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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100903

Dossiers : IMM-6383-09

IMM-6384-09

 

Référence : 2010 CF 871

TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2010

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

Entre :

PEDRO DAVID VENTURA

demandeur

et

le ministre de la citoyenneté

et de L’IMMIGRATION

défendeur

 

Motifs de l’ordonnance et ordonnance

 

[1]               Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire différentes présentées par le même demandeur à l’encontre de deux décisions prises par l’agent d’immigration J. Gullickson et datées du 23 octobre 2009. Dans la première décision, l’agent a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par le demandeur. Dans la deuxième décision, l’agent a rejeté la demande du demandeur sollicitant que sa demande de résidence permanente soit traitée depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (CH).

[2]               Après avoir examiné avec soin les dossiers du demandeur et les observations écrites du défendeur et après avoir pris en compte les plaidoiries des avocats faites à l’audience, je conclus que la demande de contrôle judiciaire concernant la demande d’ERAR doit être rejetée, mais que la demande de contrôle judiciaire de la décision CH doit être accueillie.

 

I.          Les faits

[3]               Le demandeur est un homme âgé de 22 ans et un citoyen de l’Angola. En janvier 2004, alors âgé de 15 ans, il est arrivé au Canada où il a demandé l’asile.

 

[4]               Devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), le demandeur a allégué qu’il craint d’être persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, à savoir sa famille. En effet, il a déclaré dans son témoignage que son père était un membre actif d’un groupe d’opposition, le Front de libération de l’enclave de Cabinda-Forces armées cabindaises (FLEC-FAC), et que son père avait été assassiné en 2000 par des agents du gouvernement en raison de son appartenance bien connue à ce groupe. Le demandeur a également allégué qu’il participait à des réunions d’un groupe antigouvernemental lié à son école.

 

[5]               Le 24 janvier 2005, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison d’un manque de crédibilité et en raison de l’absence d’éléments de preuve corroborants ou d’une preuve documentaire. Le seul élément de preuve dont était saisie la SPR était un certificat de décès pour le père du demandeur, indiquant que la date de décès était le 8 décembre 1993 et non en 2000.

 

[6]               Le demandeur a présenté sa demande CH le 2 novembre 2006 et sa demande d’ERAR le 26 mai 2008. Des observations et des éléments de preuve ultérieurs pour l’ERAR ont été reçus le 12 juin 2008, tandis que des observations et des éléments de preuve ultérieurs concernant la demande CH ont été reçus le 26 octobre 2006, le 12 juin 2009 et le 29 septembre 2009.

 

[7]               Le demandeur a indiqué à l’agent qu’il était au Canada depuis 2004, qu’il fréquentait un collège et était un cadet accompli, qu’il suivait des cours de judo et qu’il était bien intégré au Canada. Le demandeur a également présenté diverses lettres d’appui, notamment des lettres de ses parents nourriciers, de représentants de l’école, d’un instructeur des Cadets de l’Armée, d’un instructeur de judo et d’un collègue de judo.

 

[8]               Dans sa demande d’ERAR et dans sa demande CH, le demandeur a soutenu qu’il avait été forcé de quitter l’Angola en raison de ses opinions politiques et qu’en conséquence, sa vie était en danger. L’avocat du demandeur a également déclaré, à l’intention de l’agent, dans ses observations écrites concernant la demande d’ERAR, qu’il y avait des faits nouveaux depuis l’audience devant la SPR. M. Ventura avait apparemment été informé qu’il était faussement accusé d’être un membre du FLEC‑FAC par certains membres de la collectivité, en conséquence de quoi la police angolaise le recherchait pour l’arrêter pour activités antigouvernementales. M. Ventura avait également été informé que des membres du FLEC‑FAC s’étaient enquis de l’endroit où il se trouvait pour le recruter et que son refus de joindre le groupe indiquerait qu’il appuyait le gouvernement, auquel cas ces membres avaient dit qu’ils le tueraient.

 

II.         Les décisions contestées

A. La décision d’ERAR

[9]               En ce qui a trait à l’allégation du demandeur selon laquelle il s’exposait à des risques en raison de ses activités en Angola, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté de nouveaux éléments de preuve qui compenseraient son manque de crédibilité dans la demande à l’égard de laquelle la SPR s’était déjà prononcée et que ces allégations demeuraient non étayées.

