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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100830

Dossier : T-1955-08

Référence : 2010 CF 860

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 30 août 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

 

ENTRE :

PUI CHIU TSUI

demandeur

et

 

POSTES CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, pour le contrôle judiciaire de la décision du 14 novembre 2008 de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte du demandeur pour violation des droits de la personne logée à l’encontre de la défenderesse en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi). Selon l’alinéa 44(3)b) de la Loi, la plainte doit être rejetée lorsque, compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, la Commission est convaincue que l’examen de celle-ci n’est pas justifié.

 

[2]               Le demandeur demande à notre Cour de rendre une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire devant cette dernière pour qu’une nouvelle audience soit tenue, et d’ordonner  l’interrogatoire du demandeur et des employées de Postes Canada.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur, Pui Chiu Tsui, travaille comme facteur. Il a travaillé pour la défenderesse, Postes Canada, depuis 1988 et il occupait son poste actuel depuis 2001. Il se présente comme un citoyen canadien d’origine chinoise.

 

[4]               Le 20 mars 2006 ou dans les environs de cette date, le demandeur a déposé auprès de la Commission une plainte de discrimination et de harcèlement fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique et la couleur, en violation de la Loi, concernant des faits qui seraient survenus entre l’été 2004 et mars 2006 (la plainte). Dans la plainte, le demandeur a résumé les allégations suivantes à l’encontre de ses superviseurs immédiats chez Postes Canada :

-         On lui a refusé un congé le 13 septembre 2004 pour visiter sa mère qui était gravement malade;

-         Il s’est blessé au dos lors de son quart de travail et ses deux superviseurs ne lui ont pas prêté assistance, alors que selon lui, ils le suivaient sur son circuit;

-         Il a été faussement accusé de se faire des heures supplémentaires sur son circuit le 11 avril 2005 et il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire (le demandeur allègue également que Postes Canada est plus stricte dans l’application de sa politique de surveillance des heures supplémentaires à l’égard des facteurs appartenant aux minorités visibles);

-         Sa table de tri a été éloignée de celle des autres employés dans les environs de mars 2005;

-         Huit heures de salaire ont été déduites de sa paie sans avis en avril 2005;

-         Son superviseur a eu une discussion à son sujet avec un collègue et un représentant syndical en son absence;

-         Il a été faussement accusé d’avoir abandonné 99 envois postaux en août 2005.

-         Il a été traité différemment des autres employés dans la conduite d’une enquête concernant une plainte de harcèlement déposée par un autre employé à l’encontre du demandeur en octobre 2005;

-         Il a été traité différemment dans le sens où l’heure de départ pour son circuit a été modifiée et des points de remise additionnels ont été ajoutés dans les environs d’avril 2005.

 

[5]               La Commission a d’abord refusé de statuer sur la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi et a ordonné au demandeur d’épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs à sa disposition.

 

[6]               Le demandeur a déposé deux plaintes à l’interne pour violation des droits de la personne, une plainte à l’interne pour violation de la vie privée et il a envoyé deux lettres de plainte au président de Postes Canada et son syndicat a déposé cinq griefs en son nom, lesquels étaient tous liés aux mêmes allégations que celles qui figuraient dans la plainte. Le demandeur n’était pas satisfait de l’issue de ces procédures et en mars 2007, il a présenté une demande officielle à la Commission pour qu’elle statue sur sa plainte. Postes Canada a fait valoir que la Commission ne devrait pas statuer sur la plainte.

 

[7]               Après avoir recueilli les informations données par les parties lors du processus interne mené jusqu'à présent, la Commission a accepté de statuer sur la plainte et a nommé un enquêteur en décembre 2007. En février 2008, l’enquêteur a demandé que Postes Canada lui fasse parvenir sa thèse à l’égard de la plainte ainsi que des renseignements additionnels. En plus d’examiner les dossiers de la société et d’autres documents, l’enquêteur a interrogé onze employés de Postes Canada, y compris les superviseurs identifiés dans la plainte et un certain nombre de collègues du demandeur. Le demandeur n’a pas été interrogé au cours du processus.

 

[8]               En août 2008, la Commission a fait parvenir son rapport d’enquête à Postes Canada et au demandeur. L’auteur du rapport d’enquête recommandait que la Commission rejette la plainte, car la preuve recueillie n’appuyait pas les allégations de discrimination ou de harcèlement fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique soulevées par le demandeur et elle ne montrait pas que Postes Canada avait appliqué une politique ou des pratiques discriminatoires fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique.

