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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100813

Dossier : IMM-4853-09

Référence : 2010 CF 820

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario) le 13 août 2010

En présence de monsieur le juge Zinn   

 

ENTRE :

CINDI (CINDY) YUMIKO HERNANDEZ CARDENAS

JAIME ALDAIR PALMA HERNANDEZ

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), dans laquelle ils demandent à la Cour d’annuler la décision par laquelle une agente d’examen des risques avant le renvoi (ERAR) a rejeté leur demande d’ERAR le 19 août 2009.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

 

Question préliminaire

[3]               L’instruction de la présente demande a eu lieu à la date prévue, le 11 août 2010, à Toronto. Le 6 août 2010, Me Catherine Kerr, l’avocate des demandeurs, a écrit à la Cour une lettre à laquelle elle a joint une copie de la lettre qu’elle avait adressée au défendeur et une copie de l’avis des Services d’aide juridique, daté du 13 juillet 2010, que son cabinet avait reçu alors qu’elle était en vacances. L’avis des Services d’aide juridique était ainsi rédigé :

[traduction]

Vous avez accusé réception en février de cette année de l’attestation d’aide juridique pour l’affaire en cause. La cliente a demandé de changer d’avocat. Veuillez vous reporter aux raisons ci-jointes. Il semble que la cliente souhaitait recevoir les services d’un avocat hispanophone. Veuillez nous faire part de vos commentaires sur les raisons invoquées par la cliente, de l’état d’avancement du dossier et des mesures que vous avez prises le cas échéant jusqu’ici. Veuillez également nous faire part de vos commentaires sur vos rapports avec la cliente.

 

Nous notons que la cliente a demandé ce changement en mars dernier. Il est mentionné dans le système que vous avez été avisé de la demande de changement le 25 mai dernier et que vous avez été invitée à répondre, mais qu’aucune réponse n’a encore été reçue, pour autant que nous le sachions.

 

L’Aide juridique a tardé à donner suite à cette demande de changement d’avocat en raison de la transformation du régime d’Aide juridique, qui s’est traduite par la fermeture de six bureaux régionaux dans la région métropolitaine de Toronto et par la centralisation des dossiers des clients et des effectifs pour gérer ces dossiers dans le présent bureau de district.

 

Vous pouvez me joindre au poste 4227 pour discuter de la question ou pour me laisser un message détaillé.

 

[4]               La Cour a fait savoir à tous les avocats qu’elle s’attendait à ce qu’ils soient présents à l’audience et qu’ils pourraient prendre la parole au sujet de la demande adressée par Me Kerr à la partie adverse en vue d’obtenir un ajournement. Aucun avis de changement d’avocat n’a été déposé – dépôt exigé par les Règles des Cours fédérales – et Me Kerr demeure donc l’avocate inscrite au dossier des demandeurs.

 

[5]               À l’instruction de la présente affaire, Me Kerr a informé la Cour que les demandeurs avaient mis fin à son mandat de représentation en justice et qu’ils lui en avaient fait part en mai  2010. Me Kerr a expliqué qu’elle avait présumé qu’un autre avocat serait désigné. Elle a demandé un ajournement.

 

[6]               La demande d’ajournement a été refusée. La date d’audience a été fixée il y a plus de trois mois. Malgré le fait que le mandat de représentation en justice de Me Kerr avait pris fin peu de temps après, ni elle ni les demandeurs n’ont pris de mesures pour en informer le défendeur ou la Cour. Rien ne permet de penser que les demandeurs ont entrepris des démarches pour engager un autre avocat et Me Kerr a reconnu qu’elle n’avait pas été en mesure de communiquer avec les demandeurs depuis mai 2010.