 

[10]           En ce qui concerne les prétentions du demandeur voulant qu’il ait appris qu’il avait été accusé d’être un membre du FLEC‑FAC, que le gouvernement le recherchait en raison de cette accusation et que les membres du FLEC‑FAC voulaient qu’il devienne membre ou le tuer s’il ne devenait pas membre, l’agent a conclu à l’insuffisance d’éléments de preuve probants. Ni le demandeur ni son avocat n’ont indiqué la manière dont ils ont reçu ces renseignements ni leur source et, outre les observations, aucun autre élément de preuve n’appuyait l’allégation.

 

[11]           Enfin, l’agent a reconnu qu’il y a en Angola de la violence politique, de la corruption et de la pauvreté, mais a conclu qu’aucun élément de preuve probant n’établissait de lien entre le demandeur et les menaces de violence politique ou un mauvais traitement de la part des autorités.

 

B. La décision CH

[12]           L’agent a tout d’abord examiné la violence politique à laquelle le demandeur a allégué qu’il serait soumis, et a repris intégralement l’analyse qui se trouve dans sa décision d’ERAR. Il a ensuite examiné, sous le titre [traduction] « Autres risques personnels », le fait que le demandeur avait passé le quart de sa vie au Canada et qu’il éprouverait des difficultés s’il retournait en Angola en qualité de jeune personne ayant vécu au Canada pendant de si nombreuses années. L’agent a néanmoins conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve probants pour démontrer qu’il éprouverait des difficultés excessives s’il était tenu de retourner en Angola, une fois que l’on écarte les allégations non étayées de risques personnels d’arrestation ou de mauvais traitements de la part des autorités ou de recrutement forcé par des groupes d’opposition politiques armés ou d’attaque de leur part.

 

[13]           Sous les titres [traduction] « Liens familiaux », « Participation à la collectivité » et « Établissement - Travail et études », l’agent a reconnu que les renseignements présentés par le demandeur de la part de ses parents nourriciers et de la Société d’aide à l’enfance reflètent leur opinion favorable à son égard et leur appui. Il a également conclu que les diverses lettres d’appui provenant des membres du personnel de l’école et de l’église, d’un major des Cadets de l’Armée et de son instructeur de judo recommandent et appuient toutes le demandeur et insistent sur ses qualités positives. Finalement, il a reconnu que la preuve des études poursuivies dans le passé et les emplois antérieurs démontrent qu’il est un étudiant sérieux et respectueux et vraisemblablement en mesure de subvenir financièrement à ses besoins. Cependant, de l’avis de l’agent, rien de cela ne démontre que si le demandeur quittait le Canada, il subirait des difficultés excessives ou que son départ en causerait à d’autres personnes au Canada.

 

III.       Les questions en litige

[14]           L’avocat du demandeur a soulevé plusieurs questions dans ses observations écrites, qui, par suite de sa plaidoirie, peuvent être résumées sous la forme des questions suivantes :

·                    L’agent a-t-il commis une erreur de droit en n’accordant pas au demandeur une entrevue relativement à sa demande d’ERAR?

·                    L’agent a-t-il omis de prendre en compte des éléments de preuve importants qui favorisent la demande d’asile du demandeur, de ce fait n’appliquant pas correctement le critère pertinent pour évaluer les risques aux fins de la demande CH?

·                    L’agent a-t-il omis de fournir des motifs suffisants à l’appuie de sa décision CH?

 

IV.       Analyse

[15]           Le caractère approprié de ne pas tenir une entrevue dans le contexte d’une demande d’ERAR et la suffisance des motifs de l’agent sont nettement des questions d’équité procédurale. À ce titre, elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 34; Bavili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 945, [2009] A.C.F. no 1259, aux paragraphes 22 et 26; Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, [2006] A.C.F. no 1101, au paragraphe 18; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056, aux paragraphes 53 et 54.

