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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100809

Dossier : IMM-6034-09

Référence : 2010 CF 811

Ottawa (Ontario), le 9 août 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

KAMALALOJANI PARAMASIVAM

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision d’un agent de la Section de l’immigration du haut‑commissariat du Canada au Sri Lanka (l’agent), datée du 5 octobre 2009 (la décision), laquelle a rejeté la demande de visa de résident temporaire (VRT) au Canada de la demanderesse.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse, une citoyenne sri‑lankaise, a demandé un VRT pour aller voir son beau‑frère malade et sa famille ainsi qu’un autre frère au Canada. La demanderesse a de nombreux frères et sœurs, notamment trois au Canada et quatre au Sri Lanka. Elle a également un enfant qui vit en Nouvelle-Zélande.

 

[3]               Le frère de la demanderesse qui vit au Canada a fourni à la demanderesse une lettre d’invitation. La demanderesse a demandé un VRT pour aller au Canada, mais a reçu une décision défavorable le 19 août 2009.

 

[4]               La famille de la demanderesse a alors fourni d’autres documents, notamment des renseignements concernant leur situation financière ainsi qu’une lettre de recommandation d’un député fédéral. La demanderesse a demandé une nouvelle fois un VRT, demande qui a été rejetée le 5 octobre 2009.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[5]               L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période temporaire, si elle était autorisée à venir au Canada. Cette décision était fondée sur la nature de ses liens avec le Sri Lanka (résidence et citoyenneté) et sur les facteurs qui pourraient l’inciter à demeurer au Canada.

 

[6]               L’agent a pris note du but du voyage de la demanderesse, notamment le fait qu’elle voulait aller voir son beau-frère malade, ainsi que le fait qu’elle n’avait pas vu les enfants de celui‑ci. L’agent a également pris en compte l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle était directrice d’un collège médical à Jaffna et que sa demande de congé avait été approuvée par son employeur.

 

[7]               L’agent a toutefois conclu que la demande présentée antérieurement par la demanderesse, pour les mêmes motifs, avait été rejetée et qu’il ne pouvait déceler aucune erreur dans les motifs du rejet. Il a estimé que la demanderesse n’avait démontré que [traduction] « très peu de liens » avec le Sri Lanka. Il a en outre fait remarquer qu’elle était une veuve de 69 ans, bien qu’elle « [ait] affirm[é] travailler encore ». L’agent a également estimé que la demanderesse avait des antécédents de voyage limités, puisqu’elle n’avait visité que l’Afrique du Sud et l’Inde.

 

[8]               En se fondant sur les facteurs ci-dessus, l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse entretenait des liens suffisants avec le Sri Lanka pour garantir son retour.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[9]               La demanderesse soulève les questions suivantes dans sa demande :

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur en refusant un VRT à la demanderesse?

2.                  L’omission de donner à la demanderesse la possibilité de passer une entrevue ou de répondre aux préoccupations de l’agent constitue-t-elle une violation de l’équité procédurale?

3.                  Les motifs fournis répondent-ils aux exigences de l’équité procédurale?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[10]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent à la présente instance :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

Obligation à l’entrée au Canada

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

[...]

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

Obligation on entry

 

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

...

 

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

 

[11]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, s’appliquent également à la présente instance :

Délivrance

 

179. L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

 

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

 

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

 

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

 

e) il n’est pas interdit de territoire;

 

f) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

Issuance

 

179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

 

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

 

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

 

 

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

 

 

(d) meets the requirements applicable to that class;

 

(e) is not inadmissible; and

 

 

(f) meets the requirements of section 30.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[12]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle dans chaque cas. En fait, lorsqu’il est bien établi dans la jurisprudence qu’une certaine norme de contrôle s’applique à une question donnée soumise à la cour, la cour de révision peut alors adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette recherche est infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[13]           Les questions d’équité procédurale sont examinées en fonction de la norme de la décision correcte. Voir Weekes (Tuteur à l’instance) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 293, 71 Imm. L.R. (3d) 4. Il s’agit donc de savoir s’il y a eu violation de l’équité procédurale en raison de a) l’omission de l’agent de donner à la demanderesse la possibilité de passer une entrevue ou de répondre à ses préoccupations; b) l’insuffisance des motifs de la décision est susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte.