 

[7]               C’est la Cour qui fixe les dates de ses audiences, ce qui constitue incontestablement un avantage pour les avocats et leurs clients. Les demandeurs connaissaient ou auraient dû connaître la date fixée pour la présente audience et ils auraient dû entreprendre des démarches pour se faire représenter ou pour comparaître en personne afin de formuler des observations orales. La Cour dispose de ressources judiciaires et administratives limitées, et chaque ajournement qu’elle accorde signifie que des ressources ont été gaspillées et que la date d’instruction de la cause d’un autre demandeur qui mérite tout autant d’être entendu ne pourra pas être fixée aussi promptement que si l’ajournement avait été refusé. Pour ces motifs, et comme les demandeurs ne subissaient aucun préjudice, la demande d’ajournement a été refusée.

 

[8]               Par suite de cette décision et comme les demandeurs avaient fait savoir à Me Kerr qu’ils ne souhaitaient plus qu’elle les représente, Me Kerr a informé la Cour qu’elle ne formulerait pas d’observations orales à la Cour au sujet de la demande et que les demandeurs se fonderaient sur le mémoire qui avait été versé au dossier.

 

[9]               L’avocat du défendeur a formulé de brèves observations orales. Le défendeur a demandé l’autorisation de se fonder sur l’affidavit de l’agente d’ERAR qui avait été déposé au soutien de la requête en sursis présentée dans le présent dossier, mais qui n’avait pas été versé au dossier du défendeur dans la présente demande. La Cour a accordé cette autorisation, en se réservant le droit de déterminer la valeur à accorder le cas échéant à cet affidavit compte tenu du défaut de le verser au dossier. En fin de compte, il n’a pas été nécessaire d’examiner cette preuve supplémentaire.

 

[10]           Bien qu’elle n’ait pas participé activement à la présentation d’observations, Me Kerr a informé la Cour qu’elle n’aurait pas proposé la certification d’une question dans la présente demande.

Le contexte

[11]           Mme Cindi Yumiko Hernandez Cardenas est une citoyenne du Mexique qui est arrivée au Canada en compagnie de son conjoint, Jesus Gonzalez Luna, le 23 février 2003. M. Gonzalez Luna avait été marié à une femme dont le père était policier au Mexique. À la suite de sa rupture avec sa femme, M. Gonzalez Luna a commencé à fréquenter Mme Hernandez Cardenas. Peu de temps après qu’ils eurent commencé à se fréquenter, M. Gonzalez Luna a commencé à recevoir des menaces de mort, tout comme Mme Hernandez Cardenas. Cette dernière a affirmé ne pas savoir qui était l’auteur de ces menaces, mais elle soupçonnait le père et les frères de l’ex-épouse de M. Gonzalez Luna. M. Gonzalez Luna et Mme Hernandez Cardenas ont tous les deux demandé l’asile à leur arrivée au Canada. Le fils de  Mme Hernandez Cardenas, Jaime, l’autre demandeur, est arrivé au Canada environ cinq mois plus tard avec l’aide de sa grand-mère.

 

[12]           Mme Hernandez Cardenas affirme qu’environ cinq à six mois après son arrivée au Canada, elle a commencé à faire l’objet d’agressions aux mains de M. Gonzalez Luna. Elle a signalé ces agressions à la police et a porté des accusations. Elle a également obtenu une ordonnance de non-communication. M. Gonzalez Luna a par la suite été déclaré coupable de voies de fait et a en conséquence été expulsé.

 

[13]           Les demandes d’asile de Mme Hernandez Cardenas et de son fils Jaime ont été examinées le 28 juillet 2005. Le 23 août 2005, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié les a déboutés de leur demande au motif qu’ils pouvaient compter sur une protection de l’État suffisante et qu’ils disposaient par ailleurs d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable au Mexique.

 

[14]           Il semble que Mme Hernandez Cardenas ait épousé un citoyen canadien à un moment donné depuis son arrivée au Canada. Elle a eu un second enfant, Kevin, avec cet homme. Ils sont maintenant séparés parce qu’il était lui aussi violent et qu’il avait un problème de jeu.