 

[16]           En ce qui a trait à la question de fait concernant l’évaluation de la preuve afin de prendre une décision relative à la demande CH ou la demande d’ERAR, la jurisprudence a reconnu l’expertise des agents et a établi qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard de leurs décisions. Ces questions doivent donc être examinées selon la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, au paragraphe 53; Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 678, [2009] A.C.F. no 845, au paragraphe 19; Da Mota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 386, [2008] A.C.F. no 509, au paragraphe 15.

 

A. L’agent a-t-il commis une erreur de droit en n’accordant pas au demandeur une entrevue relativement à sa demande d’ERAR?

[17]           Le demandeur a soutenu que les questions de crédibilité étaient fondamentales quant à sa demande d’asile et que l’agent a commis une erreur en ne le convoquant pas à une entrevue comme l’exige l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). L’agent a accordé peu de poids aux nouveaux risques présentés par l’avocat aux fins de la demande d’ERAR ou les a rejetés parce qu’il estimait qu’ils n’étaient pas corroborés par d’autres éléments de preuve. Selon le demandeur, le rejet de ces éléments de preuve n’est pas autre chose que le refus de l’agent de croire le récit du demandeur. De plus, le demandeur a prétendu que le rejet de ces nouveaux éléments de preuve découlait des conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité concernant le reste des éléments de preuve et importées sans explication. De l’avis du demandeur, l’agent ne pouvait pas rejeter les nouveaux risques qu’il avait présentés sans tenir une audience et lui donner l’occasion d’expliquer la raison pour laquelle ils n’étaient pas corroborés.

 

[18]           La Cour a statué que le libellé de l’alinéa 113b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) indique clairement que la possibilité d’une audience dans le contexte d’un ERAR relève exclusivement du pouvoir discrétionnaire de l’agent, en ce qui a trait aux « facteurs pour la tenue d’une audience » qui sont précisés dans l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Les conditions énoncées à l’article 167 sont cumulatives et le demandeur est tenu de satisfaire à tous les facteurs (Tran c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 175, [2010] A.C.F. no 207, au paragraphe 29).

 

[19]           Un élément essentiel de la demande du demandeur présentée à l’agent d’ERAR est qu’il serait ciblé compte tenu des activités politiques de son père en Angola, tout comme son père a été assassiné en raison de ces activités politiques, selon le demandeur. La SPR avait déjà rejeté cet aspect de la demande d’asile du demandeur. Le demandeur n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve qui réfuteraient la conclusion de la SPR quant à la crédibilité. Le demandeur a répété ce qui a déjà été établi comme étant un manque de crédibilité, sans autre élément de preuve corroborant ni explication.

 

[20]           Compte tenu des observations du demandeur, pour que le demandeur obtienne une décision favorable au terme d’un ERAR, il serait tenu de répondre à la totalité des conclusions tirées par la SPR. La décision de permettre la tenue d’une audience dans de telles circonstances équivaudrait à un réexamen des conclusions de la SPR. Là n’est pas le rôle d’un agent d’ERAR (voir Selduz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 583, [2010] A.C.F. no 689, au paragraphe 31.

 

[21]           En ce qui a trait aux observations récentes présentées par le demandeur concernant les allégations de fausses accusations contre lui et de risques de préjudice qui en découlent de la part de la police ou des membres du FLEC‑FAC, l’agent les a rejetées car elles n’étaient pas étayées par des éléments de preuve suffisamment probants pour être raisonnables. L’agent avait certainement le droit d’accorder une faible valeur probante et peu de poids à la déclaration du demandeur, compte tenu de son caractère vague et de l’absence de précisions. Les [traduction] « nouveaux risques », faut-il le rappeler, n’étaient pas appuyés par un affidavit ou une preuve présentée sous serment; les rumeurs n’étaient pas corroborées, elles manquaient de précisions et leurs sources n’étaient pas identifiées. Dans de telles circonstances, l’agent avait le droit d’accorder peu de valeur probante aux allégations du demandeur.

 

[22]           Puisque l’agent a conclu que les éléments de preuve fournis ne constituaient pas une preuve suffisamment probante d’un risque, le demandeur n’avait pas droit à une entrevue. Les nouveaux éléments de preuve n’ont pas été rejetés en raison d’un manque de crédibilité, ce qui aurait été le cas si l’agent s’était appuyé sur des contradictions ou des invraisemblances dans le récit du demandeur. Les éléments de preuve ont été rejetés en raison de l’insuffisance de leur valeur probante. La Cour a fait une distinction entre un agent d’ERAR qui évalue la preuve et qui rend une décision fondée sur la crédibilité :

Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle‑même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée.

