ministre de déclarer le fait que les 109 000 $ sont réapparus dans le compte en banque du défendeur le 10 mars 2010 entre carrément dans la catégorie des omissions qui sont directement pertinentes s’agissant de l’ordonnance conservatoire qui a été rendue un mois plus tard. D’ailleurs, si l’on fait abstraction de l’allégation de Mme Walterhouse suivant laquelle le défendeur avait également cédé à Mme Voll la moitié indivise qu’il possédait dans l’immeuble de l’Arizona, la disparition de ce montant de 109 000 $ du compte Scotia iTrade constituait la seule preuve que possédait le ministre pour soutenir que le défendeur dilapidait ses seuls actifs canadiens, c’est‑à‑dire les fonds.

 

[40]           Lorsqu’elle a signé son affidavit en avril, Mme Walterhouse aurait dû s’assurer que toutes les demandes de renseignements utiles avaient été faites au sujet des opérations effectuées en mars 2010 et qu’on puisse se procurer des renseignements à jour de l’institution financière ou que le contribuable les rende disponibles. Le 11 mars 2010, Mme Walterhouse a été informée par M. John De Pompa, directeur de la conformité chez Scotia iTrade, que les relevés de mars seraient préparés au début d’avril 2010. Malgré cela, elle n’a pas réclamé par la suite ces relevés de l’institution financière.

 

[41]           Bien que l’omission de déclarer le dépôt des 109 000 $ le 10 mars 2010 ait vraisemblablement été faite sans intention malveillante, elle mine sérieusement la demande ex parte que le ministre a présentée le 6 avril 2010. L’ordonnance conservatoire rendue sur le fondement de faits trompeurs, incomplets ou inexacts ne saurait, dans ces conditions, être confirmée (Papa (Re), 2009 CF 49, [2009] 4 C.T.C. 93, aux paragraphes 21 à 23; Canada (Commissaire à la concurrence) c. Air Canada (2000), [2001] 1 C.F. 219 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 13).

 

[42]           L’omission susmentionnée est déterminante, mais le défendeur fait également valoir que la jurisprudence pertinente cruciale pour la thèse du ministre a été présentée de façon trompeuse.

 

[43]           Le ministre a fortement tablé sur la décision Ministre du Revenu national c. Cormier‑Imbeault, 2009 CF 499, [2009] 6 C.T.C. 45 (Cormier‑Imbeault), pour justifier la délivrance de l’ordonnance conservatoire, laissant entendre à la Cour que les faits de cette affaire étaient très semblables à ceux de la présente espèce.

 

[44]           Au paragraphe 22 de ses observations écrites, l’avocat du ministre affirme que, dans l’affaire Cormier‑Imbeault :

[traduction] […] le ministre demandait une ordonnance conservatoire au motif que le seul actif qu’il restait au contribuable était l’argent qu’il avait en banque. En outre, le contribuable avait cédé la moitié indivise d’une maison qu’il possédait en copropriété avec sa femme après avoir appris que l’ARC était en mesure d’entreprendre des mesures de recouvrement. Le juge Shore a fait droit à la demande d’ordonnance conservatoire du ministre et a déclaré dans ses motifs que le contribuable était en mesure de retirer en tout temps la totalité ou une partie de l’argent qu’il détenait dans son compte bancaire.

 

 

[45]           Le défendeur affirme maintenant que l’exposé des faits précité de l’affaire Cormier‑Imbeault est incomplet et que l’omission du ministre de citer fidèlement le raisonnement du juge Shore va à l’encontre de son obligation de faire preuve d’une extrême bonne foi et de faire une divulgation franche et complète.