 

[14]           La question de savoir si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a refusé un VRT concerne l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et appelle donc de la retenue. Voir Danioko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 479, [2006] A.C.F. n° 578, aux paragraphes 16 à 19. Cette question doit donc être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

 

[15]           Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable dans le sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            La demanderesse

                        L’équité procédurale

 

[16]           La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur, parce qu’il ne lui a pas fait passer une entrevue, bien qu’elle ait été présente dans le bureau des visas et qu’elle ait demandé une entrevue en raison du fait que sa première demande de VRT avait été rejetée. D’après la demanderesse, l’agent a commis une erreur en rejetant sa demande sans lui faire passer d’entrevue [traduction] « bien qu’elle ait bien été présente sur les lieux et qu’elle ait demandé une entrevue le jour même où sa demande avait été reçue, traitée et rejetée ».

 

[17]           D’après la Cour fédérale dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, [2008] A.C.F. n° 1625, au paragraphe 35, « l’équité procédurale exige qu’un demandeur se voit donner l’occasion de dissiper les doutes d’un agent en certaines circonstances ». La demanderesse soutient que sa demande de VRT dépendait de circonstances de ce genre.

 

[18]           Il est possible que l’agent ait tenu compte de nombreux facteurs pour en arriver à sa décision, notamment les titres de voyage, la famille de la demanderesse au Canada, le but du voyage de la demanderesse (y compris la maladie de son beau-frère) ainsi que ses moyens financiers. Il semble toutefois que le refus d’accorder un VRT ne soit basé sur aucun de ces facteurs.

 

[19]           La demanderesse s’est vu plutôt refuser un VRT, parce que l’agent a estimé qu’il existait des facteurs qui l’inciteraient à demeurer au Canada et qu’elle ne quitterait pas le pays au moment prescrit. Toutefois, rien dans ce dont disposait l’agent ne donnait à penser que la demanderesse avait l’intention de demeurer au Canada. De plus, la demanderesse n’avait jamais tenté de visiter le Canada et d’y demeurer, bien qu’elle ait eu de la famille ici depuis plus de deux décennies.

 

[20]           En quittant le Sri Lanka, la demanderesse abandonnerait son emploi, sa charge de juge de paix, ainsi que ses liens familiaux, qui sont plus étroits avec le Sri Lanka qu’avec le Canada. De plus, le fait de demeurer au Canada l’éloignerait de son seul enfant, qui réside en Nouvelle-Zélande, et de sa mère qui continue à résider au Sri Lanka (un fait qui n’a pas été pris en considération par l’agent, bien qu’il ait disposé de ce renseignement).

 

[21]           Lorsqu’il a examiné la preuve, l’agent a également mis en doute le fait que la demanderesse pouvait encore travailler, parce qu’elle était une veuve de 69 ans. La demanderesse estime qu’il est déraisonnable de conclure qu’une veuve de 69 ans ne peut travailler. En outre, l’agent n’a pas pris en considération les documents relatifs à son emploi fournis par la demanderesse pour en arriver à cette conclusion.

 

La preuve

            Omission de tenir compte d’éléments de preuve pertinents

 

[22]           La demanderesse affirme que l’agent a commis une autre erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents. Par exemple, l’agent n’a pas pris en compte les nombreux antécédents de voyage de la demanderesse sur le plan international, qui comprenaient un voyage en Afrique du Sud pour voir sa fille qui se trouvait là à cette époque. L’agent n’a pas non plus tenu compte du fait que la demanderesse n’avait pas tenté de demeurer au-delà de la période de séjour autorisée dans les autres destinations internationales où elle s’était rendue.

 

[23]           L’agent a également omis de tenir compte de la garantie fournie par le répondant de la demanderesse. La demanderesse soutient que lui refuser l’accès au Canada pourrait compromettre ses possibilités d’être autorisée à se rendre dans d’autres pays où elle a des membres de sa famille proche, y compris son seul enfant qui est en Nouvelle-Zélande. Voir, par exemple, Ogunfowora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 471, [2007] A.C.F. n° 637, au paragraphe 34.

 

Les conclusions de fait erronées

 

[24]           La décision est également fondée sur des conclusions de fait erronées, notamment sur le fait que la demanderesse n’a jamais vu les enfants de son hôte, que sa fille ne vit plus en Nouvelle‑Zélande et que sa fille se trouve à l’heure actuelle en visite au Sri Lanka. Ces conclusions ont été tirées sans tenir compte de la preuve dont disposait l’agent. Si l’agent détenait des éléments de preuve appuyant de telles conclusions, il aurait dû donner à la demanderesse la possibilité de répondre à ces préoccupations.

