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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100826

Dossier : IMM-6076-09

Référence : 2010 CF 846

Montréal (Québec), le 26 août 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

LUISA ELENA LEON SANCHEZ

ARANTZA ANGLES MUNOZ

 

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision datée du 13 octobre 2009 de l’agente Virginie Auger de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), chargé de l’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a conclu que les demanderesses ne risquent pas d’être torturées ou persécutées, ni de subir des traitements ou châtiments cruels ou inhabituels ou de voir leur vie menacée advenant leur retour dans leur pays d’origine au sens des articles 96 et 97 de la Loi dans le cadre d’un ERAR.

 

Contexte factuel

[2]               La demanderesse principale, Luisa Elena Leon Sanchez, et sa petite-fille, Arantza Angles Munoz, sont toutes deux citoyennes du Mexique et habitaient la ville de Villahermosa. Elles sont arrivées au Canada le 7 août 2007.

 

[3]               La demanderesse principale allègue qu’en mars 2007, sa petite-fille a été harcelée par Irving Diego Hernandez, le fils de Evaristo Hernandez Cruz, une personnalité politique connue dans la ville de Villahermosa, Tabasco, Mexique.

 

[4]               La demanderesse allègue que M. Hernandez surveillait sa petite-fille depuis l’école, la suivait et l’appelait. Elle allègue également qu’elle lui a demandé de ne plus les importuner sans quoi, elle irait voir les autorités. M. Hernandez lui aurait répondu que les autorités ne lui feraient rien en raison de l’importance et l’influence de son père.

 

[5]               La demanderesse soutient avoir été personnellement menacée de représailles si elle ne laissait pas M. Hernandez voir sa petite-fille ou si elle portait plainte. Elle affirme également qu’il a menacé de séquestrer et de maltraiter sa petite-fille.

 

[6]               La demanderesse et sa petite-fille sont allées vivre avec la mère de cette dernière dans la même ville. Ensuite, elles ont quitté la ville pour s’installer dans le District fédéral au Mexique. Toutefois, la demanderesse soutient que M. Hernandez a su les retrouver et les a menacées par téléphone. La demanderesse et sa petite-fille sont donc venues à Montréal où la fille de la demanderesse y vit depuis 2004.

 

[7]               Le 27 octobre 2007, les demanderesses ont revendiqué le statut de réfugié que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté le 20 novembre 2008. Le 1er avril 2009, une demande d’autorisation de contrôle judiciaire sur cette décision leur a été refusée par le juge Beaudry (IMM-5324-09). Le 21 juillet 2009, les demanderesses ont ensuite déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui fut rejetée le 13 octobre 2009. Le 2 décembre 2009, les demanderesses ont présenté une requête en sursis de leur renvoi dans le dossier IMM-6081-09, que le juge de Montigny a rejetée le 7 décembre 2009. Finalement, le 30 janvier 2010, le renvoi a été exécuté et les demanderesses ont quitté le Canada pour le Mexique.

 

La décision contestée

[8]               Dans la demande d’ERAR datée du 13 octobre 2009, la demanderesse a réitéré que les causes du récit de leur demande de réfugiée auprès de la CISR sont toujours présentes. Dans les motifs de la décision de l’ERAR, l’agent chargé de rendre la décision a noté que la demanderesse a fourni onze éléments de preuves qui proviennent tous de textes généraux accessibles sur Internet et que ceux-ci ont tous été publiés avant la décision de la CISR soit, avant le 20 novembre 2008.

 

[9]               Puisque la demanderesse n’a pas donné d’explication quant à la raison pour laquelle ces documents n’étaient pas accessibles, disponibles ou pourquoi il aurait été déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle les fournisse dans le cadre de sa demande auprès de la CISR en vertu de l’article 113a) de la Loi, l’agente a refusé d’admettre ces éléments de preuve.

 

[10]           Dans son analyse, l’agente a observé la situation générale du Mexique tout en tenant compte du profil personnel de la demanderesse. Elle a considéré quatre sources documentaires portant sur divers sujets entourant les problèmes au Mexique et a conclu qu’à la lumière de ceux-ci, la situation du Mexique n’a pas considérablement changé depuis la décision de la CISR.

 

[11]           Finalement, l’agente a conclu que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver qu’elle et sa petite-fille risqueraient, lors d’un éventuel retour au Mexique, la persécution ou qu’elles auraient des motifs sérieux de croire qu’elles pourraient être soumises à un risque de torture, de menaces à leurs vies ou des traitements ou peines cruels et inusités.