 

[46]           Dans la décision Cormier‑Imbeault, le juge Shore énumère, au paragraphe 7, plusieurs facteurs énoncés par les tribunaux qui peuvent justifier la délivrance d’une ordonnance conservatoire :

a)      il existe des motifs raisonnables de croire que le contribuable a agi frauduleusement;

b)      le contribuable procède à la liquidation ou au transfert de ses actifs;

c)      le contribuable élude ses obligations fiscales;

d)      le contribuable détient des actifs qui sont susceptibles de diminuer en valeur par l’effet du temps, de se détériorer ou d’être périssables;

 

[47]           On peut constater, à la lecture de l’analyse du juge Shore que l’on trouve au paragraphe 8, que le seul bien de Mme Cormier‑Imbeault qui avait une valeur réalisable était l’argent qu’elle avait dans un compte bancaire ainsi que sa moitié indivise de la résidence familiale. De plus, le juge Shore a fait observer qu’en fait, par le passé, de nombreux retraits avaient été effectués dans ce compte bancaire. De plus, suivant le juge, le comportement antérieur de M. Imbeault faisait en sorte qu’il n’était « pas digne de confiance ». En effet, le contribuable :

a)   avait déjà plaidé coupable à des accusations d’avoir éludé l’impôt ;

b)   avait transféré la moitié indivise de sa propriété à Mme Cormier‑Imbeault au moment où il avait appris que l’ARC était en mesure d’entreprendre des mesures de recouvrement;

c)   avait caché à l’ARC l’existence du compte bancaire et de la somme de presque 600 000 $ s’y trouvant.

 

[48]           Signalant que l’argent qui se trouvait dans ce compte bancaire pouvait être retiré en tout temps, le juge Shore a conclu qu’il était urgent et impératif que l’ARC soit en mesure de saisir le compte bancaire. En plus d’autoriser le demandeur à prendre immédiatement des mesures de recouvrement, le juge Shore a, conformément au paragraphe 225.2(3) de la Loi, également autorisé le demandeur à signifier au contribuable les avis de cotisation en même temps que l’ordonnance conservatoire. On se souviendra que le paragraphe 225.2(3) de la Loi exige également que le juge soit convaincu « que la réception de cet avis par [le contribuable] compromettrait davantage, selon toute vraisemblance, le recouvrement du montant ».

 

[49]           Vu ce qui précède, on pourrait légitimement se demander si le ministre a respecté son obligation de faire preuve d’une extrême bonne foi en ne signalant pas à l’attention du juge Zinn que la décision Cormier‑Imbeault rendue par le juge Shore sur laquelle s’appuyait le demandeur au paragraphe 22 de ses observations écrites avait été rendue ex parte, tant en vertu du paragraphe 225.2(2) que du paragraphe 225.2(3) de la Loi. On peut voir que l’avocat a omis des éléments factuels très importants ainsi que des aspects essentiels du raisonnement du juge.

 

[50]           Certes, la bonne foi se présume, mais, là encore, cette simplification excessive de l’argumentation du ministre nous laisse avec un arrière‑goût amer. Il est vrai que le demandeur mentionne la décision Cormier‑Imbeault dans son recueil des sources citées. Cependant, vu l’urgence de l’affaire, on ne s’attend pas en principe à ce que le juge aille au‑delà de l’argumentation du ministre à cette étape. Compte tenu du fait que la demande d’ordonnance conservatoire est présentée ex parte, des omissions aussi importantes dans les observations écrites du ministre en ce qui concerne la jurisprudence pertinente ne respectent certainement pas l’esprit de cette procédure extraordinaire.

 

[51]           Quoi qu’il en soit, nous verrons qu’il y a d’autres motifs qui justifient l’annulation de l’ordonnance.

 

VI –   LE DÉFENDEUR S’EST ACQUITTÉ DE SON FARDEAU DE PREUVE INITIAL

 

[52]           La preuve versée au dossier est constituée des affidavits souscrits par Mme Walterhouse, M. Robarts et Mme Voll, qui n’ont pas été contre‑interrogés au sujet de leur affidavit. Il n’y a aucune raison de ne pas les considérer comme crédibles.