 

[9]               Les étapes suivantes de la procédure étaient décrites dans la lettre accompagnant le rapport d’enquête. On y expliquait que la Commission pouvait accepter ou rejeter les recommandations et que les parties pouvaient présenter des observations en réponse avant le 4 septembre 2008. Après cette date, la plainte, le rapport d’enquête et toutes les observations présentées par les parties seraient soumis à la Commission pour qu’elle tranche l’affaire.

 

[10]           Dans une lettre datée du 14 novembre 2008 et dans une version corrigée datée du 20 janvier 2009, la Commission a avisé les parties que compte tenu du rapport d’enquête et des observations, elle avait décidé de rejeter la plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi parce que (i) la preuve recueillie n’appuyait pas les allégations de discrimination du demandeur; (ii) la preuve recueillie n’appuyait pas les allégations voulant que Postes Canada ait commis des actes discriminatoires pour des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique (la décision). Conséquemment, le Tribunal canadien des droits de la personne (le tribunal) n’a pas été saisi de la plainte.

 

 

 

 

 

Questions en litige

 

[11]           La question en l’espèce est la suivante : la Commission a-t-elle manqué à son devoir d’équité à l’égard du demandeur en ne lui accordant pas une audience et en ne considérant pas toutes les circonstances de la plainte?

 

[12]           La norme de contrôle n’est pas contestée. Les questions d’équité procédurale relèvent de la norme de la décision correcte (voir Boldy c. Banque royale du Canada, 2008 CF 99, 77 Admin. L.R. (4th) 43, [2008] A.C.F. no 135 (QL), au paragraphe 11). Il n’est pas non plus contesté que les décisions de la Commission rendues en vertu du paragraphe 44(3) sont discrétionnaires et que les tribunaux doivent faire preuve de déférence à leur égard (voir Bateman c. Canada (Procureur général), 2008 CF 393, [2008] A.C.F. no 510 (QL), au paragraphe 20,;Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, 263 D.L.R. (4th) 113, au paragraphe 47; Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, [1994] A.C.F. no 181 (QL) (1re inst.) [confirmé par 1996] A.C.F. no 385 (QL) (C.A.)).

 

Observations écrites du demandeur

 

[13]           Le demandeur soutient que l’obligation d’équité exigeait qu’il soit interrogé par la Commission au cours de l’enquête, qu’il puisse contre-interroger les témoins de Postes Canada et qu’il puisse présenter toute sa preuve. Le demandeur fait valoir que s’il avait été interrogé, il aurait été en mesure de présenter des preuves détaillées concernant la plainte de discrimination. La Commission, lorsqu’elle s’acquitte de son obligation d’examiner les plaintes, doit considérer toutes les circonstances de la plainte, y compris tous les faits et les allégations qui ont été soulevés devant elle. Le fait que le demandeur n’a pas été interrogé signifie que sa version des faits et des circonstances, qui aurait pu être recueillie directement auprès de lui, n’a pas été considérée par la Commission dans sa décision. Ce manquement a été aggravé par le fait que le demandeur n’a pas eu la possibilité de contre-interroger les témoins de Postes Canada. Le simple fait de permettre au demandeur de présenter des observations en réplique au rapport d’enquête était insuffisant.

 

[14]           Tous les effets du traitement dont le demandeur a fait l’objet n’ont pas été appréciés de manière appropriée. La Commission est parfaitement outillée pour mener des interrogatoires et, compte tenu de la complexité des faits de la présente affaire, c’est ce qu’elle aurait dû faire.

 

Observations écrites de la défenderesse

 

[15]           La défenderesse fait valoir qu’à l’étape de l’examen préalable, la Commission n’est pas obligée de tenir une audience formelle. À cette étape, l’équité exige que la Commission informe les parties de la preuve recueillie par l’enquêteur et qu’elle leur donne l’occasion de présenter une réplique à l’égard de cette preuve et de présenter des observations pertinentes. Cela a été fait.

 

[16]           L’enquête doit satisfaire aux conditions de neutralité et de rigueur, mais l’appréciation de la valeur probante de la preuve et la nécessité de mener une enquête plus approfondie sont traitées avec déférence. En l’espèce, tous les éléments de preuve essentiels ont été considérés par l’enquêteur.

