Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100827

Dossier : T-2152-09

Référence : 2010 CF 853

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 août 2010

En présence de  monsieur le juge Harrington

 

ACTION SIMPLIFIÉE

ACTION PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ CONTRE DOLPHIN LOGISTICS COMPANY LTD.,

BLUE ANCHOR LINE, UNE DIVISION DE TRANSPAC CONTAINER SYSTEM LTD.,

KUEHNE & NAGEL LTD. ET KUEHNE & NAGEL INC.

 


ENTRE :

HITACHI MAXCO LTD. et RICH PALM

ENTERPRISE CORPORATION LTD.

demanderesses

et

 

DOLPHIN LOGISTICS COMPANY LTD.,

BLUE ANCHOR LINE, UNE DIVISION DE

TRANSPAC CONTAINER SYSTEM LTD.,

KUEHNE & NAGEL LTD.

ET KUEHNE & NAGEL INC.

défenderesses

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] La question dont la Cour est saisie est de savoir si une action personnelle (in personam) en matière d'amirauté intentée au Canada par deux sociétés étrangères contre quatre sociétés étrangères pour perte par-dessus bord d'une cargaison expédiée d'un port étranger et destinée à être déchargée et livrée dans un autre ressort étranger devrait être suspendue pour être entendue dans un autre ressort, soit celui mentionné dans le connaissement. À mon avis, les défenderesses n'ont pas établi qu'il existe un tribunal plus approprié; je rejette donc leur requête avec dépens.

 

  • [2] Il s'agit de la plus récente d'une série d'affaires portant sur le pouvoir de la Cour de suspendre des actions en vertu de l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales et sur la mesure dans laquelle ce pouvoir discrétionnaire a été affecté par l'adoption par le Parlement du paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime en 2001.

 

  • [3] En bref, le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales autorise la Cour fédérale, à sa discrétion, à suspendre une instance au motif que la demande est instruite dans un autre ressort ou pour toute autre raison dans l'intérêt de la justice. C'est ce que prévoit le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime :

46. (1) If a contract for the carriage of goods by water to which the Hamburg Rules do not apply provides for the adjudication or arbitration of claims arising under the contract in a place other than Canada, a claimant may institute judicial or arbitral proceedings in a court or arbitral tribunal in Canada that would be competent to determine the claim if the contract had referred the claim to Canada, where

 

 

(a) the actual port of loading or discharge, or the intended port of loading or discharge under the contract, is in Canada;

 

(b) the person against whom the claim is made resides or has a place of business, branch or agency in Canada; or

 

(c) the contract was made in Canada.

 

46. (1) Lorsqu’un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l’arbitrage en un lieu situé à l’étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l’une ou l’autre des conditions suivantes existe :

 

a) le port de chargement ou de déchargement — prévu au contrat ou effectif — est situé au Canada;

 

 

b) l’autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

 

 

c) le contrat a été conclu au Canada.

 

  • [4] Par conséquent, dans les contrats de transport de marchandises non assujettis aux règles de Hambourg (comme en l'espèce), le demandeur peut intenter une instance au Canada nonobstant une clause de compétence étrangère si le port de chargement ou de déchargement,prévu au contrat ou effectif, est situé au Canada, si le défendeur a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence, et si le contrat a été conclu au Canada.

 

I.  Les faits

  • [5] Le dossier contient relativement peu de détails, ce qui s'explique par le fait qu'il s'agit d'une action simplifiée relativement à une réclamation de moins de 50 000 $. La présente affaire a débuté lorsque la demanderesse Rich Palm Enterprise Corporation Ltd. de Taïwan a vendu une cargaison de ce qui est décrit comme des chaînes à rouleaux et des pièces à sa co-demanderesse Hitachi Maxco Ltd. de Kennesaw, en Géorgie, aux États‑Unis. La facture indique que les marchandises devaient être expédiées sur le YM Prosperity, de Kaohsiung City (Taïwan) à Portland, en Oregon.

