Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20100825

Dossier : T‑262‑10

Référence : 2010 CF 841

TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE

Ottawa (Ontario), le 25 août 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

TING TING WANG

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Ting Ting Wang, sollicite un bref de mandamus obligeant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à évaluer et à traiter sa demande de citoyenneté.

 

Le contexte

 

[2]               Mme Wang est une citoyenne de Chine qui réside au Canada depuis le mois de juin 2000, d’abord comme étudiante et ensuite, à partir du mois de septembre 2005, comme résidente permanente du Canada. Mme Wang a demandé la citoyenneté en juillet 2008 et son examen de citoyenneté a été fixé au 9 mars 2009. Dans sa demande, Mme Wang a indiqué que son adresse de résidence se trouvait à Surrey (C.‑B.) V4A 9V4. Elle a également inscrit une adresse se trouvant à Richmond (C.‑B.) comme lieu de résidence antérieur.

 

[3]               Le 7 avril 2009, une tierce partie, voulant censément appuyer la demande de Mme Wang et d’une autre demanderesse de la citoyenneté, a écrit aux autorités de la citoyenneté une lettre qui indique en partie ce qui suit :

 

[traduction]

Je ne suis pas consultante. Je suis l’amie de [une autre demanderesse] et de Ting Ting Wang […] Les dates de leurs absences sont toutes véridiques et exactes.

 

Récemment, votre agent a constaté que certaines adresses de résidence des demanderesses étaient les mêmes à Surrey, mais que leurs adresses postales étaient toutes le 7271, rue Ash, à Richmond. La raison pour laquelle les gens veulent passer l’examen à Surrey est qu’ils pensent que l’examen oral sera plus facile et que l’agent ne vérifiera pas les timbres apposés dans leur passeport.

 

[…]

 

Mme [l’autre demanderesse] a obtenu un diplôme universitaire en Chine et Mme Ting Ting Wang a obtenu un diplôme universitaire au Nouveau‑Brunswick […] Votre bureau a mélangé leurs dossiers. Veuillez vérifier auprès de votre bureau principal en Nouvelle‑Écosse. Elles ont fourni des renseignements tous véridiques sur leur résidence au Canada, et surtout [l’autre demanderesse] a déclaré avec honnêteté qu’elle n’a pas vécu au Canada suffisamment longtemps pour demander la citoyenneté.

 

 

[4]               Le 11 avril 2009, Mme Wang a répondu au questionnaire sur la résidence. Elle a indiqué les diverses adresses où elle a vécu au Canada entre les mois de juin 2000 et d’avril 2009, de même que ses absences du pays avant et après sa demande de citoyenneté. Dans une autre lettre datée du 11 décembre 2009, Mme Wang a indiqué qu’elle a déménagé à Victoria (C.‑B.).

 

[5]               Le 14 janvier 2010, l’agent de la citoyenneté a passé en revue le dossier de Mme Wang et a recommandé de le renvoyer pour enquête à la GRC en vertu de l’article 29 de la Loi sur la citoyenneté, car il lui semblait que Mme Wang avait fait une fausse déclaration au sujet de son adresse de résidence.

 

[6]               Le 5 février 2010, le représentant de Mme Wang a demandé qu’on l’informe du statut de la demande de citoyenneté de Mme Wang et que le traitement de son dossier soit accéléré. L’agent de la citoyenneté a répondu à cette demande le 22 février 2010 :

 

[traduction] La présente concerne la demande de citoyenneté de Mme Wang. À ce stade, nous examinons encore son dossier, relativement à sa résidence. Malheureusement, à ce stade‑ci, je ne puis dire avec précision à quel moment notre examen sera terminé. Cependant, une fois que nous aurons fini, son dossier sera renvoyé au bureau local pour la conclusion du traitement de sa demande.

 

[7]               Le 12 mai 2010, vingt mois après avoir demandé la citoyenneté, Mme Wang a demandé un bref de mandamus obligeant le ministre à procéder au traitement de sa demande de citoyenneté.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]               L’agent de la citoyenneté qui a examiné la demande de citoyenneté de la demanderesse le 14 janvier 2010 a qualifié comme suit le problème concernant une autre demanderesse et Mme Wang :

 

[traduction] Adresse à Surrey suspecte. Je crois que [l’autre demanderesse] et Mme Wang n’ont pas vécu à l’adresse indiquée dans leur demande de citoyenneté.

