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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100902

Dossier : DES-6-08

Référence : 2010 CF 870

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

En présence de Madame la juge Hansen

 

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé aux termes

du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration

et la protection des réfugiés (LIPR);

 

ET le dépôt de ce

certificat à la Cour fédérale aux termes du

paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

ET

MAHMOUD ES-SAYYID JABALLAH

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]        Le nom de M. Jaballah (le défendeur) figure sur un certificat de sécurité dans lequel le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (les ministres) attestent qu’il existe des motifs raisonnables de croire que M. Jaballah est interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité nationale.

 

[2]        Depuis qu’il a obtenu une mise en liberté assortie de conditions rigoureuses, M. Jaballah a demandé à trois reprises le contrôle des conditions de sa mise en liberté. Le contrôle le plus récent a débouché sur le jugement motivé de la juge Dawson du 11 mai 2010 et l’ordonnance du 13 juillet 2010 qui en découlait. À part quelques rares sorties autorisées et le droit de demeurer chez lui sans surveillance à certaines conditions, l’ordonnance du 13 juillet 2010 exigeait que M. Jaballah soit constamment surveillé. Ces motifs découlent d’une demande présentée par M. Jaballah en vue de « faire examiner et modifier les conditions de sa mise en liberté » contenues dans le jugement du 13 juillet 2010. Par souci de clarté, il convient de noter que dans les motifs prononcés oralement, la demande du défendeur est qualifiée de « requête », puisque c’est ainsi qu’il l’a présentée dans les documents déposés au tribunal. Dans le reste des présents motifs, je qualifie la présente affaire de demande conformément aux termes de la loi.

 

[3]        Les présents motifs comportent deux parties. Les paragraphes 4 à 19 sont des motifs qui ont été rendus oralement; ils concernent la demande qu’ont formulée les avocats des parties pour que soit résolue la question préliminaire de savoir si le défendeur a le droit de présenter à ce moment-ci une demande de contrôle des conditions de sa mise en liberté. Ces motifs ont été révisés du point de vue linguistique. Les autres paragraphes contiennent les motifs que j’ai rendus au sujet de la demande de modification des conditions de la mise en liberté.

 

[4]        Le défendeur, M. Jaballah, présente cette requête [traduction]  « en vue de faire contrôler et modifier les conditions de sa mise en liberté ». En particulier, il présente sa requête pour faire contrôler les conditions de sa mise en liberté aux termes du paragraphe 82 (4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). À titre subsidiaire, il sollicite une ordonnance modifiant les conditions de sa mise en liberté aux termes du paragraphe 82.1(1) de la LIPR. Il sollicite une ordonnance l’autorisant à se rendre en certains lieux après en avoir averti au préalable l’ASFC, non accompagné par un surveillant; à savoir, la mosquée pour la prière du vendredi et la prière du soir pendant le Ramadan, la cour pour assister aux audiences et le bureau de son avocat; il demande d’être autorisé à faire des promenades dans son quartier et à se rendre à pied à un gymnase situé à proximité de chez lui pour faire de l’exercice.

 

[5]        Outre les éléments mentionnés dans le dossier de requête du défendeur, il demande, compte tenu des délais associés au traitement de la demande de permis de travail qu’il a déposée, la permission d’accompagner son fils pendant que ce dernier s’occupe de ses affaires, sans être à l’emploi de la société de son fils. Hier, un autre élément a été mentionné qui concerne le fait de conduire ses enfants à l’école.

 

[6]        M. Jaballah soutient qu’il a le droit à ce qu’un contrôle détaillé des conditions de sa mise en liberté soit effectué dans les six mois de la date de la fin de l’audience précédente touchant le contrôle de ses conditions. Il affirme savoir qu’il faut un certain temps pour choisir et fixer la date à laquelle il serait possible de procéder à un contrôle approfondi et c’est pourquoi il limite la présente requête de contrôle aux éléments particuliers exposés ci-dessus, parce qu’il souhaite que les conditions de sa mise en liberté fassent l’objet par la suite d’un contrôle détaillé à une date à fixer.

 

[7]        Les ministres contestent l’affirmation de M. Jaballah selon laquelle il a droit à ce que les conditions de sa mise en liberté fassent l’objet d’un contrôle dans les six mois de l’achèvement de l’audience et soutiennent que la période de six mois se calcule à partir de la date de la décision concernant le dernier contrôle des conditions.