 

[15]           En 2006, la Société catholique de l’aide à l’enfance (la SCAE) a retiré la garde de Jaime et de Kevin à Mme Hernandez Cardenas parce qu’elle avait sombré dans une grave dépression et qu’elle n’était plus en mesure de s’occuper de ses enfants. Kevin a de nouveau été confié aux soins de Mme Hernandez Cardenas en août 2009 aux termes d’une ordonnance temporaire de surveillance. La SCAE a toutefois continué à s’occuper de Jaime parce qu’il souffrait de retard du développement, de problèmes de comportement et de sclérose tubéreuse. Le 28 avril 2008, Jaime est devenu un pupille de la Couronne. Le 15 août 2008, Mme Hernandez Cardenas a obtenu un droit de visite lui permettant de voir Jaime une fois par semaine.

 

[16]           Mme Hernandez Cardenas a soumis une demande d’ERAR pour Jaime et pour elle-même en décembre 2008. Elle affirmait qu’ils seraient en danger au Mexique parce que M. Gonzalez Luna voulait se venger parce qu’il avait été expulsé par suite des accusations criminelles que Mme Hernandez Cardenas avait portées contre lui. Elle a formulé ses premières observations sans l’aide d’un avocat. Toutefois, en janvier 2009, elle a retenu les services d’un avocate qui a présenté d’autres observations en son nom. Le 19 août 2009, la demande d’ERAR a été rejetée.

 

[17]           L’agente a également noté que Jaime était un pupille de la Couronne, que sa mère n’avait aucun droit de garde ou droit parental et que la SCAE avait confirmé que Jaime se fondait sur les observations présentées par sa mère au sujet des risques.

 

[18]           L’agente a ensuite passé en revue les antécédents des demandeurs au Canada et a fait observer que leur demande d’asile avait été refusée et que les risques allégués dans la demande d’ERAR étaient essentiellement les mêmes que ceux qui avaient été plaidés auprès de la SPR. Aucune demande de contrôle de cette décision n’avait été présentée. La SPR n’a pas retenu l’allégation relative au risque que constituait l’ex-conjoint de fait au motif qu’il ne s’agissait que d’hypothèses et que les demandeurs disposaient d’une PRI viable dans les États de Tabasco, de Campeche et d’Oaxaca et dans les villes de Cancún et de Monterrey. La SPR a également conclu que les demandeurs pourraient se prévaloir de la protection de l’État si l’ex-conjoint réussissait à les retracer. L’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas soumis des éléments de preuve justifiant qu’elle réfute les conclusions tirées par la SPR au sujet de l’existence d’une PRI et de la protection de l’État.

 

[19]           L’agente a examiné les éléments de preuve soumis par les demandeurs à l’appui de leur demande d’ERAR. Elle a pris acte de l’allégation des demandeurs suivant laquelle l’ex-conjoint de Mme Hernandez Cardenas avait proféré des menaces à son égard et qu’il avait attaqué la maison de la mère de Mme Hernandez Cardenas. Malgré le fait que les demandeurs avaient produit des photographies pour illustrer les dommages causés à la maison, l’agente a noté que les images étaient floues et sombres et que les photographies originales n’avaient jamais été soumises, même si les demandeurs avaient affirmé qu’ils les produiraient. L’agente a également fait observer que les demandeurs avaient donné peu de détails sur le moment où l’incident s’était produit et sur la question de savoir s’il remontait à une date récente et s’il y avait eu récidive. L’agente a néanmoins accepté que l’incident avait eu lieu avant décembre 2008. L’agente a conclu que le fait que la mère de la demanderesse principale vivait toujours à Merida, au Yucatan, où les demandeurs avaient déjà habité, n’avait aucune incidence sur le caractère raisonnable ou sur la viabilité de la PRI aux endroits énumérés par la SPR ou la conclusion tirée par celle-ci au sujet de la disponibilité de la protection de l’État.