 

[9]               L’agent a fait référence à la lettre de la tierce partie :

 

[traduction] Il semble d’après les renseignements au dossier que [l’autre demanderesse] et Mme Wang n’ont pas vécu aux adresses indiquées dans leur demande de citoyenneté. Les absences indiquées dans leur demande ne reflètent peut‑être pas la totalité de leurs absences.

 

[10]           L’agent a recommandé ce qui suit :

 

[traduction] Dossier envoyé à la GRC en vue d’une enquête possible en vertu de l’article 29. Mme Wang [et l’autre demanderesse] semblent avoir fait une fausse déclaration au sujet de leur adresse de résidence.

 

La législation applicable

 

[11]           La Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. 29, dans sa forme modifiée, indique ce qui suit :

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois  :

a) en fait la demande;

[…]

 

cest un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante  :

(i) un demi‑jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

[…]

 

14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité — avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements — des demandes déposées en vue de :

 

a) l’attribution de la citoyenneté, au titre des paragraphes 5(1) ou (5);

 

[…]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

17. S’il estime ne pas avoir tous les renseignements nécessaires pour lui permettre d’établir si le demandeur remplit les conditions prévues par la présente loi et ses règlements, le ministre peut suspendre la procédure d’examen de la demande pendant la période nécessaire — qui ne peut dépasser six mois suivant la date de la suspension — pour obtenir les renseignements qui manquent.

 

 

 

 

[…]

 

29(2) Commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de mille dollars et un emprisonnement maximal d’un an, ou l’une de ces peines, quiconque  :

 

a) dans le cadre de la présente loi, fait une fausse déclaration, commet une fraude ou dissimule intentionnellement des faits essentiels;

5(1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

(a) makes application for citizenship;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner;

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one‑half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

14(1) An application for

 

 

 

 

 

 

 

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1) or (5),

 

 

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

 

17. Where a person has made an application under this Act and the Minister is of the opinion that there is insufficient information to ascertain whether that person meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application, the Minister may suspend the processing of the application for the period, not to exceed six months immediately following the day on which the processing is suspended, required by the Minister to obtain the necessary information.

 

29(2) A person who

 

 

 

 

 

 

(a)        for any of the purposes of this Act makes any false representation, commits fraud or knowingly conceals any material circumstances,

 

is guilty of an offence and liable on summary conviction to a fine not exceeding one thousand dollars or to imprisonment for a term not exceeding one year or to both.

 

            [Non souligné dans l’original.]

[12]           Le Règlement sur la citoyenneté, DORS/93‑246, dans sa forme modifiée, prévoit ce qui suit :

11. (1) Sur réception d’une demande visée aux paragraphes 3(1), 3.1(1), 7(1) ou 8(1), le greffier fait entreprendre les enquêtes nécessaires pour déterminer si la personne faisant l’objet de la demande remplit les exigences applicables de la Loi et du présent règlement.

 

[…]

 

(5) Une fois que les enquêtes entreprises en vertu du paragraphe (1) sont terminées, le greffier  :

a) dans le cas d’une demande et des documents déposés conformément au paragraphe 3(1), demande à l’agent de la citoyenneté à qui ils ont été transmis d’en saisir le juge de la citoyenneté;

 

[…]

 

(7) Lorsque le juge de la citoyenneté saisi de la demande conformément au paragraphe (5) estime qu’il lui est impossible d’approuver celle‑ci sans de plus amples renseignements, il demande au ministre d’envoyer un avis écrit au demandeur à sa dernière adresse connue, par courrier, l’informant qu’il a la possibilité de comparaître devant ce juge aux date, heure et lieu qui y sont précisés.

11(1) On receipt of an application made in accordance with subsection 3(1), 3.1(1), 7(1) or 8(1), the Registrar shall cause to be commenced the inquiries necessary to determine whether the person in respect of whom the application is made meets the requirements of the Act and these Regulations with respect to the application.

 

11(5) After completion of the inquiries commenced under subsection (1), the Registrar shall

(a) in the case of an application and materials filed in accordance with subsection 3(1), request the citizenship officer to whom the application and materials have been forwarded to refer the application and materials to a citizenship judge for consideration; and

 

11(7) If it appears to a citizenship judge that the approval of an application referred to the citizenship judge under subsection (5) may not be possible on the basis of the information available, that citizenship judge shall ask the Minister to send a notice in writing by mail to the applicant, at the applicant’s latest known address, giving the applicant an opportunity to appear in person before that citizenship judge at the date, time and place specified in the notice.

