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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100625

Dossier : IMM-6241-09

Référence : 2010 CF 697

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

MOHSEN ESMAEILI-TARKI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), pour que soit délivrée une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de rendre une décision relativement à la demande d’exception ministérielle soumise par le demandeur en application du paragraphe 34(2) de la Loi.

 

[2]               Les parties conviennent que l’intitulé soit modifié de manière à ce que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) soit désigné à titre de défendeur. L’intitulé est modifié en conséquence.

 

[3]               Les faits pertinents, exposés ci-après, ne sont pas contestés. Le demandeur, Mohsen Esmaeili-Tarki, est un citoyen de l’Iran qui, au Canada, le 5 janvier 1998, a été déclaré réfugié au sens de la Convention. Le 28 février 1999, le demandeur a demandé que lui soit conféré le statut de résident permanent. On l’a reconnu être interdit de territoire en tant qu’ancien membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle avait commis des actes de terrorisme, soit les Mujaheddin-E-Khalq (les MEK). 

 

[4]               Le demandeur a par la suite présenté une demande d’exception ministérielle en application du paragraphe 34(2) de la Loi, qui prévoit ce qui suit : « Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. » Le ministre ne peut déléguer le pouvoir – d’exception ministérielle – visé au paragraphe 34(2).

 

[5]               Le demandeur a pris part à une entrevue dans le cadre de cette demande et, le 24 juillet 2001, on l’a avisé que serait faite une recommandation favorable à l’acceptation de sa demande. Le 17 mars 2004, le demandeur a été informé que sa demande avait été rejetée et qu’ainsi, sa demande de résidence permanente avait également été refusée. La Cour a annulé cette décision le 15 avril 2005, les motifs avancés ayant été jugés insuffisants. L’affaire a été renvoyée au ministre afin que soit rendue une nouvelle décision (Esmaeili-Tarki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 509, [2005] A.C.F. n° 633).

 

[6]               Le 22 décembre 2007, le demandeur a reçu copie de documents, dont une note d’information, soumise à l’attention du ministre pour la prise de décision sur l’exception demandée. Des observations ont été présentées en réponse à ces documents mais, depuis lors, aucun autre renseignement n’a été transmis quant à la décision.

 

[7]               Le 30 juillet 2009, le demandeur a communiqué avec le ministre pour lui demander de traiter sa demande et de rendre une décision. Selon la Section anti-terrorisme, dans sa réponse du 5 août 2009, le directeur avait été informé du fait qu’on en était à l’étape d’une nouvelle rédaction de la recommandation à l’égard de la demande, mais qu’on ne pouvait préciser le moment où prendrait fin le processus de rédaction.  

 

[8]               Le demandeur sollicite la délivrance d’une ordonnance de mandamus en application de l’alinéa 18.1(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Pour rendre une telle ordonnance, la Cour doit estimer que les conditions suivantes sont respectées :

1.             Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.

2.             L’obligation doit exister envers le demandeur.

3.             Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment:

a)             le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b)             il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.

4.             Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent:

a)             le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’"injuste", d’"oppressive" ou qui dénote une "irrégularité flagrante" ou la "mauvaise foi";

b)             un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est "illimité", "absolu" ou "facultatif";

c)             le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire "limité" doit agir en se fondant sur des considérations "pertinentes" par opposition à des considérations "non pertinentes";

d)             un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un "pouvoir discrétionnaire limité" dans un sens donné;

e)             un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est "épuisé", c’est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.

5.             Le demandeur n’a aucun autre recours.

6.             L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.

7.             Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’equity, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé.

8.         Compte tenu de la "prépondérance des inconvénients", une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

(Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.F.))

 

 

[9]               Le défendeur ne conteste pas l’existence des deux premières conditions précitées. Ce sont les autres conditions applicables qui sont objet de litige.

 

Aucun droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation

[10]           Le demandeur a rempli les conditions préalables et soumis toutes les observations nécessaires. Je suis également convaincu de l’existence d’un délai déraisonnable en l’espèce. Pour qu’il soit conclu qu’un délai est déraisonnable, on doit démontrer que le délai en question est plus long que ce qu’exige, prima facie, la nature du processus, que le demandeur et son avocat n’en sont pas responsables et que l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante (Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (C.F. 1re inst.)).

 

[11]           Pour établir si un délai est ou non excessif, on doit prendre en compte les faits d’espèce. Les décisions rendues dans d’autres affaires peuvent donner des indications utiles à cet égard (Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 195 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.); Hanano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 998, 257 F.T.R. 66, paragraphe 15).

