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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100805

Dossier : IMM-804-09

Référence : 2010 CF 803

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 août 2010

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

TAO LI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision de facturer au demandeur, le 7 août 2003, les frais exigibles en application des alinéas 295(1)a) et 295(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[2]               Le demandeur conteste l’alinéa 295(3)a) du Règlement au motif qu’il entre en conflit avec le pouvoir réglementaire prévu au paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 (la LGFP). Le demandeur a expliqué que, si la Cour conclut que les frais en question sont illégaux, il entend transformer la présente demande de contrôle judiciaire en action, demander la certification de cette action en tant que recours collectif et réclamer qu’un remboursement ou des dommages-intérêts soient accordés aux personnes visées par le recours collectif qui se sont vu facturer de tels frais.

 

[3]               Voici les motifs pour lesquels je conclus que les frais prévus à l’alinéa 295(3)a) ne sont pas illégaux et pour lesquels je rejette la demande.

 

LE CONTEXTE

 

[4]               Âgé de 41 ans, le demandeur est un citoyen canadien qui a parrainé ses parents, des citoyens de la Chine, en vue de les aider à obtenir la résidence permanente au Canada. Le demandeur a soumis sa demande de parrainage au défendeur le 7 août 2003, et a acquitté des frais de parrainage de 75 $ ainsi que des frais relatifs à la demande de visa de résident permanent, pour un total de 1 025 $.

 

[5]               La demande de parrainage a été approuvée le 12 octobre 2005 et les parents ont soumis leur demande de visa de résident permanent le 1er novembre 2005. Des visas de résidents permanents leur ont été délivrés le 15 février 2007.

 

[6]               La réunification des familles constitue un objectif important du régime canadien d’immigration. À cette fin, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) permet aux citoyens canadiens et aux résidents permanents de parrainer leurs proches parents afin de les aider à obtenir le statut de résident permanent. Si leur demande de visa de résident permanent est accueillie, les membres de la famille peuvent ainsi immigrer au Canada même s’ils ne satisfont pas aux critères de sélection auxquels ils seraient autrement assujettis.

 

[7]               Le Règlement crée un processus en deux étapes pour le traitement des demandes au titre de la catégorie du regroupement familial. Premièrement, le répondant doit soumettre une demande de parrainage. Deuxièmement, une fois que cette demande a été approuvée, les membres de la famille peuvent soumettre une demande de visa de résident permanent « parrainée ».

 

[8]               Sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, le répondant ne payait qu’une fois les frais de traitement des deux demandes. Toutefois, sous le régime du Règlement actuel pris en application de la LIPR, il existe deux types distincts de frais à payer : les premiers concernent les frais à payer en application du paragraphe 304(1) pour l’examen de la demande de parrainage (les frais de parrainage), et les seconds concernent les frais à payer en application de l’alinéa 295(1)a) pour l’examen de la demande de visa de résident permanent (les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent).

 

[9]               Aux termes de l’alinéa 295(3)a), les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent sont exigibles au moment où le répondant dépose sa demande de parrainage, c’est-à-dire à la première étape du processus, et ce, même si ces frais se rapportent à la seconde étape, c’est-à-dire à l’examen de la demande de résidence permanente. Le Règlement ne fait que confirmer la pratique qui était suivie sous l’ancien régime législatif, à cette différence importante près qu’en vertu de l’ancienne Loi, aucuns frais n’étaient remboursés en cas de rejet de la demande de parrainage. Sous le régime de la LIPR, les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent sont remboursables en entier si la demande de parrainage est rejetée ou retirée.

 

[10]           Au début de la période de transition qui a suivi l’entrée en vigueur de la LIPR, le temps d’attente qui s’écoulait entre l’examen des deux demandes était minime. Toutefois, le volume de demandes a depuis augmenté considérablement. Pour des raisons de principes, les demandes des conjoints et des enfants sont celles qui sont traitées le plus rapidement. Les demandes de parrainage et les demandes de visa de résident permanent sont soumises ensemble et le gouvernement s’est engagé à les traiter dans un délai de six mois.

 

[11]           Pour les parents et les autres membres de la famille, la pratique consistant à les traiter dans l’ordre est maintenue. Ainsi donc, en pratique, les frais exigés pour la seconde étape sont acquittés longtemps avant que l’on arrive à cette étape. De fait, la preuve soumise à la Cour laisse entrevoir que, normalement, le traitement d’une demande de visa de résident permanent des parents ou des grands-parents, en date de mars 2010, ne sera entamé qu’environ 34 mois après que les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent sont acquittés. À ce moment-là, le répondant est informé de la décision rendue au sujet de l’admissibilité. Le répondant peut choisir de faire examiner la demande de visa de résident permanent que la demande de parrainage soit accueillie ou non. Dans un cas comme dans l’autre, la formule de demande de visa de résident permanent n’est envoyée qu’une fois que la décision a été rendue au sujet de la demande de parrainage.