 

  • [6] Kuehne & Nagel Ltd serait selon les parties requérantes une compagnie taïwanaise, mais la preuve au dossier indique qu'elle a également un bureau à Montréal. En tant qu'agent de Blue Anchor Line, elle a émis à Taïwan un connaissement non négociable qui identifie l'expéditeur comme étant Rich Palm Enterprise Corporation Ltd., et le destinataire comme étant Hitachi Maxco Ltd. La cargaison était décrite comme étant 168 cartons de chaînes à rouleaux et de pièces contenues dans 8 palettes chargées dans un conteneur. Il s'agissait d'un connaissement de transport combiné indiquant que le port de chargement était Kaohsiung City, le port de déchargement Tacoma, Washington, et le lieu de livraison Portland.

 

  • [7] Les modalités d'un connaissement ne sont pas nécessairement celles du contrat de transport de marchandises, puisque la facture est émise après la conclusion du contrat. En l'absence de preuve contraire, nous pouvons présumer que le connaissement indique les modalités du contrat. La seule autre possibilité dans ce cas serait de mettre la main sur une facture de transport ultérieure qui nous en dirait plus. À mon avis, le connaissement a préséance.

 

  • [8] Le connaissement identifie Blue Anchor Line, une division de Transpac Container System Ltd. de Hong Kong, comme transporteur.

 

  • [9] Blue Anchor Line ne s'est pas présentée comme étant la propriétaire du YM Prosperity. En fait, elle s'est engagée à exécuter ou faire exécuter le transport, et elle a apparemment opté pour la deuxième option. Cela indique clairement qu'elle agissait commetransporteur ordinaire non exploitant de navires.

 

  • [10] Le connaissement prévoit l'application du droit hongkongais, dans le ressort de Hong Kong, sauf en ce qui concerne l'exécution du transport lui-même. Le connaissement a évidemment été conçu pour couvrir le commerce mondial. Il stipule que la responsabilité doit être déterminée conformément à toute loi nationale rendant les Règles de La Haye, ou le Protocole de Visby d'application obligatoire ou, si aucune loi n'est d'application obligatoire, conformément aux Règles de La Haye telles qu'elles figurent dans la Convention de Bruxelles de 1924. Aucune preuve n' a été apportée quant à l'état du droit de Hong Kong ou de Taïwan. Toutefois, plus particulièrement dans le cas d'un envoi à destination ou en provenance des États-Unis, l'envoi était assujetti contractuellement, sinon légalement, aux Règles de La Haye édictées dans la loi américaine intitulée Carriage of Goods by Sea Act, 1936 (COGSA) (Loi sur le transport de marchandises par mer).

 

  • [11] Kuehne & Nagel Ltd. a à son tour confié la cargaison à la co-défenderesse Dolphin Logistics Company en tant que transporteur. Son connaissement mentionne Kuehne & Nagel Ltd. comme expéditeur et Kuehne & Nagel Inc. des États-Unis comme consignataire. Ces deux sociétés sont décrites comme des agents de Blue Anchor Line. Le connaissement de Dolphin précise ensuite que la demande de livraison de la cargaison doit être présentée à Shipco Transport Inc. de Tukwila, Washington. Les modalités de ce connaissement ne figurent pas dans le dossier de requête dont je suis saisi.

 

  • [12] Kuehne & Nagel Inc. a ultérieurement facturé Hitachi Maxco Ltd. pour le transport et les frais connexes. Selon les modalités qui s'y rattachent, Kuehne & Nagel Inc. était censée agir à titre de mandataire pour Hitachi Maxco Ltd. aux fins de l'exécution des tâches liées à l'entrée en douane et au dédouanement des marchandises. Les modalités de ce contrat doivent être interprétées conformément aux lois de l'État de New York, la compétence irrévocable étant attribuée au tribunal de district américain et aux tribunaux de l'État de New York.

 

  • [13] Pour compléter les documents pertinents, Hanjin Shipping Co Ltd. (entreprise bien connue dont le rôle précis dans l'affaire n'est pas précisé) a écrit à Shipco Transport Inc. pour lui dire qu'elle avait été informée par Yang Ming Marine Transport, [traduction] « les propriétaires/exploitants » du navire à moteur YM Prosperity, que le navire avait rencontré du mauvais temps et que le conteneur dans lequel se trouvait la cargaison avait été perdu par-dessus bord ou lourdement endommagé. Shipco Transport Inc. a transmis ce message le lendemain. Dans leur affidavit à l'appui de la suspension, les défenderesses affirment que le conteneur a été perdu par-dessus bord.

