Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20100827

Dossier : IMM‑4719‑09

Référence : 2010 CF 852

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 août 2010

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

VAN THANH NGUYEN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Historique

 

[1]               Le demandeur, un citoyen du Vietnam, est entré au Canada en janvier 1988 à titre de résident permanent. En 1992, il a été reconnu coupable de vol à main armée et a été incarcéré pendant quatre ans, de 1992 à 1996. Il a de ce fait perdu son statut de résident permanent le 15 décembre 1993 et une ordonnance d’expulsion a pris effet contre lui. Depuis lors, il vit au Canada sans statut et a fait l’objet de quatre autres déclarations de culpabilité au criminel. Il s’est récemment marié et est maintenant le père d’un enfant né au Canada et le beau-père de deux filles.

 

[2]               Les problèmes de santé récurrents du demandeur, qui sont consécutifs à une greffe de rein en 1998, constituent un facteur important dans son dossier. En 1999, la mesure de renvoi le frappant a été suspendue en raison de ses problèmes médicaux. Le demandeur affirme être actuellement incapable de travailler et recevoir des allocations d’invalidité provinciales. Depuis sa greffe rénale, il doit prendre divers médicaments, dont la cyclosporine, un médicament immunosuppresseur sans lequel il perdrait son rein et souffrirait d’insuffisance rénale. Le coût des médicaments du demandeur est actuellement assumé par les régimes d’assurance‑médicaments provinciaux.

 

[3]               En décembre 2006, le demandeur, invoquant l’existence de considérations d’ordre humanitaire (CH), a sollicité, du Canada, la résidence permanente conformément à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Dans une décision datée du 16 septembre 2009, un agent d’immigration a rejeté la demande CH parce que la preuve était insuffisante pour démontrer que le demandeur ferait face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il demandait un visa de résidence permanente de l’extérieur du Canada. L’agent a pris en compte quatre facteurs pertinents pour parvenir à sa conclusion : l’établissement, les antécédents médicaux, l’intérêt supérieur des enfants et les antécédents criminels.

 

[4]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

II.        Questions en litige

 

[5]               La question déterminante que soulève la présente demande consiste à savoir si la décision de l’agent, du fait qu’elle a été rendue sans égard à l’intégralité de la preuve, était déraisonnable. Le demandeur soulève cette question en particulier en ce qui a trait aux conclusions suivantes de l’agent : a) il pourrait travailler au Vietnam et serait ainsi capable d’acheter les médicaments nécessaires; b) son épouse pourrait l’aider à subvenir à ses besoins au Vietnam. 

 

III.       Analyse

 

[6]               Les parties font toutes les deux valoir que la norme appropriée pour contrôler une décision CH est celle de la décision raisonnable. J’en conviens. Compte tenu du caractère discrétionnaire de la décision CH et du fait qu’elle est largement axée sur les faits, la norme de la décision raisonnable, qui appelle un degré plus élevé de retenue judiciaire, est appropriée. Selon cette norme, la Cour ne devrait pas intervenir lorsque la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). De plus, la Cour peut accorder une réparation si elle est convaincue que le tribunal a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont il disposait (Loi sur les Cours fédérales. L.R.C. 1985, ch. F‑7, alinéa 18.1(4)d)).

 

[7]               De façon succincte, l’argument principal du demandeur est que la décision de l’agent est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de l’incapacité du demandeur d’acheter des médicaments immunosuppresseurs au Vietnam. Pour sa part, le défendeur soutient que, compte tenu des renseignements dont disposait l’agent, la décision n’était pas déraisonnable. Pour analyser ces arguments, je dois évaluer les renseignements qui ont été présentés à l’agent et trancher la question de savoir si celui‑ci a tenu compte de la preuve. Malheureusement, le dossier certifié du tribunal (le DCT) ne me permet pas de répondre à cette question et il me faut donc accueillir la demande de contrôle judiciaire.

 

[8]               Le défendeur renvoie à plusieurs renseignements et éléments de preuve documentaire contenus dans le DCT qui appuieraient la conclusion selon laquelle le demandeur ne s’est simplement pas acquitté de son obligation. En effet, dans le contexte d’une demande CH, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande CH (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635, au paragraphe 5). Dans Owusu, au paragraphe 8, la Cour fédérale a écrit ceci :

[P]uisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites.

 

 

[9]               Je suis d’accord jusqu’à un certain point avec le défendeur. Il ne fait pas de doute que le demandeur aurait pu fournir de meilleurs renseignements pour étayer son affirmation selon laquelle il était incapable de travailler ou de payer le coût de ses médicaments au Vietnam. N’eût été du problème exposé ci‑après, j’aurais rejeté la demande. De nombreuses observations formulées pour le compte du demandeur relevaient de la forme et reposaient peu sur la preuve.

 

[10]           Néanmoins, le demandeur renvoie aux éléments de preuve du DCT selon lesquels une entrevue avec le demandeur était prévue pour le 30 mars 2009 (et a par la suite été remise au 10 avril 2009). Dans son affidavit, déposé dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur expose les sujets dont il a discuté avec l’agent au cours de l’entrevue qui a duré une heure. Il déclare que bon nombre des sujets abordés lors de l’entrevue concernaient la question précise de savoir si, advenant son renvoi au Vietnam, il serait en mesure de payer ses médicaments immunosuppresseurs. Le demandeur n’a pas été contre‑interrogé sur son affidavit. Les réponses données par le demandeur lors de l’entrevue semblent avoir trait à plusieurs des préoccupations soulevées par l’agent dans sa décision quant à l’insuffisance de la preuve relative à la capacité du demandeur à payer ses médicaments au Vietnam. Le problème en l’espèce est que le DCT, qui contient normalement les notes de l’entrevue de l’agent, ne les contient pas. De plus, la décision de l’agent ne mentionne pas l’entrevue. Enfin, le défendeur n’a pas obtenu d’affidavit de l’agent pour expliquer l’absence des notes. Bref, je ne suis pas convaincue que l’agent a tenu compte des éléments de preuve obtenus lors de l’entrevue. Pour cette raison, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

 

[11]           Pour terminer, je ferais remarquer que la difficulté d’accès aux soins médicaux au Vietnam n’est pas déterminante dans le cadre d’une demande CH. La maladie du demandeur n’est qu’un facteur devant être mis en balance avec tous les autres facteurs pertinents, y compris le lourd casier judiciaire du demandeur. Cependant, il importe que l’agent rende sa décision en tenant compte de toute la preuve, y compris les résultats de toute entrevue qui aurait eu lieu.

 

[12]           Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision est annulée.

 

2.                  L’affaire est renvoyée au ministre pour réexamen par un agent différent et le demandeur pourra, s’il le désire, présenter des observations additionnelles.

 

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4719‑09

 

INTITULÉ :                                                   VAN THANH NGUYEN c.
LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 24 août 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 août 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.