 

[53]           Lors de l’instruction de la présente requête, les deux avocats ont expliqué à la Cour que la véracité des faits relatés dans ces affidavits n’était pas en cause. Ce sur quoi les parties ne s’entendent pas, c’est la valeur que la Cour doit accorder à la preuve présentée respectivement par le ministre et par le défendeur, chaque partie affirmant qu’elle s’est acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait.

 

[54]           Après avoir analysé la preuve et lu attentivement les pièces produites par les parties à la lumière de leurs observations respectives et des principes déjà exposés aux paragraphes 5, 6 et 7 des présents motifs, je conclus que le défendeur s’est acquitté du fardeau initial qui lui incombait de convaincre le juge saisi de la demande de révision qu’il existe des motifs raisonnables de douter que l’octroi au contribuable d’un délai pour payer le montant établi contre lui compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

 

[55]           Comme il a déjà été mentionné, le ministre invoque cinq moyens au soutien de sa demande d’ordonnance conservatoire :

a)   Les fonds se trouvant dans les comptes bancaires du défendeur, qui totalisaient environ 687 706,62 $, étaient les seuls actifs importants connus du défendeur qui étaient suffisants pour payer la dette fiscale en totalité ou en partie;

b)   Le défendeur était en mesure de retirer des fonds avant que l’ARC soit par ailleurs en mesure de certifier la dette et d’obtenir la saisie‑arrêt de ses comptes bancaires;

c)   Le défendeur n’avait déclaré qu’une petite partie de ses revenus. Dans le passé, il n’avait pas déclaré avec exactitude ses revenus d’entreprise et ses revenus locatifs au fisc;

d)   Le sursis de 90 jours prévu par la loi en ce qui concerne les nouvelles cotisations était toujours en vigueur. Il était donc loisible au défendeur de déposer des avis d’opposition aux nouvelles cotisations, ce qui empêcherait le ministre de recouvrer la dette fiscale avant l’expiration de tout délai d’opposition ou d’appel;

e)   Le défendeur avait mené ses affaires fiscales d’une manière peu orthodoxe. Il semble qu’il avait dilapidé deux importants éléments d’actif après avoir été avisé des nouvelles cotisations.

 

[56]           À l’instruction de la présente requête, l’avocat du ministre était prêt à concéder que, pris isolément ou cumulativement, les quatre motifs énumérés aux alinéas (i) à (v) du paragraphe 36 de l’affidavit d’avril de Mme Walterhouse n’étaient peut‑être pas suffisants pour justifier la délivrance d’une ordonnance conservatoire. Cependant, le cinquième motif énoncé à l’alinéa (v) précité était déterminant. Il a trait aux deux mesures prises par le défendeur après avoir appris, à la fin de janvier 2010, qu’il était sur le point de faire l’objet de nouvelles cotisations.

 

[57]           Comme nous l’avons déjà mentionné, le ministre s’est fondé sur les faits suivants :

a)   Le 27 janvier 2010, le défendeur a retiré 109 000 $ d’un de ses comptes Scotiabank iTrade;

b)   Le 28 janvier 2010, il a transféré à Mme Voll sa moitié indivise de l’immeuble de l’Arizona.

 

[58]           En l’espèce, le ministre soutient que les mesures en question constituent des actes peu orthodoxes qui suscitaient une crainte raisonnable qu’il serait difficile de retracer l’argent ou de le récupérer pour payer la dette fiscale. Après avoir examiné les explications données par le défendeur et par Mme Voll (au sujet de l’immeuble de l’Arizona), j’estime qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’octroi au contribuable d’un délai compromettrait le recouvrement de la dette fiscale eu égard à ces deux actes isolés. Les explications fournies sont plausibles et ne sont pas contredites par d’autres éléments de preuve au dossier. La preuve jette un éclairage nouveau sur la crainte du ministre suivant laquelle le défendeur était sur le point de liquider les fonds en question.

