Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100819

Dossier : T-1787-08

Référence : 2010 CF 828

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

 

SHIRE CANADA INC.

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

  • [1] Les paragraphes qui suivent expliquent les motifs de l’ordonnance rendue le 4 juin 2010, accueillant en partie la requête de la défenderesse Shire Canada Inc. (« Shire ») en vue d’obtenir la permission de modifier sa défense.

 

  • [2] La présente instance est une action intentée par Apotex Inc. (« Apotex ») en dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93-133,) (« le Règlement »). Apotex a déposé une demande d’avis de conformité pour ses comprimés génériques Apo-modafinil, en les comparant au produit Apo-modafinil de Shire. Shire a inscrit le brevet canadien numéro 2 201 967 (le « brevet 967 ») au registre des brevets établi en vertu du Règlement à l’égard de ses comprimés de modafinil. Le 16 mars 2006, Apotex a signifié un avis d’allégation à Shire, alléguant que les revendications du brevet 967 étaient invalides, nulles et sans effet. En réponse à l’avis d’allégation d’Apotex, Shire a présenté une demande en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex. La demande a été rejetée le 25 avril 2008, deux années après le dépôt de la demande. Ayant obtenu son avis de conformité peu après le jugement rendu, Apotex cherche maintenant à recouvrer, en vertu de l’article 8 du Règlement, les dommages subis en raison du retard dans la délivrance de l’avis de conformité résultant de la demande infructueuse d’ordonnance d’interdiction de Shire.

 

  • [3] Dans sa défense initiale, déposée le 23 janvier 2009, Shire contestait l’action au motif qu’Apotex avait retardé la signification de son avis d’allégation au sujet du brevet 967 et avait retardé inutilement la conduite de la procédure d’interdiction. Un an plus tard, Shire a modifié sa défense pour ajouter comme moyen de défense qu’en raison des difficultés de fabrication du modafinil, surtout à l’échelle commerciale, Apotex n’aurait pas été prête à lancer son produit Apo‑modafinil à la date alléguée du 1er septembre 2006. Par sa présente requête, Shire cherche à modifier à nouveau sa défense pour alléguer deux nouveaux moyens de défense, à savoir :

  • a) Que le propriétaire du brevet 967, Cephalon Inc. (« Cephalon ») a intenté une action en contrefaçon contre Apotex dans un autre dossier judiciaire et que, si le brevet 967 dans cette autre action était déclaré valide et contrefait, Apotex ne devrait pas avoir le droit de recouvrer des dommages-intérêts pour la perte de ventes qui, en fin de compte, constituerait une contrefaçon.

  • b) Qu’un deuxième brevet a été inscrit au registre des brevets à l’égard des comprimés de modafinil de Shire, soit le brevet canadien no 2 165 824 (le « brevet 824 »). Qu’Apotex a signifié à Shire un avis d’allégation daté du 30 août 2005 dans lequel elle affirmait qu’elle ne contreferait pas le brevet 824 selon son ébauche de monographie de produit et prenait l’engagement de ne pas fabriquer, utiliser ou vendre ses comprimés pour l’utilisation brevetée du traitement de l’apnée du sommeil ou des troubles ventilatoires d’origine centrale. Que, toutefois, la monographie de produit d’Apotex indique que l’apo-modafinil est indiqué pour l’usage breveté et a été vendu pour cet usage, en violation de l’engagement envers Shire. Shire allègue que le manquement à l’engagement donne lieu aux [traduction] « graves conséquences » mentionnées par la Cour d’appel fédérale dans Hoffmann-Laroche Limited et al. v. Minister of National Health and Welfare et al. (1996) 70 C.P.R. (3rd) 206, sous la forme d’un refus de tout recours pour entrée retardée sur le marché en vertu de l’article 8 du Règlement.

 

  • [4] Apotex s’oppose à la requête de Shire au motif que les modifications proposées ne révèlent aucune défense valable et ne devraient pas être autorisées.

 

