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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100819

Dossier : IMM-4731-10

Référence : 2010 CF 830

Ottawa (Ontario), le 19 août 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

demandeur

 

et

 

 

 

WALFORD URIAH STEER

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] M. Steer a été considéré comme constituant un danger pour le public au Canada. Devrait-il être autorisé à parcourir les rues de Montréal et de Toronto alors que les autorités recueillent les documents de voyage nécessaires et prennent des dispositions pour l’expulser vers son pays d’origine, la Jamaïque? Au cours de sa dernière audience relative à la détention, un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) chargé du dossier a répondu par l’affirmative. Le ministre demande à la Cour de suspendre l’exécution de cette ordonnance.

 

  • [2] Formulée ainsi, la réponse semble évidente. Toutefois, ce n’est pas le cas. Le ministre doit me convaincre qu’il subirait un préjudice irréparable si M. Steer était mis en liberté. Puisqu’il ne m’a pas convaincu, la présente requête est donc rejetée.

 

  • [3] En examinant la situation de M. Steer, il faut garder à l’esprit les questions ci-après.

 

  • [4] De 1990 à 2006, il a reçu 72 condamnations pour des actes criminels, dont certains sont visés par la définition de grande criminalité, énoncée dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Même si certaines de ces condamnations présentaient une possibilité d’emprisonnement d’au moins 10 ans, il n’a jamais été condamné à plus de trois mois d’emprisonnement, en plus d’une période de probation. S’il avait été Canadien, il serait libre de parcourir les rues à sa guise, malgré ce que le ministre pourrait penser.

 

  • [5] M. Steer est Jamaïcain, et n’a même pas obtenu le statut de résident permanent au Canada. Ayant été condamné pour grande criminalité, l’article 36 de la LIPR fait de lui une personne interdite de territoire et visée par une mesure de renvoi.

 

  • [6] Toutefois, en 2003, malgré ses condamnations antérieures au Canada, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) lui a accordé le statut de réfugié. Il a donc obtenu le statut de personne à protéger, mais n’a pas obtenu son statut de résident permanent en raison de son interdiction de territoire.

 

  • [7] Le Canada ne renvoie pas les réfugiées vers un pays où ils risqueraient d’être persécutés. Il y a une exception à cette règle :L’article 115 de la LIPR dispose qu’un réfugié au sens de la Convention, interdit de territoire pour grande criminalité, peut être renvoyé si, de l’avis du ministre, il constitue un danger pour le public au Canada. Le 3 août 2010, le délégué du ministre est parvenu à une telle conclusion. Le rapport établit un équilibre entre le danger potentiel auquel serait exposé M. Steer s’il devait retourner en Jamaïque et le danger potentiel posé par M. Steer pour la population canadienne. L’intérêt de la population canadienne l’a emporté. M. Steer a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision. Le jour suivant, soit le 4 août 2010, au moment de sa comparution hebdomadaire qui faisait partie des conditions qui lui avaient été imposées en 2006, il a été informé de la décision, arrêté puis mis en détention.

 

  • [8] L’article 57 de la LIPR dispose qu’une telle détention doit faire l’objet d’un contrôle devant la Section de l’immigration de la CISR dans les quarante-huit heures, d’un nouveau contrôle au moins une fois dans les sept jours suivant le premier contrôle, puis au moins tous les trente jours suivant le contrôle précédent. L’agent doit ordonner la libération d’une personne ainsi détenue, à moins d’être convaincu, entre autres, que cette personne constitue un danger pour le public au Canada, ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à son renvoi du Canada.

 

  • [9] À l’audience dans les 48 heures, qui s’est déroulée le 6 août 2010, la commissaire a fait remarquer que M. Steer était en liberté depuis 2006 et qu’il avait respecté les conditions de sa mise en liberté, y compris l’obligation de se présenter aux autorités chaque semaine. Pendant tout ce temps, M. Steer savait qu’un avis du délégué du ministre avait été demandé, avis qui a été donné quatre ans plus tard. Pendant cette période de quatre ans, M. Steer n’a été reconnu coupable d’aucune infraction. Par conséquent, la commissaire était d’avis que M. Steer ne constituait pas plus un danger pour le public qu’en 2006.

 

  • [10] Cependant, comme le risque d’obtenir un avis de danger défavorable se concrétisait, il avait encore plus de raisons de vivre dans la clandestinité, et risquait donc de prendre la fuite. Selon les renseignements alors disponibles, M. Steer avait refusé de remplir un formulaire afin de permettre à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) d’obtenir des documents de voyage en vue de faciliter son renvoi. La commissaire a indiqué que ces renseignements pouvaient changer dans les prochains jours et qu’elle n’était pas fermée à l’idée de le libérer, mais qu’il serait prématuré de se prononcer dans les circonstances. Elle a tiré la conclusion suivante :

[traduction] « Donc, je souhaitais simplement réitérer, pour les besoins du tribunal, pour que mon collègue puisse en tenir compte au prochain contrôle de la détention, parce que pour le moment, je maintiens la détention pour une autre période de sept jours puisque j’estime qu’à ce moment-ci, certains renseignements n’ont pas besoin d’être clarifiés, notamment en ce qui concerne le renvoi prévu et la faisabilité du renvoi ».

 

 

  • [11] Au cours de l’audience sur le contrôle de détention de sept jours qui s’est tenue le 13 août 2010, la Commission a ordonné la mise en liberté de M. Steer, sous certaines conditions. Le ministre a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision, et c’est dans ce contexte que M. Steer demande un sursis d’exécution de l’ordonnance.