 

[59]           En premier lieu, en ce qui concerne le retrait de la somme de 109 000 $ de son compte Scotiabank iTrade le 27 janvier 2010, le défendeur explique dans son affidavit qu’il avait l’intention de combiner ce montant avec les 101 000 $ qui se trouvaient déjà dans son compte de la CIBC et qu’il voulait acheter un certificat de dépôt référencé au marché monétaire de 210 000 $ à la CIBC. La situation du marché à l’époque permettait de penser qu’un certificat de dépôt référencé au marché monétaire pourrait porter intérêt à un taux de près de trois pour cent. Toutefois, comme les taux demeuraient peu élevés (autour de 1,25 %), il a décidé de ne pas acheter de certificat de dépôt référencé au marché monétaire et a retourné le chèque de 109 000 $ à Scotia iTrade pour qu’il soit déposé de nouveau dans son compte, ce qui a été fait le 10 mars 2010, comme le démontre le relevé de mars produit avec l’affidavit du défendeur. J’estime que les explications données par le défendeur sont tout à fait plausibles.

 

[60]           En second lieu, en ce qui concerne le transfert le 28 janvier 2010 à Mme Voll de la moitié indivise qu’il détenait dans l’immeuble de l’Arizona, le défendeur explique que l’immeuble de l’Arizona avait été acheté avec de l’argent que lui et Mme Voll considéraient appartenir à cette dernière. L’immeuble était inscrit au nom de l’un et l’autre à la condition que le défendeur achète un appartement en copropriété à Kelowna en leur nom. Comme il n’a pas été en mesure de respecter cet engagement, il s’assurait simplement que le titre de propriété corresponde au véritable propriétaire de l’immeuble. De plus, l’immeuble a été transféré au nom de Mme Voll après qu’elle eut exigé le remboursement de la dette. Là encore, bien que le moment où ce transfert a eu lieu puisse semble douteux, les explications fournies par les contribuables sont plausibles et la Cour ne doit pas les écarter.

 

[61]           On ne trouve pas dans la jurisprudence de définition de l’expression « comportement peu orthodoxe », mais on y trouve de nombreux exemples de ce qu’on entend par là. En voici quelques-uns :

a)   Conserver une importante somme d’argent liquide à des endroits comme son appartement, un coffre‑fort et un entrepôt frigorifique (Ministre du Revenu national c. Rouleau, [1995] 2 C.T.C. 442, 101 F.T.R. 57, au paragraphe 6);

b)   Conserver dans le coffre de son automobile une somme d’argent liquide importante dont on ne peut retracer l’origine par le truchement des registres bancaires habituels (Ministre du Revenu national c. Arab, 2005 CF 264, [2005] 2 C.T.C. 107, au paragraphe 20);

c)   Tenir une double comptabilité pour un restaurant, la première pour les inscriptions dans le journal des ventes, le grand livre et les déclarations fiscales, la seconde pour les ventes additionnelles non déclarées par la société propriétaire du restaurant (Delaunière (Re), 2007 CF 636, 2008 D.T.C. 6274 (angl.) au paragraphe 4);

d)   Conserver une somme d’argent liquide importante dans un coffre‑fort, un classeur de sa maison et dans la poche d’un peignoir (Mann c. Ministre du Revenu national, 2006 CF 1358, [2007] 1 C.T.C. 243, au paragraphe 43);

e)   Avancer des fonds à une société sur le point d’être dissoute pour éluder l’impôt sur le revenu (Laquerre, 2008 CF 459, 2009 D.T.C. 5596 (angl.), au paragraphe 11).

 

[62]           Le comportement du défendeur ne fait de toute évidence pas partie de la même catégorie que celle des exemples précités. Le ministre a signalé deux incidents suspects, soit le transfert de la moitié indivise de l’immeuble de l’Arizona à Mme Voll et le retrait de 109 000 $. Or, le défendeur a fourni des explications valables au sujet de chacun de ces incidents. Il existe donc des motifs raisonnables de douter que l’octroi d’un délai pour payer le montant dont le défendeur est redevable compromettrait en tout ou en partie le recouvrement de ce montant.

