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Date : 20100622

Dossier : T‑697‑02

Référence : 2010 CF 676

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

OSMOSE‑PENTOX INC.

demanderesse

et

 

SOCIÉTÉ LAURENTIDE INC.

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Notre Cour connaît bien les parties à la présente instance. En fait, huit années se sont écoulées depuis que la demanderesse a signifié pour la première fois à la défenderesse une déclaration dans laquelle elle alléguait que la défenderesse avait contrevenu à sa marque déposée « Conservator ». Depuis, les parties se sont lancées dans ce que le juge Hugessen appelle avec justesse une « guérilla presque incessante sur des questions interlocutoires », de sorte que le dossier n’a jamais pu progresser plus loin que les mesures préparatoires au procès (Osmose‑Pentox Inc. c. Société Laurentide Inc., 2007 CF 242, au paragraphe 2). La présente requête ne fait pas exception.

 

[2]               Conformément à l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, la demanderesse a déposé la présente requête en vue d’interjeter appel de l’ordonnance en date du 26 novembre 2009 par laquelle le protonotaire Morneau l’avait déboutée de sa requête visant à faire modifier, conformément au paragraphe 399(2), deux des ordonnances qu’il avait déjà rendues, respectivement le 14 décembre 2005 et le 5 juin 2008.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la requête de la demanderesse est rejetée.

 

I – Contexte

[4]               Les parties sont deux compagnies qui se livrent concurrence dans le domaine des produits de préservation du bois. Comme nous l’avons déjà mentionné, la défenderesse, la Société Laurentide Inc., est accusée d’avoir contrefait la marque de commerce « Conservator » de la demanderesse, OsmosePentox. À titre de réparation, la demanderesse réclame notamment une reddition de compte. Dans sa défense et demande reconventionnelle, la défenderesse nie toutes les allégations de contrefaçon et allègue que la marque de commerce de la demanderesse est invalide et qu’elle devrait en conséquence être radiée du registre des marques de commerce.

 

[5]               L’historique des procédures engagées par les parties a été relaté à plusieurs reprises (voir, par exemple, Osmose‑Pentox Inc. c. Société Laurentide Inc., 2006 CF 386, aux paragraphes 2 à 17 (Osmose‑Pentox 2006)). Les faits survenus à partir de 2005 revêtent une importance cruciale en l’espèce et, par souci de commodité, ils sont à nouveau exposés.

 

[6]               En préparation du procès, des interrogatoires préalables ont eu lieu en janvier et mai 2005. Au cours de l’interrogatoire tenu le 10 janvier 2005, la demanderesse a cherché à obtenir la communication d’une lettre que la défenderesse avait envoyée à un tiers, Rona Inc. (Rona). Suivant la demanderesse, cette lettre contenait des éléments de preuve démontrant que la défenderesse avait incité Rona à continuer à vendre son produit de préservation du bois contrefait. La défenderesse s’est notamment engagée à faire transmettre cette lettre à la demanderesse une fois qu’elle l’aurait récupérée. Toutefois, lors de la reprise des interrogatoires préalables, en mai 2005, la défenderesse a affirmé qu’elle n’avait pas la lettre.

 

[7]               Après que le dernier interrogatoire préalable, tenu le 25 mai 2005, les deux parties ont saisi notre Cour de requêtes visant à faire trancher les objections qu’elles avaient respectivement formulées au cours de cet interrogatoire. Dans la directive qu’il a donnée le 5 août 2005, le protonotaire Morneau a indiqué que les requêtes en question seraient instruites au cours d’une séance spéciale, qu’il a fixée au mardi 25 octobre 2005. Parmi les questions à trancher, il y avait celle concernant la lettre que la défenderesse avait envoyée à Rona.

 

[8]               Toutefois, avant que les requêtes puissent être entendues le 25 octobre 2005, une série d’autres questions préalables au procès ont été soumises à la Cour.

 

[9]               Ainsi, le 12 octobre 2005, la demanderesse a déposé une requête en confidentialité. La demanderesse souhaitait que la Cour déclare confidentiel — et qu’il ne soit communiqué ni au public ni à la défenderesse — le dossier de la requête qu’elle avait déposé devant la Cour le 29 août 2005 à l’appui de sa requête ex parte du 24 août 2005 dans laquelle elle sollicitait une injonction de type Anton Piller et demandait que la défenderesse soit reconnue coupable d’outrage au tribunal. Cette requête ex parte a été rejetée par le juge Lemieux qui, dans ses motifs, a expressément fait état de la demande d’injonction de type Anton Piller, mais est demeuré muet sur la requête en outrage au tribunal.