 

 

            [Non souligné dans l’original.]

Analyse

 

[13]           Dans la décision Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1040, la juge Dawson écrit :

[4]   Les critères suivants doivent être remplis pour que la Cour accorde un bref de mandamus :

a) il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances de la cause;

b) l’obligation doit exister envers le demandeur;

c) il doit exister un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation et, en particulier, le demandeur doit avoir rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

d) le demandeur n’a aucun autre recours;

e) l’ordonnance sollicitée doit avoir une incidence sur le plan pratique;

f) dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit être d’avis que, en vertu de l’équité, rien n’empêche le demandeur d’obtenir le redressement demandé;

g) compte tenu de la prépondérance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

 

[14]           La demanderesse a déposé sa demande le 11 avril 2008. Son examen de citoyenneté a eu lieu 19 mars 2010. Selon ce que la demanderesse comprend, elle a satisfait à toutes les exigences relatives au traitement de sa demande de citoyenneté. Sa demande est complète à première vue. Elle n’a pas été mise au courant de l’enquête menée sur sa résidence canadienne et n’a aucune idée du temps que pourrait durer le traitement de sa demande.

 

[15]           La demanderesse soutient que l’agent de la citoyenneté a renvoyé sa demande de citoyenneté à la GRC sans motif valable et que, en agissant ainsi, il en a retardé le traitement. Elle dit que le ministre a manqué à l’obligation de lui attribuer la citoyenneté sans délai. Elle renvoie à la décision Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (Conille), dans laquelle la juge Tremblay‑Lamer a déclaré que, lorsqu’un juge de la citoyenneté conclut que la demande satisfait aux exigences relatives à l’attribution de la citoyenneté, le ministre a l’obligation publique d’accéder à la demande. Cependant, en l’espèce, la documentation de la demanderesse n’a pas encore été soumise à un juge de la citoyenneté et, de ce fait, l’obligation d’attribuer la citoyenneté dont il est question dans la décision Conille ne se présente pas dans cette circonstance particulière.

 

[16]           Selon la demanderesse, l’agent de la citoyenneté n’a aucune raison de transmettre la demande à la GRC pour enquête. Cet agent, ajoute‑t‑elle, a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur la lettre d’une tierce partie comme motif pour soupçonner qu’elle n’a peut‑être pas résidé à Surrey comme elle l’a déclaré. Elle soutient que les endroits où elle a résidé au Canada ne sont pas pertinents à l’égard de sa demande de citoyenneté.

 

[17]           Je me dois de faire remarquer que le doute de l’agent de la citoyenneté a trait à la question de savoir si la demanderesse a accumulé la période de résidence requise au Canada, plutôt qu’au fait d’avoir résidé à des endroits différents au Canada. C’est ce qui ressort de la note suivante : [traduction] « Les absences indiquées dans leur demande ne reflètent peut‑être pas la totalité de leurs absences ». Les observations de la demanderesse sur son lieu de résidence au Canada ne répondent pas à la question de fond que l’agent a relevée pour enquête.

 

[18]           Le paragraphe 11(1) du Règlement prévoit que le greffier fait entreprendre les enquêtes nécessaires pour déterminer si la personne faisant l’objet de la demande remplit les exigences de la Loi, et il me semble que cela vise la demande que fait un agent de la citoyenneté pour que la GRC fasse enquête sur une question de résidence au Canada.

 

[19]           La demanderesse est également d’avis que si le ministre souhaite mener une enquête, il ne peut suspendre le traitement de la demande que pendant une période de six mois, selon l’article 17 de la Loi, mais pas plus. Elle ajoute que les processus législatifs de cette nature sont transparents et régis par les limites prescrites par la loi, contrairement au processus auquel elle a été soumise. Le défendeur rétorque que le ministre n’a pas [traduction] « suspendu » le processus.

 

[20]           Le libellé de la disposition ne précise pas à quel stade du traitement de la demande de la citoyenneté s’applique l’article 17, que ce soit avant ou après qu’un juge de la citoyenneté l’examine.

