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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20100903

Dossier :  IMM-1191-10

Référence :  2010 CF 876

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2010

En présence de madame le juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

 

GHADA ABBOUD

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27, d’une décision d’un agent d’immigration (« l’agent »), datée du 9 décembre 2009, rejetant la demande de visa présentée par Ghada Abboud (« la demanderesse ») au motif qu’elle n’a pas fourni les renseignements qui lui avaient été demandés. L’agent a par la suite également rejeté la demande de la demanderesse visant à faire reconsidérer cette décision.

LES FAITS

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Liban.

 

[3]               En 2004, elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la classe économique (« la demande ») à l’ambassade du Canada à Damas. Elle a désigné une avocate pour la représenter, remplissant et signant un formulaire intitulé « Recours aux services d’un représentant ». L’adresse courriel de l’avocate était indiquée sur ce formulaire.

 

[4]               Le 27 mai 2009, la demande a été transférée pour un traitement accéléré à l’ambassade du Canada à Varsovie. Le 29 juillet 2009, l’agent a envoyé à l’adresse électronique de l’avocate un courriel, dont le texte consistait en une lettre datée du 28 juillet 2009, informant la demanderesse de ce que la demande serait traitée à Varsovie et lui demandant de soumettre certains documents additionnels dans un délai déterminé, à défaut de quoi la demande risquait d’être rejetée.

 

[5]               La demanderesse et l’avocate déclarent n’avoir jamais reçu ce message. L’agent, quant à lui, déclare avoir reçu un message automatisé à l’effet que son « message has been succesfully relayed to the following recipients, but the requested delivery status notifications may not be generated by the destination » (ce texte était suivi de l’adresse courriel de l’avocate).  

 

[6]               Selon la preuve documentaire au dossier, cette même journée, en fin d’avant-midi, le bureau des visas a fait parvenir à l’avocate un deuxième courriel contenant la même information que celui précédemment envoyé. La même réponse automatisée a alors été générée. 

 

[7]               N’ayant jamais reçu la demande de renseignements additionnels et persuadée que le dossier était complet, la demanderesse n’a pas fourni les documents demandés. N’ayant jamais reçu les renseignements qu’il recherchait, l’agent a rejeté sa demande. Il en a informé la demanderesse par lettre datée du 9 décembre 2009.

 

[8]               Après avoir reçu cette lettre, l’avocate a écrit à l’agent, demandant de ne pas fermer le dossier de la demanderesse et de lui transmettre une copie de la lettre du 28 juillet 2009 afin que la demanderesse puisse fournir les renseignements manquants. L’agent a refusé cette demande et la demanderesse a alors amorcé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[9]               La demanderesse a produit trois « pièces » qui, à son avis, démontrent que le message automatisé reçu par l’agent est une indication du fait que le message envoyé par celui-ci à son avocate ne s’est pas rendu à destination. Tel en fait également foi l’affidavit d’une informaticienne d’Ottawa, dont le juge Michel Shore a autorisé le dépôt au soutien de la demande de contrôle judiciaire. En audience, le défendeur convient que la preuve soumise par la demanderesse est convaincante à cet effet.

 

Analyse

[10]           La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si, dans ces circonstances, le rejet de la demande respecte les exigences de l’équité procédurale. Dans S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au par. 100, le juge Binnie, au nom de la majorité de la Cour suprême, a rappelé qu’« [i]l appartient aux tribunaux judiciaires […] de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». Ainsi, si l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse, la Cour doit intervenir. C’est, à mon avis, le cas en l’espèce.

 

[11]           Dans l’arrêt, Pravinbhai Shah  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 207, à propos d’un avis de convocation à une entrevue envoyé au demandeur afin que sa demande de résidence permanente soit évaluée, la juge Snider statuait au paragraphe 9 :

En général, il incombe aux agents d’immigration postés dans les bureaux des visas à l’étranger de s’assurer qu’un avis d’entrevue est envoyé. La Cour doit être convaincue que l’avis a bien été envoyé (décisions Herrara, Ilahi et Dhoot, précitées). …

 

 

[12]           En ce qui concerne le présent dossier, la Cour n’est pas convaincue que la demande d’information supplémentaire a bien été envoyée à la demanderesse. En audience, les deux parties étaient d’accord sur le fait que le courriel automatisé envoyé à l’agent (DSN ou « Delivery Status Notification » indiquant que le message « has been succesfully relayed » ne constituait pas une preuve que le message s’était vraiment rendu à destination. Tout au plus indique-t-il que le courriel a été transféré à son serveur, sans que cela ne signifie pour autant que ce message était bel et bien accessible dans la boîte de courrier électronique de l’avocate.