 

Question en litige

[12]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la seule question en litige est celle de savoir si l’agente a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait eu égard à l’objet et l’esprit de la Loi.

 

Norme de contrôle

[13]           La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 51, reconnaît « qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement ». La Cour a également rajouté au paragraphe 62, que le processus de contrôle judiciaire en est un qui se déroule en deux étapes et qu’il faut commencer par vérifier : « […] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[14]           En ce qui concerne les décisions d’un agent ERAR, il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Comme le précise le juge Pinard dans la décision Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 31, [2010] A.C.F. no 41, au paragraphe 18 :

[18] La norme de la décision raisonnable s'applique aux conclusions de fait de la décision de l'agent ERAR parce que la détermination des risques avant renvoi par l'agent ERAR est une appréciation de faits à laquelle cette Cour doit accorder une grande déférence (voir, entre autres, Pareja c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2008 CF 1333, au paragraphe 12 et Dunsmuir c. Nouveau-Brunwick, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

(Voir aussi Figurado c. Canada (Solliciteur général), (C.F.), 2005 CF 347, [2005] 4 R.C.F. 387, au paragraphe 51; Sani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 913,  [2008] A.C.F. no 1144).

 

Analyse

[15]           Lors de l’audience, cette Cour a entendu les arguments des parties sur le fait que la présente demande pouvait être théorique.  La Cour a ensuite décidé d’entendre les parties, sous réserve, sur le fond.

 

[16]           Après une lecture attentive du dossier et de la jurisprudence, la Cour est d’avis que la demande de contrôle judiciaire est devenue théorique, car les demanderesses ont été renvoyées au Mexique.  Cette preuve est au dossier (mémoire de la partie demanderesse aux pp. 51-58) et n’est pas contestée par la partie demanderesse.

 

[17]           Plus précisément, dans l’arrêt Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 171, [2009] A.C.F. no 691, le juge Noël de la Cour d’appel fédérale a confirmé une décision rendue par le juge Martineau, Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 663, [2008] A.C.F. no 836, dans laquelle ce dernier rejetait une demande de contrôle judiciaire au motif que l'affaire était théorique puisque l'appelant n'était plus au Canada et dans laquelle la Cour a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour examiner le contrôle judiciaire. Le juge Martineau a certifié la question suivante et le juge Noël a confirmé sa décision en s’exprimant comme suit :

[TRADUCTION]

i)  La demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'ERAR est-elle théorique lorsque la personne faisant l'objet de la décision a été renvoyée du Canada ou a quitté le Canada après le rejet d'une demande de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi?

 

[…]

 

[5] Nous sommes d'avis que la demande de contrôle judiciaire est théorique, et, plus particulièrement, nous souscrivons aux propos suivants tenus par le juge Martineau au paragraphe 25 de ses motifs :

 

[...] le législateur voulait que la demande d'ERAR soit jugée avant que la personne demandant l'ERAR soit renvoyée du Canada, dans le but d'éviter de la placer à risque dans son pays d'origine. Ainsi, si la personne demandant un ERAR est renvoyée du Canada, avant qu'une décision n'ait été prise sur les risques auxquels elle ferait face dans son pays d'origine, l'objectif visé par le régime ERAR ne peut plus être atteint, ce qui explique pourquoi l'article 112 de la Loi précise qu'un demandeur de protection est une "personne se trouvant au Canada".

 

Suivant la même logique, le contrôle judiciaire de la décision défavorable d'un agent d'ERAR rendue après que la personne en cause a été renvoyée du Canada est sans objet.

 

[6] De plus, nous ne relevons aucune erreur commise par le juge Martineau dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser d'instruire la demande malgré son caractère théorique.

 

[7] L'appel sera donc rejeté. Nous répondrons à la première question certifiée par l'affirmative. […]

 

 

[18]           Comme l’a souligné le juge Martineau dans la cause précitée, le régime législatif n’a pas été conçu pour qu’une personne se trouvant à l’extérieur du Canada bénéficie d’une évaluation des risques avant renvoi (art.112 de la Loi).  

 

[19]            Pour tous ces motifs et ayant conclu que la demande de contrôle judiciaire est théorique, la Cour refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'examiner la présente demande de contrôle judiciaire vu son caractère théorique. En conséquence, la Cour rejette la présente demande.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6076-09

 

INTITULÉ :                                       LUISA ELENA LEON SANCHEZ ET AL.

                                                            c.   M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 août 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 août 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cristina Marienlli

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Émilie Tremblay

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nexus Legal Services Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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