 

[8]        Les avocats des ministres et de M. Jaballah demandent à la Cour de trancher la question préliminaire de savoir si M. Jaballah a actuellement le droit de demander le contrôle des conditions en question, avant d’examiner davantage la requête.

 

[9]        L’article 82 prévoit des contrôles impératifs et facultatifs de la détention et des conditions de la mise en liberté. Les paragraphes 82(1), (2) et (3) visent la détention. Le paragraphe 82(1) prévoit un contrôle obligatoire dans les 48 heures du début de la détention. Le paragraphe (2) concerne la période préalable à la décision concernant le caractère raisonnable du certificat et oblige le juge à entreprendre un autre contrôle des motifs justifiant le maintien en détention au moins une fois au cours des six mois suivant « la conclusion du dernier contrôle ». Le paragraphe (3) concerne la période suivant la décision portant que le certificat est raisonnable et prévoit que la personne maintenue en détention peut demander le contrôle des motifs justifiant ce maintien une fois expiré un délai de six mois « suivant la conclusion du dernier contrôle ».

 

[10]      Le paragraphe (4) énonce que la personne mise en liberté sous condition peut demander un autre contrôle des motifs justifiant le maintien des conditions une fois expiré un délai de six mois, « suivant la conclusion du dernier contrôle ». L’expression « la conclusion du dernier contrôle » n’est pas définie à l’article 82.

 

[11]      L’article 82.1 prévoit la modification des ordonnances. Il se lit ainsi :

 

82.1 (1) Le juge peut modifier toute ordonnance rendue au titre du paragraphe 82(5) sur demande du ministre ou de la personne visée par l’ordonnance s’il est convaincu qu’il est souhaitable de le faire en raison d’un changement important des circonstances ayant donné lieu à l’ordonnance.

82.1 (1) A judge may vary an order made under subsection 82(5) on application of the Minister or of the person who is subject to the order if the judge is satisfied that the variation is desirable because of a material change in the circumstances that led to the order.

 

(2) Pour le calcul de la période de six mois prévue aux paragraphes 82(2), (3) ou (4), la conclusion du dernier contrôle est réputée avoir eu lieu à la date à laquelle la décision visée au paragraphe (1) est rendue.

 

(2) For the purpose of calculating the six month period referred to in subsection 82(2), (3) or (4), the conclusion of the preceding review is deemed to have taken place on the day on which the decision under subsection (1) is made.

 

 

[12]      M. Jaballah soutient qu’il n’est pas certain que la référence que l’on trouve au paragraphe 82.1 (2) à « la décision visée au paragraphe (1) » vise uniquement le paragraphe (1) de l’article 82.1 ou les paragraphes (1) des articles 82 et 82.1. Il est toutefois clair que dans ces dispositions, le législateur a expressément prévu que pour le calcul de la période de six mois, la conclusion du dernier contrôle est la date de la décision.

 

[13]      M. Jaballah affirme qu’étant donné que toutes les autres dispositions relatives au contrôle de la mise en liberté ou de la détention ne contiennent aucune disposition semblable, il faut conclure que pour le législateur, le début de la période de six mois prévue aux paragraphes 82(2), (3) et (4) doit être la date qui serait ordinairement considérée comme étant la conclusion de l’instance, c’est‑à-dire la date à laquelle toutes les preuves et les observations ont été présentées. M. Jaballah affirme que cette interprétation est conforme à l’arrêt Charkaoui c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 1 R.C.S. 350, aux paragraphes 117 et 123, de la Cour suprême du Canada. En outre, si on adoptait l’interprétation proposée par les ministres, il serait privé de son droit à demander des contrôles réguliers, comme le prévoient les principes de la justice naturelle.

 

[14]      L’article 82.2 traite des cas où il existe des motifs raisonnables de croire que la personne nommée dans le certificat a contrevenu ou est sur le point de contrevenir à une des conditions de sa mise en liberté et se rapporte à notre analyse. Il se lit ainsi :

 

82.2 (1) L’agent de la paix peut arrêter et détenir toute personne mise en liberté au titre des articles 82 ou 82.1 s’il a des motifs raisonnables de croire qu’elle a contrevenu ou est sur

le point de contrevenir à l’une ou l’autre des conditions de sa mise en liberté.