 

[10]           En raison du silence de la Cour au sujet de sa requête en outrage au tribunal, la demanderesse a déposé une autre requête ex parte le 11 octobre 2005, dans laquelle elle demandait à la Cour de déclarer la défenderesse coupable d’outrage au tribunal. Essentiellement, la demanderesse soutenait que la défenderesse s’était rendue coupable d’outrage au tribunal en raison de son défaut de respecter les engagements qu’elle avait pris lors de l’interrogatoire préalable du 10 janvier 2005.

 

[11]           Dans son ordonnance du 14 décembre 2005, le protonotaire Morneau a refusé de faire droit aux requêtes de la demanderesse et de lui accorder toutes les réparations qu’elle sollicitait, en plus d’ordonner la scission de l’instance « pour que les questions de responsabilité […] soient décidées d’abord et que la question des redressements […] soit tranchée dans une instance séparée advenant que la Cour conclue à la validité de la marque en litige et à sa contrefaçon » (Osmose‑Pentox Inc. c. Société Laurentide Inc., 2005 CF 1689, au paragraphe 84) (l’ordonnance de décembre 2005). Il importe en l’espèce de citer le passage suivant de la décision du protonotaire (au paragraphe 85) :

[…] nonobstant toute ordonnance passée, il sera prescrit que les parties sont dès à présent relevées de leurs obligations respectives de communiquer, à moins que cela ne soit déjà fait, tout document et toute information relatifs à la question des redressements avant la conclusion finale du procès sur les questions de responsabilité. Sans limiter la généralité de ce qui précède, ceci implique que les requêtes pour trancher des objections initialement prévues pour être entendues le 25 octobre 2005 ne seront pas entendues et adjugées. Ces requêtes sont ajournées sine die.

 

 

[12]           La demanderesse a interjeté appel de l’ordonnance de décembre 2005 à la Cour fédérale, puis à la Cour d’appel fédérale (voir, Osmose‑Pentox 2006, précité, pour les motifs de la Cour fédérale, et Osmose‑Pentox Inc. c. Société Laurentide Inc., 2007 CAF 46 (Osmose‑Pentox 2007) pour les motifs de la Cour d’appel).

 

[13]           Pour que la requête en confidentialité de la demanderesse ne devienne pas théorique, l’ordonnance provisoire de confidentialité du dossier de requête de la demanderesse est demeurée en vigueur jusqu’à ce que l’ordonnance du protonotaire devienne définitive, ce qui s’est produit après que la Cour d’appel fédérale eut rendu sa décision en janvier 2007. Ce n’est qu’à ce moment‑là que la défenderesse a été mise au courant de l’allégation d’outrage formulée contre elle.

 

[14]           Le juge de Montigny, de notre Cour, a confirmé la décision du protonotaire, à l’exception de la partie de sa décision relative à la scission de l’instance. Le juge de Montigny a conclu que, compte tenu d’une décision rendue en 2003 par laquelle la juge Gauthier avait rejeté une requête en scission de l’instance présentée par la défenderesse, le protonotaire Morneau n’avait pas compétence pour ordonner la scission de l’instance. Pour arriver à cette conclusion, le juge de Montigny a fait observer ce qui suit :

31                Il va sans dire que je n’éprouverais aucune difficulté à confirmer la décision du protonotaire, n’eut été du fait qu’elle modifie une décision antérieure rendue par un juge […]

 

[…]

 

33        […] malgré les efforts déployés par la demanderesse dans le cadre de ses représentations écrites et orales, elle ne m’a pas convaincu que le protonotaire avait commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits.