 

[20]           L’agente a également examiné les éléments de preuve documentaires soumis par les demandeurs et a signalé que ces documents révélaient qu’il existe encore des problèmes de criminalité générale, de violence conjugale et de violence exercée contre les femmes au Mexique. L’agente a conclu que les documents soumis ne faisaient pas état de nouveaux risques, mais qu’ils ne faisaient qu’actualiser les renseignements sur les problèmes et les préoccupations qui existaient au moment où la SPR a rendu sa décision.

 

[21]           L’agente a également fait remarquer qu’on lui avait soumis peu d’éléments de preuve sur le caractère raisonnable ou la viabilité des lieux proposés comme PRI. L’agente a par conséquent conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments d’information démontrant que les lieux proposés comme PRI n’étaient plus raisonnables ou viables.

 

[22]           L’agente a également examiné des éléments de preuve documentaires récents et a conclu que la situation au Mexique était comparable à celle qui existait au moment où la SPR avait rendu sa décision. L’agente a également conclu que les documents ne faisaient pas état de changement de situation permettant de penser que les demandeurs ne pouvaient plus compter sur la protection de l’État ou qu’ils ne pourraient plus se prévaloir d’une PRI. L’agente a par conséquent conclu que la demande ne satisfaisait ni à l’article 96 ni à l’article 97 de la Loi étant donné qu’une PRI constitue un facteur déterminant témoignant de l’existence d’une protection.

 

Les questions en litige

[23]           Les demandeurs soulèvent trois questions dans leur mémoire :

1.      L’agente d’ERAR avait-elle compétence pour tenir compte de motifs d’ordre humanitaire pour se prononcer sur la demande d’ERAR des demandeurs?

 

2.      Si l’agente d’ERAR avait compétence pour tenir compte de motifs d’ordre humanitaire, les demandeurs pouvaient-ils légitimement s’attendre à ce que l’agente d’ERAR tienne compte des motifs d’ordre humanitaire qui lui avaient été soumis?

 

3.      Si les demandeurs pouvaient légitimement s’attendre à ce que l’agente d’ERAR tienne compte de motifs d’ordre humanitaire, l’agente d’ERAR a-t-elle fait défaut de tenir dûment compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, y compris des éléments de preuve concernant l’intérêt supérieur du demandeur mineur?

 

[24]           J’estime qu’il convient mieux de formuler de la façon suivante les questions soulevées par les demandeurs :

1.      L’agente d’ERAR a-t-elle créé une attente légitime qu’elle tiendrait compte de motifs d’ordre humanitaire?

 

2.      L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, y compris des éléments de preuve concernant l’intérêt supérieur du demandeur mineur?

 

Analyse

1. L’agente d’ERAR a-t-elle créé une attente légitime qu’elle tiendrait compte de motifs d’ordre humanitaire?

 

[25]           Les demandeurs affirment que l’agente a créé une attente légitime qu’elle tiendrait compte de motifs d’ordre humanitaire lors de l’examen des risques avant le renvoi (ERAR). Les demandeurs soutiennent que la doctrine des attentes légitimes constitue un aspect de l’obligation d’agir avec équité et ils ajoutent qu’il était inéquitable de la part de l’agente de ne pas tenir compte des motifs d’ordre humanitaire qui lui avaient été soumis. Les demandeurs affirment que l’agente a créé l’attente légitime qu’il serait tenu compte de motifs d’ordre humanitaire lorsqu’elle a réclamé des renseignements sur la relation entre les demandeurs et Jaime ainsi que sur le statut de ce dernier en tant que pupille de la Couronne. Les demandeurs affirment également que, lorsque l’agente a discuté du dossier des demandeurs avec leur avocate, elle lui a demandé si les demandeurs avaient présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’avocate a répondu par la négative, ajoutant que les motifs d’ordre humanitaire n’avaient été invoqués que devant elle, ce à quoi l’agente a répondu : [traduction] « D’accord ». Les demandeurs soutiennent que cette réponse avait également créé une attente légitime que l’agente tiendrait compte de motifs d’ordre humanitaire en laissant croire aux demandeurs qu’elle avait accepté de les examiner. Les demandeurs ajoutent que, si l’agente n’avait pas l’intention de tenir compte de ces motifs, elle était tenue, de par son obligation d’agir avec équité, d’en informer les demandeurs.