 

(2) Le cas échéant, il la conduit devant un juge dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention.

 

(3) S’il conclut que la personne a contrevenu ou était sur le point de contrevenir à l’une ou l’autre des conditions de sa mise en liberté, le juge, selon le cas :

 

a) ordonne qu’elle soit maintenue en détention s’il est convaincu que sa mise en liberté sous condition constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi si elle est mise en liberté sous condition;

 

b) confirme l’ordonnance de mise en liberté;

 

c) modifie les conditions dont la mise en liberté est assortie.

 

(4) Pour le calcul de la période de six mois prévue aux paragraphes 82(2), (3) ou (4), la conclusion du dernier contrôle est réputée avoir eu lieu à la date à laquelle la décision visée au paragraphe (3) est rendue.

82.2 (1) A peace officer may arrest and detain a person released under section 82 or 82.1 if the officer has reasonable grounds to believe that the person has contravened or is about to contravene any condition applicable to their release.

 

(2) The peace officer shall bring the person before a judge within 48 hours after the detention begins.

 

(3) If the judge finds that the person has contravened or was about to contravene any condition applicable to their release, the judge shall

 

 

(a) order the person’s detention to be continued if the judge is satisfied that the person’s release under conditions would be injurious to national security or endanger the safety of any person or that they would be unlikely to appear at a proceeding or for removal if they were released under conditions;

 

(b) confirm the release order; or

 

 

(c) vary the conditions applicable to their release.

 

(4) For the purpose of calculating the six month period referred to in subsection 82(2), (3) or (4), the conclusion of the preceding review is deemed to have taken place on the day on which the decision under subsection (3) is made.

 

 

[15]      Le parallélisme de la structure de l’article 82.2 et de l’article 82.1 et en particulier celui des paragraphes 82.2(4) et 82.1(2) indique que le calcul de la période autorisant le contrôle suivant mentionné dans ces paragraphes s’applique uniquement aux ordonnances prises aux termes des paragraphes 82.2(3) et 82.1(1) respectivement. Le fait que ces deux paragraphes soient des dispositions créant des présomptions étaye également cette interprétation. Même si les ordonnances rendues aux termes des articles 82.1 et 82.2 ne sont pas des ordonnances concernant le contrôle de la détention ou des conditions de la mise en liberté, aux fins des paragraphes 82(2), (3) ou (4), la « conclusion du dernier contrôle » est réputée être la date à laquelle la décision visée au paragraphe 82.1(2) ou 82.2(4) est rendue.

 

[16]      À mon avis, ces dispositions reflètent l’intention du législateur à l’égard des cas précis que sont une requête en modification ou une arrestation aux termes de l’article 82.2. Il n’est donc pas possible de déduire de ces deux dispositions que le législateur a dû avoir l’intention qu’aux termes de l’article 82, la période de six mois soit calculée selon une autre méthode.

 

[17]      Cela dit, il y a lieu de préciser comment doit se calculer la période de six mois dont parle l’article 82. Je ne peux retenir l’argument du défendeur selon lequel le sens ordinaire de l’expression « la conclusion du dernier contrôle » est la date à laquelle toutes les preuves et les observations ont été présentées. Au-delà de son affirmation, le défendeur n’a pas cité d’autorité susceptible d’étayer sa position. À mon avis, l’instance prend fin au moment où la décision est rendue.

 

[18]      Les ministres soutiennent que la date la plus proche à laquelle une décision est rendue est celle de la communication des motifs ou, au plus tard, la date de l’ordonnance. Compte tenu de cette position et du fait qu’au moment du dépôt de la présente requête relative au contrôle des conditions, aucune de ces dates n’était survenue, il n’est pas nécessaire d’examiner davantage cette question.

 

[19]      Je conclus donc qu’il ne s’est pas écoulé six mois depuis la conclusion du dernier contrôle. M. Jaballah n’a pas le droit de demander maintenant le contrôle des conditions en question. Il découle également de ces motifs que je souscris aux observations des avocats selon lequel si une requête en modification est présentée, la date de la décision relative à la requête déterminera la date à laquelle le défendeur aura droit à demander un contrôle. Compte tenu de la brièveté des délais dans lesquels j’ai dû préparer les présents motifs, je me réserve le droit de corriger les motifs rendus oralement sur le plan linguistique et de les compléter.