 

[12]           On a passé en revue, comme suit, dans Hanano (paragraphe 15) certaines décisions antérieures :

Cependant, les décisions que mes collègues ont rendues dans d’autres affaires donnent des indications utiles à cet égard. Dans Bhatnager, un délai de quatre ans et demi a été jugé déraisonnable. Dans Mohamed, un délai de quatre ans relatif à l’attente d’attestation de sécurité dans le cas d’un réfugié au sens de la Convention qui demande le droit d’établissement a été considéré comme un délai plus long que ce que le processus exige de façon prima facie. Dans Platonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), F.T.R. 260 (C.F. 1re inst.), un délai d’un peu plus de deux ans, après une approbation provisoire, passé dans l’attente des attestations de sécurité concernant d’anciens associés a été jugé excessif. Dans Kalachnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 236 F.T.R. 142 (C.F. 1re inst.), un délai d’environ trois ans lié au traitement d’une demande de visa a été jugé déraisonnable et injustifié, étant donné que le délai de traitement estimatif était de 14 mois. Dans Conille, précitée, le délai de trois ans lié à l’attente d’une enquête du SCRS avant l’octroi de la citoyenneté a été jugé déraisonnable. Dans Dragan, des délais de deux à trois ans ont été considérés comme des délais déraisonnables et une ordonnance de mandamus a été rendue.  

 

[13]           Le défendeur fait valoir l’affidavit du 30 avril 2010 dans lequel, Michelle Barrette, agente principale de programme auprès de l’unité des exceptions ministérielles de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), a déclaré qu’une nouvelle recommandation avait été préparée et révisée en l’espèce et que, si le processus de révision et d’examen se poursuivait selon l’échéancier habituel, la recommandation serait communiquée au demandeur pour commentaires dans un délai de six à huit semaines. Le défendeur invoque alors la décision Rouleau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 602, 252 F.T.R. 309 pour affirmer que la délivrance d’une ordonnance de mandamus n’est plus appropriée au vu du récent déroulement du processus. Dans l’affaire citée, toutefois, le ministre avait en fait publié le rapport qui aurait fait l’objet de  l’ordonnance; tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

[14]           Le défendeur soutient aussi que le délai n’est pas déraisonnable compte tenu des responsabilités nombreuses et variées incombant au ministre, qui ne peut déléguer son pouvoir décisionnel. Le défendeur ajoute qu’une réorganisation administrative a nui à la bonne marche générale du processus et qu’il n’avait pas fallu plus de temps que nécessaire compte tenu des évaluations et des examens de nombreux niveaux qui étaient en cause.

 

[15]           Selon moi, on ne peut justifier le délai en usant de ces arguments car plus de cinq années se sont passées depuis que l’affaire a été renvoyée au ministre pour que soit rendue une nouvelle décision et car celui-ci a eu à sa disposition la note d’information précédemment rédigée. En outre, une note d’information a été transmise au demandeur pour commentaires en 2007, et aucun suivi auprès de lui à ce sujet n’a été fait. Il est impossible de savoir s’il y aura d’autres retards même si la nouvelle recommandation est communiquée au demandeur selon l’échéancier évoqué dans l’affidavit de Michelle Barrette. Aucune preuve ne laisse croire que le demandeur est actuellement sous le coup d’une enquête, et ce dernier s’est montré coopératif à toutes les étapes du processus.

 

L’absence d’autre recours

[16]           Le demandeur ne dispose d’aucun autre recours. Le défendeur a proposé que le demandeur sollicite une dispense pour raisons d’ordre humanitaire, mais ce recours est sans lien avec l’obligation en cause en l’espèce, soit celle pour le ministre de rendre une décision.

 

La prépondérance des inconvénients

[17]           Bien que la prépondérance des inconvénients penche selon moi en faveur du demandeur puisque l’absence de statut l’expose à d’importants obstacles, le défendeur soulève des préoccupations légitimes qu’il y a lieu d’examiner.

 

[18]           Le défendeur soutient que le ministre, pour faire exception à l’interdiction de territoire pour raison de sécurité, doit procéder à un examen attentif et soupeser de multiples facteurs. Le défendeur affirme que si l’on exigeait qu’une décision soit rendue dans un délai déterminé, cela pourrait porter atteinte aux droits de participation au processus du demandeur. Je sais qu’il importe de permettre une pleine participation du demandeur dans l’appréciation de son évaluation, et qu’il ne faut pas prendre à la légère les questions de sécurité nationale. J’estime néanmoins pouvoir prendre en compte ces éléments dans ma décision en accordant jusqu’au 31 octobre 2010 au ministre défendeur pour pouvoir rendre sa décision.

 

[19]            Le demandeur a demandé qu’on lui accorde ses dépens dans le cadre du présent contrôle judiciaire. J’estime que le demandeur a démontré l’existence de raisons spéciales, tel que l’exige l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, pour l’octroi de dépens.

 

[20]            Dans son exposé des arguments additionnel, le défendeur demande à la Cour de se prononcer sur une requête visant à empêcher la divulgation de certains renseignements au motif que cela mettrait en danger la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Le juge en chef Lutfy a ajourné cette requête sine die. La Cour fédérale ayant déjà statué sur cette requête, je n’ai pas compétence pour modifier l’ordonnance en cause.

 

[21]           Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé une question en vue de sa certification, et aucune question n’est soulevée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que le défendeur rende une décision quant à la demande du demandeur au plus tard le 31 octobre 2010. Les dépens, d’une somme globale de 2 500 $, sont adjugés au demandeur. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6241-09

 

INTITULÉ :                                       MOHSEN ESMAEILI-TARKI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 JUIN 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 25 JUIN 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kristin Marshall

 

POUR LE DEMANDEUR

Martin Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Downtown Legal Services

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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