 

[12]           Si la demande de parrainage est rejetée, et qu’on n’atteint jamais la seconde étape, les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent sont remboursables en entier. Suivant la preuve, chaque année, environ 2,5 pour 100 des demandes de parrainage sont rejetées. Bien que le demandeur ne l’accepte pas, cette estimation n’a pas été sérieusement contestée au cours de la présente instance. De plus, le répondant peut retirer sa demande de parrainage. Si la demande est retirée avant l’examen de la demande de visa de résident permanent, les frais payés sont remboursés. Il est clair, cependant, que l’on donne suite à l’immense majorité des demandes de parrainage et des demandes de visa de résident permanent, comme c’est le cas en l’espèce.

 

[13]           Suivant l’affidavit souscrit par Mme Michele Naughton, analyste des politiques à CIC, il est logique, pour des raisons d’ordre pratique, que CIC perçoive les deux types de frais au début du processus en deux étapes, parce que, dès que la première étape a été franchie avec succès, le Ministère peut passer à la seconde étape dans 97,5 pour 100 des cas sans le temps, les efforts et les délais qu’entraîne le fait de réclamer les frais d’examen de la demande de visa de résident permanent et d’attendre qu’ils soient payés. Mme Naughton a déclaré que le fait d’ajouter une autre étape pour demander et traiter les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent entraînerait des pertes plus grandes que celles que subit présentement le gouvernement fédéral.

 

[14]            Les tentatives faites par le demandeur pour recouvrer les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent ont commencé par une action introduite devant notre Cour dans le dossier IMM-5065-05. Il s’agit d’une action à gestion spéciale qui a été confiée au juge Sean Harrington. Le juge Harrington a suspendu l’action aux termes d’une ordonnance prononcée le 5 septembre 2006 jusqu’à ce que l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire soit connue.

 

[15]           La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 19 février 2009 et il s’agit également d’une instance à gestion spéciale qui a été confiée au juge Harrington. Le demandeur y sollicite un jugement déclaratoire portant que l’alinéa 295(3)a) du Règlement est ultra vires et inopérant et que le défendeur a agi illégalement en exigeant qu’il acquitte en août 2003 les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent. Les parties conviennent, tout comme moi, que suivant l’arrêt Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, rendu par la Cour d’appel fédérale, un tel jugement déclaratoire constitue une condition préalable à l’action en dommages‑intérêts que le demandeur entend intenter contre le défendeur pour récupérer les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Dans ses observations écrites, le demandeur conteste l’admissibilité de certains affidavits déposée par le défendeur notamment parce qu’ils renferment des déclarations faites sur la foi de renseignements tenus pour véridiques, sans préciser les sources sur lesquelles reposent ces convictions et sans expliquer l’omission de faire témoigner des personnes ayant une connaissance personnelle des faits (article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106; Nation Crie de Tataskweyak c. Sinclair, 2007 CF 1107).

 

[17]           Lors des débats, l’avocat du demandeur a choisi de ne pas insister sur cette contestation et a admis qu’elle ne revêtait pas une importance capitale pour trancher les principales questions en litige dans la présente affaire. Je suis d’accord avec lui, mais je note, pour les besoins de la cause, que je conclus que le contenu factuel des affidavits contestés est admissible au motif qu’il est fiable et nécessaire pour trancher la demande. Il ne s’agit pas non plus d’une affaire dans laquelle je tirerais une conclusion défavorable du fait que le défendeur n’a pas offert le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels. Les sources des renseignements et des convictions des déclarants, en tant que témoins représentant un important ministère fédéral, ont été expliquées de façon satisfaisante.

 

[18]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que certaines parties de l’affidavit de Mme Naughton renferment des arguments et tirent des conclusions de droit au sujet de l’opportunité et de la valeur des décisions prises par le défendeur sur la façon de procéder. Je leur accorde donc peu ou point de valeur (Société Canadian Tire Ltée c. Canadian Bicycle Manufacturers’ Association, 2006 CAF 56).

 

[19]           Bien que le défendeur eût adopté le point de vue, dans ses observations écrites, que la demande de contrôle judiciaire était théorique étant donné que la demande de visa de résident permanent du demandeur avait été examinée et accueillie, l’avocate du défendeur a reconnu à l’audience qu’il y avait toujours un litige actuel entre les parties, de sorte qu’elle n’a pas insisté sur la question du caractère théorique. Je suis convaincu que la présente affaire n’est pas théorique. Le demandeur affirme qu’on lui a fait payer illégalement les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent et il cherche à récupérer cet argent, ce qui constitue un litige toujours actuel. En tout état de cause, même si la question était théorique, il conviendrait en l’espèce que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et qu’elle décide de trancher la question en litige (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).