 

[20]      Pour ce qui est de la demande de modification des conditions de la mise en liberté, comme je l’ai mentionné plus haut, M. Jaballah sollicite une modification qui l’autoriserait à se rendre en divers lieux sans surveillance. Les affidavits du fils de M. Jaballah, Ahmad, et de M. Dawud, une caution chargée de sa surveillance, ont été présentés à l’appui de la demande. Ahmad a également témoigné à l’audience.

 

[21]      Ahmad a témoigné au sujet des difficultés que rencontrent régulièrement M. Jaballah et sa famille pour obtenir la surveillance exigée. Il a expliqué la situation dans laquelle se trouvaient les divers surveillants et le fardeau que représente pour eux leur participation à cette surveillance et la réticence de la part de M. Jaballah et sa famille de demander aux surveillants de participer à cette surveillance. Il a également expliqué que lui, sa mère et son épouse étaient les principaux surveillants qui devaient s’acquitter de la majeure partie de la surveillance prévue. Il a décrit les difficultés qu’il éprouvera à effectuer cette surveillance lorsqu’il commencera ses études à temps plein au mois de septembre. Il a également décrit le fardeau que cela représentait pour sa mère et son épouse.

 

[22]      Au cours du contre-interrogatoire, Ahmad a insisté sur le fait que la demande ne portait pas sur la nécessité de nommer d’autres surveillants. Il a déclaré que la situation des surveillants avait changé, qu’ils devaient vivre leur propre vie, qu’ils devaient s’occuper de leurs problèmes et qu’on ne pouvait s’attendre à ce qu’ils bouleversent leur vie professionnelle et familiale pour offrir leur aide pendant des années. Il a déclaré que les conditions imposées étant respectées, on pourrait s’attendre qu’avec le temps ces conditions soient assouplies.

 

[23]      M. Dawud a déclaré dans son affidavit qu’il a été une caution chargée de la surveillance de M. Jaballah depuis sa mise en liberté en 2007. Il a ainsi accompagné M. Jaballah à la mosquée à plusieurs reprises. Cependant, compte tenu de l’emplacement de la mosquée que M. Jaballah est autorisé à fréquenter et de la distance qui sépare sa résidence de celle de M. Jaballah, accompagner ce dernier à la mosquée exige qu’il lui consacre beaucoup de temps. Il ajoute que le fait de conduire M. Jaballah à la mosquée pendant le Ramadan bouleverserait complètement ses horaires.

 

[24]      Les observations de M. Jaballah peuvent être résumées de la façon suivante. Il affirme qu’il n’existe pas de définition courante de ce qui peut constituer « un changement important des circonstances ». Il soutient toutefois, en citant R. c. Matthiessen, 1998 ABCA 219, au paragraphe 4; Morin c. R., [1997] O.J. No. 217; R. c. Adams, [1995] 4 R.C.S. 707, à la page 274; et R. c. Daniels, [1997] O.J. No. 4023 (C.A.), à la page 13 (QL), que d’une façon générale, cette expression [traduction] « comprend les changements qui touchent un élément qui a entraîné la délivrance de l’ordonnance initiale et qui aurait pu entraîner une ordonnance différente si le juge qui l’a prononcée avait tenu compte de la modification de la situation ».

 

[25]      M. Jaballah fait remarquer qu’au cours de son dernier contrôle, il a demandé l’annulation de toutes les conditions dont était assortie sa mise en liberté et n’a pas demandé de modification particulière de l’ordonnance en vigueur. Compte tenu du délai qui s’est écoulé depuis la dernière audience touchant le contrôle des conditions, il est évident qu’il y a lieu d’apporter certains changements nécessaires et appropriés et ce, immédiatement. Compte tenu de la notion de changement important des circonstances et du fait que son droit à la liberté est concerné, le défendeur soutient que les changements qu’il demande maintenant visent l’ordonnance précédente et que, s’ils avaient été portés à l’attention du juge qui l’a rendue, il est possible que celui-ci aurait prononcé l’ordonnance dont il demande la délivrance en l’espèce.