 

[63]           Je vais maintenant examiner le reste de la preuve relative aux autres motifs invoqués par le ministre à l’appui de son argument qu’il existait — et qu’il existe toujours — des motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai compromettrait le recouvrement de la dette fiscale.

 

VII – LE MINISTRE N’A PAS SATISFAIT AU CRITÈRE PRÉVU AU PARAGRAPHE 225.2(2) DE LA LOI

 

[64]           Le paragraphe 225.2(2) de la Loi oblige le ministre à démontrer qu’il « existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant » (non souligné dans l’original). Il a été jugé que, dans le contexte du paragraphe 225.2(2) de la Loi, l’existence de motifs raisonnables de croire constitue une norme de preuve qui « sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » (Canada (Ministre du Revenu national) c. 514659 B.C. Ltd., 2003 CFPI 148, au paragraphe 6; Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 399, au paragraphe 24; Papa (Re), 2009 CF 49, [2009] 4 C.T.C. 93, au paragraphe 16 (Papa)).

 

[65]           J’ai déjà rejeté l’allégation du ministre suivant laquelle le défendeur mène ses affaires fiscales d’une manière peu orthodoxe au motif qu’il aurait dilapidé deux éléments d’actif importants tout de suite après avoir été informé de l’imminence des nouvelles cotisations. Il nous reste donc à examiner les autres allégations formulées par le ministre : les fonds constituaient le seul élément d’actif important connu du défendeur; le défendeur était en mesure de retirer l’argent avant que l’ARC soit par ailleurs en mesure de certifier la dette fiscale et de saisir‑arrêter ses comptes bancaires; dans le passé, il n’avait pas déclaré avec exactitude au fisc ses revenus d’entreprise et ses revenus locatifs; le sursis de 90 jours prévu par la loi en ce qui concerne les nouvelles cotisations courait toujours lorsque le ministre a demandé une ordonnance conservatoire.

 

[66]           Dans son affidavit d’avril, Mme Walterhouse explique le fondement des nouvelles cotisations. À la suite de la vérification interne que l’ARC a achevée le 4 janvier 2010, le ministre a estimé que le défendeur n’avait pas déclaré avec exactitude les revenus d’entreprise qu’il avait tirés de ses deux propriétés de Surrey ainsi que le gain en capital réalisé sur une troisième propriété, située à Kelowna. Ces ventes avaient eu lieu respectivement le 31 octobre 2005, le 31 août 2006 et le 29 avril 2008. Le défendeur a par conséquent fait l’objet de nouvelles cotisations d’impôt s’élevant à 1 265 953,57 $ et il a déposé des avis d’opposition.

 

[67]           Les thèses défendues respectivement par le ministre et par le défendeur en ce qui concerne le bien‑fondé des nouvelles cotisations sont très discutables. Le principe général établi par la jurisprudence est que le bien‑fondé d’une cotisation est jugé par un tribunal différent de celui devant lequel l’ordonnance conservatoire est contestée. À l’étape de la contestation de l’ordonnance conservatoire, la Cour doit tout simplement accepter que les cotisations sont valides (Services M.L. Marengère Inc., aux paragraphes 64 et 73; Ministre du Revenu national c. Reddy, 2008 CF 208, [2008] 3 C.T.C. 10, au paragraphe 30). Cela ne signifie cependant pas nécessairement que la Cour ne doit pas examiner la preuve soumise pour contester la cotisation lorsqu’elle examine l’opportunité de rendre une ordonnance conservatoire.