 

  • [14] Par la suite, Hitachi Maxco Ltd. et Rich Palm Enterprise Corporation Ltd. ont déposé une déclaration à la Cour fédérale contre Dolphin Logistics Company Ltd, Blue Anchor Line, Kuehne & Nagel Ltd. et Kuehne & Nagel Inc. alléguant qu'elles étaient toutes des [traduction] « exploitants, gestionnaires, transporteurs et utilisateurs» du YM Prosperity et des transporteurs. Les allégations habituelles selon lesquelles les défenderesses n'avaient pas réussi à charger, arrimer, manipuler, transporter, entretenir, décharger, entreposer et livrer en toute sécurité la cargaison des demandeurs ont été formulées. Elles ont allégué également que les défenderesses avaient violé le contrat et les obligations imposées par la loi et qu'elles avaient une responsabilité délictuelle concurrente.

 

  • [15] Dolphin Logistics s'est vu signifier l'action aux bureaux de Shipco Transport Inc. à Lachine, au Québec. Aucune défense n'a été inscrite, et un jugement a été rendu contre elle par le protonotaire Morneau. On peut présumer que les plaignantes n'ont rien encaissé.

 

  • [16] Les autres défenderesses, qui sont les parties requérantes dans la requête dont je suis saisi, se sont toutes vu signifier l'action dans les bureaux de Kuehne & Nagel Ltée à Montréal. Pour ce qui est de Kuehne & Nagel Ltd. la signification s'est faite à l'un de ses bureaux et est clairement valide. Les demandeurs prétendent que Kuehne & Nagel Ltd. est l'agent de Kuehne & Nagel Inc. et de Blue Anchor Line, qui ne sont ni l'une ni l'autre des sociétés canadiennes. L'article 130 des Règles des Cours fédérales permet la signification à personne d'un document à une société en laissant le document à la personne qui semble être le responsable du siège social ou de la succursale ou agence au Canada où la signification est effectuée. Je n'ai pas été saisi de la question de la validité de cette signification à personne. Comme les parties requérantes l'indiquent dans leur avis de requête [traduction] « nonobstant la question de savoir si la signification de la déclaration a été effectuée en bonne et due forme à l'égard de toutes les défenderesses, ces dernières souhaitent contester la compétence de la Cour fédérale ». Elles demandent une suspension en faveur de Hong Kong, ou encore de New York.

 

II.  Compétence de la Cour fédérale

  • [17] Contrairement aux cours supérieures provinciales, la Cour fédérale est une cour de justice organisée par le Parlement en vertu de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Elle n'a compétence à l'égard de l'objet d'une action que si le litige relève d'une catégorie législative fédérale, par opposition à une catégorie législative provinciale, s'il existe une loi fédérale sur le sujet, qu'il s'agisse d'une loi, d'un règlement, de la common law, du droit maritime canadien ou autre, et que l'application de cette loi lui a été conférée (ITO - International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986]1 R. C. S.752 (The Buenos Aires Maru)).

 

  • [18] Personne ne conteste qu'une réclamation pour perte de cargaison ou dommage à une cargaison relève de la catégorie législative fédérale liée à la navigation et à la marine marchande (Loi constitutionnelle de 1867, paragraphe. 91(10)), que la compétenced'attribution et la compétence juridique ont été conférées à la Cour fédérale conformément à la définition du droit maritime canadien et au paragraphe 22(2) de la Loi sur les Cours fédérales, et qu'il existe une loi fédérale à mettre en application (Sivaco Wire & Nail Co. et al. c. Tropwood A. G. et al, [1979] 2 R.C.S.157).

 

  • [19] Il n' y a pas de limite géographique à la compétence d'attribution. Il importe peu que la cargaison n'ait pas été expédiée d'un port canadien, ni été destinée à être expédiée d'un tel port, ni à y être reçue ou destinée à être reçue à un port canadien (Nations Unies et Organisations des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture c. Atlantic Seaways Corporation et Unimarine S. A., [1979] 2 C. F.541 (CAF)).