 

34        Ceci étant dit, je dois néanmoins me ranger à l’argument de la demanderesse eu égard à l’absence de compétence du protonotaire dans le contexte très particulier de cette affaire. La règle 50(1)g) stipule explicitement que le protonotaire ne peut rendre une ordonnance ayant pour effet d’annuler ou de modifier l’ordonnance d’un juge, sauf celle rendue aux termes des alinéas 385a), b) ou c) […]

 

36                Bien que ce résultat puisse paraître excessivement formaliste, il n’est pas sans issue, du moins dans le présent litige. Il faut en effet se rappeler que dans son ordonnance du 24 octobre 2003, le juge en chef a désigné le juge Hugessen pour gérer cette instance, avec l’aide du protonotaire Morneau. Il est donc toujours possible pour le juge Hugessen, sur la recommandation du protonotaire ou de sa propre initiative, de modifier l’ordonnance de la juge Gauthier et d’ordonner que l’instance soit scindée.

 

[15]           À l’instar du protonotaire, le juge de Montigny s’est dit d’avis qu’il y avait lieu de rejeter la requête en confidentialité ainsi que la requête en outrage au tribunal.

 

[16]           La Cour d’appel fédérale a accueilli en partie l’appel et a accordé à la demanderesse le droit de présenter de nouveau sa requête en outrage au tribunal, mais lui a demandé cette fois‑ci d’en aviser la défenderesse (Osmose‑Pentox 2007, précité).

 

[17]           Conformément à la décision de la Cour d’appel fédérale, la demanderesse a déposé une nouvelle requête en outrage au tribunal le 22 février 2007, après en avoir avisé la défenderesse.

 

[18]           Dans l’intervalle, le 1er mars 2007, sur requête de la défenderesse et en conformité avec la décision du juge de Montigny (Osmose‑Pentox 2006, précité), le juge Hugessen a prononcé une ordonnance scindant la question des réparations de celle de la contrefaçon et de la validité, en précisant que cette dernière devait être examinée en premier (Osmose‑Pentox Inc. c. Société Laurentide Inc., 2007 CF 242). La demanderesse n’a jamais interjeté appel de cette ordonnance ni s’en est autrement désistée. Plus précisément, la demanderesse n’a jamais tenté de faire valoir sa requête en vue de faire trancher par la Cour les objections formulées au cours des interrogatoires préalables qui s’étaient déroulés en 2005.

 

[19]            Le 7 mars 2007, la défenderesse a déposé une requête visant à faire surseoir à la requête en outrage au tribunal que la demanderesse avait déposée le 22 février 2007. Étant donné la requête en récusation du protonotaire Morneau présentée par la demanderesse le 23 mars 2007, la requête en sursis de la défenderesse a été accueillie en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de la requête en récusation.

 

[20]           Le protonotaire Morneau a rejeté la requête en récusation de la demanderesse (Osmose‑Pentox Inc. c. Société Laurentide Inc., 2007 CF 504), décision qui a été confirmée par le juge de Montigny de notre Cour (Osmose‑Pentox c. Société Laurentide Inc., 2007 CF 844), ainsi que par la Cour d’appel fédérale (Osmose‑Pentox Inc. c. Société Laurentide Inc., 2008 CAF 178). Le 26 mai 2008, la demanderesse a informé la Cour qu’elle ne demanderait pas l’autorisation de se pourvoir à la Cour suprême du Canada.

 

[21]           Comme une décision définitive avait été rendue au sujet de la requête en récusation, le protonotaire Morneau a, le 5 juin 2008, rendu une ordonnance portant sur la requête en outrage au tribunal que la demanderesse avait déposée le 22 février 2007. Cette ordonnance prévoyait les mesures suivantes :

1.      La requête est ajournée tant que les questions de responsabilité, soit la question de la contrefaçon de la marque de commerce et celle de la validité de cette même marque, n’auront pas d’abord été tranchées de façon définitive.

2.      Les parties sont relevées de leur obligation de communiquer tout document et toute information concernant la question des réparations avant la conclusion finale du procès sur les questions de responsabilité. Sans limiter la généralité de ce qui précède, la présente mesure englobe les requêtes initialement prévues pour le 25 octobre 2005 visant à résoudre les objections formulées lors des interrogatoires préalables. Ces requêtes sont ajournées sine die.

3.      Quant aux interrogatoires préalables portant sur les questions de responsabilité, les parties les ont essentiellement complétés sans besoin d’y revenir ou de les poursuivre d’aucune façon.

4.      Tout échéancier antérieurement établi par la Cour sera remplacé par un échéancier qui devra être déposé par la demanderesse dans les 90 jours de la date à laquelle la présente ordonnance deviendra définitive.

