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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100824

 

Dossier : IMM-5339-09

 

Référence : 2010 CF 838

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 24 août 2010

 

En présence de monsieur le juge Crampton

 

ENTRE :

 

Qun Huan PAN

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Qun Huan Pan, est une citoyenne et résidente de la Chine. En juillet 2005, elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada en vertu des dispositions applicables à la catégorie des investisseurs.

 

[2]               En août 2009, sa demande a été rejetée. Madame Pan demande à la Cour d’annuler cette décision et de renvoyer l’affaire à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision au motif que l’agent des visas qui a rendu la décision a commis une erreur pour les motifs suivants :

 

(i)        sa décision n’était pas conforme aux principes d’équité procédurale;

 

(ii)       sa décision était fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées d’une manière abusive ou arbitraire et sans tenir compte des documents dont il disposait.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I. Le contexte

 

[4]               Selon les renseignements fournis par Mme Pan, elle a travaillé à partir de 1984 dans l’industrie des pièces d’automobile. De juillet 1993 à décembre 2001, elle occupait un poste de cadre supérieur dans une entreprise d’accessoires de véhicule. En 2002, elle a créé sa propre entreprise.

 

[5]               Au soutien de sa demande, elle a produit une quantité appréciable de documents pour établir, entre autres, qu’elle avait un avoir net d’au moins 800 000 $, obtenu licitement, et qu’elle avait de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise, comme le requiert le paragraphe 88(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[6]               En juin 2007, un premier examinateur a trouvé « quelques divergences » dans les renseignements fournis par Mme Pan et a recommandé qu’on la convoque à une entrevue. Les divergences étaient notamment les suivantes :

 

(i)        elle n’avait apparemment investi que 60 000 $ dans sa nouvelle entreprise, alors qu’elle prétendait avoir gagné beaucoup d’argent avant de lancer cette entreprise;

 

(ii)           l’information financière vérifiée qu’elle avait produite semblait être intéressée (au sens où les entreprises à propriétaire unique n’étaient pas tenues de dresser des états financiers vérifiés) et donnait l’impression qu’elle avait été établie par quelqu’un qui travaillait pour des consultants en immigration et dont la tâche consistait à produire pour d’autres auteurs d’une demande d’immigration des rapports financiers consolidés antidatés; et

 

(iii)     le capital de sa société semblait trop faible pour une entreprise censée avoir le chiffre d’affaires annuel indiqué.

 

[7]               En juin 2009, une lettre lui a été envoyée, lui demandant de produire des renseignements actualisés et de se présenter à une entrevue. On lui demandait notamment une déclaration actualisée d’avoir net personnel, ainsi que les pièces justificatives, et une déclaration actualisée indiquant en détail le mode d’accumulation de cet avoir.

 

[8]               Durant l’entrevue de Mme Pan au consulat général du Canada à Hong Kong en août 2009, l’agent des visas Tyler Arrell (l’agent des visas) a fait porter ses questions sur (i) les activités de son entreprise, en particulier les produits vendus par cette entreprise; et (ii) la manière dont elle avait pu générer des ventes de 2,4 millions de yuans en 2002, étant donné qu’elle avait déclaré un investissement de seulement 60 000 yuans dans cette entreprise. Après maintes questions sur ce dernier aspect, Mme Pan a révélé qu’elle avait mis une somme additionnelle [traduction] « d’environ 200 000 yuans » dans l’entreprise.

 

[9]               Vers la fin de cette entrevue, l’agent des visas a fait savoir à Mme Pan qu’elle n’avait peut-être pas l’expérience requise de l’exploitation d’une entreprise ni l’avoir net minimal, obtenu licitement, pour pouvoir devenir une résidente permanente dans la catégorie des investisseurs. S’agissant de l’expérience de l’exploitation d’une entreprise, il a remarqué qu’elle ne pouvait pas décrire les détails de son entreprise. S’agissant de son avoir net, il a remarqué que l’information qu’elle avait fournie n’expliquait pas comment elle avait pu atteindre le chiffre d’affaires qu’elle avait indiqué.