 

[20]           En conséquence, la question qui oppose encore les parties et que la Cour doit trancher est de savoir si l’alinéa 295(3)a) du Règlement est ultra vires en ce sens qu’il entre en conflit avec l’article 19 de la LGFP.

 

LA POSITION DES PARTIES

 

[21]           Bien qu’il ait réussi à faire admettre ses parents au Canada en tant que résident permanent, le demandeur affirme qu’il ne devait pas avoir à payer en août 2003 les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent, étant donné que les demandes de résidence permanente de ses parents ne pouvaient pas être soumises (et encore moins examinées) avant octobre 2005. Le demandeur affirme que, en fait, si le moment où ils sont réclamés rend illégaux les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent, il n’aurait pas dû avoir à les payer du tout.

 

[22]           Le demandeur affirme que l’alinéa 295(3)a) du Règlement est illégal parce qu’il outrepasse le cadre du pouvoir réglementaire conféré par le paragraphe 19(2) de la LGFP. Le paragraphe 19(2) prévoit que les frais doivent être calculés en fonction du principe de recouvrement des coûts, de sorte que l’on ne peut réclamer que les frais correspondant au service qui a été effectivement fourni. Le demandeur fait valoir que l’alinéa 295(3)a) permet d’exiger des frais pour un service — le traitement des demandes de résidence permanente — qui ne sera offert que de nombreux mois plus tard, sinon jamais (si la demande de parrainage est refusée ou retirée).

 

[23]           Le demandeur soutient également que le recouvrement anticipé des frais relatifs à la demande de visa de résident permanent est une mesure injuste. Même si le service est finalement fourni, ou s’il n’est pas fourni mais que les frais sont remboursés, le répondant a perdu la possibilité d’utiliser l’argent dans l’intervalle. Le législateur ne peut pas avoir voulu que la LGFP permette de consentir des prêts sans intérêts au gouvernement.

 

[24]           Le demandeur soutient que cette interprétation de la LGFP repose sur les principes d’interprétation des lois énoncés dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 27 :

Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

 

[25]           Le demandeur affirme que l’intention du législateur n’était pas de permettre de réclamer des frais pour des services futurs qui sont susceptibles de ne jamais être fournis. Le libellé du paragraphe 19(2) de la LGFP – rédigé au passé et au présent dans la version anglaise qui emploi les mots provided et providing – parle du prix à payer pour la « prestation de service » (provided) [par renvoi au paragraphe 19(1)] et des coûts supportés pour la « prestation de services » (providing), et le libellé ne donne pas à penser qu’il pourrait s’appliquer à des services futurs. Ailleurs dans la LGFP, le paragraphe 20(1) traite de services futurs en prévoyant la restitution des fonds versés à titre de cautionnement. Suivant le demandeur, il serait illogique d’interpréter le paragraphe 19(2) comme s’appliquant aussi à des services futurs.

 

[26]           Le principal moyen avancé par le défendeur était que tant les frais relatifs à la demande de parrainage que les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent s’appliquent à un seul et même service consistant à faire admettre les membres de la famille du répondant au Canada. Le traitement de la demande de résidence permanente n’est qu’un aspect de ce service général. L’article 19 de la LGFP a une portée suffisamment large pour autoriser deux types de frais qui sont réclamés au même moment pour deux « services» qui font l’un et l’autre partie du même processus. Le défendeur cite à l’appui de cette proposition le jugement Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159, 300 F.T.R. 158.

 

[27]           Le défendeur invoque également plusieurs autres arguments. Il soutient, en premier lieu, que même si chacune des étapes de la procédure à suivre dans le cas d’une demande au titre du regroupement familial constitue un « service » distinct, le fait de facturer les deux services au même moment comporte plusieurs avantages sur le plan pratique. Le défendeur souligne aussi que le régime actuel est plus favorable aux répondants que le régime qui existait aux termes de l’ancienne Loi sur l’immigration. Suivant ce régime, CIC facturait une seule fois des frais non remboursables pour traiter les deux demandes. Maintenant, CIC facture séparément les frais relatifs à ces deux demandes, de sorte que, si la demande de parrainage est refusée, les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent peuvent être remboursés.

 

[28]           Le défendeur fait valoir, en deuxième lieu, que les réserves du demandeur ne portent que sur le moment où sont facturés les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent. Le demandeur ne s’oppose pas en principe à l’idée de devoir payer ces frais; il affirme seulement que ces frais ne devraient pas être exigibles si en avance. Le paragraphe 19(2) de la LGFP ne traite cependant que du montant des frais et non du moment où ils deviennent exigibles. La LGFP n’interdit pas au gouvernement de facturer des frais avant de fournir le service.