 

  • [12] Le deuxième commissaire a partagé l’opinion voulant que M. Steer ne soit pas plus dangereux maintenant qu’il l’était en 2006, et que ce danger avait été contrebalancé pendant des années par les conditions qui lui avaient été imposées. Ce qui a changé, ou ce qui s’est précisé est le fait qu’il a maintenant déclaré qu’il collaborerait en signant des documents de voyage si son avocat le lui conseillait, qu’il se conformerait à l’ordonnance de renvoi et que la date de renvoi demeure incertaine. Lors de l’audience devant moi, l’avocat a fait valoir qu’il faudrait au moins un mois, voire deux, pour que tout soit en règle. Selon le commissaire, il n’y avait aucune raison pour laquelle l’imposition de conditions strictes ferait contrepoids au risque de fuite. Il a conclu que les conditions de mise en liberté, déjà en place, seraient maintenues, ce qui comprend le fait de se présenter en personne, toutes les semaines, aux autorités et le devoir de collaborer à l’obtention de documents de voyage, à la satisfaction de l’ASFC.

 

  • [13] Le ministre maintient que M. Steer constitue un tel danger pour le public qu’il devrait demeurer détenu et qu’il risque de prendre la fuite. M. Steer a déposé une caution de 5 000 $ il y a plusieurs années. À titre subsidiaire à la détention, à tout le moins, le montant de la caution aurait dû être considérablement augmenté.

 

SURSIS INTERLOCUTOIRES

  • [14] L’ordonnance de mise en liberté de M. Steer, rendue le 13 août 2010, a pris effet immédiatement. Le juge Martineau a sursis provisoirement à la mise en liberté afin de permettre aux parties d’avoir suffisamment de temps pour présenter leurs observations Un sursis interlocutoire, comme dans le cas d’une injonction interlocutoire, ne peut être prononcé que si la partie requérante établit l’existence d’une question sérieuse à trancher, un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé, et que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.Ces trois conditions doivent être remplies. Les deux arrêts cités invariablement sont celui de la Cour d'appel dans Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), et celui de la Cour Suprême du Canada dans RJR - MacDonald c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

 

  • [15] Les parties étaient fortement en désaccord quant au volet de la question sérieuse. En principe, il existe une question sérieuse à trancher si cette question n’est ni futile ni vexatoire. Je suis certain que le ministre a satisfait à ce volet.

 

  • [16] Cependant, en vertu de l’article 58 de la LIPR, l’ordonnance qui fait l’objet du contrôle judiciaire ne s’applique que pendant 30 jours. Si M. Steer demeure détenu, il est impossible qu’une décision soit rendue relativement à la demande de contrôle judiciaire avant son prochain contrôle de détention de 30 jours. Le ministre devra donc obtenir tout ce qu’il aurait pu obtenir dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

 

  • [17] Il existe des exceptions à la norme applicable aux questions non futiles et non vexatoires, dont l’une d’entre elles est prévue lorsque le sursis interlocutoire tranchera la demande sous-jacente. Dans de tels cas, la question sérieuse se transforme en critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie, tel que l’a affirmé le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 CF 642.

 

  • [18] M. Steer me demande d’évaluer le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire du ministre. Le ministre réplique qu’à plusieurs reprises, la Cour a appliqué la norme relative aux questions non futiles et non vexatoires au sursis interlocutoire à l’exécution d’une ordonnance de mise en liberté d’une personne détenue au centre de détention de l'Immigration, et a limité le critère plus strict aux décisions des agents des renvois, et non à celles des commissaires de la Section de l’immigration.

 

  • [19] Il n’est pas nécessaire que je rende une décision sur cette question, car je ne suis pas convaincu que le ministre subira un préjudice irréparable. Il n’y a absolument rien qui permet de croire que le commissaire a commis une erreur dans son évaluation du danger pour le public au Canada. Le risque de préjudice repose sur l’hypothèse voulant que M. Steer risque de prendre la fuite et que des ressources soient déployées pour le retrouver, une recherche qui pourrait s’avérer infructueuse. La Section de l’immigration, qui possède une expertise sur ces questions, était d’avis que le risque de fuite posé par M. Steer est contrebalancé par les conditions qui lui ont été imposées, y compris se présenter toutes les semaines aux autorités et être tenu de collaborer entièrement à l’organisation de ses documents de voyage. Le ministre n’a pas fait la preuve qu’il subirait un préjudice irréparable si M. Steer était libéré. M. Steer est surveillé de près.

 

  • [20] Enfin, on pourrait dire que la prépondérance des inconvénients penche en faveur du ministre, malgré le fait que M. Steer ne pourrait pas continuer à travailler s’il était incarcéré. Le ministre préférerait avoir la certitude que les contribuables financent la détention de M. Steer, plutôt que de courir le risque de devoir dépenser encore plus d’argent pour le rechercher s’il prenait la fuite. Bien sûr, si le commissaire a vu juste, M. Steer ne prendra pas la fuite et aucuns fonds publics supplémentaires ne seront dépensés.

 


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS :

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

La requête du ministre afin d’obtenir un sursis d’exécution de l’ordonnance rendue par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en date du 13 août 2010, prononçant la mise en liberté de Walford Uriah Steer après avoir rempli certaines conditions, est rejetée.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  IMM-4731-10

 

INTITULÉ :  LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. WALFORD URIAH STEER

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 18 AOÛT 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :  LE 19 AOÛT 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michèle Joubert

 

POUR LE DEMANDEUR

William Sloan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William Sloan

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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