 

[10]           Madame Pan a répondu en disant simplement que (i) la somme de 60 000 yuan est le minimum requis pour établir une société, (ii) elle ne savait pas qu’elle devait inclure dans ses états financiers sa contribution à la société des 200 000 yuan de ses épargnes personnelles, et (iii) les ventes de 2,4 millions de yuan réalisées en 2002 s’expliquaient notamment par le fait que plusieurs clients loyaux qu’elle avait dans son emploi antérieur l’avaient suivie.

 

II. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

 

[11]           Par une brève lettre datée du 19 août 2009, l’agent des visas informait Mme Pan que sa demande n’avait pas été approuvée.

 

[12]           Après un survol de des dispositions du paragraphe 12(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et des paragraphes 88(1), 90(1) et 90(2) du Règlement, la lettre indiquait que Mme Pan n’avait pas convaincu l’agent des visas qu’elle avait un avoir net, obtenu licitement, d’au moins 800 000 $. La lettre exposait ensuite les réserves suivantes auxquelles avait donné lieu l’information produite par Mme Pan dans ses documents et au cours de l’entrevue :

 

- L’investissement initial de 60 000 yuans dans votre entreprise ne semble pas suffisant pour qu’elle ait pu atteindre le chiffre d’affaires déclaré de 2,4 millions de yuans dans sa première année d’exploitation.

 

- Votre affirmation selon laquelle vous avez investi une somme additionnelle de 200 000 yuans dans l’entreprise contredit l’information produite, elle n’est pas étayée et elle fait douter de l’exactitude des documents que vous avez produits.

 

- Vous n’avez pas pu décrire clairement les activités de votre entreprise ni donner de détails précis sur les produits vendus, ce qui fait douter de votre rôle dans l’entreprise, et douter si les fonds déclarés ont réellement été gagnés par vous dans l’entreprise.

 

[13]           L’agent des visas ajoutait ensuite dans sa lettre : [traduction] « Vous avez été informée de ces réserves au cours de l’entrevue, et votre affirmation selon laquelle les clients que vous aviez dans votre emploi antérieur se sont mis à faire des affaires avec votre entreprise ne les a pas dissipées. »

 

[14]           Compte tenu de ce qui précède, l’agent des visas a indiqué que Mme Pan ne l’avait pas convaincu que son avoir net personnel avait été obtenu licitement et qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 90(2) du Règlement.

 

 

III. Les dispositions applicables

 

[15]           La résidence permanente est accordée à un étranger de la catégorie « immigration économique » à la condition énoncée au paragraphe 12(2) de la LIPR :

Immigration économique

 

12.(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

Economic immigration

 

12.(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

[16]           Les conditions précises que doit remplir un candidat à la résidence permanente au titre de la catégorie des investisseurs sont énumérées aux paragraphes 88(1), 90(1) et 90(2) du Règlement :

Définitions

 

88. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

 

[…]

 

 

« investisseur » Étranger qui, à la fois : 

 

a) a de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise;

 

b) a un avoir net d’au moins 800 000 $ qu’il a obtenu licitement;

 

c) a indiqué par écrit à l’agent qu’il a l’intention de faire ou a fait un placement.

 

[…]

 

Qualité

 

90. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des investisseurs est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des investisseurs au sens du paragraphe 88(1).

 

Exigences minimales

 

(2) Si le demandeur au titre de la catégorie des investisseurs n’est pas un investisseur au sens du paragraphe 88(1), l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette.

Definitions

 

88. (1) The definitions in this subsection apply in this Division.

 

 

 

“investor” means a foreign national who 

 

(a) has business experience;

 

 

(b) has a legally obtained net worth of at least $800,000; and

 

(c) indicates in writing to an officer that they intend to make or have made an investment.

 

 

Members of the class

 

90. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the investor class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who are investors within the meaning of subsection 88(1).

 

Minimal requirements

 

(2) If a foreign national who makes an application as a member of the investor class is not an investor within the meaning of subsection 88(1), the application shall be refused and no further assessment is required.