I.  La défense fondée sur l’action de Cephalon

  • [5] Au lieu de plaider directement en défense contre le moyen de l’action d’Apotex l’argument selon lequel le brevet 967 est valide et contrefait et qu’Apotex ne devrait donc pas être en droit de recouvrer des dommages-intérêts fondés sur la perte de ventes contrefaisantes, Shire propose de s’appuyer sur l’issue d’une action en contrefaçon intentée par Cephalon et à laquelle elle n’est pas partie. Ainsi, elle ne propose pas d’apporter de preuve dans la présente action quant à la validité ou la contrefaçon du brevet 967 afin que la Cour puisse trancher directement ces questions dans le cadre de la présente action. Elle propose plutôt de s’appuyer strictement sur l’issue de l’action de Cephalon, en tant que fait. Les allégations, telles qu’elles sont proposées, reconnaissent clairement que l’action de Cephalon n’a débuté qu’en avril 2009 et n’a pas encore été tranchée. L’issue de l’action de Céphalon, dont dépend le succès de la défense proposée, est donc clairement un événement futur incertain, qui n’est pas susceptible d’être déterminé ou même influencé dans le cadre de la présente action. Essentiellement, Shire allègue que si un certain événement se produit (sur lequel ni la Cour ni les parties n’ont de contrôle ou sur lequel elles ne peuvent pas se prononcer dans le cadre de la présente action), alors elle aura une défense valable. C’est l’essence d’un plaidoyer spéculatif et hypothétique qui doit être radié (voir Bell Canada v. Pizza Pizza Ltd. [1993]), 48 C.P.R. (3rd) 129). De plus, s’il était reconnu que Shire était recevable à se prévaloir de ces allégations en défense, les questions soulevées ne pourraient pas être tranchées tant que ne serait pas connue l’issue des procédures engagées par Cephalon contre Apotex dans cet autre dossier de la Cour. L’instruction de la présente action s’en trouverait retardée, entravée et compromise.

 

II.  La défense fondée sur les « conséquences graves »

  • [6] Apotex soutient que, comme la fausse représentation alléguée ou la prétendue violation de l’engagement relativement au brevet 824 ne s’est pas produite dans le cadre de la demande d’interdiction relative au brevet 967 et de laquelle découle son droit de réclamer des dommages, la fausse déclaration ne peut être utilisée comme une défense appropriée dans cette action. Plus particulièrement, Apotex s’appuie sur le libellé du paragraphe 8(5) du Règlement, qui prévoit que, pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, il faut tenir compte de la conduite des parties « pendant la procédure d’interdiction » (qui, selon l’argument d’Apotex, la procédure d’interdiction relative au brevet 967) qui a contribué au retard. Selon ce point de vue, le seul moyen de défense valable pour une action intentée en vertu de l’article 8 serait celui qui découlerait exclusivement de la procédure même d’interdiction qui a été rejetée ou abandonnée. Apotex cite en outre, à l’appui de sa proposition, le paragraphe 66 de la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltd. c. Apotex Inc., 2009 CAF 187, qui se lit comme suit :

« [66]  J’ajouterais simplement, pour souligner davantage la portée de la relation, que l’attribution de dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 découle logiquement de la procédure d’interdiction visée à l’article 6 et qu’elle relèverait normalement du juge qui instruit la demande d’interdiction. Je renvoie en particulier au paragraphe 8(5) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) qui prévoit que pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, il faut tenir compte de la conduite des parties pendant la procédure d’interdiction qui a contribué au retard. À l’évidence, la seule raison pour laquelle les dommages‑intérêts prévus à l’article 8 sont adjugés dans une procédure distincte était la nécessité de prendre en compte le droit d’appel. »

 

 

  • [7] Ce passage de l’arrêt Merck Frosst a été rédigé dans le contexte de la détermination de la validité constitutionnelle de l’article 8 du Règlement. Non seulement cela semble être une observation incidente, mais il n’est pas clair qu’il ait été conçu pour servir de norme d’interprétation du paragraphe 8(5) à toutes fins utiles. De plus, la Cour d’appel fédérale a déjà formulé des mises en garde contre le règlement de questions difficiles concernant l’interprétation de l’article 8 dans le contexte de procédures préliminaires ou sommaires (Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co., 2004 CAF 358). L’argument d’Apotex constitue une question difficile qui ne devrait pas être tranchée au moyen d’une requête en radiation. Quoi qu’il en soit, même si l’interprétation par Apotex du paragraphe 8(5) du Règlement était finalement fondée, elle ne mettrait pas fin à l’affaire et ne rendrait pas les allégations factuelles de Shire incompatibles avec une cause raisonnablement défendable. En particulier, je conclus qu’il est possible de soutenir que la Cour pourrait conclure, en vertu du sous-alinéa 8(1)a)(ii) du Règlement, que le manquement d’Apotex à l’engagement relatif au brevet 824 (s’il est établi), justifie le choix d’une autre date que la date certifiée par le ministre comme point de départ de la période pour laquelle des dommages-intérêts devraient être payés. Par exemple, on pourrait faire valoir que, sans cette allégation de fausse déclaration ou de violation de l’engagement, aucun avis de conformité n’aurait été délivré à Apotex avant l’expiration du brevet 824, de sorte que la période de responsabilité n’a jamais débuté.

 

  • [8] Je suis donc convaincue qu’Apotex ne s’est pas acquittée du fardeau très lourd de démontrer que les modifications proposées, quant au moyen de défense fondé sur les [traduction] « conséquences graves », sont manifestement dénuées de tout fondement et n’ont aucune chance de succès.

 

 

 

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.