 

[17]           Il n’y avait aucune obligation d’interroger le demandeur. L’enquêteur a interrogé un certain nombre de témoins dans le cadre de son enquête concernant chacune des allégations figurant dans la plainte, dont un grand nombre de collègues de travail n’étant pas liés à la thèse de Postes Canada. Il n’y avait non plus aucune obligation de permettre les contre-interrogatoires au cours du processus d’enquête. Dans tous les cas, le témoignage de chaque témoin a été résumé dans le rapport d’enquête, qui a été examiné et commenté par le demandeur. Rien ne permet au demandeur d’affirmer qu’il n’a pas été en mesure de présenter l’ensemble de sa preuve.

 

Analyse et décision

 

[18]           La Commission exerce des fonctions d’administration et d’examen préalable, qui visent à décider si une plainte doit être renvoyée devant le tribunal en vertu des articles 44 et 49 de la Loi. La Commission ne statue pas sur le bien-fondé de la plainte à cette étape, mais elle décide si, compte tenu de toutes les circonstances, elle est convaincue qu’une enquête concernant la plainte est nécessaire. En ce sens, ses décisions sont de nature administrative et elles sont donc discrétionnaires (voir Niaki c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1104, [2006] A.C.F. no 1393 (QL), au paragraphe 29 (voir également Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, [1989] A.C.S. n103 (QL) (SEPQA), et Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, [1996] A.C.S. n115 (QL), au paragraphe 53)).

 

[19]           En l’espèce, la Commission a pris la décision initiale de procéder à sa propre enquête. Conséquemment, la Commission avait pour tâche de mener une enquête à l’égard de la plainte de discrimination et de harcèlement du demandeur fondés sur la race ou l’origine nationale ou ethnique et de décider de la nécessité d’une enquête plus approfondie. Ce faisant, la Commission devait décider si la preuve permettait raisonnablement d’établir l’existence d’une violation à la Loi.

 

[20]           De toutes les obligations que la Commission doit respecter dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 44(3), son expertise dans l’évaluation des éléments de preuve qui lui sont présentés au cours du processus d’enquête a droit au degré le plus élevé de retenue : (voir Niaki, précité, au paragraphe 39).

 

[21]           La Commission dispose d’un degré important de déférence pour choisir ses propres processus et procédures, plus particulièrement dans l’exercice de ses fonctions d’administration et d’examen préalable prévues par la Loi. Notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont souvent répété qu’il n’est pas nécessaire, pendant le processus d’enquête, que soient respectés tous les principes de justice naturelle à l’égard d’un demandeur et qu’il n’y a pas de droit à des procédures quasi judiciaires telles que l’audience ou le contre-interrogatoire des témoins (voir McConnell c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2004 CF 817, [2004] A.C.F. n1005 (QL), au paragraphe 90, confirmé par 2005 CAF 389).

 

[22]           Dans Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie (SEPQA), précité, le juge Sopinka a conclu que l’équité procédurale exige que la Commission informe les parties du contenu de la preuve recueillie par l’enquêteur, qu’elle sera chargée d’examiner, et qu’elle leur donne l’occasion de répliquer à la preuve et de soulever tous les points pertinents (au paragraphe 30).

 

[23]           Là s’arrête la portée des exigences d’équité procédurale incombant à la Commission et la jurisprudence l’a confirmé à maintes reprises (voir Société Radio-Canada c. Paul, 2001 CAF 93, 198 D.L.R. (4th) 633, au paragraphe 43 et Niaki, précité, au paragraphe 46).

 

[24]           Cependant, lorsque la Commission ne fait qu’adopter les recommandations du rapport d’enquête, deux effets importants sont produits dans le cadre du contrôle judiciaire subséquent de la décision. Tout d’abord, le tribunal d’appel peut traiter le rapport comme constituant les motifs de la Commission (voir SEPQA, précité, au paragraphe 35, Niaki, précité, au paragraphe 19, Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, (C.A.), au paragraphe 30, [1998] A.C.F. n1609 (QL)). Ensuite, la rédaction du rapport d’enquête en soi fait partie du processus décisionnel, qui est soumis à l’obligation d’équité : (voir Slattery, précité).

 

[25]           Dans Slattery, précité, M. le juge Nadon a considéré au paragraphe 48 les exigences concernant la Commission en vertu du paragraphe 44(3) et il a noté ce qui suit :

À la base de ces exigences, se trouve la présomption de l'existence d'un autre aspect de l'équité procédurale que la CCDP disposait d'un fondement adéquat et juste pour évaluer s'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la constitution d'un tribunal.