 

Ferguson c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 1067, au paragraphe 27. Voir aussi Clarke c. Canada (M.C.I.), 2009 CF 357, au paragraphe 10.

 

 

[23]           L’agent n’a pas rendu de décision fondée sur la crédibilité. Il a soupesé les éléments de preuve dont il était saisi et a conclu que la déclaration du demandeur n’était pas suffisante pour réfuter la conclusion de la SPR quant à sa crédibilité, ni pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était exposé à un risque. En d’autres mots, il a conclu qu’une déclaration non corroborée, sans affidavit à l’appui, ne pouvait pas étayer une rumeur. Une telle décision appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Dans ces circonstances, le demandeur n’avait pas droit à une entrevue.

 

B. L’agent a-t-il omis de prendre en compte des éléments de preuve importants qui favorisent la demande d’asile du demandeur, n’appliquant pas ainsi correctement le critère pertinent pour évaluer les risques aux fins de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?

 

[24]           L’avocat du demandeur a soutenu que l’agent d’ERAR n’avait pas du tout tenu compte des éléments de preuve corroborants dont il était saisi et qui étaient des rapports sur la situation du pays faisant état du mauvais bilan du gouvernement en matière de respect des droits de la personne, de même que la prévalence des exécutions sommaires et de l’impunité de la part des forces de sécurité gouvernementales.

 

[25]           Contrairement à l’argument du défendeur selon lequel l’agent n’a pas tenu compte de la situation dans le pays, l’agent a en effet mentionné l’existence de la violence politique, de la corruption et des luttes armées entre les factions politiques en Angola. Le demandeur ne peut cependant pas s’appuyer uniquement sur la situation du pays pour étayer l’allégation selon laquelle il est exposé à des risques. La Cour a statué, à plusieurs reprises, que la preuve de risques exige une preuve objective indépendante et crédible qui établit un lien entre la situation personnelle du requérant et celle ayant cours dans le pays. En l’absence de preuve démontrant un risque personnalisé, la situation ayant cours dans un pays n’est pas suffisante pour obtenir une décision d’ERAR favorable (voir par exemple, Alakozai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 266, aux paragraphes 35 à 37; Prophète c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 331, [2009] A.C.F. no 374, aux paragraphes 16 et 17; Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, [2005] A.C.F. no 506, au paragraphe 28.

 

[26]           À l’audience, l’avocat du demandeur a également fait valoir que l’agent a commis une erreur en n’appliquant pas le critère approprié lors de l’évaluation des risques aux fins de la demande CH. Il a soutenu que l’agent a importé sa conclusion relative aux risques de la décision d’ERAR sans prendre en compte le contexte plus large d’une demande CH. En outre, l’avocat a également prétendu que l’agent n’a examiné l’absence de risque pour le demandeur que s’il devait retourner en Angola, plutôt que de se concentrer sur les difficultés qu’il subirait s’il devait présenter une nouvelle demande de visa ou une demande CH depuis l’étranger.

 

[27]           Après avoir examiné avec soin la décision contestée de l’agent, je ne peux pas être d’accord avec le demandeur. À plusieurs reprises dans sa décision, l’agent énonce correctement le critère, comme étant la question de savoir si le demandeur subirait des difficultés excessives s’il était renvoyé en Angola. Il savait nettement et était clairement sensible au fait que le demandeur était au Canada depuis cinq ans et qu’un retour en Angola pouvait lui causer des difficultés. Il était également conscient du soutien que le demandeur reçoit de ses parents nourriciers au Canada. L’agent a néanmoins conclu que le demandeur ne subirait pas de difficultés excessives s’il devait retourner en Angola. Il était loisible à l’agent de faire cette évaluation, plus particulièrement compte tenu du fait que l’avocat du demandeur avait uniquement insisté sur les risques pour la sécurité du demandeur en lien avec les difficultés de vivre en Angola.