 

[68]           Si le dossier démontre qu’une bonne partie de la preuve utilisée par le ministre pour justifier l’ordonnance conservatoire est sérieusement contestée par le contribuable, la Cour ne peut pas simplement faire abstraction des arguments de celui‑ci lorsqu’elle détermine si l’ordonnance conservatoire doit être confirmée. Les assertions du ministre doivent nécessairement être remises en question (Ministre du Revenu national c. Douville, 2009 CF 986, 357 F.T.R. 316, aux paragraphes 16 et 20).

 

[69]           Dans le cas qui nous occupe, Mme Walterhouse a elle‑même formulé, dans son affidavit d’avril, plusieurs allégations de fait qui vont au‑delà du simple fait que de nouvelles cotisations ont été établies le 1er février 2010. Ces allégations ont été formulées dans le but de dépeindre le contribuable sous un jour défavorable et elles constituent les raisons invoquées pour justifier la délivrance de l’ordonnance. Mme Walterhouse allègue que le défendeur a omis de déclarer une importante partie de ses revenus et qu’il n’a pas déclaré avec exactitude au fisc ses revenus d’entreprise et ses revenus locatifs dans le passé.

 

[70]           Il n’est pas contesté que, le 25 février 2010, le défendeur a informé Mme Walterhouse qu’il avait retenu les services d’un avocat fiscaliste pour l’aider à contester les nouvelles cotisations et qu’il lui a demandé que toute correspondance portant sur ces questions soit à partir de ce moment‑là adressée à son avocat. Mme Walterhouse confirme, dans son affidavit d’avril, qu’elle était au courant du fait que le défendeur avait discuté avec son avocat de la possibilité de faire des versements pour réduire les intérêts s’accumulant sur sa dette fiscale. Toutefois, le 8 mars 2010, l’avocat du défendeur a confirmé au représentant de l’ARC chargé du recouvrement qu’il déposerait des avis d’opposition aux nouvelles cotisations.

 

[71]           Je peux dire à ce stade‑ci que la preuve du ministre, qui est contredite à de nombreux égards par celle du défendeur, ne me permet pas de conclure, contrairement à ce que prétend Mme Walterhouse dans son affidavit, que le défendeur n’a [traduction] « déclaré qu’une petite partie de ses revenus » et qu’il n’a pas [traduction] « déclaré avec exactitude ses revenus d’entreprise et ses revenus locatifs ». Premièrement, le défendeur nie avec véhémence avoir jamais touché des revenus locatifs. Deuxièmement, le défendeur s’est peut‑être trompé lorsqu’il a déclaré certains gains et il n’était peut‑être pas justifié d’omettre d’en déclarer certains autres, mais le traitement fiscal qu’il convient de donner à ces gains sera décidé en temps utile. Troisièmement, à l’audience, l’avocat du défendeur a convenu que la Cour ne pouvait pas tirer d’inférence négative des omissions du défendeur de déclarer les gains en cause parce que cette question n’a pas encore été tranchée.

 

[72]           Il ressort aussi de l’affidavit de Mme Walterhouse que les seuls actifs canadiens appartenant au défendeur étaient constitués de sommes d’argent déposées dans diverses institutions financières, notamment dans les comptes qu’il détenait à la CIBC et chez ING Direct et Scotiabank iTrade. En revanche, ainsi que le défendeur l’a corroboré dans son affidavit, cette situation existe depuis plusieurs années. Au cours des trois dernières années, il a effectué des opérations sur des valeurs mobilières par le truchement de son compte Scotia iTrade. Par définition, il est facile de se départir d’actifs liquides ou de les mettre hors de la portée du ministre, mais ce fait ne constitue pas en lui‑même une raison valable de croire que le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour se soustraire au fisc (Ministre du Revenu national c. Rouleau, [1995] 2 C.T.C. 442, 101 F.T.R. 57, au paragraphe 9; Mann c. Ministre du Revenu national, 2006 CF 1358, [2007] 1 C.T.C. 243, au paragraphe 39; R. c. Paryniuk, 2003 CF 1505, 2004 D.T.C. 6023, au paragraphe 14).