 

  • [20] Ainsi, sans tenir compte de l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, la Cour a compétence à l'égard des défenderesses si elles ont reçu une signification en bonne et due forme. Les Règles des Cours fédérales prévoient qu'une déclaration doit faire l’objet d’une signification à personne. Elles auraient supposément reçu signification à personne au Canada. Malgré leurs récriminations, les défenderesses n'ont pas demandé que la signification soit annulée, et j'agirai donc en supposant que la signification à personne était valide. Il est certain que si l'on invoque des lacunes de cette nature,, une prompte intervention s'impose.

 

  • [21] La compétence de la Cour à l'égard de l'objet de l'action et des défenderesses ne découle aucunement du paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. On peut toujours intenter devant la Cour fédérale une action en amirauté qui n'a absolument aucun lien avec le Canada, à moins que les défenderesses n'aient reçu signification au Canada in personam ou in rem (Antares Shiping Corp. c. The Ship "Capricorn" et al.,[1980]1 R. C. S. 553; Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Container Line N. V. (Fiduciaires de), 2001 CSC 90,[2001]3 R. C. S.907). La question est de savoir si la Cour devrait conserver sa compétence et entendre l'affaire sur le fond ou plutôt s'en remettre à une autre cour. C'est dans ce contexte que le par. 46(1) doit être examiné et lu conjointement avec le par. 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

  • [22] Le régime international auquel le Canada adhère en ce qui a trait au transport de marchandises sous connaissements est celui des Règles de La Haye-Visby. Ces règles sont énoncées à l'annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Elles ne s'appliquent pas obligatoirement aux marchandises importées. Les Règles de Hambourg ont également été adoptées au Canada et se trouvent à l'annexe 4 de la Loi. Cependant, elles n'ont pas été proclamées. Les Règles de La Haye-Visby n'ont pas de dispositions relatives à la compétence. Les Règles de Hambourg en ont, comme en fait foi leur article 21. Toutefois, comme aucune preuve n'a été produite établissant qu'elles sont applicables dans les autres ressorts concernés dans la présente affaire, soit Taïwan, Hong Kong et les États-Unis, je n'examinerai pas la question de savoir si le Canada conserverait sa compétence à l'égard des défenderesses si elles étaient applicables.

 

  • [23] Il faut se rappeler que la Cour, à sa discrétion, a toujours eu compétence pour entendre une cause sur le fond, nonobstant une clause d'un autre pays sur le choix du tribunal. Sur ce point, voir The Eleftheria,[1969]1 Lloyd's Rep. 237, [1969] 2 All E.R. 641, dont les principes ont été pleinement approuvés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450. Toutefois, la jurisprudence, particulièrement au Canada, avait évolué de telle sorte qu'un tribunal qui aurait autrement compétence devrait, à sa discrétion, accorder une suspension à la lumière d'une clause étrangère relative à la sélection du tribunal. En réalité, l'instance canadienne serait presque automatiquement suspendue à moins que le demandeur ne soit peu susceptible d'obtenir un procès équitable pour des raisons politiques, raciales, religieuses ou autres. Rien ne laisse présager que les demandeurs n'obtiendraient pas un procès équitable à Hong Kong ou aux États‑Unis.

  • [24] Dans l'affaire Amchem Products Incorporated c. Colombie-Britannique (Commission des accidents de travail), [1993]1 R. C. S.897, aux pages 911 et 912, le juge Sopinka a reconnu que les transactions commerciales modernes et le règlement des différends qui en découlent transcendent souvent les compétences nationales :

« Dans l'intervalle, les litiges, comme le commerce, ont pris de plus en plus un caractère international. Étant donné l'essor du libre‑échange et la prolifération des sociétés multinationales, il est devenu plus difficile de déterminer un tribunal qui soit nettement approprié pour ce type de litige.  Il se peut que l'on ne puisse rattacher le défendeur à un seul ressort. Au surplus, il arrive souvent que les défendeurs soient nombreux, qu'ils exercent leur activité dans nombre de territoires et distribuent leurs produits ou leurs services dans le monde entier. En outre, il se peut que les demandeurs forment un grand groupe et résident dans des ressorts distincts. Il est souvent difficile de mettre le doigt sur l'endroit où l'opération qui a donné ouverture à l'action a été effectuée. Souvent, il n'y a aucun tribunal qui est nettement le plus commode ou le plus approprié pour connaître de l'action, mais plusieurs représentent plutôt un choix aussi propice. »