 

[25]           Le beau-frère de la demanderesse est maintenant décédé, mais elle souhaite toujours aller voir sa sœur, qui est maintenant veuve, et la famille de celle‑ci, de même que son frère qui vit au Canada.

 

Le défendeur

                        Le caractère raisonnable de la décision

 

[26]           Pour se prononcer sur une demande de VRT, l’agent doit être convaincu que l’étranger quittera le Canada à l’expiration de son visa. En l’espèce, la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de convaincre l’agent sur ce point. L’agent a certes conclu que l’hôte de la demanderesse était établi au Canada, mais il a également conclu que la demanderesse n’avait démontré que très peu de liens avec le Sri Lanka. L’agent a donc conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’elle quitterait le Canada à l’expiration du VRT.

 

[27]           L’agent a considéré de nombreux facteurs dans la présente affaire, notamment :

a)                  l’enfant de la demanderesse vivant en Nouvelle-Zélande;

b)                  l’endroit où vivaient ses frères et soeurs;

c)                  l’endroit où vivaient les frères et sœurs de son époux;

d)                  le motif pour lequel elle voulait se rendre au Canada;

e)                  son emploi et le congé qui lui avait été accordé;

f)                    son traitement;

g)                  ses biens;

h)                  ses antécédents de voyage.

Compte tenu de ces facteurs, il était raisonnable que l’agent conclue que la demanderesse avait peu de liens avec le Sri Lanka. L’agent a agi de façon raisonnable et a tenu compte de l’ensemble de la preuve dont il disposait pour en arriver à sa décision. La demanderesse demande en fait à la Cour d’apprécier une nouvelle fois la preuve présentée à l’agent, mais ce n’est pas là le rôle de la Cour. Voir Baylon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 938, [2009] A.C.F. n° 1147, au paragraphe 25.

 

                        L’équité procédurale

 

[28]           La loi n’exige pas d’accorder une entrevue à la demanderesse dans les circonstances présentes; l’agent n’est pas non plus tenu d’informer la demanderesse de ses préoccupations. Voir, par exemple, Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 440, [2002] A.C.F. n° 579, au paragraphe 11, et Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 614, [2009] A.C.F. n° 794, aux paragraphes 30 à 32.

 

[29]           Il incombe à la demanderesse de fournir à l’agent les renseignements nécessaires à l’appui de sa demande. L’agent n’est pas tenu de communiquer à la demanderesse les préoccupations ou les doutes qu’il entretient. Comme l’a déclaré le juge Mosley dans Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, [2004] A.C.F. n° 317, au paragraphe 23, « ce principe d’équité procédurale ne va pas jusqu’à exiger que l’agent des visas fournisse au demandeur un “résultat intermédiaire” des lacunes que comporte sa demande ».

 

[30]           La demanderesse a également allégué que la décision était insuffisamment motivée. La Cour d’appel fédérale a toutefois jugé que l’obligation de motiver les décisions est respectée lorsque le décideur expose ses conclusions de fait ainsi que les éléments de preuve sur lesquels elles reposent. Voir VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, aux paragraphes 21 et 22.

 

[31]           Le défendeur soutient que la Cour devrait se demander si « les motifs répondent bien aux questions en litige, compte tenu de l’ensemble de la preuve et des observations ». Ainsi, les motifs sont insuffisants lorsque leurs lacunes « font obstacle à un examen valable en appel ». Voir R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 R.C.S. 788, aux paragraphes 24 et 25.

 

[32]           La demanderesse a également laissé entendre que l’agent s’était fondé sur une preuve extrinsèque ou autre pour en arriver à sa décision. Toutefois, l’agent ne mentionne nulle part dans la décision qu’il a tenu compte de renseignements autres que ceux qui lui ont été transmis. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de prendre en considération les notes du STIDI relatives à la décision d’août 2009 ou de les inclure dans la présente instance.

 

La question procédurale

 

[33]           Le défendeur admet que les notes du STIDI ont peut-être été involontairement tronquées au cours de l’envoi par télécopieur en raison de la taille différente des feuilles. Un dossier complet a toutefois maintenant été remis à la Cour sous la forme d’un dossier certifié du tribunal.