 

[29]           Le défendeur soutient, en troisième lieu, que dans le jugement Vaziri, précité, la Cour a jugé que le temps qui s’écoule entre le moment où CIC perçoit des frais pour un service et celui où il examine les demandes présentées au titre de la catégorie du regroupement familial est une conséquence acceptable découlant de décisions légitimes sur la façon de procéder.

 

[30]           Le défendeur affirme, en quatrième lieu, s’agissant de la crainte du demandeur que la demande de résidence permanente ne soit jamais examinée (advenant le cas où la demande de parrainage est refusée), que la preuve montre que seulement 2,5 pour 100 des demandes de parrainage sont refusées, et qu’en pareil cas, les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent sont remboursables au complet.

 

 

[31]           Enfin, bien que le défendeur admette que l’objet du paragraphe 19(2) est de prévoir que les frais soient calculés en fonction des coûts à recouvrer, il n’est pas nécessaire que le recouvrement soit parfait. La loi exige uniquement que les frais se rapportent aux coûts du service qui est fourni. Le défendeur affirme que, dans le présent contexte, les coûts excédaient les frais d’environ 735 $ par demande présentée au titre du regroupement familial, de sorte que les frais constituent de toute évidence une mesure de recouvrement des coûts.

 

 

[32]           En réponse, le demandeur soutient qu’il importe peu que la structure actuelle de frais procure des avantages pratiques à CIC et qu’elle soit plus favorable aux répondants que le régime prévu par l’ancienne Loi sur l’immigration. À lui seul, ce facteur ne suffit pas pour faire des frais relatifs à la demande de visa de résident permanent une mesure de recouvrement des coûts justifiable.

 

[33]           Le demandeur ajoute que le jugement Vaziri n’a pas tranché la question en litige en l’espèce. Dans le jugement Vaziri, la Cour a jugé que CIC a le droit de donner la priorité à certaines demandes présentées au titre de la catégorie du regroupement familial et qu’il lui est ainsi loisible de retarder le traitement d’autres demandes. Dans le jugement Vaziri, la Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si, compte tenu de ces délais, CIC pouvait facturer des frais des années avant que le traitement n’ait lieu.

 

[34]           Le demandeur affirme par ailleurs qu’il est sans importance que seulement 2,5 pour 100 des demandes de parrainage soient refusées, en supposant que ces chiffres soient exacts. Dès lors que quelques-unes sont refusées et que d’autres sont retirées, les répondants se voient facturer les frais relatifs à la demande de visa de résident permanent pour un service qui, en pareil cas, n’est jamais rendu, ce qui fait que ces frais sont illégaux.

 

[35]           Bien que cette question ne soit pas directement en litige dans la présente instance, le demandeur conteste la prétention du défendeur suivant laquelle les coûts supportés pour offrir le service excèdent considérablement les frais qui sont facturés. Le demandeur remet également en question la méthode utilisée pour calculer ces coûts. Ces questions ont été soumises à la Cour dans le cadre d’une autre affaire.

 

LE CADRE LÉGAL

 

[36]           Les paragraphes 19(1) et 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques disposent :

 

19. (1) Sur recommandation du Conseil du Trésor, le gouverneur en conseil peut:

 

19 (1) The Governor in Council may, on the recommendation of the Treasury Board,

 

a) fixer par règlement, pour la prestation de services ou la mise à disposition d’installations par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom, le prix à payer, individuellement ou par catégorie, par les bénéficiaires des services ou les usagers des installations;

 

(a) by regulation prescribe the fees or charges to be paid for a service or the use of a facility provided by or on behalf of Her Majesty in right of Canada by the users or classes of users of the service or facility; or

b) autoriser le ministre compétent à fixer ce prix par arrêté et assortir son autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

(b) authorize the appropriate Minister to prescribe by order those fees or charges, subject to such terms and conditions as may be specified by the Governor in Council.

 

(2) Le prix fixé en vertu du paragraphe (1) ou rajusté conformément à l’article 19.2 ne peut excéder les coûts supportés par Sa Majesté du chef du Canada pour la prestation des services aux bénéficiaires ou usagers, ou à une catégorie de ceux-ci, ou la mise à leur disposition des installations.

(2) Fees and charges for a service or the use of a facility provided by or on behalf of Her Majesty in right of Canada that are prescribed under subsection (1) or the amount of which is adjusted under section 19.2 may not exceed the cost to Her Majesty in right of Canada of providing the service or the use of the facility to the users or class of users.

 

 

[37]           Le paragraphe 20(1) de la LGFP énonce :

 

20. (1) Le fonctionnaire public qui reçoit des fonds à titre de cautionnement en garantie d’exécution d’un acte ou d’une chose les conserve ou en dispose conformément aux

règlements du Conseil du Trésor.

 

 

20. (1) Where money is received by a public officer from any person as a deposit to ensure the doing of any act or thing, the public officer shall hold or dispose of the money in accordance with regulations of the Treasury Board.