 

[73]           La question de savoir si les actifs saisis sont suffisants pour acquitter la présumée dette fiscale n’est pas déterminante lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’opportunité de rendre une ordonnance conservatoire. Le fait que le contribuable n’a pas été en mesure de régler le montant imposé au moment de la cotisation n’est pas en soi concluant ou déterminant (Danielson c. Canada (Sous‑procureur général), [1986] 2 C.T.C. 380, 7 F.T.R. 42, aux paragraphes 7 et 15 (Danielson)). Il faudrait présenter des éléments de preuve tendant à démontrer que le contribuable a dilapidé ses actifs ou les a transférés hors du pays (Danielson, précité, au paragraphe 8). On tiendrait également compte d’autres facteurs, comme le fait de mentir sur ses actifs, d’en disposer ou de se livrer à des activités répréhensibles (Ministre du Revenu national c. Ament, 97 D.T.C. 5033, 124 F.T.R. 135, au paragraphe 23).

 

[74]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la Cour doit tenir compte de l’ensemble des mesures qui ont été prises entre la date à laquelle il a été mis au courant de l’imminence des nouvelles cotisations (le 25 janvier 2010) et celle à laquelle le ministre a demandé une ordonnance conservatoire (le 6 avril 2010). De plus, on pourrait facilement mal interpréter plusieurs des caractéristiques et mesures financières du défendeur alors qu’en fait, elles semblent raisonnables lorsqu’on tient compte de l’ensemble de la preuve. En l’espèce, le défendeur n’a eu des actifs liquides que pendant quelques années et il n’a pas effectué de nombreux retraits au cours des ans. En fait, il s’est engagé dans son affidavit à adopter une attitude conservatrice en ce qui concerne ses actions et à ne pas retirer d’argent tant que sa dette fiscale ne serait pas évaluée et arrêtée de façon définitive.

 

[75]           Mme Walterhouse a, de sa propre initiative, appelé le défendeur le 25 janvier 2010 pour le prévenir que de nouvelles cotisations étaient sur le point d’être établies. Il ne s’agit vraisemblablement pas d’un cas dans lequel le ministre estimait qu’une ordonnance conservatoire devait être rendue avant que le contribuable ne reçoive son avis de cotisation parce que le recouvrement du montant s’en trouverait, selon toute vraisemblance, davantage compromis (voir le paragraphe 225.2(3) de la Loi).

 

[76]           Le retrait de la somme de 109 000 $ le 27 janvier 2010 est le fait le plus important sur lequel le ministre s’est fondé pour demander l’ordonnance conservatoire le 6 avril 2010. Or, ce fait était inexact, puisque l’argent avait été déposé de nouveau dans le compte le 10 mars 2010. Au cours des mois de février et de mars 2010, les fonds n’ont pas été touchés par le défendeur, qui aurait eu amplement le temps d’en disposer avant que le ministre ne présente sa demande.

 

[77]           De simples soupçons ou de simples craintes ne sont pas suffisants pour démontrer l’existence de motifs raisonnables. L’explication du défendeur suivant laquelle il a transféré à Mme Voll la moitié indivise de l’immeuble de l’Arizona à la fin de janvier 2010 pour mieux refléter qui était véritablement propriétaire de l’immeuble est plausible, compte tenu des prêts que les parties se sont consentis et de l’état de leurs relations à l’époque. En tout état de cause, ainsi qu’il est déclaré au paragraphe 31 de l’affidavit que Mme Walterhouse a souscrit en avril, Mme Voll sera imposée en vertu de l’article 160 de la Loi en ce qui concerne la dette fiscale du défendeur. Le montant imposé n’est donc pas mis hors de la portée du ministre et son recouvrement n’est pas compromis par l’octroi d’un délai, d’autant plus que l’immeuble de l’Arizona a été acheté longtemps avant l’établissement des nouvelles cotisations et qu’il a toujours été hors de la portée du ministre.