 

[22]           Malgré le fait que les objections qui devaient être entendues 25 octobre 2005 avec la requête en outrage au tribunal avaient été ajournées sine die aux termes de cette ordonnance, la demanderesse n’a jamais interjeté appel.

 

II – Décision visée par l’appel

[23]           Le 23 novembre 2009, l’avant‑veille de la date prévue pour la tenue de la conférence préalable à l’instruction, la demanderesse a déposé une requête portant sur la [traduction] « fraude envers la Cour » commise par la défenderesse et qui fait l’objet du présent appel. Suivant l’avis de requête, la demanderesse sollicitait expressément que l’ordonnance de décembre 2005 soit modifiée pour permettre à la demanderesse de faire juger ce qu’elle reprochait à la défenderesse et à son avocat relativement à l’engagement qui a avait été pris au cours des interrogatoires préalables qui avaient eu lieu en janvier et mai 2005. Plus précisément, la demanderesse affirme que la défenderesse s’est engagée à lui transmettre la lettre qui avait été envoyée à un tiers, Rona, et qui incitait ce tiers à continuer à contrefaire la marque de commerce de la demanderesse. Suivant la demanderesse, la défenderesse devrait être forcée de lui fournir cette lettre et son omission de le faire constitue une fraude envers la Cour et un outrage au tribunal. La requête de la demanderesse vise essentiellement à faire annuler ou modifier les ordonnances par lesquelles les questions en litige ont été scindées en vue d’être instruites séparément et les interrogatoires préalables ont été déclarés terminés ainsi que l’ordonnance sursoyant à la requête en outrage au tribunal qu’elle a déposée contre la défenderesse.

 

[24]           Dans sa décision du 26 novembre 2009, le protonotaire Morneau a rejeté la requête de la demanderesse. Suivant le protonotaire, la demanderesse n’avait pas fait part de ses préoccupations à ce sujet à la première occasion. La demanderesse n’a pas exprimé ses préoccupations à la suite de l’ordonnance de décembre 2005 qui a été portée en appel jusqu’en Cour d’appel fédérale, et elle ne les a pas non plus soulevées avant ou après l’ordonnance de mars 2007 par laquelle le juge Hugessen avait ordonné la scission des questions à juger. Enfin, la demanderesse n’a pas soulevé cette question en faisant appel de l’ordonnance la plus récente, celle de juin 2008, par laquelle le protonotaire avait déclaré que les interrogatoires préalables se rapportant à la responsabilité étaient complets et que ceux portant sur la question des réparations seraient ajournés jusqu’à ce que les questions portant sur la responsabilité soient tranchées au procès. Compte tenu du fait que ces ordonnances ont depuis longtemps acquis un caractère définitif, la demanderesse a attendu trop longtemps pour agir. De plus, le protonotaire signale qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de faire droit à la requête de la demanderesse, compte tenu du fait que le dossier était enfin parvenu au stade de la conférence préalable à l’instruction et qu’on ne saurait prétendre que l’une ou l’autre des questions soulevées par la demanderesse relève des questions se rapportant à la responsabilité, soit la contrefaçon et la validité de la marque de commerce, lesquelles doivent être examinées en premier.

 

III – Analyse

[25]           Il ressort clairement de la jurisprudence que le juge saisi de l’appel de l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne peut intervenir pour exercer son propre pouvoir discrétionnaire que si l’ordonnance est entachée d’une erreur de droit flagrante, repose sur une mauvaise appréciation des faits ou porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal (Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 17, et Canada c. Aqua‑Gem Investment Ltd., [1993] 2 C.F. 425, aux pages 462 et 463 (C.A.F.)).

 

[26]           La demanderesse n’a pas établi que la décision du protonotaire est entachée d’une erreur flagrante ou encore que la requête porte sur des questions qui ont une influence déterminante sur l’issue du principal. De plus, même si je présumais que la requête soulève une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, je n’exercerais pas mon pouvoir discrétionnaire de novo pour modifier, en vertu du paragraphe 399(2) des Règles des Cours fédérales, les ordonnances du 14 décembre 2005 et du 5 juin 2005 (ou toute autre ordonnance) déjà rendue par le protonotaire de notre Cour.