 

C. L’agent a-t-il omis de fournir des motifs suffisants à l’appui de sa décision CH?

[28]           Enfin, l’avocat du demandeur a soutenu que l’agent n’a pas fourni de motifs suffisants pour conclure que le départ du demandeur du Canada ne lui causerait pas de difficultés excessives ni à d’autres personnes au Canada, et ce, malgré la preuve documentaire indiquant que ses parents nourriciers ont une grande opinion de lui et l’appuient, qu’il est respecté et en mesure de s’adapter à la société canadienne et qu’il est un étudiant sérieux et respectueux et qu’il est vraisemblablement en mesure de subvenir financièrement à ses besoins s’il est autorisé à travailler. Le demandeur ne serait pas dans une meilleure position s’il devait présenter une nouvelle demande CH, ne connaissant pas les lacunes auxquelles il doit remédier afin d’obtenir une décision favorable.

 

[29]           Je suis d’accord avec le défendeur qu’il incombe au demandeur de convaincre l’agent que, dans la situation personnelle du demandeur, l’exigence d’obtenir un visa à l’extérieur du Canada selon la manière ordinaire causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Cela dit, une fois qu’un demandeur a présenté des facteurs favorables militant en faveur de l’accueil de sa demande CH, l’agent doit expliquer la raison pour laquelle il conclut que ces facteurs sont insuffisants pour accueillir la demande. Un demandeur a le droit de connaître la raison pour laquelle il n’a pas réussi à convaincre l’agent de la valeur de son dossier, plus particulièrement lorsque que l’enjeu est aussi important que son avenir au Canada. 

 

[30]           En l’espèce, l’agent n’a pas répondu à cette norme. Il a simplement récité les allégations du demandeur, uniquement pour les rejeter sans aucune sorte d’explication ou d’analyse. L’avocat du défendeur a répliqué que le demandeur, par l’entremise de son avocat, n’avait même pas donné de détails sur la manière selon laquelle les facteurs présentés constitueraient des difficultés excessives ou sur les raisons pour lesquelles il en serait ainsi. Je ne trouve pas cet argument convaincant. Si on met fin à l’établissement du demandeur au Canada, les conséquences, comme en témoignent ses liens familiaux, sa participation dans la collectivité, son travail et ses études, sont évidentes sans qu’il soit nécessaire de décrire comment et pourquoi, de son point de vue, son retour en Angola lui causerait des difficultés excessives. Compte tenu du dossier dont il était saisi, l’agent avait des éléments de preuve plus que suffisants non seulement pour se prononcer sur la question de savoir si des difficultés inhabituelles ou injustifiées et excessives avaient été établies, mais élément tout aussi important, pour fournir les motifs pour lesquels il en est arrivé à sa conclusion.

 

[31]           Tout bien considéré, je suis d’avis que la présente affaire est très semblable à la décision CH qui était contestée dans Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, [2005] A.C.F. no 693. Par conséquent, j’adopterais donc et ferais miennes les observations suivantes faites par ma collègue la juge Anne MacTavish :

[14] À mon avis, ces « motifs » n’en sont pas du tout. Il s’agit plutôt essentiellement d’un résumé des faits et de l’énoncé d’une conclusion, sans aucune analyse étayant celle-ci. L’agente a simplement examiné les facteurs favorables pour lesquels la demande pourrait être accueillie, concluant que, à son avis, ces facteurs n’étaient pas suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense. Elle n’a cependant pas expliqué pour quelles raisons. Or, cela n’est pas suffisant puisque les demandeurs se trouvent ainsi dans une position peu enviable où ils ignorent pourquoi leur demande a été rejetée.

 

 

[32]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR est rejetée et la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la demande CH est accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 


ordonnance

 

LA COUR ORDONNE :

1.   La demande de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR (IMM-6383-09) est rejetée.

2.   La demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (IMM-6384-09) est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvelle décision.

3.   Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


cour fédérale

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-6383-09

                                                            IMM-6384-09

 

Intitulé :                                       Pedro David Ventura

                                                            c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 31 août 2010

 

Motifs de l’ordonnance

et ordonnance :                       le juge de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             le 3 septembre 2010

 

 

 

Comparutions :

 

Richard Odeleye

 

Pour le demandeur

Bradley Bechard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Odeleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

                                                                                   

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