 

 

IV. La norme de contrôle

[17]           La question que Mme Pan a soulevée relativement à l’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 55 et 79; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

 

[18]           La question de savoir si l’agent des visas a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des documents dont il disposait, doit être examinée d’après la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47 et 53).

 

[19]           Voici comment le juge Ian Binnie a expliqué la raisonnabilité au paragraphe 59 de l’arrêt Khosa, précité :

 

[…] Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence.  Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle-ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47).  Il peut exister plus d’une issue raisonnable.  Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

V. L’analyse

A.    La décision de l’agent des visas était-elle conforme aux principes d’équité procédurale?

 

[20]           Selon Mme Pan, l’agent des visas a rendu une décision qui n’est pas conforme au niveau minimal d’équité procédurale auquel elle avait droit en l’espèce, pour les raisons suivantes : (i) il ne l’a pas informée de ses réserves concernant les documents qu’elle avait produits et ne lui a pas donné l’occasion de produire d’autres documents; et (ii) il ne lui a pas donné l’occasion de réagir à la preuve extrinsèque.

 

[21]           S’agissant du premier de ces points, Mme Pan s’est référée au guide Traitement des demandes à l’étranger, de Citoyenneté et Immigration Canada, où l’on peut lire, au paragraphe 5.15 du chapitre 9 (OP 9) : « L[’agent] doi[t] donner au demandeur une chance raisonnable d’éliminer ses réserves ou de clarifier la situation. » Elle a ensuite souligné que le paragraphe 11.2 du chapitre OP 9 dispose : « S’il y a quelque doute que ce soit sur les renseignements financiers fournis, l’agent doit […] d’abord demander des documents supplémentaires. » Selon Mme Pan, ces lignes directrices rendent compte du niveau minimal de l’obligation d’équité auquel elle avait droit, et cette obligation exige que l’agent des visas (i) donne aux demandeurs l’occasion d’éliminer les réserves qu’il peut avoir à propos de la demande, et (ii) explique en quoi consistent les incohérences relevées dans la preuve.

 

[22]           Au soutien de sa prétention selon laquelle elle n’a pas bénéficié du niveau minimal d’équité procédurale, Mme Pan s’est référée aux notes du STIDI (Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration) consignées par le premier examinateur qui avait examiné sa demande en juin 2007. Comme je le précisais plus haut au paragraphe 6(ii), ces notes indiquaient notamment que l’information financière vérifiée qu’elle avait produite semblait intéressée et donnait l’impression qu’elle avait été établie par quelqu’un qui travaillait pour des consultants en immigration et dont la tâche consistait à produire pour d’autres auteurs de demande d’immigration des rapports financiers consolidés antidatés.

 

[23]           Madame Pan se fonde sur ces notes du STIDI pour soutenir que l’agent des visas n’a pas jugé que les états financiers vérifiés constituaient une preuve digne de foi du bilan financier de son entreprise, et qu’il ne l’a pas informée de ses réserves ni ne lui a demandé de produire d’autres documents se rapportant à ses états financiers. Elle affirme que la lettre qui lui a été envoyée en juin 2009 n’indiquait pas que les documents qu’elle avait produits auparavant avaient été jugés insuffisants, et que cette lettre ne comportait aucune demande de produire d’autres documents se rapportant aux états financiers de son entreprise. Elle compare le contenu de cette lettre avec les notes du STIDI consignées par l’agent des visas immédiatement après l’entrevue, notes où l’on peut lire ce qui suit : [traduction] « L’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle a investi une somme additionnelle de 200 000 yuans dans l’entreprise contredit l’information produite, elle n’est pas étayée et elle fait douter de l’exactitude des documents produits. »

 

[24]           Laissant de côté la question de savoir si les lignes directrices exposées dans le chapitre OP 9 reflètent fidèlement le niveau minimal d’équité procédurale que la loi peut accorder aux demandeurs de visas (Parmar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 139 F.T.R. 203 (C.F. 1re  inst.), aux paragraphes 12 et 13), je ne puis retenir les prétentions de Mme Pan concernant les mesures prises par l’agent des visas à l’égard des réserves qu’il avait eues à propos des documents fournis. À mon avis, l’agent des visas a fait le nécessaire pour respecter le niveau minimal d’équité procédurale à cet égard.