 

  • [25] Il poursuit à la page 921 :

« [...] tout comme les tribunaux anglais, j'estime qu'il faut établir clairement qu'un autre tribunal est plus approprié pour que soit écarté celui qu'a choisi le demandeur. »

 

  • [26] Les demanderesses soutiennent que, puisque les défenderesses invoquent à titre subsidiaire la compétence de Hong Kong et de New York, il n' y a manifestement pas de tribunal plus approprié que celui du Canada. Toutefois, j'accorde peu d'importance à la clause relative à la compétence de New York contenue dans la facture de transport. Cette dernière a été émise après le connaissement et couvre les activités de Kuehne & Nagel Inc. en tant que mandataire des personnes ayant des intérêts dans la cargaison. Elle est poursuivie, à tort ou à raison, en tant que transporteur. En outre, cette clause de compétence ne profiterait pas aux autres parties requérantes.

 

  • [27] En l'espèce, en se fondant sur les allégations selon lesquelles les défenderesses sont des transporteurs, et étant donné que la cargaison n'a pas été livrée en bon état, il leur incombe de prouver l'absence de responsabilité.

 

  • [28] Elles n'ont pas identifié les éléments de preuve qu'elles souhaitent présenter comme défense, ni les témoins dont elles ont besoin. On n'a pas dit à la Cour qui est le propriétaire du navire ni si celui-ci était affrété. S'il s'agit d'un affrètement, y a-t-il un affréteur par voie de cession, un ou plusieurs affrètements à temps, et qui était responsable de l'arrimage? Où sont les membres de l'équipage? Comment le conteneur était-il fixé sur le pont? Les pitons à œil ont-ils cédé? Reste-t-il des preuves? A-t-on retenu les services de maîtres marins, d'architectes navals, de métallurgistes, d'arpenteurs et de météorologues? Dans l’affirmative, qui les a embauchés et où sont-ils? Y a-t-il des lacunes ou des aspects inexpliqués dans le droit de Hong Kong ou dans les Règles de La Haye, tels qu'ils ont été appliqués par les tribunaux américains? Les deux ressorts font partie de la tradition de la common law. Rien ne prouve que quiconque ayant été impliqué dans le chargement, l'arrimage ou le transport de la cargaison réside à Hong Kong. En effet, en tant que transporteur ordinaire non exploitant de navires, Blue Anchor Line n'avait sans doute aucune implication physique. Tout au plus, elle a peut-être retenu les services d'un agent pour remplir le conteneur à Taïwan.

 

III.  Article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime

  • [29] Le libellé de l'art. 46 est quelque peu compliqué. En rapport avec les faits de l'espèce, il prévoit que nonobstant une clause de compétence étrangère, les demanderesses peuvent intenter une instance au Canada, comme si le contrat avait prévu le renvoi au Canada, puisque les défenderesses ont une agence ici. Toutefois, comme nous l'avons déjà mentionné, la véritable question est de savoir si la Cour fédérale devrait conserver sa compétence, au sens de l'article 46, pour juger la demande sur le fond.

  • [30] L'article 46 a d'abord été porté à l'attention de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I. S. M. M. A. S.) s. n. c. c. Castor (The), 2002 CAF 479,[2003]3 C. F.220. Cette affaire concernait une expédition de l'Italie au Canada en vertu d'un connaissement qui stipulait la compétence allemande. L'article est entré en vigueur après l'apparition de la cause d'action, mais avant l'audition de la requête en suspension des défendeurs. On a conclu que l'article n'avait pas d'effet rétroactif. Toutefois, le juge Nadon a exprimé l'opinion suivante au paragraphe 13 :

Cette disposition a pour effet de retirer à la présente Cour le pouvoir discrétionnaire conféré à l'article 50 de la Loi sur les cours fédérales lorsqu'il s'agit de suspendre les procédures en raison de l'existence d'une clause de compétence ou d'arbitrage s'il est satisfait aux exigences des alinéas 46(1)a), b) ou c). En l'espèce, si l'avis exprimé par le juge des requêtes est exact, l'alinéa 46(1)a) empêcherait les appelants d'obtenir une suspension fondée sur la clause 25 du connaissement étant donné que le déchargement a eu lieu au port de Halifax. Par conséquent, si le paragraphe 46(1) s'applique à l'instance ici en cause, les demandes de suspension présentées par les appelants seront probablement rejetées.