 

[26]      Le défendeur soutient que le paragraphe 82.1(1) autorise expressément la Cour à réviser une ordonnance précédente. Mais même en l’absence d’autorité légale, comme le juge Sopinka l’a déclaré dans Adams, au paragraphe 28, « […] il peut être souhaitable et conforme aux objectifs de l’article de permettre le réexamen et l’annulation de l’ordonnance si les circonstances qui l’ont justifiée ont disparu. » Le défendeur s’appuie sur ce passage pour soutenir que la règle générale est qu’il faut se demander si un changement est justifié, si l’élément qui justifie l’ordonnance est toujours présent ou s’il existe de nouvelles preuves qui justifient un changement.

 

[27]      Le défendeur fait remarquer que dans Matthiessen et Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 628, l’écoulement du temps et le retard étaient des éléments pertinents, mais il affirme qu’il ne soutient pas qu’un délai ou l’écoulement du temps peut à lui seul démontrer l’existence d’un changement important des circonstances. Il soutient plutôt que le passage du temps combiné à d’autres facteurs, par exemple le fait qu’Ahmad commencera des études à temps plein à l’automne, constitue un facteur important dans les circonstances qui affecte sa capacité et celle de sa famille de respecter les conditions. M. Jaballah soutient que les changements qu’il souhaite faire apporter à l’ordonnance précédente sont raisonnables, compte tenu des changements importants survenus dans sa situation et qu’il n’existe aucune justification pour refuser d’opérer ces changements.

 

[28]      Les ministres soutiennent que la présente demande soulève deux questions : celle de savoir si le défendeur remplit la condition légale d’un changement important des circonstances et, le cas échéant, quelle serait une réponse appropriée et proportionnelle aux circonstances modifiées. Les ministres soutiennent que le défendeur n’a pas apporté de preuve indiquant que la menace qu’il représente pour la sécurité nationale a diminué. Le fait que le défendeur éprouve de la difficulté à respecter les conditions actuelles de sa mise en liberté ne justifie pas que soit modifiée l’ordonnance. Les ministres soutiennent que le défendeur ne peut invoquer des facteurs qui existaient au moment où a été rendue l’ordonnance précédente.

 

[29]      À l’appui de leur position, les ministres citent des décisions touchant le droit de la famille, les requêtes en réexamen et le droit pénal. Dans Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27, la Cour suprême du Canada a examiné les principes applicables à une demande de modification de la garde et des droits de visite présentée aux termes du paragraphe 17(5) de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3. Cette disposition exige qu’avant de rendre une ordonnance modificative de l’ordonnance de garde, le tribunal s’assure qu’il est survenu « un changement dans les ressources, les besoins ou, d’une façon générale, dans la situation de l’enfant à charge depuis le prononcé de l’ordonnance de garde ou de la dernière ordonnance modificative […] ». La juge en chef McLaughlin a fait remarquer qu’un changement important dans la situation de l’enfant était une exigence préliminaire qui devait être remplie avant que le tribunal n’examine le bien-fondé de la demande. Cela veut dire qu’une demande de modification ne peut être utilisée de façon indirecte pour contester l’ordonnance initiale et il faut tenir pour acquis la justesse de la décision initiale.

 

[30]      Quant à savoir ce qui constitue un changement important dans la situation de l’enfant, la juge en chef McLaughlin a déclaré qu’un changement seul ne suffit pas. Le changement doit avoir modifié fondamentalement les besoins de l’enfant ou la capacité des parents d’y pourvoir. Elle a formulé, au paragraphe 12, la question de la façon suivante : « L’ordonnance antérieure aurait-elle pu être différente si la situation actuelle avait alors existé? ». Elle a ajouté « [e]n outre, le changement doit refléter une situation nettement différente de ce que le tribunal pouvait raisonnablement prévoir lorsqu’il a rendu la première ordonnance. »

 

[31]      Les ministres font remarquer que dans Harkat, la juge Dawson s’est interrogée sur le fait que les ministres invoquaient l’arrêt Gordon, étant donné que la liberté du défendeur était en jeu, mais elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire de résoudre cette question, parce que M. Harkat avait établi l’existence d’un « changement important de la situation depuis sa demande antérieure. »

 

[32]      Comme cela a été noté ci-dessus, les ministres citent également la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale à l’égard des requêtes en annulation ou en modification d’une ordonnance conformément à la règle relative au réexamen. Dans Saywack c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1986] 3 C.F. 189, la Cour d’appel fédérale entendait une demande de réexamen présentée aux termes de l’article 1733 des Règles, l’article qui a précédé l’article 399 actuel des Règles des Cours fédérales, et elle a jugé que pour obtenir la réparation demandée, le demandeur devait démontrer que de nouveaux éléments de preuve étaient apparus depuis la décision attaquée, éléments qui n’auraient pu être découverts plus tôt en faisant preuve d’une diligence raisonnable et qui auraient modifié le sens de la décision s’ils avaient été présentés plus tôt.