 

[25]           Le niveau applicable d’équité procédurale dans un cas donné peut varier (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 21; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 113).

 

[26]           S’agissant des demandeurs de visas, le niveau minimal d’équité procédurale auquel ils ont droit se situe à l’extrémité inférieure du registre (Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297, au paragraphe 41 (C.A.); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 C.F. 413, aux paragraphes 30 à 32; Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55, 23 Imm. L.R. (3d) 161, au paragraphe 10).

 

[27]           En général, c’est au demandeur de visa qu’il incombe de faire accepter sa demande en produisant tous les justificatifs requis, ainsi qu’une preuve suffisante et digne de foi au soutien de sa demande. Ce fardeau n’est pas transféré à l’agent des visas, et le demandeur de visa n’a pas droit à une entrevue personnelle si sa demande est ambiguë ou si elle n’est pas accompagnée des justificatifs requis (Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 733, au paragraphe 20).

 

[28]           L’agent des visas n’a pas non plus l’obligation légale de tenter d’éclaircir une demande déficiente (Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8; Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 994, au paragraphe 13; Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 574, au paragraphe 4), ni l’obligation d’aider un demandeur à établir le bien-fondé de sa demande (Mazumder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 444, au paragraphe 14), ni l’obligation de faire connaître au demandeur ses doutes se rapportant aux conditions énoncées dans la loi (Ayyalasomayajula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 248, au paragraphe 18), ni encore l’obligation de dire au demandeur ce qu’est le résultat de sa demande à chaque étape du processus (Covrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 1413, au paragraphe 21). Imposer de telles contraintes à l’agent des visas reviendrait à lui demander de donner avis préalable d’une décision défavorable, obligation qui a été explicitement écartée (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 940 (QL); Sharma, précité).

 

[29]           Dans la présente affaire, l’agent des visas s’est largement conformé à l’obligation d’équité qu’il avait envers Mme Pan de la manière suivante :

 

i.           il a donné à Mme Pan l’occasion de produire les documents qui selon elle pouvaient l’aider à satisfaire aux conditions énumérées au paragraphe 88(1) du Règlement;

 

ii.          il l’a informée en juin 2009 qu’elle n’avait toujours pas rempli ces conditions, et lui a demandé de produire notamment des renseignements à jour, ainsi que des documents justificatifs, d’établir son avoir net personnel et de donner plus de détails sur la manière dont elle l’avait acquis;

 

iii.        il l’a convoquée à une entrevue, au cours de laquelle il lui a demandé d’en dire davantage sur les produits vendus par son entreprise, et d’expliquer comment elle avait pu atteindre un chiffre d’affaires aussi [traduction] « extraordinaire » en 2002, étant donné son investissement initial déclaré qui atteignait seulement 60 000 yuans;

 

iv.        il l’a informée, vers la fin de l’entrevue, qu’il avait toujours des réserves puisque la preuve ne lui permettait pas d’établir qu’elle avait de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise, ni l’avoir net minimal, obtenu licitement, pour devenir une résidente permanente au titre de la catégorie des investisseurs;

 

v.         il lui a expliqué pourquoi il continuait d’avoir des réserves;

 

vi.        il lui a donné une dernière occasion de dissiper ces réserves;

 

vii.      il lui a plus tard communiqué les motifs détaillés expliquant pourquoi sa demande était refusée.

 

[30]           La lettre envoyée à Mme Pan en juin 2009 l’informait expressément que les renseignements produits au soutien de sa demande n’avaient pas convaincu l’agent qu’elle satisfaisait aux exigences de la LIPR. Cette lettre lui demandait expressément de produire d’autres renseignements de nature financière [traduction] « ainsi que les pièces justificatives prouvant [son] avoir net » et [traduction] « donnant le détail de l’accumulation de [son] avoir ». Contrairement à ce qu’elle affirme, dès le moment où Mme Pan a reçu cette lettre, elle savait parfaitement que (i) les renseignements qu’elle avait fournis auparavant avait été jugés insuffisants, et (ii) d’autres documents se rapportant aux états financiers de son entreprise étaient requis.