 

[26]           Monsieur le juge Nadon était principalement préoccupé par le fait que l’enquête elle-même devait être d’une qualité suffisante afin que les faits de la plainte puissent être présentés de manière équitable. Il a ajouté :

49     Pour qu'il existe un fondement juste pour que la CCDP estime qu'il y a lieu de constituer un tribunal en vertu de l'alinéa 44(3)a) de la Loi, je crois que l'enquête menée avant cette décision doit satisfaire à au moins deux conditions : la neutralité et la rigueur.

 

[27]           Les exigences de neutralité et de rigueur semblent découler uniquement de la jurisprudence, car l’article 43 de la Loi prévoit seulement que certains des pouvoirs d’enquêtes élargis de la Commission n’empêchent pas la Commission de mener une enquête d’une portée minimale si elle le juge nécessaire.

 

[28]           Je fais miens les commentaires tirés de Slattery, précité, et je conviens que lorsque le rapport d’un enquêteur s’avère une influence considérable sur la Commission, le processus décisionnel de la Commission ne peut être équitable que dans le cas où le rapport est considéré comme neutre et raisonnablement rigoureux.

 

[29]           J’aborde maintenant la question des allégations de manquement à l’obligation d’équité procédurale du demandeur, car il ne conteste pas en soi la procédure adoptée par la Commission, mais le rapport d’enquête sur laquelle elle s’est fondée. Comme l’a souligné la jurisprudence dans ces situations, l’obligation d’équité exige que l’enquête et le rapport soient neutres et rigoureux et qu’ils n’exigent aucune procédure quasi judiciaire. Par conséquent, les allégations du demandeur visant la teneur de l’obligation d’équité (c’est-à-dire que l’enquêteur ne l’a pas interrogé personnellement et le fait qu’il n’a pu contre-interroger les témoins) ne constitueront une violation à l’équité procédurale que dans le cas où il sera démontré que ces omissions entraînent un manque de neutralité ou de rigueur.

 

[30]           Dans Niaki, précité, le juge de Montigny a confirmé au paragraphe 26 que le demandeur peut contester le caractère équitable d’une décision de la Commission en vertu du paragraphe 44(3) au motif que le rapport adopté manquait de rigueur.

 

[31]           L’exigence de neutralité découle de la notion voulant que les processus administratifs ne doivent être ni biaisés ni donner l’impression d’être biaisés pour être équitables. La neutralité est violée lorsqu’un enquêteur rend des conclusions d’une façon qui peut être qualifiée de biaisée et lorsque la Commission adopte par la suite ces conclusions sans fournir de motifs (voir Slattery, précité, au paragraphe 50).

 

[32]           L’exigence de rigueur découle du rôle essentiel joué par les enquêteurs pour décider du bien-fondé de chaque plainte (voir Slattery, précité, au paragraphe 53, SEPQA, précité, à la page 898). Cependant, le besoin de rigueur doit être mis en balance avec les ressources limitées de la Commission et le besoin de répartir ces dernières entre des besoins concurrents. Ainsi, le contrôle judiciaire fondé sur le manque de rigueur de l’enquête ne s’impose que lorsqu’un enquêteur omet de tenir compte d’un élément de preuve fondamental et que cette omission ne peut être corrigée adéquatement au moyen d’observations subséquemment présentées directement devant la Commission (voir Slattery, précité, au paragraphe 56).

 

[33]           Le juge de Montigny a récemment appuyé cet énoncé dans Niaki, précité, au paragraphe 40, où il a expliqué que si la Commission permet à n demandeur de porter ces omissions à son attention sous la forme d’observations, le demandeur doit expliquer la raison pour laquelle l’exercice de ce droit ne répare pas le préjudice causé par l’omission.

 

[34]            Dans Slattery, précité, le juge Nadon a considéré deux situations où cela peut se produire :

57     ... Même s'il ne s'agit pas d'une liste exhaustive, il semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l'enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l'omission est de nature si fondamentale que le seul fait d'attirer l'attention du décideur sur l'omission ne suffit pas à y remédier ou (2) les cas où le décideur n'a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l'information ou encore du rejet explicite qu'il en a fait.