 

La preuve

 

[34]           La demanderesse laisse entendre que, si tous les faits, y compris le fait que sa mère vit encore au Sri Lanka, étaient correctement soupesés, le seul résultat possible serait une décision favorable. Il n’appartient toutefois pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve qui a été soumise à l’agent. Voir Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. n° 457. En fait, l’appréciation de la preuve appelle de la retenue de la part des tribunaux.

 

[35]           En outre, la décision ne donne pas à penser que l’agent a écarté ou mal interprété de quelque façon la preuve dont il disposait.

 

ANALYSE

 

[36]           L’agent a choisi de fournir une très brève décision dans la présente affaire. Une demande de VRT n’a pas besoin d’être motivée en détail, mais nous avons ici des motifs qu’il n’est pas possible de comprendre clairement si on les compare aux éléments de preuve qui appuyaient la demande de VRT.

 

La demande antérieure

 

[37]           Les notes du STIDI révèlent que l’agent a examiné et pris connaissance de la décision précédente concernant la tentative qu’avait faite la demanderesse pour obtenir un VRT.

[traduction]

 

La demanderesse a déjà présenté une demande de VRT pour aller voir son beau-frère qui était en phase terminale. Cette demande a été présentée en août 2009 et a été rejetée. Je n’ai pas trouvé d’erreur dans les motifs de rejet. La présente demande est pour l’essentiel identique à la demande précédente.

 

 

[38]           Les notes du STIDI concernant la première demande n’ont pas été fournies par le défendeur de sorte qu’il n’est pas possible d’examiner la façon dont l’agent a interprété la décision antérieure et s’est basé sur elle. Le défendeur affirme que les commentaires qu’a faits l’agent au sujet de la décision antérieure étaient neutres. Ils laissent toutefois entendre, à tout le moins, que l’agent n’a peut-être pas pris connaissance de tous les documents qui avaient été présentés avec la deuxième demande.

 

Les liens avec le Sri Lanka

 

[39]           La décision de l’agent semble être principalement fondée sur la perception que celui-ci a eue des liens qu’entretenait la demanderesse avec le Sri Lanka :

[traduction]

 

Toutefois, la demanderesse n’a démontré que très peu de liens avec le Sri Lanka. Elle est veuve, elle a 69 ans, bien qu’elle affirme être encore employée. Il semble qu’elle n’a jamais vu les enfants de son hôte. Son propre enfant réside en Nouvelle-Zélande et se trouve peut-être à l’heure actuelle au Sri Lanka en visite.

 

 

[40]           Cette appréciation comporte des inexactitudes :

a)                  la demanderesse a déjà rencontré les enfants de son hôte, bien que cela remonte à quelque temps;

b)                  la fille de la demanderesse réside effectivement en Nouvelle-Zélande, mais elle ne se trouvait pas au Sri Lanka en visite;

c)                  la demanderesse ne s’est pas contentée d’« affirmer » qu’elle était employée. Elle a présenté une preuve écrite indiquant qu’elle était employée en qualité de directrice d’un collège médical et il n’existait aucun motif de mettre en doute ce fait.

 

[41]           Les inexactitudes mentionnées dans les points a) et b) ci-dessus ne sont peut-être pas très importantes, mais ce qui est important, c’est que la demanderesse a démontré qu’elle avait avec le Sri Lanka les liens suivants :

a)                  la demanderesse était employée comme directrice d’un collège médical;

b)                  la demanderesse recevait un traitement et le collège lui avait accordé un congé temporaire;

c)                  la demanderesse possède des biens au Sri Lanka;

d)                  la demanderesse possède de l’argent au Sri Lanka;

e)                  la demanderesse a trois frères et une sœur qui vivent près de chez elle au Sri Lanka;

f)                    la demanderesse a au Sri Lanka une mère de 94 ans qui vit dans la même région que la demanderesse;

g)                  la demanderesse a vécu toute sa vie au Sri Lanka;

h)                  la demanderesse est juge de paix au Sri Lanka.

 

[42]           Je ne pense pas qu’il soit raisonnablement possible d’affirmer que ces faits établissent que la demanderesse avait [traduction] « très peu de liens avec le Sri Lanka ». Lorsque l’agent en est arrivé à cette conclusion, il a manifestement écarté des faits importants dont il disposait.