 

[27]           Le paragraphe 399(2) des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’ordonnance qui a été obtenue par fraude. La présentation de cette requête n’est assujettie à aucun délai de prescription. Cela dit, la jurisprudence établit clairement que toute demande d’annulation d’une ordonnance constitue une réparation exceptionnelle qui doit être demandée avec une diligence raisonnable (Moutisheva c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 24 Imm. L.R. (2d) 212, [1993] A.C.F. no 988, au paragraphe 19 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée à (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 212n (C.S.C.) (QL) (Moutisheva), et Rostamian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 129 N.R. 394, [1991] A.C.F. no 525 (C.A.F.) (QL)). La raison de cette exigence est que la stabilité et l’uniformité garanties par le fait de ne pas revenir sur les jugements définitifs revêtent une importance capitale pour la bonne administration de notre système judiciaire (Bande indienne de Blueberry River c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1999), 189 F.T.R. 111, au paragraphe 14 (C.F. 1re inst.), conf. par 2001 CAF 69).

 

[28]           En l’espèce, la fraude que la défenderesse aurait commise s’est produite au cours des interrogatoires préalables qui ont eu lieu le 10 janvier et le 25 mai 2005. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve susceptible de démontrer que la demanderesse aurait pris conscience de cette fraude à une date ultérieure. Au contraire, il ressort de la transcription de l’interrogatoire préalable du 25 mai 2005, ainsi que du fait que la demanderesse a saisi notre Cour d’une requête visant à faire juger les objections qu’elle avait soulevées lors de l’interrogatoire en question, qu’à l’époque, la demanderesse était d’avis que la défenderesse se soustrayait à sa demande de production du document en question. Fait significatif, ces faits se sont déroulés sept mois avant l’ordonnance de décembre 2005 rendue par le protonotaire Morneau. Non seulement cette question n’a pas été soulevée au cours de l’appel interjeté devant notre Cour ou devant la Cour d’appel fédérale, mais lorsque le juge Hugessen a rendu son ordonnance en mars 2007, et encore lorsque le protonotaire Morneau a prononcé son ordonnance en juin 2008, lesquelles ordonnances portaient toutes les deux sur la scission des questions à juger au procès, la demanderesse n’a pas soulevé la présente question de la fraude. Comme aucun appel n’a été interjeté – et ce fait n’est pas négligeable –, toutes ces décisions ont depuis longtemps acquis un caractère définitif (Benisti Import‑Export Inc. c. Modes TXT Carbon Inc., 2002 CFPI 810, au paragraphe 15). La demanderesse n’a pas expliqué pourquoi cette question n’avait pas été soulevée plus tôt.

 

[29]           Par ailleurs, en même temps qu’elle souhaite que notre Cour juge la question de la fraude, la demanderesse demande à la Cour de lever le sursis à la requête en outrage au tribunal qu’elle a présentée contre la défenderesse. Là encore, il y a lieu de se demander pourquoi la demanderesse n’a pas jugé à propos d’interjeter appel de l’ordonnance en date du 5 juin 2008 par laquelle le protonotaire Morneau a ordonné le sursis en question.

 

[30]           Compte tenu de ce qui précède, on ne peut pas dire que la demanderesse a fait preuve de diligence raisonnable pour faire instruire la présente requête et, par conséquent, ainsi que le protonotaire l’a conclu, la requête doit être rejetée.

 

[31]           Étant donné que la Cour ne devrait pas permettre ou faciliter la commission d’une fraude, il est nécessaire de signaler qu’outre le retard qu’elle a mis à présenter sa requête, la demanderesse n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer l’argument que la fraude en question, même en supposant qu’elle ait été commise (ce qui est fort discutable, compte tenu du présent dossier), constitue un facteur pertinent pour conclure que la défenderesse a contrefait la marque de commerce de la demanderesse. Ainsi, le premier volet du procès, au cours duquel il est prévu que la Cour se prononce sur les questions de responsabilité, peut se dérouler sans qu’il soit nécessaire de trancher la question. De plus, en ce qui concerne l’allégation d’outrage au tribunal, la demanderesse n’a pas démontré quelle ordonnance de notre Cour la défenderesse n’aurait pas respectée. On ne saurait affirmer que la défenderesse est coupable d’outrage au tribunal parce qu’elle n’a pas fourni un document dont la pertinence en ce qui concerne les questions de responsabilité n’a pas été démontrée et au sujet de laquelle notre Cour ne s’est pas prononcée. Compte tenu de ce facteur et des ressources judiciaires qui ont déjà été consacrées au présent dossier, je dois me ranger à l’avis du protonotaire Morneau et conclure qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de permettre à la demanderesse de faire juger sa requête sur le fond. Entre parenthèses, je ne vois pas comment la présumée fraude aurait pu se solder par le prononcé des deux ordonnances du protonotaire que la demanderesse veut maintenant faire modifier en vertu du paragraphe 399(2) des Règles des Cours fédérales. Plus précisément, il faut se rappeler que la défenderesse s’est opposée aux requêtes présentées par la demanderesse en octobre 2005 alors qu’elle ignorait la teneur du dossier de la requête de la demanderesse. Il est donc difficile de comprendre quelle fraude aurait été commise dans ces conditions.