 

[21]           Dans la décision Platonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 569, le demandeur a présenté une demande de bref de mandamus parce que sa demande de citoyenneté, bien que complète, était encore entre les mains du greffier et n’avait pas encore été soumise au juge de la citoyenneté, et ce, même si trois ans s’étaient écoulés, à cause d’une enquête de sécurité en cours. Le juge Harrington a reconnu que le ministre était généralement tenu d’agir avec une diligence raisonnable, mais il a conclu que l’article 17 n’est pas une limite temporelle impérative :

 

[31]      Peu importe que le cadre de la Loi et du Règlement soit déficient dans la mesure où aucun délai nest prévu pour la conclusion dune enquête de sécurité (Conille, précité), ou que le ministre demande une enquête en vertu de larticle 19 […] je ne peux accepter que le résultat de larticle 17 de la Loi soit la seule possibilité pour le ministre de suspendre lexamen de la demande pendant six mois. Comme le ministre le souligne lui‑même, larticle 17 entre en jeu une fois quun juge de la citoyenneté est saisi de la demande. Une confusion entourant par exemple la période de séjour au Canada pourrait justifier une suspension unilatérale. Le ministre a le devoir denquêter sur les demandeurs. Une enquête en matière de sécurité nécessitant forcément la collaboration de gouvernements étrangers peut fort bien durer plus de six mois. Il serait intolérable que des personnes puissent profiter des bienfaits de la citoyenneté canadienne simplement grâce à lexpiration du délai de leur enquête de sécurité.

 

            [Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Il ressort des propos du juge Harrington que l’article 17 entre en jeu après qu’un juge de la citoyenneté a rendu une décision et que le ministre est obligé d’attribuer la citoyenneté. En l’espèce, la demande de citoyenneté de la demanderesse n’a pas encore été soumise à un juge de la citoyenneté. Néanmoins, le délai de six mois prévu à l’article 17 doit avoir un but quelconque. Il me semble que si l’objet général d’une suspension visée à l’article 17 est d’offrir au ministre la latitude voulue pour mener une enquête s’il est insatisfait des renseignements fournis, cela impose également une limite. À mon avis, une fois le délai de six mois dépassé, il incomberait au ministre d’expliquer pourquoi l’on tarde à traiter la demande de citoyenneté. Cette explication permettrait aux demandeurs d’aider leur cause en fournissant des renseignements additionnels, en collaborant à l’enquête ou en engageant une procédure de recours. Plus important encore, cette exigence rendrait transparent le processus de demande de la citoyenneté.

 

[23]           Quoi qu’il en soit, l’article 17 n’est d’aucune utilité pour la demanderesse, car l’enquête est encore entre les mains du greffier.

 

[24]           Dans Conille, la juge Tremblay‑Lamer a exposé le problème que pose un délai excessivement long :

[18]      Bien sûr certains types d’enquêtes peuvent retarder le traitement des demandes de citoyenneté.

 

[19]      Toutefois, peuvent‑elles justifier qu’une demande soit indéfiniment en suspens? À mon avis, lorsqu’un demandeur rencontre prima facie les conditions préalables énumérées au paragraphe 5(1) de la Loi et qu’il y a une demande d’exécution, il y a un devoir d’agir de la part des autorités impliquées […]

 

[20]      Il est trop facile d’alléguer comme le fait le défendeur qu’il n’y a pas d’obligation légale d’agir pour le greffier tant que les enquêtes ne sont pas terminées. À ce compte‑là, une enquête pourrait se poursuivre indéfiniment et le greffier n’aurait jamais le devoir d’agir. La difficulté repose essentiellement sur le fait qu’il n’y a aucun délai de prévu au règlement pour la conclusion de ces enquêtes. En fait, cette problématique s’inscrit dans un cadre législatif déficient. D’une part, les pouvoirs du greffier de commander une enquête en vue de s’assurer que les conditions de la Loi sont remplies ne comportent aucun paramètre, temporel ou pragmatique, outre l’obligation d’attendre la fin des enquêtes prévue à l’article 11 du Règlement, et d’autre part, les pouvoirs des enquêteurs, SCRS en l’espèce, ne sont circonscrits par aucune limite de temps. Sur cette base, le délai de traitement des demandes peut se prolonger bien au‑delà du temps nécessaire pour la tenue des enquêtes. À quel moment peut‑on considérer que le délai est déraisonnable?

 

 

[25]           Je ne vois pas pourquoi le greffier ne devrait pas être soumis à une obligation de transparence semblable à celle qui, je crois, est imposée au ministre par l’article 17 dans les cas où le greffier a ouvert une enquête qui retarde l’envoi d’une demande de citoyenneté à un juge de la citoyenneté au‑delà du délai de traitement habituel. Aucun délai n’est fixé pour le traitement, mais un temps indéterminé pour traiter une demande de citoyenneté serait manifestement excessif.