 

[31]           Par ailleurs, au cours de l’entrevue d’août 2009, l’agent des visas lui a explicitement fait part, à deux reprises, de ses doutes concernant les documents financiers qu’elle avait produits; et, dans les deux cas, il lui a donné une nouvelle occasion d’éclaircir les contradictions apparentes qu’il avait décelées. Malheureusement, les réponses contradictoires données par Mme Pan n’ont pas éclairci ces doutes et pourraient même les avoir renforcés. Contrairement à ce qu’affirme Mme Pan, les questions qui lui ont été posées par l’agent des visas durant l’entrevue faisaient clairement apparaître l’inexactitude des renseignements de nature financière qu’elle avait déjà produits. En définitive, Mme Pan n’a pas tiré parti des occasions qui lui étaient ainsi offertes de dissiper les doutes de l’agent des visas.

 

[32]           Lorsque l’agent des visas lui a demandé pour la première fois comment son entreprise avait pu réaliser un chiffre d’affaires de 2,4 millions de yuans durant sa première année d’exploitation, avec un investissement initial de seulement 60 000 yuans, elle a répondu : [traduction] « L’entreprise a connu une forte croissance au fil des ans. » Priée d’en dire davantage sur ce point, elle a déclaré que des clients loyaux qu’elle avait eus dans son emploi antérieur l’avaient suivie lorsqu’elle avait constitué sa nouvelle entreprise. Interrogée une fois de plus, elle a expliqué que, si les états financiers vérifiés de son entreprise indiquaient un investissement initial de seulement 60 000 yuans, c’était parce qu’il s’agissait du capital minimum requis pour le lancement de son entreprise. Ce n’est que lorsqu’on lui a demandé encore une fois d’autres détails qu’elle a finalement révélé qu’elle avait mis 200 000 yuans de ses épargnes personnelles dans l’entreprise. À cette occasion non plus, elle n’a pas été en mesure d’étayer son affirmation, malgré que l’agent des visas lui eut explicitement fait observer, vers la fin de l’entrevue, qu’à son avis, (i) les documents qu’elle avait produits n’établissaient pas que sa société pouvait atteindre le niveau de chiffre d’affaires qu’elle avait mentionné, et (ii) elle n’avait pas prouvé qu’elle avait injecté des fonds additionnels dans l’entreprise.

 

[33]           Pour ce qui est de son argument portant que l’agent des visas ne lui a pas donné l’occasion de s’exprimer sur la preuve extrinsèque, Mme Pan soutient que l’agent des visas s’est fondé sur la preuve extrinsèque qui figurait dans les notes du STIDI consignées en juin 2007 par le premier examinateur. Plus précisément, elle affirme que l’agent des visas s’est fondé sur la preuve selon laquelle ses états financiers avaient été [traduction] « établis par Liu Xi, qui s’est associé avec les mêmes représentants en immigration et dont la tâche consistait à produire, pour les immigrants au Canada, des rapports financiers consolidés antidatés ». Elle affirme qu’elle n’avait aucun moyen de savoir que l’agent des visas doutait du cabinet d’expertise comptable de Liu Xi parce qu’il ne lui a jamais donné l’occasion de répondre à cette preuve.

 

[34]           Je ne puis retenir la prétention de Mme Pan selon laquelle l’agent des visas a manqué à son obligation d’équité envers elle parce qu’il ne lui a pas donné l’occasion de répondre à cette preuve.

 

[35]           Rien dans la décision de l’agent des visas, ni dans ses notes du STIDI ou ailleurs, n’indique qu’il s’est fondé sur cette preuve extrinsèque qui avait été signalée par le premier examinateur. Comme l’explique l’agent des visas dans sa décision, la demande de Mme Pan a été refusée parce qu’elle ne l’avait pas convaincu qu’elle disposait d’un avoir net, obtenu licitement, d’au moins 800 000 $. L’agent des visas a ensuite expliqué qu’il n’avait pas été convaincu à cet égard précisément  pour les raisons qu’il lui avait indiquées au cours de l’entrevue d’août 2009, lesquelles sont exposées ci-dessus, aux paragraphes 12 et 32. Ces raisons avaient trait à l’impossibilité pour Mme Pan de répondre d’une manière satisfaisante aux questions que soulevait le contenu de ses états financiers, et non à l’identité de la personne qui avait établi les états financiers en cause.