 

  • [31] Dans l'affaire ECU-Line précitée, le juge Bastarache, dans une autre déclaration incidente, était également d'avis que le paragraphe 46(1) avait pour effet de retirer à la Cour fédérale le pouvoir que lui confère l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales de suspendre les procédures pour donner effet à une clause d’élection de for si les conditions du paragraphe 46(1) étaient remplies. Il a déclaré au paragraphe 38 :

« En fait, il semblerait, à la lecture du par. 46(1), que le législateur a jugé opportun, dans des circonstances bien précises, de limiter la portée des clauses d’élection de for en facilitant l’instruction au Canada des demandes se rapportant au transport maritime de marchandises et ayant un lien minimal avec notre pays. »

 

 

  • [32] Toutefois, au moment où la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur une expédition après l'adoption de l'article 46, ces déclarations incidentes n'ont pas été suivies. Dans l'arrêt Magic Sportswear Corp. c. OT Africa Line Ltd., 2006 CAF 284, [2007] 2 R.C.F.733, la Cour traitait d'une demande de dommages-intérêts pour des marchandises transportées de New York au Libéria en vertu d'un connaissement invoquant la compétence anglaise, ressort où le défenderesse avait sa principale place d'affaires. Le lien canadien est que le contrat a été conclu ici, où le transporteur avait une succursale. La Cour était également confrontée au fait que le transporteur avait intenté une procédure devant la Haute Cour de Londres pour demander des dommages-intérêts pour violation de la clause de compétence et avait obtenu une injonction interdisant les poursuites.

 

  • [33] Aux paragraphes 33 et 34, le juge Evans a distingué ECU-Line et The Castor comme suit :

Le sens de ce passage n’est peut‑être pas très clair, mais je ne souscris pas à l’interprétation qu’en donne l’avocat des chargeurs.  À mon avis, le juge Bastarache a dit que, lorsqu’une des conditions légales d’attribution de compétence est remplie, le paragraphe 46(1) supprime le pouvoir discrétionnaire de la Cour de suspendre l’instance pour l’unique raison qu’il existe une clause d’élection de for étranger. Le juge Bastarache n’examinait donc pas la question qui se pose ici, à savoir : le paragraphe 46(1) supprime‑t‑il également le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’ordonner la suspension de l’instance lorsque, après avoir pris en considération toutes les circonstances de l’espèce, elle ne constitue pas le tribunal approprié.

 

J’interprète de la même façon le passage des motifs prononcés par le juge Nadon au nom de la Cour  dans l’arrêt Incremona‑Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S) s.n.c. c. Castor (Le), [2003] 3 C.F.  220, 2002 CAF 479, au paragraphe  13 et mentionné ci‑dessus par le juge Bastarache.

 

 

  • [34] Compte tenu du fait que les expéditeurs, les destinataires, la cargaison et les ports de chargement et de déchargement n'avaient aucun lien avec le Canada et qu'un certain respect devait être accordé à l'injonction des tribunaux anglais interdisant les poursuites, il a accordé une suspension. Il a également mentionné que l'article 46 avait pour principal objectif de protéger les intérêts des exportateurs et des importateurs canadiens, politique qui n'est pas énoncée dans l'article lui-même. Il a conclu au paragraphe80 :

L’article 46 confirme la compétences des tribunaux canadiens à l’égard des poursuites instituées par des chargeurs et des consignataires étrangers, mais cela ne veut pas dire qu’un tribunal appelé à exercer sa compétence doive s’écarter de sa pratique normale consistant à donner effet aux jugements étrangers. D’après les faits de l’espèce, notamment le rôle dominant qu’ont joué les assureurs canadiens des marchandises dans le litige, il ne serait pas contraire à l’intention du législateur de tenir compte des jugements étrangers pour choisir le tribunal approprié.