 

[33]      Dans Zolfiqar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 48 Imm. L.R. (2d) 149, au paragraphe 12, le juge Rothstein a formulé le commentaire suivant au sujet des requêtes en réexamen présentées aux termes de l’article 399 des Règles :

Il est de règle générale que les décisions judiciaires sont définitives. Le réexamen est une exception restreinte à la règle de l’irrévocabilité. Les faits nouveaux survenus par suite de la prise d’une décision ou découverts ultérieurement à la prise d’une décision peuvent donner lieu à un réexamen. Un jugement obtenu par fraude peut également être réexaminé. […] Toutefois, la partie qui cherche à obtenir un réexamen doit faire preuve de diligence raisonnable pour obtenir tous les renseignements pertinents antérieurs à la prise de la décision initiale. De plus, les nouveaux renseignements doivent en fait être nouveaux et ne doivent pas être les mêmes renseignements qui étaient auparavant disponibles, qui ont été présentés sous une autre forme ou donnés par l’entremise d’un autre témoin.

 

[34]      Les ministres font également remarquer que l’expression « changement important des circonstances » a été appliquée dans un contexte pénal à l’égard d’une seconde demande de mise en liberté provisoire aux termes du Code criminel et mentionnent que les tribunaux ont jugé que le critère d’application était [traduction] « de savoir s’il y avait eu un changement important des circonstances par rapport à celles qui existaient au moment de la demande initiale ». Par conséquent, dans le contexte d’une seconde demande de mise en liberté provisoire, il convient d’apporter des renseignements supplémentaires qui pourraient amener le juge saisi de la demande à modifier l’évaluation précédente : R c. Robinson, 2009 ONCA 205 aux paragraphes 6 et 7; R. c. Baltovich (2000), 144 C.C.C. (3d) 233 aux paragraphes 3, 6, 7; et R. c. Abdel-Rahman, 2010 CSCB 189, aux paragraphes 47 à 51.

 

[35]      Les ministres font remarquer qu’à l’exception de la fréquentation d’un gymnase, les aspects soulevés par la présente demande sont tous des aspects qui avaient été présentés avant le dernier contrôle des conditions de la mise en liberté de M. Jaballah et qui reposent sur son affirmation que ses surveillants ne sont pas en mesure de le surveiller. Compte tenu de la jurisprudence présentée ci‑dessus, les ministres soutiennent que cela ne constitue pas un changement important des circonstances.

 

[36]      À mon avis, les positions qu’ont adoptées les parties au sujet de ce qui constitue un changement important des circonstances au sens du paragraphe 82.1(2) sont erronées. Pour plus de commodité, je reprends ici le paragraphe 82.1(1). Il y est écrit :

82.1 (1) Le juge peut modifier toute ordonnance rendue au titre du paragraphe 82(5) sur

demande du ministre ou de la personne visée par l’ordonnance s’il est convaincu qu’il est souhaitable de le faire en raison d’un changement

important des circonstances ayant donné lieu à l’ordonnance.

82.1 (1) A judge may vary an order made under subsection 82(5) on application of the Minister or of the person who is subject to the order if the judge is satisfied that the variation is desirable because of a material change in the circumstances that led to the order.

 

[37]      Comme cela a été mentionné plus haut, le paragraphe 82.1(1) n’est pas défini dans la LIPR et n’a pas été examiné par les tribunaux; en particulier, le critère légal qu’il convient de remplir n’a pas fait l’objet d’une interprétation judiciaire. Il ressort du résumé des positions des parties présenté ci-dessus que les deux parties ont axé leurs analyses sur le sens de l’expression « changement important des circonstances ». Il serait peut-être utile d’examiner le sens qui a été donné à l’expression « changement important des circonstances » dans d’autres domaines du droit; néanmoins, le paragraphe 82.1(1) exige « un changement important des circonstances ayant donné lieu à l’ordonnance. » [Non souligné dans l’original.]