 

[38]           Le paragraphe 295(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est entré en vigueur le 28 juin 2002 en vertu des pouvoirs de réglementation et d’établissement des frais conférés au gouverneur général par le paragraphe 5(1) et l’article 89 de la LIPR et le paragraphe 19(1) de la LGFP. Le paragraphe 295(3) est ainsi libellé :

 

295. (3) Les frais prévus au paragraphe (1) à l’égard de la personne qui présente une demande au titre de la catégorie du regroupement familial ou à l’égard des membres de sa famille sont :

 

295. (3) A fee payable under subsection (1) in respect of a person who makes an application as a member of the family class or their family members

a) exigibles au moment où le répondant dépose sa demande de parrainage, à l’instar des frais prévus au paragraphe 304(1);

(a) is payable, together with the fee payable under subsection 304(1), at the time the sponsor files the sponsorship application; and

 

b) restitués conformément aux règlements visés au paragraphe 20(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, si la demande de parrainage est retirée par le répondant avant que ne débute l’examen de la demande de visa de résident permanent.

 

(b) shall be repaid in accordance with regulations referred to in subsection 20(2) of the Financial Administration Act if, before the processing of the application for a permanent resident visa has begun, the sponsorship application is withdrawn by the sponsor.

ANALYSE

La norme de contrôle

[39]           Il y a lieu de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des décisions prises par le gouvernement sur la façon de procéder (Thorne’s Hardware Ltd. c. Canada, [1983] 1 R.C.S. 106; Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), 2004 CAF 166, et De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436).

 

[40]           Dans ces décisions, les tribunaux rappellent qu’un règlement ne doit être déclaré invalide que s’il contredit le libellé explicite de sa loi habilitante. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la question de savoir si un règlement est ultra vires parce qu’il outrepasse l’une de ses lois habilitantes. Il s’agit d’une « question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité » et une telle question est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Sunshine Village, précité, au paragraphe 10; Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada, 2008 CAF 229, [2009] 3 R.C.F. 136, aux paragraphes 53 à 63; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 59).

 

L’alinéa 295(3)a) du Règlement est-il ultra vires?

 

[41]           Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Jafari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 2 C.F. 595, aux pages 5 et 6, il n’appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique.

 

[42]           Je suis conscient du fait que le demandeur a soumis des éléments de preuve suivant lesquels des représentants du gouvernement ont remis en question le bien-fondé de la décision de principe voulant que l’on exige le paiement des frais relatifs à la demande de visa de résident permanent en même temps que les frais relatifs à la demande de parrainage. De plus, en contre‑interrogatoire, les déclarants du défendeur ont admis qu’il serait faisable, sur le plan administratif, d’exiger le paiement des frais relatifs à la demande de visa de résident permanent au même moment que celui où la formule de demande est remplie et soumise.

 

[43]           Je relève que, suivant la preuve, le fait de scinder le paiement de ces deux types de frais entraînerait une hausse des coûts et rendrait plus complexe l’administration du régime. En tout état de cause, la question à laquelle la Cour est appelée à répondre n’est pas celle de savoir si un tel changement d’orientation serait raisonnable ou sage, mais de savoir si la façon de faire actuelle que l’on trouve dans le règlement outrepasse les pouvoirs conférés par la loi habilitante.

 

[44]           L’interprétation que le demandeur fait du paragraphe 19(2) semble à première vue être confirmée par l’emploi, dans la version anglaise du texte, des mots « providing » et « provided », c’est-à-dire du verbe « provide » conjugué au présent et au passé. On trouve le terme « providing » dans le passage suivant du texte anglais : « […] the cost to Her Majesty in Right of Canada of providing the service […] » [en français : « […] les coûts supportés par Sa Majesté du chef du Canada pour la prestation des services […] »]. Le texte semble viser les coûts du service, indépendamment du moment où ce service est fourni. Il n’implique cependant pas que le service doive être fourni à un moment déterminé. L’expression « fees or charges for a service […] provided by on or on behalf of Her Majesty in Right of Canada » [en français (par renvoi au paragraphe 19(1)) : « […] [le prix que les bénéficiaires doivent payer] pour la prestation de services […] par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom […] »] semble quant à elle viser un service qui a déjà été fourni avant que le prix ne soit fixé.

 

[45]           Si on les interprète dans leur ensemble conformément à la méthode moderne en matière d’interprétation des lois, les versions anglaise et française du paragraphe 19(2) n’empêchent pas le gouvernement d’imposer des frais en vue de récupérer les coûts supportés pour fournir les services en question, et ce, bien avant que ces services ne soient effectivement rendus. Le paragraphe prévoit que le prix ainsi fixé ne peut excéder les coûts supportés par Sa Majesté pour la prestation des services (« may not exceed the cost to Her Majesty »). Le paragraphe 19(2) de la LGFP n’exige pas non plus que le service pour lequel des frais sont exigés soit exécuté dans un délai raisonnable.