 

[36]           Les décisions Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 65, et Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 336, ainsi que  Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205, doivent être distinguées de la présente espèce.

 

[37]           Dans Chen, au paragraphe 14, la Cour explique que la demande de visa avait été refusée après qu’il fut découvert, à l’insu du demandeur, que certains de ses contrats commerciaux étaient frauduleux. La décision de l’agent des visas a été annulée au motif que le demandeur n’avait pas eu l’occasion de répondre aux rapports de fraude qui avaient été examinés par l’agent des visas. Contrairement à la présente affaire, cette preuve extrinsèque avait été clairement utilisée par l’agent des visas et constituait manifestement un élément central et important de sa décision.

 

[38]           De même, dans Kniazeva, précité, aux paragraphes 23 et 24, la Cour a expliqué que la demande de visa avait été refusée après que l’agent des visas s’était fondé sur une preuve extrinsèque qui avait été fournie par un cadre supérieur de l’un des lieux de travail antérieurs de la demanderesse. Selon cette preuve, la demanderesse n’avait travaillé qu’à temps partiel pour la société en question. Elle avait donc obtenu moins de points que le nombre qu’elle aurait pu obtenir dans l’évaluation de sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. La Cour a estimé que cette preuve extrinsèque avait donné lieu à une « divergence essentielle » avec les renseignements produits par la demanderesse, et que l’importance accordée à cette preuve par l’agent des visas avait pu avoir une incidence sur l’ensemble de sa décision. La Cour a donc conclu que l’agent des visas avait manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse, parce qu’il ne lui avait pas donné l’occasion de répondre à cette preuve.

 

[39]           De la même manière, dans Muliadi, précité, aux paragraphes 14 à 16, la Cour a précisé que la demande de résidence permanente avait été rejetée après que l’agent des visas s’était fondé sur une évaluation défavorable de la proposition d’entreprise du demandeur, évaluation qui avait été communiquée par la province de l’Ontario. L’appelant n’avait pas été informé de cette évaluation ni n’avait-il eu l’occasion de répondre à son contenu avant que l’agent des visas ne rende une décision finale sur sa demande.

 

[40]           Or en l’espèce, comme je le disais plus haut, rien n’indique que la preuve extrinsèque en question a été utilisée par l’agent des visas ou qu’elle a eu une incidence déterminante sur sa décision. Comme la Cour l’a confirmé aux paragraphes 47 et 48 de Bavili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 945, les agents n’ont pas l’obligation de divulguer les éléments de preuve extrinsèque sur lesquels il ne se fondent pas.

 

[41]           Pour les motifs susmentionnés, je conclus que l’agent des visas n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers Mme Pan.

 

B.    L’agent des visas a-t-il fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des documents dont il disposait?

[42]           Selon Mme Pan, il était déraisonnable pour l’agent des visas de conclure que les renseignements qu’elle lui avait donnés au cours de l’entrevue ainsi que dans les documents produits au soutien de sa demande le faisait douter du rôle qu’elle exerçait dans son entreprise, et douter également si les profits déclarés de la société avaient réellement été réalisés par l’entreprise. Elle affirme également qu’en concluant qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle avait un avoir net, obtenu licitement, d’au moins 800 000 $, l’agent des visas a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve dont il disposait. Elle soutien en outre que rien ne justifiait les réserves de l’agent des visas sur le chiffre d’affaires de l’entreprise, tel qu’il apparaissait dans les états financiers vérifiés de l’entreprise.

 

[43]           Je ne suis pas de cet avis.

 

[44]           S’agissant du rôle exercé par Mme Pan dans l’entreprise, les réserves de l’agent des visas s’expliquaient par l’impossibilité pour elle d’expliquer avec suffisamment de détails les produits que vend son entreprise. Interrogée sur les activités de son entreprise, Mme Pan a répondu qu’elle vend des pièces pour fourgonnettes et véhicules de tourisme. L’échange suivant a ensuite eu lieu :

 

[traduction]

« Q: Quelle pièce vendez-vous le plus?