 

[38]      La formulation que donne le défendeur de la règle générale, exposée au paragraphe 24 des présents motifs, reprend l’idée que le changement doit porter sur un élément qui a donné lieu à l’ordonnance, mais la formulation supplémentaire de la règle générale présentée par le défendeur au paragraphe 26 ne tient pas compte de cette nuance. En outre, il ne s’agit pas de savoir si le maintien de l’ordonnance est justifié, compte tenu du changement intervenu dans les circonstances. Il convient d’abord de démontrer qu’il y a eu un changement important des circonstances ayant donné lieu à l’ordonnance. Si ce critère est rempli, il faut alors se demander quelle est la réponse appropriée et proportionnée aux circonstances modifiées.

 

[39]      De la même façon, la jurisprudence concernant la modification des ordonnances de garde et de droit de visite est d’une utilité limitée, étant donné que dans ce contexte, il n’est pas exigé que le changement important concerne les circonstances ayant donné lieu à l’ordonnance initiale. Quant à la référence qu’ont faite les ministres à la jurisprudence relative aux requêtes en réexamen présentées aux termes des Règles, il existe une différence qualitative entre une requête en réexamen et une demande de modification. Une requête en réexamen vise à modifier l’ordonnance initiale pour le motif que si certains éléments avaient été connus au moment où l’ordonnance a été rendue, cela aurait pu en modifier la nature. Dans le cas d’une demande de modification, la justesse de la décision initiale est tenue pour acquis.

 

[40]      Les commentaires du juge Sopinka dans l’arrêt Adams ont été formulés dans le contexte d’une analyse portant sur l’annulation ou la modification d’une ordonnance relative à la conduite du procès, mais j’estime qu’ils expriment l’essence même du critère du paragraphe 82.1(1). Il a déclaré, au paragraphe 30 : « [E]n règle générale, toute ordonnance relative au déroulement d’un procès peut être modifiée ou annulée s’il y a eu changement important des circonstances qui existaient au moment où elle a été rendue. » Il a ajouté : « Pour que le changement soit important, il doit se rapporter à une question qui a justifié, au départ, la délivrance de l’ordonnance. » Dans Morin, citant ce paragraphe de l’arrêt Adams, la Cour d’appel de l’Ontario a formulé l’analyse à effectuer de la façon suivante :

[traduction]
Lorsque l’ordonnance en question est de nature discrétionnaire, les circonstances pertinentes sont, de la même façon, les circonstances qui ont justifié, au départ, la délivrance de l’ordonnance. Lorsque ces circonstances n’ont pas changé, il ne peut y avoir, en règle générale, un changement important des circonstances, comme cela est exigé pour justifier l’annulation de l’ordonnance.

 

[41]      Dans la présente affaire, il est nécessaire d’examiner les motifs de l’ordonnance prononcés le 11 mai 2010 pour décider s’il y a eu un changement important des circonstances ayant donné lieu à l’ordonnance du 13 juillet 2010.

 

[42]      Tout comme les ordonnances précédentes, l’ordonnance la plus récente, celle du 13 juillet 2010, est fondée sur le principe que M. Jaballah doit faire l’objet d’une surveillance constante. Comme la juge Dawson l’a exposé dans ses motifs du 11 mai 2010, au paragraphe 138, l’ordonnance doit tenir compte du fait que « [l]e risque principal est qu’il [M. Jaballah] s’associera à des personnes ou communiquera avec des personnes qui ont des convictions ou des objectifs terroristes » et « [p]our cette raison, il demeure important de surveiller les communications de M. Jaballah. » Les observations de la juge Dawson reflètent la même préoccupation, au paragraphe 161, qui traite des conditions selon lesquelles M. Jaballah peut demeurer chez lui sans surveillance qui consiste à faire en sorte que « […] s’il reste seul, M. Jaballah ne puisse communiquer sans surveillance avec des personnes inconnues. » La juge Dawson a apporté quelques modifications aux conditions, de façon à autoriser M. Jaballah à se rendre à l’épicerie et à ses rendez-vous médicaux sans surveillance, mais les conditions générales en matière de surveillance ont été maintenues.