 

 

  • [35] Rien ne prouve que les défenderesses ont intenté des poursuites à Hong Kong, à New York ou ailleurs.

 

  • [36] La plus récente décision de la Cour d'appel fédérale est l'arrêt Mitsui O.S.K. Lines ltd. c. Mazda Canada Inc., 2008 CAF 219, [2009] 2 R.C.F. 382 (Cougar Ace). Cette affaire concernait un chargement d'automobiles en provenance du Japon destiné à être déchargé à New Westminster (Colombie-Britannique). Le Cougar Ace a donné lourdement de la bande au cours du voyage. La cargaison n'a jamais été livrée au Canada, mais plutôt aux États-Unis.

 

  • [37] Les liens canadiens étaient que le propriétaire de la cargaison de la demanderesse était canadien, ce qui n'est pas l'un des facteurs canadiens énumérés au par. 46(1), et que le port de déchargement prévu était canadien. Le connaissement a été émis au Japon et prévoyaitle ressort japonais et le recours à la loi japonaise. Moi-même, en ma qualité de juge des requêtes qui a rejeté la demande de suspension présentée par les transporteurs, et la Cour d'appel fédérale, qui est arrivée à une conclusion différente (peut-être dans une certaine mesure en se fondant sur des éléments de preuve supplémentaires du droit japonais dont je n'étais pas saisi), avons pris en compte les facteurs non exhaustifs liés au forum non conveniens reconnus par la Cour suprême du Canada, ainsi que d'autres facteurs. Comme l'a noté le juge Linden au paragraphe  11 :

Le juge de première instance a bien compris ces principes et s'est efforcé de les appliquer, en tenant compte de la règle établie en droit régissant la question du forum non conveniens découlant de l'arrêt Spar Aerospace Ltd. c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S.  205 (reposant sur la décision de la Cour d'appel du Québec dans Lexus Maritime Inc. c. Oppenheim Forfait GmbH, [1998] Q.J. no 2059 (QL)) Cette affaire dresse une liste non exhaustive de 10 facteurs que la Cour doit prendre en considération pour rendre sa décision (au paragraphe 18) :

(1) le lieu de résidence des parties et des témoins ordinaires et experts;

(2) la situation des éléments de preuve;

(3) le lieu de formation et d'exécution du contrat qui donne lieu à la demande;

(4) l'existence et le contenu d'une autre action intentée à l'étranger et le progrès déjà effectué dans la poursuite de cette action;

(5) la situation des biens appartenant au défendeur;

(6) la loi applicable au litige;

(7) l'avantage dont jouit la demanderesse dans le for choisi;

(8) l'intérêt de la justice;

(9) l'intérêt des deux parties;

(10) la nécessité éventuelle d'une procédure en exemplification à l'étranger.

 

  • [38] Toutefois, la Cour d'appel était d'avis que les juges des requêtes avaient erré dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire en raison d’une sous-évaluation de l'importance du lieu de résidence des parties ainsi que des témoins et des experts, de l'existence d'une instance dans un autre ressort et du droit applicable.

 

  • [39] On a conclu que le juge saisi de la requête aurait dû tenir compte du fait que le transporteur avait intenté une action au Japon en vue d'obtenir un jugement déclaratoire l'exonérant de toute responsabilité relativement à l'accident. Cet élément de preuve a été reconnu comme [traduction] « le facteur le plus important qui influe sur la décision de la Cour ». Le lieu de résidence des parties, des témoins et des experts a également été sous-évalué. Ces témoins viendraient du Japon, des États-Unis, de Singapour, du Myanmar et des Philippines, et non du Canada. La plupart des témoins viendraient probablement du Japon. Le juge des requêtes a sous-évalué le droit étranger au motif qu'il n'était pas au courant des différences entre le droit japonais et le droit canadien (les deux donnant effet aux Règles de La Haye-Visby). Toutefois, comme l'a noté le juge Linden au paragraphe19 :