 

 

[35]           Le droit exige donc qu’un demandeur explique à la Cour la substance de l’élément qui n’a pas été considéré ou qui a été omis et précise qu’il ne suffit pas de faire état des étapes que l’enquêteur n’a pas entreprises au cours de l’enquête. En fin de compte, si le non-respect d’une étape de l’enquête n’entraîne pas l’omission d’un élément de preuve dans le rapport, le non‑respect ne peut constituer une atteinte à l’équité procédurale.

 

[36]           Dans Niaki, précité, il est vrai que la Cour n’a pas analysé le rapport d’enquête avec extrême minutie, la possibilité pour le demandeur de présenter de nouveaux éléments de preuve lorsqu’il conteste la rigueur du rapport a été confirmée comme une exception nécessaire à la règle générale qui interdit la présentation de nouveaux éléments de preuve que le tribunal dont la décision fait l’objet d’une révision (au paragraphe 26) n’avait pas en sa possession.

 

[37]           L’exigence voulant qu’un demandeur indique ou expose la substance de l’omission est similaire aux exigences énoncées dans les affaires où un manquement à l’équité procédurale est allégué, soit celles qui imposent au demandeur de faire état d’un préjudice conséquemment à la violation (voir Niaki, précité, au paragraphe 43).

 

[38]            Dans Slattery, précité, la requérante n’a pas fait ressortir de tels éléments de preuve, ce qui a porté un coup fatal à son allégation de violation à l’obligation d’équité procédurale. En effet, le juge Nadon a affirmé ce qui suit :

64 ... Fait plus important encore, la requérante n'a pas réussi à me démontrer quel aspect, s'il en est, de ces éléments de preuve qui n'ont pas été obtenus par l'enquêteuse (et qui, partant, n'étaient pas devant la CCDP lorsqu'elle a rejeté les plaintes de la requérante) est fondamental pour l'issue de sa cause.

 

 

[39]           En l’espèce, le fait pour le demandeur de ne pas avoir directement contesté les conclusions de fait figurant dans le rapport d’enquête est révélateur. Si les faits, qui selon le demandeur, n’ont pas été considérés par l’enquêteur en raison de son refus de procéder à un interrogatoire étaient assez importants pour satisfaire aux tests énoncés dans Slattery et Niaki, précités, on pourrait penser que l’essentiel de ces faits aurait été porté à l’attention de la Commission lorsqu’elle a donné au demandeur la possibilité de présenter des observations et que ces mêmes faits auraient été de nouveau allégués lors du présent contrôle judiciaire. Pourtant, le demandeur n’a pas fait de telles allégations ou révélé de tels faits.

 

[40]           Dans Slattery, précité, la Cour était d’avis que les demandeurs doivent faire état de la substance des omissions alléguées avant que le tribunal de révision puisse conclure, en matière d’équité, que l’enquêteur aurait dû les considérer.

 

[41]           S’il est actuellement impossible de présenter devant la Cour la preuve qui aurait pu être recueillie pour le rapport d’enquête en interrogeant le demandeur, ce dernier doit au moins en donner la raison. Cette exigence vaut également pour la preuve qui aurait été recueillie lors des contre‑interrogatoires. Le demandeur ne fournit aucune explication. En l’absence d’une preuve démontrant que l’enquêteur n’a pas tenu compte d’un élément de preuve essentiel dans son rapport, rien ne permet d’affirmer que le rapport manquait de rigueur.

 

[42]           Pour des motifs similaires, je conclus que l’allégation du demandeur selon laquelle il n’a pu présenter sa preuve en entier devant la Commission est sans fondement. Si le demandeur ne précise pas les éléments dont l’enquêteur n’aurait pas tenu compte ou la façon dont l’omission procédurale ne lui a pas permis de présenter sa preuve, son allégation est sans fondement.

 

[43]           L’examen du rapport d’enquête révèle que l’enquêteur a étudié tous les incidents dont s’est plaint le demandeur et qu’il a clairement expliqué ses conclusions. Aucune preuve ne permet d’affirmer que l’enquêteur n’a pas eu accès aux renseignements qu’il cherchait à obtenir. Les témoignages de certains des témoins interrogés par l’enquêteur semblaient aller dans le sens des allégations du demandeur, mais ils ne pouvaient les corroborer. Les témoignages des autres témoins ont sérieusement miné la crédibilité du demandeur quant à ses allégations. Compte tenu de la preuve dont je dispose, l’enquêteur semble avoir fait preuve de neutralité et de rigueur.