 

[26]           Je suis d’accord avec le défendeur que le dossier ne révèle pas que l’agente s’est engagée à tenir compte de motifs d’ordre humanitaire et, si les demandeurs en sont venus à penser qu’un tel engagement avait été pris, j’estime que cette opinion était déraisonnable.

 

[27]           Premièrement, je ne suis pas convaincu que l’agente a créé l’attente légitime qu’elle tiendrait compte de motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs soutiennent qu’en réclamant des renseignements au sujet des liens entre Mme Hernandez Cardenas et Jaime et le statut de ce dernier en tant que pupille de la Couronne, l’agente les invitait à lui soumettre des motifs d’ordre humanitaire et créait l’attente légitime qu’elle en tiendrait compte. J’estime que les demandeurs ont mal interprété les mots que l’agente a employés et la demande que l’agente a faite. La lettre à laquelle les demandeurs font allusion mentionne ce qui suit :

[traduction]

Lorsque vous formulerez vos observations actualisées, veuillez fournir les renseignements les plus récents au sujet des droits de garde de Mme Hernandez Cardenas (sic) et de ses relations avec Jaime Aldair Palma Hernandez, ainsi que des renseignements à jour au sujet du statut de ce dernier comme pupille de la Couronne.

 

[28]           À mon avis, ces propos ne constituent pas une invitation à soumettre des motifs d’ordre humanitaire. Dans leur première demande d’ERAR, les demandeurs ont fait valoir que Jaime était devenu un pupille de la couronne, que le juge avait recommandé que Mme Hernandez Cardenas présente une requête en révision du statut de l’enfant et qu’elle avait bel et bien l’intention de présenter une telle requête. Elle a précisé plus loin dans ses observations qu’elle avait l’intention de soumettre la présente demande lors de l’audience portant sur la garde de Kevin le 13 février 2009. La lettre de l’agente a été écrite le 30 janvier 2009, avant que l’avocate soumette ses autres observations. À mon avis, l’agente ne réclamait pas des observations au sujet des motifs d’ordre humanitaire, mais plutôt des renseignements propres à l’aider à déterminer si Mme Hernandez Cardenas avait présenté sa requête en révision du statut de son fils, si elle avait depuis obtenu un certain type de droits de garde concernant Jaime ou si Jaime était toujours considéré comme un pupille de la Couronne, ce qui comportait certaines conséquences relativement à son renvoi prévu. Il est déraisonnable de prétendre, dans ces circonstances, que l’agente réclamait des arguments sur des motifs d’ordre humanitaire lorsqu’elle a réclamé ces renseignements.

 

[29]           Dans le même ordre d’idées, les demandeurs affirment que l’agente a créé une attente légitime qu’elle tiendrait compte de motifs d’ordre humanitaire parce que, lorsque l’avocate l’a informée que Mme Hernandez Cardenas n’avait pas présenté de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, elle a répondu : [traduction] « D’accord ». Cette interprétation d’un seul mot donné comme réponse est, dans ces circonstances, manifestement déraisonnable à mon sens. Mme Hernandez Cardenas a déclaré, dans ses observations initiales, qu’elle était sur le point de soumettre une demande d’établissement au Canada sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire. L’interprétation raisonnable qu’il convient de donner à ce mot est que l’agente cherchait à savoir, pour sa gouverne personnelle, si une telle demande avait été présentée. J’estime que le fait de se contenter de répondre [traduction] « D’accord » aux propos de l’avocate suivant lesquels aucune demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’avait été présentée ne soumettait pas l’agente à l’obligation positive de tenir compte de ces motifs ou d’informer les avocats et les demandeurs qu’elle n’en tiendrait pas compte.