[…] Il y a, en l’espèce, des questions juridiques complexes qui n’ont pas encore été résolues au Japon et qu’il faudrait trancher dans le présent litige : la question de la diligence raisonnable en lien avec la navigabilité du navire avant le voyage et son lien avec la question du moyen de défense d’erreur commise dans l’administration du navire en vertu des Règles de La Haye-Visby. Des éclaircissements s’imposent en ce qui concerne l’interprétation juridique donnée à la clause limitative quant au montant des dommages-intérêts.  Que ces questions soient examinées au Japon en japonais par des juges et des avocats japonais permettra de brosser un tableau plus fidèle des questions juridiques complexes de droit japonais.  Cela serait préférable au règlement de ces questions, au moyen d’affidavits traduits en anglais, par des juges qui ne connaissent rien de la jurisprudence actuelle du Japon et de son système judiciaire. […]

 

  • [40] Ainsi, dans l’arrêt Cougar Ace, on a conclu qu’il y avait une abondance de preuves pointant vers le Japon. En l'espèce, Blue Anchor Line n'a fait valoir aucun avantage à intenter une action à Hong Kong (en oubliant New York), si ce n'est qu'il s'agit de son ressort d'origine. En outre, une nouvelle action serait probablement prescrite en vertu du délai de prescription d'un an prévu par les Règles de La Haye. Le dossier ne contient manifestement aucune offre de prolongation de délai.

 

  • [41] Comme l'indique le connaissement, la COGSA des États-Unisdonne effet aux Règles de La Haye. C'est également le cas au Canada, mais aujourd'hui avec l'ajout du Protocole de Visby. Il n'y a pas de preuve en l'espèce, contrairement à l'arrêt Cougar Ace, que le droit américain n'est pas suffisamment développé en ce qui concerne l'application des Règles de La Haye. Si le respectde la COGSA des États-Unis doit être démontré, il doit l'être tout autant à Hong Kong qu'au Canada. Rien n'indique que le droit états‑unien diffère du droit canadien, sauf en ce qui a trait à la limitation de la responsabilité par unité de fret, comme il est clairement stipulé dans le connaissement. Le droit canadien et le droit états‑unien découlent tous deux de la Convention de Bruxelles de 1924.

 

  • [42] Comme l'a fait remarquer Lord Macmillan dans l'affaire Stag Line Ltd. c. Foscolo, Mango & Co. Ltd., [1932] A.C.  328 à la page 350 :

[traduction] Il est important de se rappeler que la Loi de 1924 est le résultat d'une Conférence internationale et que les règles de l'Annexe sont de portée internationale. Étant donné que ces règles doivent être soumises à l'examen de tribunaux étrangers, il est souhaitable, dans un souci d'uniformité, que leur interprétation ne soit pas strictement contrôlée par les précédents nationaux antérieurs, mais plutôt que le libellé des règles soit interprété sur la base de principes généraux d'acceptation générale.

 

 

  • [43] La règle de base, qu'il ne faut pas oublier, est que le choix du for appartient au demandeur. La Cour ainsi choisie peut refuser de poursuivre l'affaire, en l'espèce en se fondant sur le principe du forum non conveniens. Toutefois, les facteurs qui lient notre affaire à Hong Kong, ou d'ailleurs à New York, ne sont pas nettement plus importants que ceux qui la lient au Canada. Étant donné que l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime a considérablement réduit l'incidence d'une clause de sélection de for étranger et qu'il n'y a eu aucune allégation de poursuite devant une autre cour, contrairement à ce qui a été observé dans les affaires OT Africa et Cougar Ace, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, je rejette la requête en suspension. Les parties requérantes disposent d'un délai de 30 jours pour déposer leur défense.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête des défenderesses Blue Anchor Line, division de Transpac Container System Ltd, Kuehne & Nagel Ltd. et Kuehne & Nagel Inc. visant à obtenir une suspension des procédures est rejetée avec dépens.

  2. Les défenderesses disposent de 30 jours pour déposer leur défense.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-2152-09

 

INTITULÉ :  Hitachi Maxco Ltd. et al. c. Dolphin Logistics Company Ltd. et al.

 

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE  SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 369 DES RÈGLES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE :  Le 27 AOÛT 2010

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Paul Blanchard

 

POUR LES DEMANDERESSES

Rui M. Fernandes

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stikeman Elliott LLP

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Fernandes Hearn LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.