 

[13]           En outre, si lors de l’envoi du premier courriel, l’agent était certain que le message avait été envoyé comme il se doit, l’on peut dès lors se questionner sur la raison pour laquelle il a jugé bon de renvoyer un second message électronique, contenant exactement la même information et ce, seulement quelques heures plus tard. Le fait de recevoir encore une fois un « DSN » aurait dû l’alerter que les messages n’avaient pas été envoyés avec succès.

 

[14]           Dans l’arrêt Dhoot  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2006 CF 1295, au par. 19, le juge Kelen a accueilli une requête en contrôle judiciaire d’une décision d’une agente de visa qui avait rejeté la demande de résidence permanente d’une personne au motif que cette dernière ne s’était pas présentée à son entrevue d’immigration suite à l’envoi d’une lettre l’y convoquant. Or, la preuve démontrait clairement que la lettre ne s’était jamais rendue au demandeur ou à son représentant, que ce soit par courrier postal ou par télécopieur. Au par. 19, le juge mentionne :

Il est raisonnable de penser que le défendeur n’est pas à l’abri d’erreurs lorsqu’il traite des milliers de dossiers d’immigration. Quand la preuve laisse apparaître qu’une telle erreur a été commise, alors la Cour croit que le défendeur se doit de la corriger et d’inviter le demandeur à se présenter à une autre entrevue.

 

[15]           En l’espèce, il incombait à l’agent de s’assurer que le courrier électronique avait bel et bien été transmis à l’avocate de la demanderesse. Le message automatisé reçu à deux reprises suite à l’envoi du courriel aurait dû soulever un doute dans l’esprit de l’agent que la communication avait échoué.

 

[16]           De plus, lorsque l’avocate a été informée que la demande était rejetée parce que l’information demandée n’avait pas été envoyée dans les délais requis, elle a immédiatement communiqué avec le bureau des visas de Varsovie et ce, à plus d’une reprise, pour expliquer qu’elle et la demanderesse n’avaient jamais reçu le courrier électronique en question.

 

[17]           Dans une telle situation, l’agent aurait dû donner à cette dernière l’opportunité de présenter les documents exigés afin de pouvoir évaluer sa demande au mérite.

 

[18]           C’est là un accroc flagrant aux exigences de l’équité procédurale puisqu’en raison de ce problème de communication, la demanderesse n’a pas eu l’opportunité de présenter à l’agent l’ensemble de la preuve nécessaire à une prise de décision éclairée.

 

[19]           Si la décision était maintenue, les conséquences de ce problème de communication s’avèreraient extrêmement préjudiciables pour la demanderesse et sa famille qui, après plusieurs années d’attente, se verraient dans l’obligation de déposer une nouvelle demande d’immigration et qui, de surcroît, ne pourrait vraisemblablement plus se qualifier, en raison de changements réglementaires dernièrement apportés au programme fédéral des travailleurs qualifiés.

 

[20]           J’ajouterais également qu’afin d’éviter que de tels incidents se reproduisent, il serait utile que des directives plus claires soient fournies aux agents en ce qui à trait à leurs responsabilités quant à la gestion de communications électroniques dont les problèmes d’envoi peuvent conduire à une issue aussi fatale des demandes d’immigration.

 

[21]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agent des visas datée du 9 décembre 2009 est accueillie et la demande de résidence permanente est renvoyée à un autre agent des visas pour une nouvelle évaluation, après que la demanderesse ait pu soumettre les documents exigés dans la lettre datée du 28 juillet 2009.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agent des visas datée du 9 décembre 2009 soit accueillie et que la demande de résidence permanente soit renvoyée à un autre agent des visas pour une nouvelle évaluation, après que la demanderesse ait pu soumettre les documents exigés dans la lettre daté du 28 juillet 2009.

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1191-10

 

INTITULÉ :                                       GHADA ABBOUD

                                                            et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 2 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Tremblay-Lamer

 

DATE DES MOTIFS :                      le 3 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nicole Goulet

 

POUR LA DEMANDERESSE

Agnieszka Zagorska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nicole Goulet

Gatineau (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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