 

[46]           Dans l’affaire Vaziri, un délai de 34 mois a été jugé acceptable dans les circonstances de l’espèce. Je conviens toutefois avec le demandeur que l’affaire Vaziri ne nous est pas utile pour trancher la question en litige. L’affaire Vaziri portait sur une demande de bref de mandamus visant à contraindre CIC à prendre une décision au sujet d’une demande présentée au titre de la catégorie du regroupement familial. La Cour a jugé que CIC avait le droit de formuler des directives accordant la priorité aux demandes de parrainage des conjoints et des enfants par rapport aux demandes visant les parents et les grands-parents. Compte tenu de la décision de principe valablement prise par CIC, le délai n’était pas excessif. Cette conclusion n’a pas grand‑chose à voir avec la question de savoir si la LGFP permet la facturation de frais visant à récupérer des coûts lorsque le service correspondant risque de ne jamais être rendu. Dans le jugement Vaziri, la Cour a jugé que le demandeur ne peut légitimement s’attendre à ce que le service lui soit fourni plus tôt.

 

[47]           Le fait que le paragraphe 20(1) de la LGFP traite expressément des cautionnements versés pour des services futurs ne vient pas, à mon avis, renforcer l’interprétation que le demandeur fait de la portée du paragraphe 19(2). Ces cautionnements sont fondamentalement différents des frais réclamés pour des services. La question des services futurs peut être réglée par un régime prévoyant la restitution du cautionnement versé tout en prévoyant le paiement de frais. Le paragraphe 19(2) de la LGFP n’impose aucune limite de temps à la prestation des services pour lesquels les frais sont perçus. Je crois qu’il va également de soi que, lorsque des frais sont réclamés avant que les services ne soient fournis, il est possible qu’une partie de ces services ne soient jamais rendus.

 

[48]            Le défendeur invoque trois décisions à l’appui de son argument selon lequel la seule condition à laquelle les frais visant à recouvrer les coûts sont assortis est que le montant des frais se rapporte aux coûts des services et qu’il n’y a aucune exigence en ce qui a trait aux délais (Thorne’s Hardware Ltd. c. Canada, précité, Succession Eurig, [1998] 2 R.C.S. 565, et 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 7, [2008] 1 R.C.S. 131). Deux de ces décisions portaient sur des redevances de nature réglementaire et non sur des frais d’utilisation. Dans l’arrêt 620 Connaught, la Cour suprême explique la différence entre les deux, paragraphes 19 et 20 :

 

Les frais d’utilisation, par définition, sont des droits prélevés par le gouvernement pour l’utilisation d’installations ou de services gouvernementaux. Dans ce cas, comme la Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Eurig, il doit exister un lien clair entre la somme exigée et ce qu’il en coûte au gouvernement pour fournir les services ou les installations. Les frais exigés ne peuvent dépasser ce qu’il en coûte au gouvernement pour fournir les services ou les installations. [. . .].

 

Par contre, les redevances de nature réglementaire ne sont pas exigées pour la fourniture d’installations ou de services particuliers. Elles sont habituellement exigées à l’égard de droits ou d’avantages accordés par le gouvernement. Les sommes perçues en vertu du régime de réglementation servent à financer le régime ou visent à modifier les comportements. Les droits peuvent être fixés simplement pour défrayer les coûts du régime de réglementation. Ou encore, ils peuvent être fonction du montant estimé nécessaire pour proscrire, interdire ou favoriser un comportement [. . .]

 

 

[49]           Il est évident que l’article 19 de la LGFP permet d’exiger des frais d’utilisation et non des redevances de nature réglementaire. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si les frais contestés constituent des frais d’utilisation légitimes au moment où ils sont imposés. L’arrêt 620 Connaught ne nous aide pas à trouver une réponse à cette question, parce que, dans cette affaire, « rien ne port[ait] à croire » qu’on avait affaire à des frais d’utilisation (paragraphes 17 et 21). La Cour suprême n’a donc pas analysé en détail les exigences liées aux frais d’utilisation.

 

[50]           De même, suivant l’interprétation que j’en fais, l’arrêt Thorne’s Hardware de la Cour suprême confirmait la validité des frais en question parce que les dispositions législatives applicables autorisaient le prélèvement de redevances de nature réglementaire. Un port pouvait facturer des frais à un navire qui n’utilisait aucun service, parce qu’il avait le droit de percevoir les « frais raisonnablement reliés aux coûts [généraux] d’exploitation du port ». Je ne suis pas convaincu que la Cour suprême aurait confirmé la validité des frais si elle avait interprété la loi comme autorisant uniquement l’imposition de frais d’utilisation pour des services spécifiques.