 

[44]           La preuve de chaque témoin a été résumée dans le rapport d’enquête, que le demandeur a examiné et commenté. La Commission disposait de ses observations concernant le rapport d’enquête quand elle a rendu sa décision. Par conséquent, rien ne permet de conclure que le demandeur a été privé de son droit à l’équité procédurale.

 

[45]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

[46]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6

 

43.(1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l’enquêteur », d’enquêter sur une plainte.

 

 

(2) L’enquêteur doit respecter la procédure d’enquête prévue aux règlements pris en vertu du paragraphe (4).

 

 

(2.1) Sous réserve des restrictions que le gouverneur en conseil peut imposer dans l’intérêt de la défense nationale ou de la sécurité, l’enquêteur muni du mandat visé au paragraphe (2.2) peut, à toute heure convenable, pénétrer dans tous locaux et y perquisitionner, pour y procéder aux investigations justifiées par l’enquête.

 

(2.2) Sur demande ex parte, un juge de la Cour fédérale peut, s’il est convaincu, sur la foi d’une dénonciation sous serment, qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la présence dans des locaux d’éléments de preuve utiles à l’enquête, signer un mandat autorisant, sous réserve des conditions éventuellement fixées, l’enquêteur qui y est nommé à perquisitionner dans ces locaux.

 

 

 

 

(2.3) L’enquêteur ne peut recourir à la force dans l’exécution du mandat que si celui-ci en autorise expressément l’usage et que si lui-même est accompagné d’un agent de la paix.

 

 

(2.4) L’enquêteur peut obliger toute personne se trouvant sur les lieux visés au présent article à communiquer, pour examen, ou reproduction totale ou partielle, les livres et documents qui contiennent des renseignements utiles à l’enquête.

 

 

 

(3) Il est interdit d’entraver l’action de l’enquêteur.

 

 

(4) Le gouverneur en conseil peut fixer, par règlement :

 

a) la procédure à suivre par les enquêteurs;

 

b) les modalités d’enquête sur les plaintes dont ils sont saisis au titre de la présente partie;

 

 

c) les restrictions nécessaires à l’application du paragraphe (2.1).

 

 

44.(1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

 

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

 

 

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

 

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

 

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

 

(4) Après réception du rapport, la Commission :

 

 

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

 

 

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée, de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

 

49.(1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l’instruction est justifiée.

 

43.(1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an “investigator”, to investigate a complaint.

 

 

(2) An investigator shall investigate a complaint in a manner authorized by regulations made pursuant to subsection (4).

 

(2.1) Subject to such limitations as the Governor in Council may prescribe in the interests of national defence or security, an investigator with a warrant issued under subsection (2.2) may, at any reasonable time, enter and search any premises in order to carry out such inquiries as are reasonably necessary for the investigation of a complaint.

 

(2.2) Where on ex parte application a judge of the Federal Court is satisfied by information on oath that there are reasonable grounds to believe that there is in any premises any evidence relevant to the investigation of a complaint, the judge may issue a warrant under the judge’s hand authorizing the investigator named therein to enter and search those premises for any such evidence subject to such conditions as may be specified in the warrant.

 

(2.3) In executing a warrant issued under subsection (2.2), the investigator named therein shall not use force unless the investigator is accompanied by a peace officer and the use of force has been specifically authorized in the warrant.

 

(2.4) An investigator may require any individual found in any premises entered pursuant to this section to produce for inspection or for the purpose of obtaining copies thereof or extracts therefrom any books or other documents containing any matter relevant to the investigation being conducted by the investigator.

 

(3) No person shall obstruct an investigator in the investigation of a complaint.

 

(4) The Governor in Council may make regulations

 

(a) prescribing procedures to be followed by investigators;

 

(b) authorizing the manner in which complaints are to be investigated pursuant to this Part; and

 

(c) prescribing limitations for the purpose of subsection (2.1).

 

 

44.(1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

 

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

 

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

 

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and

 

(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).

 

49.(1) At any stage after the filing of a complaint, the Commission may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry into the complaint if the Commission is satisfied that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry is warranted.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1955-08

 

INTITULÉ :                                       PUI CHIU TSUI

 

                                                            - et -

 

                                                            POSTES CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 août 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elsie E. Peters

 

POUR LE DEMANDEUR

Sharon L. Chilcott

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elsie E. Peters Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Filion Wakely Thorup Angeletti s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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