Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20100823

Dossier : IMM‑6640‑09

Référence : 2010 CF 834

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 août 2010

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

PACKINATHAN, LINDAN LORANCE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un Tamoul du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada en mars 2009 et a demandé l’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en affirmant craindre l’armée sri‑lankaise, la police, les paramilitaires et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET).

 

[2]               Dans une décision datée du 2 décembre 2009, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a jugé que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni la qualité de personne à protéger. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

[3]               La décision de la Commission repose sur trois conclusions principales :

 

·                    Le demandeur, originaire du nord du Sri Lanka, a vécu à Colombo, dans le Sud du Sri Lanka, durant deux périodes – de 1997 à 2002, et de 2006 jusqu’à son départ du pays en 2009. La Commission a relevé que le demandeur, alors qu’il était à Colombo, n’avait connu que quelques désagréments (par exemple, des contrôles policiers occasionnels) et n’avait pas subi de violences physiques. Elle a relevé aussi que l’épouse et les enfants du demandeur demeuraient à Colombo. Sur ce fondement, elle a conclu que la crainte du demandeur n’était pas « fondée, particulièrement en ce qui concerne le fait de vivre à Colombo ».

 

·                    La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas démontré l’existence d’une crainte subjective, puisqu’il n’avait pas, au cours d’une escale d’une durée de deux heures, demandé l’asile en Suisse.

 

·                    La Commission a estimé que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Colombo.

 

[4]               Les trois conclusions ci‑dessus me causent des difficultés, et je ferai donc droit à cette demande de contrôle judiciaire.


[5]               Les questions en litige soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

 

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas de crainte subjective, puisqu’il n’avait pas demandé l’asile en Suisse?

 

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve?

 

[6]               La décision de la Commission est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Appliquant cette norme, la Cour s’abstiendra d’intervenir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). La Cour pourra en revanche prendre des mesures si elle est d’avis que le tribunal a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont elle disposait (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, alinéa 18.1(4)d)).

 

[7]               Pour obtenir gain de cause, un demandeur d’asile doit prouver l’existence d’une crainte fondée, à la fois subjective et objective, de persécution. Il est tout à fait légitime pour la Commission de prendre en compte les actions du demandeur d’asile afin de savoir s’il a ou non une crainte subjective. Le fait pour un demandeur d’asile de ne pas avoir demandé l’asile dans un pays tiers peut faire douter de sa crainte subjective (voir, par exemple, la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 403, [2005] A.C.F. n° 501 (QL)). Cependant, la Cour a jugé, dans un cas où le demandeur d’asile avait toujours envisagé de venir au Canada, que le simple fait qu’il s’était trouvé en transit durant une escale dans un pays tiers ne permettait pas d’exclure sa crainte subjective de persécution (Ilunga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 569, [2006] A.C.F. n° 748 (QL)).

 

[8]               En l’espèce, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas une crainte subjective semble reposer uniquement sur le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile durant une escale de deux heures en Suisse. Il serait d’ailleurs impossible de se rendre par avion du Sri Lanka au Canada sans une escale dans un autre pays. D’après les faits qui m’ont été soumis, il est évident que le demandeur était, à tout moment, en transit vers le Canada, où il entendait demander l’asile. Selon moi, la conclusion de la Commission est à cet égard déraisonnable.

 

[9]               La Commission doit tenir compte de l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise. Cela ne signifie pas que chacun des éléments de preuve doit être mentionné séparément et explicitement (voir, par exemple, l’arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, [1992] A.C.F. n° 946 (C.A.F.) (QL). Dans bien des cas, une affirmation générale selon laquelle la Commission a pris en compte la totalité de la preuve suffira. Cependant, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément dans les motifs de la Commission est importante pour le demandeur d’asile, plus une cour de justice sera encline à inférer de ce silence que la Commission a tiré sa conclusion sans tenir compte de la preuve (décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n° 1425 (QL), au paragraphe 17).

 

[10]           Les motifs de la Commission – tant en ce qui concerne la crainte fondée de persécution que l’éventuelle PRI – concernent le cas d’un Tamoul habitant Colombo. Pour arriver à ses conclusions sur ces deux aspects, la Commission ne s’est pas référée à l’abondante preuve qui montrait que les Tamouls de sexe masculin originaires du Nord du Sri Lanka sont très souvent victimes d’arrestations arbitraires, de détentions et de mauvais traitements. Plus précisément, la Commission ne dit rien du rapport de l’UNHCR de juillet 2009, si ce n’est dans un commentaire d’une ligne, dont on ne saurait dire qu’il rend bien compte de l’intégralité de ce document. La Commission ne fait nulle part mention d’un rapport de l’UNHCR d’avril 2009, ni d’un rapport du Département d’État des États‑Unis. Chacun de ces documents fait abondamment référence à des violations des droits de l’homme, ainsi qu’aux incursions des forces de sécurité et des groupes paramilitaires partout au Sri Lanka. Par ailleurs, dans ses observations finales adressées à la Commission, l’avocat du demandeur avait souligné que ces documents intéressaient directement la situation de son client à Colombo. Or, la Commission ne dit absolument rien de cette preuve, si ce n’est dans une phrase unique tirée d’un rapport. Cette preuve intéresse directement à la fois la question de savoir si la crainte du demandeur était fondée et celle de savoir s’il disposait d’une PRI. Il était loisible à la Commission de considérer cette preuve et de la rejeter. Cependant, puisqu’elle ne fait nulle part mention de cette preuve contradictoire, la Cour est fondée à en déduire qu’elle l’a laissée de côté (décision Cepeda‑Gutierrez, paragraphe 17). En conséquence, la décision de la Commission ne peut se justifier.

 

[11]           Le cas dont je suis saisie ici est très semblable à un cas soumis à la Commission, dont la décision fut examinée par le juge de Montigny : Sinnasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67, [2008] A.C.F. n° 77 (QL). Dans cette affaire‑là, comme dans la présente affaire, la Commission avait passé outre aux constatations de l’UNHCR se rapportant au traitement des Tamouls à Colombo. Le juge de Montigny avait estimé que, ce faisant, la Commission avait commis une erreur.

 

[12]           Pour ces motifs, je ferai droit à cette demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée, et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision par un tribunal de la Commission différemment constitué;

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑6640‑09

 

INTITULÉ :                                       PACKIANATHAN, LINDAN LORANCE c.

                                                            Le MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 AOÛT 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT:             LA JUGE SNIDER

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 23 AOÛT 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Grice

 

POUR LE DEMANDEUR

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.