 

[51]           La troisième affaire citée par le défendeur, l’affaire Eurig, porte bien sur des frais d’utilisation. Au paragraphe 21 de l’arrêt Eurig, le juge Major, qui s’exprimait pour la majorité, explique qu’il doit y avoir un rapport entre la somme exigée et le coût du service fourni pour que cette somme (les frais d’utilisation) soit considérée valide. Il n’est pas nécessaire que les frais demandés correspondent précisément au coût du service fourni, dès lors qu’il existe un rapport raisonnable entre le coût du service fourni et la somme exigée. L’arrêt Eurig ne prévoit pas de condition portant sur les délais en ce qui concerne les frais d’utilisation. Si la preuve établit qu’il existe effectivement un rapport raisonnable entre le coût du service fourni et la somme exigée, cela suffit pour que les frais d’utilisation respectent le paragraphe 19(2) de la LGFP.

 

[52]           À mon avis, même si elle est contestée, la preuve présentée en l’espèce démontre effectivement qu’il existe à tout le moins un rapport raisonnable entre le coût du service fourni et les frais exigés. Suivant la preuve, et suivant notamment le témoignage d’une spécialiste en matière de fixation de coûts, Mme Diane Platt, il faut tenir compte de plusieurs variables pour déterminer si l’objectif du recouvrement des coûts est atteint ou non. Je ne me prononce pas aujourd’hui sur la question de savoir si le montant précis est valide. Cependant, j’accepte l’argument du défendeur suivant lequel il existe un rapport évident entre les coûts assumés et les frais exigés en l’espèce.

 

[53]           De prime abord, j’ai trouvé séduisante la position du demandeur selon laquelle le paiement anticipé des frais ne pouvait se justifier tant que des demandes de visa de résident permanent ne seraient pas examinées en raison de l’inadmissibilité du répondant, peu importe que les chiffres correspondent à l’estimation de 2,5 pour 100 du gouvernement ou à d’autres chiffres. Après réflexion, je ne crois pas que la validité d’un règlement qui prévoit l’imposition de frais devrait être jugée en fonction du fait que, dans un infime pourcentage des cas, le service ne sera jamais fourni en raison de la non-réalisation d’une condition préalable, en l’occurrence l’admissibilité du répondant, surtout lorsque la preuve démontre à l’évidence que, dans l’immense majorité des cas, la décision préalable est favorable.

 

[54]           Je suis renforcé dans ma conclusion par le fait que, dans le présent contexte, les demandeurs peuvent choisir de poursuivre avec la demande de visa de résident permanent même si le répondant est déclaré inadmissible et que la demande risque donc d’être futile. Les demandeurs peuvent choisir d’agir ainsi pour pouvoir ensuite interjeter appel à la Section d’appel de l’immigration de la décision qui sera rendue afin de se prévaloir de la possibilité d’invoquer des motifs d’ordre humanitaire devant cette tribune. Dans un cas comme dans l’autre, c’est CIC qui supporte les coûts afférents à l’examen de la demande, et lorsque la demande n’est pas examinée, les frais sont remboursés.

 

[55]           À l’audience, j’ai demandé aux avocats si la décision Association des armateurs canadiens c. Canada, [1997] A.C.F. no 1002 (QL) (C.F. 1re inst.), conf. par 233 N.R. 162 (C.A.), qui n’a été citée par aucune des parties, pouvait aider la Cour à trancher la question en litige en l’espèce. Les avocats connaissaient bien cette décision étant donné qu’elle se rapporte aux questions soumises à la Cour dans une autre affaire, mais ils n’avaient pas envisagé qu’elle pût s’appliquer en l’espèce. J’ai invité les parties à me soumettre leurs observations après l’audience, ce qu’elles ont fait par écrit. Elles affirment toutes les deux que la décision Association des armateurs canadiens c. Canada appuie leur position respective.

 

[56]           L’affaire Association des armateurs canadiens portait sur des frais d’utilisation exigés pour des aides à la navigation maritime et d’autres services de navigation maritime fournis par la Garde côtière canadienne aux navires marchands, notamment les bouées, les balises et les phares. La Cour a conclu que le paragraphe 19(2) de la LGFP visait clairement le recouvrement auprès des usagers des coûts supportés par le gouvernement pour leur fournir un avantage. La nécessité de respecter cet objectif limitait le pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil en matière de réglementation. On prétendait dans cette affaire que les frais en question ne pouvaient être qualifiés de frais « conçus pour recouvrer le coût des services » étant donné qu’on n’exigeait pas les mêmes frais des navires étrangers que ceux demandés aux navires canadiens, et ce, même si les coûts entraînés par la prestation des services étaient les mêmes pour chaque navire. Le juge Paul Rouleau n’était pas d’accord avec cette prétention et, se fondant sur la preuve dont il disposait, il a jugé que la structure des droits exigés reflétait la réalité de l’industrie de la navigation commerciale. Les droits exigés constituaient donc des frais valides conçus pour recouvrer le coût des services.