 

Les antécédents de voyage

 

[43]           L’agent a également affirmé que [traduction] « la demanderesse avait des antécédents de voyage limités, puisqu’elle n’avait visité que l’Afrique du Sud et l’Inde ». Il est difficile de comprendre pourquoi l’agent a qualifié ces antécédents de « limités », parce que la condition à remplir consiste uniquement à avoir voyagé au cours des six derniers mois et, à cette époque, la demanderesse s’était rendue une fois en Afrique du Sud et à plusieurs reprises en Inde avant de retourner au Sri Lanka.

 

Les autres questions en litige

 

[44]           Il existe un autre élément de preuve important qui n’est pas mentionné dans la décision, c’est la lettre émanant du frère de la demanderesse qui se lit en partie comme suit :

[traduction]

 

Ma sœur n’a aucune intention d’abandonner le Sri Lanka comme lieu de résidence. Je peux vous garantir qu’elle retournera au Sri Lanka une fois le but de sa visite rempli. Je travaille pour le gouvernement fédéral du Canada depuis 22 ans. J’ai travaillé pour Immigration Canada avant d’entrer à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR). Mon poste actuel est celui d’agent de tribunal auprès de la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Il est prévu que je vais occuper à long terme le poste de directeur adjoint/SPR à titre intérimaire, vers la fin du mois d’octobre 2009. Je peux vous garantir que je ne ternirais pas ma réputation en invitant ma sœur à venir au Canada pour une durée temporaire, si cela n’était pas véridique.

 

 

 

[45]           Ce ne sont peut-être pas là les propres paroles de la demanderesse, mais cela constitue certainement un fait important dont il n’a pas été tenu compte. Il me semble tout à fait raisonnable que, compte tenu du poste qu’occupe le frère de la demanderesse dans notre système d’immigration, celle-ci s’en remette à lui pour garantir qu’elle retournerait au Sri Lanka.

 

Conclusions

 

[46]           Les décisions discrétionnaires appellent de la déférence de la part des tribunaux, mais je crois qu’en l’espèce, la décision de l’agent était fondée sur des conclusions déraisonnables et qu’il a omis d’apprécier des éléments importants qui lui avaient été soumis.

 

[47]           Premièrement, l’agent a commis une erreur lorsqu’il a concilié les facteurs qui pourraient inciter la demanderesse à demeurer au Canada avec les facteurs qui indiquaient qu’elle retournerait au Sri Lanka. Pour soupeser correctement les liens familiaux qu’avait la demanderesse au Sri Lanka, l’agent aurait dû tenir compte de la présence de tous les membres de la famille de la demanderesse au Sri Lanka  y compris sa mère. En fait, l’agent montre qu’il n’a pas conscience des liens qu’a la demanderesse avec le Sri Lanka lorsqu’il affirme qu’elle en a [traduction] « très peu ». Cela me donne à penser que ces éléments n’ont pas été pris en considération ou qu’ils ont été appréciés d’une manière peu raisonnable. D’une façon ou d’une autre, cet élément rend la décision déraisonnable.

 

[48]           L’agent a commis une autre erreur lorsqu’il a laissé entendre que la demanderesse avait falsifié son statut professionnel. En fait, l’agent disposait de renseignements qui appuyaient les affirmations de la demanderesse. Il a commis une erreur en ne tenant pas compte de ces éléments de façon appropriée lorsqu’il a examiné la véracité des affirmations de la demanderesse au sujet de son travail. Comme la demanderesse l’a fait remarquer, il est peu raisonnable de conclure qu’une veuve de 69 ans ne peut travailler. Cela l’est d’autant moins que des documents qui appuyaient une conclusion contraire avaient été présentés à l’agent.

 

[49]           L’agent a également écarté des éléments de preuve très importants fournis par le frère de la demanderesse qui est à l’emploi du gouvernement fédéral du Canada, comme cela est mentionné dans sa lettre.

 

[50]           Compte tenu de l’accumulation des erreurs qui ont été commises dans cette affaire, je crois que la décision est déraisonnable et que la demande devrait être soumise à un nouvel examen.

 

[51]           La demanderesse a également soulevé des questions d’équité procédurale, mais, compte tenu des conclusions auxquelles j’en suis arrivé sur le traitement de la preuve par l’agent, il n’est pas nécessaire que j’examine ces motifs supplémentaires.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  Il est fait droit à la demande, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un autre agent;

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6034-09

 

INTITULÉ :                                       KAMALALOJANI PARAMASIVAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 JUILLET 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 AOÛT 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manuel Jesudasan                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

Veronica Cham                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Manuel Jesudasan

Avocat                                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Scarborough (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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