 

[30]           Deuxièmement, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la doctrine des attentes légitimes ne peut servir à contredire l’intention clairement exprimée par le législateur (dela Fuente c. Canada (M.C.I.), 2006 CAF 186). L’alinéa 113c) de la Loi précise la portée des facteurs dont on peut tenir compte lors de l’examen d’une demande d’ERAR : ces facteurs sont les mêmes que ceux énumérés aux articles 96, 97 et 98 de la Loi. L’intention exprimée clairement par le législateur était de restreindre les demandes d’ERAR à ces facteurs. La doctrine des attentes légitimes ne peut pas être invoquée pour contourner l’obligation que la loi impose à l’agent, et il faudrait en arriver à une telle conclusion pour retenir l’argument des demandeurs.

2. L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, y compris des éléments de preuve concernant l’intérêt supérieur du demandeur mineur?

 

[31]           Les demandeurs affirment que l’agente avait compétence pour examiner à la fois les motifs d’ordre humanitaire et les facteurs ayant trait aux risques. Les demandeurs invoquent le jugement Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, dans lequel la Cour a jugé que le même agent pouvait décider une demande d’ERAR et une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs invoquent aussi sur le jugement Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1274, dans lequel la Cour a jugé que, bien que les agents ne soient pas obligés de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire, les agents d’ERAR peuvent représenter le ministre dans le cadre de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs affirment donc que l’agente avait compétence pour juger la demande présentée par les demandeurs en vue de demeurer au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[32]           Les demandeurs affirment ensuite que l’agente a de toute évidence commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve, notamment de l’intérêt supérieur du demandeur mineur, Jaime. Ils dressent une liste d’éléments d’information que l’agente connaissait et dont elle devait tenir compte, notamment des éléments suivants :

i.                     En tant que pupille de la Couronne, Jaime ne serait pas, pour des raisons de principe, expulsé du Canada;

ii.                   Jaime se retrouverait seul au Canada si sa mère était expulsée;

iii.                  En tant que préadolescent souffrant de problèmes de santé et de problèmes affectifs, Jaime a peu de chance d’être adopté;

iv.                 Jaime a déjà été victime de violence lorsqu’il avait été placé en famille d’accueil;

v.                   Un tribunal de la famille avait jugé qu’il était dans l’intérêt supérieur de Jaime que sa mère ait des droits de visite;

vi.                 Mme Hernandez Cardenas exerce ses droits de visite depuis un an et demi et continue de les exercer;

vii.                En tant qu’enfant aux prises avec plusieurs difficultés et qui serait confronté à la possibilité d’années de placement en famille d’accueil sans garantie de stabilité, Jaime aurait besoin de pouvoir voir sa mère plus souvent que la plupart des pupilles de la Couronne;

viii.              Si Mme Hernandez Cardenas était expulsée, Kevin partirait avec elle et Jaime perdrait aussi ses liens avec son frère Kevin;

ix.                 Une travailleuse sociale de la SCAE s’était dite d’avis qu’il était essentiel pour la santé affective et le développement de Jaime qu’il continue à passer du temps chaque semaine avec sa mère et avec son frère.