 

[78]           Compte tenu de ces éléments de preuve, il n’y avait certainement aucun motif raisonnable de croire le 6 avril 2010 que le défendeur dilapiderait, liquiderait ou transférerait autrement son patrimoine pour se soustraire au fisc. La même conclusion vaut toujours aujourd’hui, vu l’ensemble de la preuve soumise par les parties.

 

[79]           À ce propos, aux paragraphes 62, 63 et 64 de l’affidavit qu’il a souscrit le 5 mai 2010, le défendeur a pris une série d’engagements dans le but de démontrer à la Cour sa bonne foi et sa volonté de respecter la procédure d’établissement des nouvelles cotisations, à défaut d’ordonnance conservatoire. Le défendeur s’est en effet engagé :

·        à ne pas dilapider, liquider ou transférer ses biens hors du Canada tant que le litige fiscal qui l’oppose présentement à l’ARC ne sera pas réglé;

·        à ne pas épuiser le capital de ses placements tant que le litige fiscal qui l’oppose présentement à l’ARC ne sera pas réglé;

·        à mener ses affaires financières de manière conservatrice tant que le litige fiscal qui l’oppose présentement à l’ARC ne sera pas réglé.

 

[80]           Les engagements susmentionnés constituent un facteur pertinent pour décider s’il convient ou non, eu égard aux circonstances, de confirmer, d’annuler ou de modifier l’ordonnance rendue par le juge Zinn le 12 avril 2010 (voir Danielson, précité, 1853‑9049 Québec Inc. c. R, [1987] 1 C.T.C. 137, 9 F.T.R. 63; Sagman, 2004 CF 1630, [2005] 1 C.T.C. 165, et Ministre du Revenu national c. Douville, 2009 CF 986, 357 F.T.R. 316).

 

[81]           La bonne foi se présume. Je prends acte des engagements du défendeur et rien ne me laisse penser que le défendeur ne les respectera pas ou qu’il n’est par ailleurs pas digne de confiance. Bien que certaines des mesures prises par le défendeur aient semblé douteuses aux yeux du fisc, je suis prêt à lui accorder le bénéfice du doute.

 

[82]           Après avoir examiné à fond la preuve et la jurisprudence ainsi que les principes juridiques applicables, je ne suis pas convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai compromettrait le recouvrement de la dette fiscale.

 

VII – DISPOSITIF

 

[83]           Vu ce qui précède, la Cour accueillera la requête présentée par le défendeur.

 

[84]           En conséquence, l’ordonnance sera annulée et il sera enjoint au ministre de ne prendre aucune mesure de recouvrement relativement à la dette fiscale ou de cesser immédiatement toutes celles déjà prises, y compris la saisie et le blocage des fonds, que l’ARC doit lever promptement, le tout sous réserve du droit du ministre de présenter une nouvelle demande si la situation change ou si le défendeur ne respecte pas les engagements qu’il a pris devant la Cour.

 

[85]           Compte tenu de l’issue de la cause, les dépens seront adjugés au défendeur.


ORDONNANCE

LA COUR :

1.   ACCUEILLE la requête présentée par le défendeur;

2.   ANNULE l’ordonnance rendue le 12 avril 2010;

3.   ENJOINT au ministre de ne prendre aucune mesure de recouvrement relativement à la dette fiscale ou de cesser immédiatement toutes celles déjà prises, y compris la saisie et le blocage des fonds, que l’ARC doit lever promptement;

4.   LE TOUT SOUS RÉSERVE du droit du ministre de présenter une nouvelle demande si la situation change ou si le défendeur ne respecte pas les engagements qu’il a pris devant la Cour;

5.   ADJUGE les dépens au défendeur.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑510‑10

 

INTITULÉ :                                                   MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                        c.

                                                                        BRENT ROBARTS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Cololombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 18 août 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 3 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Erica Louie

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mark W. Baron

Matt Kraemer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Pushor Mitchell LLP

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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