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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100826

Dossier : IMM-6351-09

Référence : 2010 CF 847

Montréal (Québec), le 26 août 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

ROSA INES GARCIA GARCIA

LISETH DAYANA PELAEZ GARCIA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision datée du 20 novembre 2009 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés, selon laquelle les demanderesses ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des « personnes à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

Contexte factuel

[2]               La demanderesse, Rosa Ines Garcia Garcia et sa fille, Liseth Dayana Pelaez Garcia, sont citoyennes de la Colombie. Elles soutiennent avoir quitté la Colombie parce qu’elles étaient persécutées. Elles sont arrivées au Canada le 9 octobre 2007 et ont présenté leur demande d’asile le lendemain de leur arrivée.

 

[3]               La demanderesse principale allègue qu’elle a quitté la Colombie en août 2000, et sa fille en 2001 pour aller vivre illégalement aux États-Unis afin de fuir la guerre civile dans leur pays. 

 

[4]               Les demanderesses allèguent avoir vécu aux États-Unis jusqu’en septembre 2007. Elles ont décidé d’entrer au Canada puisqu’elles étaient incapables d’obtenir un statut légal aux États-Unis et craignaient de retourner en Colombie, car plusieurs de neveux, qui étaient membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), auraient été assassinés.

 

[5]               Les demanderesses allèguent qu’elles ne peuvent retourner en Colombie en raison de la persécution du fait de leur opinion politique imputée et de leur appartenance à un groupe social particulier (la famille). La demanderesse principale dit craindre les FARC, les paramilitaires et l’armée colombienne parce qu’elle avait conseillé à ses neveux de ne pas se joindre à la guérilla. Elle craint également pour la sécurité de sa fille puisqu’elle allègue que la Colombie est un pays où la violence et le crime organisé sont courants.  

 

 

Décision contestée

[6]               La Commission a rendu une décision négative, car elle a conclu que les demanderesses n’avaient ni de menace à leur vie, ni de crainte de persécution puisque les demanderesses n’ont pas établi qu’elles seraient exposées à un risque qui ne serait pas encouru par la population vivant en Colombie. De plus, la Commission a noté que la demanderesse principale n’a mentionné aucun événement qui lui aurait été adressé personnellement.

 

[7]               La Commission a également soulevé que la demanderesse principale n’est pas en mesure d’identifier ses agresseurs potentiels d’une façon spécifique et qu’à défaut, elle nomme tous les groupes possibles. Ainsi, puisque les demanderesses n’ont pas pu démontrer qu’elles étaient personnellement la cible de persécution et qu’une demande d’asile ne peut être reconnue uniquement du lien de parenté avec une personne persécutée, la Commission a conclu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse qu’elles soient persécutées ou exposées à une menace à leur vie advenant leur retour en Colombie.

 

Dispositions législatives pertinentes

[8]               Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Question en litige

[9]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la question en litige qui se pose est celle de savoir si la Commission a rendu une décision fondée sur des conclusions de droit erronées ou des conclusions de faits tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

Norme de contrôle

[10]           S’agissant d’une question mixte de fait et de droit, cette Cour a affirmé dans l’arrêt Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, [2009] A.C.F. no 270 (QL), qu’on devait accorder une déférence aux décisions des tribunaux lorsque basées sur l’application des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[11]           De plus, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53, la Cour suprême du Canada a établi que lorsque le tribunal entreprend un examen de questions de fait et de droit qui ne peuvent être dissociées aisément, la cour de révision fera preuve de déférence à l’égard du tribunal. Par conséquent, la norme de contrôle applicable dans la présente affaire est celle de la « raisonnabilité ».

 

Analyse

[12]           Afin de déterminer si un revendicateur est un réfugié, il faut apprécier la crainte subjective de persécution dans l’esprit du revendicateur ainsi que le fondement objectif de cette crainte, tel que décidé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74, au paragraphe 47 :

[47]  D'une façon plus générale, que doit faire exactement le demandeur pour établir qu'il craint d'être persécuté? Comme j'y faisais allusion plus haut, le critère comporte deux volets: (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l'arrêt Rajudeen, précité, à la p. 134:

 

L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.

 

[13]           La Cour remarque également que lors de son séjour aux États-Unis de 2000 à 2007, Mme Rosa Ines Garcia Garcia n’a pas revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis alors qu’elle y séjournait ce qui, en soit, démontre une absence de crainte subjective. 

 

[14]           En l’espèce, les faits nous amènent à croire que même si la demanderesse éprouve une crainte subjective d’être persécuté dû au fait que huit de ses neveux ont été assassinés, cette crainte ne s’avère pas à être objectivement justifiée. En effet, la demanderesse n’est membre d’aucun parti ou organisation politique et comme l’a soulevé la Commission, elle n’a jamais été personnellement victime de menaces. À ce titre, le tribunal pouvait inférer que le seul lien de parenté de la demanderesse comme étant la tante de ses neveux était insuffisant pour démontrer une crainte bien fondée de persécution.

 

[15]           Comme le note avec justesse le défendeur, en l’espèce, le concept d’unité de la famille n’est pas un argument valable, car il ne « retire pas à un revendicateur le fardeau de démontrer qu'il est visé par la définition de "réfugié au sens de la Convention" énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi » (Bromberg c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 939, [2002] A.C.F. no 1217).

 

[16]           De plus, sur cinq membres immédiats de la famille de la demanderesse, une sœur et deux frères sont toujours en Colombie, dont le père des cinq neveux qui ont été tués. La preuve au dossier démontre aussi que la demanderesse et sa fille n’ont pas le profil qui correspond aux cibles des paramilitaires (Human Rights Watch – Country summary – January 2009 - mémoire supplémentaire du défendeur – non paginé et Dossier du tribunal à la p. 202). 

 

[17]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la demanderesse et sa fille n’ont pas démontré qu’il existait une possibilité sérieuse et objective qu’elles soient persécutées et qu’elles seraient personnellement exposées au risque de traitements cruels et inusités si elles retournaient en Colombie. Dans les circonstances, la décision du tribunal constitue une issue possible et acceptable (Dunsmuir). Par conséquent, il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir.

 

[18]           Les parties n'ayant soumis aucune question aux fins de certification, aucune ne sera certifiée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6351-09

 

INTITULÉ :                                       ROSA INES GARCIA GARCIA ET AL.

                                                            c.   M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 août 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 août 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphane Hébert

 

POUR LES DEMANDERESSES

Sylviane Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphane Hébert

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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