 

[26]           La limite prescrite à l’article 17 est une indication utile pour répondre à la question du délai additionnel qui résulte des enquêtes que fait mener le greffier. Rien n’empêche l’agent de la citoyenneté de demander que la GRC mène enquête en vue d’obtenir plus de renseignements, mais il est important que le délai qui en résulte ne soit pas exagérément long. Une explication ou une justification du délai amoindrirait toute incertitude et fournirait peut‑être aux demandeurs des informations qui les aideraient à poursuivre leur demande. Dans le cas présent, aucune explication acceptable n’a été donnée à la demanderesse à propos du délai.

 

[27]           Pour qu’un délai soit considéré comme déraisonnable, il faut d’abord qu’il satisfasse à trois exigences, énoncées au paragraphe 23 de la décision Conille :

 

1.      le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige;

2.      le demandeur n’en est pas responsable;

3.      l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

[28]           Il me faut d’abord décider si le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige. Selon le résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui accompagnait les modifications apportées au Règlement sur la citoyenneté et entrant en vigueur le 17 avril 2009, le délai de traitement moyen pour prouver le bien‑fondé d’une demande de citoyenneté est actuellement de dix mois. Dans le cas de la demanderesse, le traitement dure depuis seize mois, soit nettement plus que la moyenne de dix mois. L’agent de la citoyenneté a renvoyé l’affaire à la GRC pour enquête le 14 janvier 2010. Le délai additionnel qu’entraîne l’enquête menée sur l’authenticité de la période de résidence déclarée de la demanderesse est maintenant de sept mois.

 

[29]           Il y a lieu aussi d’examiner la longueur du délai, car il ne conviendrait pas d’accorder un bref de mandamus pour un délai qui n’est pas excessivement plus long que ce que la nature du processus exige. Le délai est‑il maintenant long au point d’être déraisonnable? Par souci de comparaison, les délais courus dans des affaires comparables sont les suivants :

 

·                    quinze mois dans l’affaire Voropaev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 994, une demande de résidence permanente;

·                    trois ans pour traiter une demande de citoyenneté, dans l’affaire Conille, à cause d’une enquête du SCRS;

·                    cinq ans dans l’affaire Victoria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 857, une autre demande de citoyenneté.

 

 

[30]           Chaque affaire dépend des faits qui lui sont propres. Dans Voropaev, le délai additionnel de quinze mois n’était pas long au point de justifier la délivrance d’un bref de mandamus, contrairement au délai de trois ans dont il était question dans Conille. Néanmoins, compte tenu de ces éléments de comparaison, tous nettement plus longs, je ne puis conclure qu’un délai de sept mois pour traiter la demande de la demanderesse soit déraisonnable au point de justifier que la Cour intervienne par voie de mandamus.

 

[31]           Comme la situation dont il est question en l’espèce ne satisfait pas à la première exigence, il n’est nul besoin de traiter des deux autres. Je signale toutefois que la Cour a été informée qu’une enquête de la GRC s’étend habituellement sur six mois à compter de la date de la demande. Ce délai est maintenant dépassé et l’on s’attendrait à ce que le traitement de la demande de citoyenneté de la demanderesse reprenne. Il est utile de rappeler ici les propos de la juge Tremblay‑Lamer, dans la décision Conille :

[25]      Lorsqu’une enquête languit comme c’est le cas en l’espèce au-delà du délai normal pour ce type d’enquête, le greffier doit, à mon avis, aviser l’enquêteur qu’il considérera l’enquête close à moins qu’il ne soit informé, dans les meilleurs délais que le greffier jugera appropriés, qu’il existe des motifs sérieux en justifiant la poursuite.

 

[32]           Comme l’obtention de la citoyenneté est une étape importante pour la demanderesse, je ferais remarquer que, sans motifs sérieux pour justifier la poursuite de l’enquête, le compteur du délai déraisonnable a commencé à tourner.

 

Conclusion

[33]           La demande de délivrance d’un bref de mandamus est rejetée, sans préjudice du droit pour la demanderesse d’en présenter une autre plus tard.

 

[34]           Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de délivrance d’un bref de mandamus est rejetée, sans préjudice du droit pour la demanderesse d’en présenter une autre plus tard.

2.                  Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑262‑10

 

 

INTITULÉ :                                                   TING TING WANG et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 3 août 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 25 août 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lawrence Wong

 

POUR LA DEMANDERESSE

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lawrence Wong & Associates

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.