R:    5M, 6BG1, Z22.

 

Q:    Que fait la pièce 5M?

R:    C’est pour les taxis.

 

Q:    Dans quelle partie du véhicule est-elle installée?

R:    À l’avant du taxi, pour qu’on puisse démarrer le véhicule facilement. C’est pour les taxis.

 

Q:    Je trouve que vous avez du mal à expliquer ce que vend votre entreprise.

R:    Nous vendons des pièces d’automobile. Des moteurs également.

 

Q:    Je voudrais savoir quelles pièces vous vendez?

R:    Nous faisons la vente au détail et en gros ».

 

[45]           Rien d’autre n’a été dit sur ce point.

 

[46]           Il m’est impossible de conclure qu’il était déraisonnable pour l’agent des visas d’avoir des doutes sur le rôle de Mme Pan dans l’entreprise après l’échange susmentionné. À lui seul, cet échange n’aurait peut-être pas suscité chez moi les mêmes doutes si j’avais été l’agent des visas, mais je suis d’avis que la conclusion de l’agent des visas sur ce point appartenait tout à fait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Dans une demande de contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve.

 

[47]           S’agissant du bénéfice et du chiffre d’affaires de l’entreprise de Mme Pan, l’agent des visas a émis un doute, durant l’entrevue, sur la manière dont l’entreprise de Mme Pan avait pu réaliser un chiffre d’affaires de 2,4 millions de yuans au cours de sa première année, vu qu’elle n’avait investi que 60 000 yuans dans l’entreprise. Il a fait remarquer que, compte tenu d’un investissement initial aussi modeste, il aurait été nécessaire pour elle de renouveler l’intégralité de ses stocks environ 40 fois pour arriver à ce niveau de ventes.

 

[48]           Comme je l’ai indiqué au paragraphe 32 ci-dessus, au fur et à mesure des questions renouvelées de l’agent des visas, Mme Pan a donné plusieurs explications différentes concernant la manière dont son entreprise avait pu réaliser un chiffre d’affaires de 2,4 millions de yuans durant sa première année. Me fondant sur cet échange de propos, je suis d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent des visas de conclure que l’affirmation de Mme Pan portant qu’elle [traduction] « a investi 200 000 yuans additionnels dans l’entreprise contredit les renseignements produits, n’est pas étayée et fait douter de l’exactitude des documents ».

 

[49]           Enfin, compte tenu des renseignements contradictoires fournis par Mme Pan à propos des finances de son entreprise, je suis d’avis que l’agent des visas pouvait fort bien conclure que Mme Pan ne l’avait pas convaincu qu’elle avait un avoir net, obtenu licitement, d’au moins 800 000 $. Madame Pan a eu maintes fois l’occasion de dissiper les doutes de l’agent des visas à cet égard. Malheureusement, elle ne s’en est pas prévalue. À mon avis, après examen de tous les renseignements fournis par Mme Pan, il était tout à fait raisonnable pour l’agent des visas de ne pas avoir la certitude que Mme Pan avait satisfait aux exigences de l’alinéa 88(1)b) du Règlement et à celles de l’article 90.

 

[50]           Il incombait à Mme Pan de présenter une preuve crédible et suffisante au soutien de sa demande. Malheureusement, elle n’a pas satisfait à ce fardeau.

 

[51]           L’agent des visas pouvait fort bien arriver aux conclusions qu’il a tirées, et sa décision cadre aisément avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité (Khosa, précité, au paragraphe 59).

 

VI. Conclusion

 

[52]           La présente demande est rejetée.

 

 

JUGEMENT

 

 

 

            LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

 

 

                                                                                                « Paul S. Crampton »

                                                                                    _____________________________

            Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5339-09

 

INTITULÉ :                                       QUN HUAN PAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 août 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Michael Greene

Ram Sankaran

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

 

Rick Garvin

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

 

Michael Greene

Ram Sankaran

Avocats

Calgary (Alberta)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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