 

[43]      À l’exception de la fréquentation d’un gymnase, la présente demande est, en réalité, présentée pour supprimer l’exigence de la surveillance dans le cas de certaines activités qu’il est pour le reste autorisé à exercer sous surveillance, conformément à l’ordonnance en vigueur. Il n’a toutefois pas fourni des preuves d’un changement concernant le « risque principal » mentionné par la juge Dawson, ni d’autres preuves permettant de conclure qu’il n’est plus nécessaire de surveiller ces activités pour tenir compte du risque perçu. À mon avis, les preuves présentées ne démontrent pas qu’il y a eu un changement important des circonstances ayant donné lieu à l’ordonnance du 13 juillet 2010. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les diverses modifications demandées.

 

[44]      En adoptant comme position que, compte tenu des difficultés rencontrées avec les surveillants actuels, il devrait être autorisé à sortir seul, qu’il ne s’agit pas d’augmenter le nombre des surveillants et en n’offrant aucune autre solution, M. Jaballah conteste, en réalité, le principe sous-jacent à l’ordonnance du 13 juillet 2010, ce qui devrait plutôt faire l’objet d’une demande de contrôle des conditions. Cette observation s’applique également à l’assouplissement des conditions devant découler du respect de ces conditions et de l’écoulement du temps.

 

[45]      Dans ses observations orales, l’avocat de M. Jaballah a signalé les activités que d’autres personnes mentionnées dans des certificats ont été autorisées à exercer sans surveillance, et qui les exercent actuellement de cette façon. Étant donné que les situations factuelles des autres personnes nommées dans les certificats ne sont pas identiques à celle de M. Jaballah, ce n’est pas là un élément pertinent.

 

[46]      L’avocat a également fait remarquer que le fait d’exiger que M. Jaballah soit surveillé lorsqu’il fréquente la mosquée constitue une violation de son droit à pratiquer sa religion. Cet argument me paraît inexact. M. Jaballah a toute liberté de pratiquer sa religion dans deux mosquées. La question en litige est celle de la surveillance et non pas la liberté de pratiquer sa religion.

 

[47]      Trois autres aspects appellent des commentaires. À l’audience, l’avocat des ministres a reconnu qu’il n’existait aucune différence qualitative, aux fins de la présente instance, entre le fait que M. Jaballah a des rendez-vous avec son médecin et des rendez-vous avec son avocat. Étant donné que l’audience relative au caractère raisonnable du certificat débutera en automne, et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que l’avocat souhaite rencontrer M. Jaballah plus fréquemment pour préparer l’audience, j’espère que les avocats s’entendront sur une formule mutuellement acceptable qui permettra à M. Jaballah d’assister aux rendez-vous avec son avocat.

 

[48]      Pour ce qui est de la fréquentation par M. Jaballah d’un gymnase, je n’insisterai pas sur la pauvreté des preuves présentées à l’appui de cette demande, mais je note que l’ordonnance du 13 juillet 2010 n’exclut pas la possibilité de fréquenter un gymnase avec un surveillant, pour des motifs de santé. Il se pourrait qu’en formulant une demande de façon appropriée, les parties puissent s’entendre sur ce point.

 

[49]      Enfin, étant donné que la Cour a été informée à l’audience que le Ramadan commençait le 11 août 2010, une téléconférence a été organisée entre les parties avant le début du Ramadan pour les informer du fait que la modification demandée pour assister à la prière du soir pendant le Ramadan ne serait pas accordée pour des motifs qui suivraient.

 

[50]      Pour les motifs ci-dessus, la demande de modification est rejetée. L’article 82.3 de la LIPR permet d’interjeter appel d’une décision rendue aux termes de l’article 82.1 si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale. Les observations relatives à la certification d’une question doivent être signifiées et déposées dans les sept jours de la date des présents motifs. Les observations en réponse doivent être signifiées et déposées dans les 14 jours de la date des présents motifs.

 

 

 

 

« Dolores M. Hansen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                      DES-6-08

 

INTITULÉ :                          

 

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé

en vertu du paragraphe 77(1)

de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

 

ET le dépôt de ce certificat

à la Cour fédérale

en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

ET MAHMOUD ES-SAYYID JABALLAH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             les 26, 27 et 28 juillet 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Madame la juge Hansen

 

DATE DES MOTIFS

  DE L’ORDONNANCE :                 le 2 septembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

B. Jackman                                                      Pour M. Jaballah

A. Weaver

 

D. MacIntosh

J. Provart

D. Engel

Pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

John Norris                                                      Avocat spécial

Paul Cavalluzzo                                                Avocat spécial

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

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