 

[33]           Les demandeurs relèvent que, malgré l’existence de tous ces éléments d’information, le seul commentaire que l’agente fait au sujet des motifs d’ordre humanitaire invoqués par les demandeurs est que Jaime est un pupille de la Couronne et que Mme Hernandez Cardenas n’a plus de droits de garde ou de droits parentaux à son égard. Les demandeurs affirment que, non seulement l’agente n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, mais que ses affirmations sont fausses, puisque Mme Hernandez Cardenas exerce toujours son droit parental de visite. Les demandeurs citent l’arrêt Okoloubu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 326, dans lequel la Cour d’appel fédérale affirme que les agents doivent garder à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant et l’importance de famille lorsqu’ils statuent sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs citent aussi l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, dans lequel la Cour suprême conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant fait partie des intérêts relatifs à la famille et ajoute qu’une décision est déraisonnable si elle fait peu de cas de l’intérêt des enfants concernés d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada. Suivant les demandeurs, il ressort clairement de la décision contestée que l’agente n’était ni réceptive ni sensible à l’intérêt supérieur de Jaime.

 

[34]           Là encore, j’abonde dans le sens du défendeur. La faille fondamentale que comporte le raisonnement des demandeurs est le fait que les affaires qu’ils invoquent portent sur des situations dans lesquelles une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait été présentée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La Cour a jugé que tant que les exigences prévues par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002-227, n’ont pas été satisfaites, aucune demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut être présentée (Toussaint c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 873). Les demandeurs n’ont pas présenté de demande « par écrit […] accompagnée d’une demande de séjour à titre de résident permanent » et des frais exigés. Ils n’ont donc pas présenté de demande en vertu de l’article 25 de la Loi. Si une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait été présentée, on pourrait alors soutenir avec raison, comme les précédents cités par les demandeurs l’affirment, que l’agente d’ERAR aurait pu statuer sur les deux demandes. Ce n’est que dans cette hypothèse que l’agente aurait pu tenir compte de motifs d’ordre humanitaire.

 

[35]           Dans l’arrêt Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 394, la Cour d’appel fédérale a clairement affirmé que, bien que ce puisse parfois être le même agent qui procède à l’ERAR et qui juge la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, les deux procédures ne doivent pas être confondues et que l’agent d’ERAR n’est pas tenu de prendre en considération, dans le cadre de l’ERAR, les motifs d’ordre humanitaire. Il n’y a aucun doute dans mon esprit qu’il est de jurisprudence constante que l’agent chargé de trancher une demande d’ERAR n’a pas l’obligation de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire, et ce peu importe que l’on invoque la doctrine des attentes légitimes ou un autre moyen. En conséquence, l’agente n’a pas commis d’erreur en l’espèce en ne tenant pas compte de ces motifs.

 

[36]           J’estime en outre que l’agente aurait commis une erreur de droit si elle avait tenu compte des prétendus motifs d’ordre humanitaire invoqués par les demandeurs. Aux termes de l’article 113 de la Loi, le rôle de l’agent chargé de trancher une demande d’ERAR se limite à l’examen des facteurs énumérés aux articles 96, 97 et 98 de la Loi. L’agent examine le risque et il n’a pas à tenir compte des autres raisons pour lesquelles il serait préférable pour le demandeur de demeurer au Canada. La Loi prévoit d’autres mécanismes appropriés pour procéder à ce genre d’appréciation.

 

Conclusion

[37]           Je conclus que l’agente n’a pas créé d’attente légitime qu’elle tiendrait compte de motifs d’ordre humanitaire. En outre, la doctrine des attentes légitimes ne peut être invoquée pour contourner les dispositions de la Loi qui prévoient expressément que les demandes d’ERAR ne doivent être jugées qu’en fonction des articles 96, 97 et 98 de la Loi. L’agente n’a donc pas commis d’erreur en ne tenant pas compte des observations relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[38]           Pour les motifs qui ont été exposés, la présente demande sera rejetée. Il n’y a pas de questions qui se prêtent à une certification au vu du dossier dont disposait la Cour.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         La présente demande est rejetée.

 

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4853-09

 

INTITULÉ :                                       CINDI (CINDY) YUMIKO HERNANDEZ CARDENAS

                                                            ET AL. c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 août 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 août 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Catherine Kerr

 

POUR LES DEMANDEURS

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KERR & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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