 

[57]           Le juge Rouleau a estimé qu’il était légitime d’exiger des frais à des moments différents dans le cas des navires étrangers et des navires nationaux. Les frais étaient réclamés aux navires étrangers, selon la région, soit lorsqu’ils entraient dans les eaux canadiennes, soit lorsqu’ils déchargeaient de la cargaison. Toutefois, comme les navires canadiens pouvaient se déplacer librement dans les eaux canadiennes, la Garde côtière ne pouvait pas obtenir de données précises sur leurs mouvements ou leurs activités de chargement et de déchargement. Les droits leur étaient plutôt exigés annuellement. Cette différence quant au moment où les droits étaient imposés a été jugée acceptable, parce qu’elle avait été créée de bonne foi et qu’elle reposait sur les réalités concrètes de l’industrie de la navigation commerciale.

 

[58]           Me fondant sur la décision Association des armateurs canadiens, je conclus qu’il faut tenir compte du contexte dans lequel le service est concrètement fourni lorsqu’on se demande si un règlement impose légalement des frais d’utilisation en vertu du pouvoir réglementaire prévu au paragraphe 19(2) de la LGFP. En l’espèce, le moment où les frais relatifs aux demandes de visa de résident permanent sont imposés semble refléter la réalité concrète de l’examen des demandes de parrainage et des demandes de visa de résident permanent. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il s’agit effectivement d’un seul et même service et j’accepte les éléments de preuve suivant lesquels l’imposition de frais pour les deux demandes s’explique par le fait qu’il est nécessaire de rendre efficace un processus déjà long grâce au traitement de deux types de frais en même temps, et ce, dès le début pour ne pas retarder la prestation des services qui doivent être rendus ultérieurement.

 

CONCLUSION

 

[59]           Exiger le paiement de frais avant que le service ne soit fourni est une pratique courante et incontestée qui ne rend pas les frais imposés par règlement ultra vires parce qu’il outrepasse le cadre du pouvoir réglementaire prévu au paragraphe 19(2) de la LGFP dès lors qu’il existe un rapport évident entre les frais exigés et le coût du service fourni ou à fournir par le gouvernement. Le règlement n’entre pas non plus en conflit avec la loi habilitante lorsque, dans certains cas, le service pour lequel les frais sont payés ne peut être fourni en raison de la non-réalisation d’une condition ou d’un fait.

 

[60]            Dans le cas qui nous occupe, le gouvernement a choisi, comme façon de procéder, d’exiger le paiement des frais à l’avance en reconnaissant que, dans un pourcentage minime des cas, le service ne sera pas fourni et qu’il faudra rembourser les frais. Je ne suis pas persuadé que ce choix rend le règlement ultra vires, d’autant plus que, suivant la preuve, seulement un faible pourcentage des demandes de parrainage est rejeté. Dans l’immense majorité des cas, la demande est accueillie et l’on passe à l’examen de la demande de visa de résident permanent. Les frais sont entièrement remboursables dans les cas où le répondant est jugé non admissible et où il choisit de ne pas poursuivre la demande de visa de résident permanent malgré ce résultat. À mon avis, le règlement tombe pour cette raison sous le coup du paragraphe 19(2) de la LGFP. Pour ces motifs, je conclus que l’alinéa 295(3)a) est intra vires parce qu’elle est conforme à ce qu’autorisent les pouvoirs conférés par la loi habilitante dans la mesure où il existe un rapport évident entre les frais exigés et les coûts engagés pour fournir le service.

 

LA QUESTION CERTIFIÉE

 

[61]           Les parties ont proposé de concert la certification de la question suivante :

L’alinéa 295(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans la mesure où il s’applique aux demandes de visa d’immigrant parrainées présentées par les parents ou les grands‑parents, est-il ultra vires au motif qu’il est incompatible avec l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques?

 

[62]           Je suis convaincu qu’il s’agit d’une question grave qui se prête à une réponse d’application générale et qui permettrait de trancher l’appel (Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89; 318 N.R. 365; Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68; 357 N.R. 326). En conséquence, je suis disposé à la certifier en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR et du paragraphe 18(1) des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, modifiées.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. La question suivante est certifiée en tant que question grave de portée générale :

L’alinéa 295(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans la mesure où il s’applique aux demandes de visa d’immigrant parrainé présentées par les parents ou les grands‑parents, est-il ultra vires au motif qu’il est incompatible avec l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques?

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B, M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-804-09

 

INTITULÉ :                                       TAO LI

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 août 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

Marie-Louise Wcislo

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LORNE WALDMAN

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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