 

[32]           Pour ces motifs, l’appel est rejeté. Je relève que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de rejeter la requête du 23 novembre 2009 de la demanderesse, le protonotaire a ordonné que les dépens de la requête suivraient l’issue de la cause (« le tout frais à suivre »). Il n’y a pas eu d’appel incident. Or, la défenderesse demande à la Cour de lui adjuger les dépens de la requête en appel sur une base avocat‑client, pour un montant global de 10 000 $, payables sans délai.

 

[33]           Le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour a un pouvoir discrétionnaire absolu en matière d’adjudication des dépens. Selon le paragraphe 400(6), la Cour peut notamment adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat‑client. Il est clair en droit que la Cour accorde des dépens avocat‑client lorsqu’une partie a fait preuve d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante (Roberts c. Canada., [2000] 3 C.N.L.R. 303, au paragraphe 142 (C.A.F.)). Suivant la Cour suprême du Canada, « les dépens entre avocat et client ne [sont] accordés qu’en de rares occasions » (Mackin c. Nouveau‑ Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau‑Brunswick, 2002 CSC 13, au paragraphe 86). Enfin, le paragraphe 401(2) permet à la Cour d’ordonner le paiement sans délai des dépens, lorsqu’elle est convaincue que la requête n’aurait pas dû être présentée.

 

[34]           Ainsi que les Règles des Cours fédérales le prévoient, les dépens peuvent être payables sans délai lorsque la Cour est d’avis que la requête n’aurait pas dû être présentée, ce qui est le cas du présent appel, que j’estime être vexatoire et abusif dans les circonstances. On ne saurait traiter à la légère des allégations de fraude. Toutefois, en introduisant le présent appel, la demanderesse a affiché une conduite qui a eu pour conséquence de retarder indûment le déroulement de l’instance, tout en forçant la défenderesse à déposer un dossier de requête et à comparaître devant la Cour dans le cadre du présent appel. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que ces agissements devraient entraîner certaines conséquences.

 

[35]           La défenderesse invoque la décision de notre Cour Bande de Montana c. Canada, 2002 CFPI 583, au paragraphe 10, dans laquelle le juge Hugessen a condamné la demanderesse aux dépens de la requête, qu’il a fixés à 10 000 $, montant qui devait être divisé à parts égales entre les deux parties à l’instance, parce qu’il ne pouvait « y avoir aucune excuse légitime justifiant la présentation aussi tardive de la requête de la [demanderesse] ». Comme la somme devait être partagée entre deux parties, cette décision n’appuie pas vraiment l’argument de la défenderesse suivant lequel ses dépens devraient être fixés à 10 000 $ pour la présente requête.

 

[36]           Le présent appel n’était pas un appel complexe ou difficile à plaider pour l’une ou l’autre partie. Ainsi, compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, j’estime qu’il est raisonnable de condamner la demanderesse à payer sans délai la somme de 3 000 $ à la défenderesse à titre de dépens, cette somme étant par ailleurs davantage conforme à la jurisprudence actuelle de la Cour (Netbored Inc. c. Avery Holdings Inc., 2008 CF 756, au paragraphe 22).

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La requête est rejetée;

2.      La défenderesse a droit à la somme de 3 000 $ à titre de dépens, laquelle somme sera payable sans délai par la demanderesse.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑697‑02

 

INTITULÉ :                                                   OSMOSE‑PENTOX INC.

                                                                        et

                                                                        SOCIÉTÉ LAURENTIDE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 juin 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laddie Schnaiberg

Paul Vanasse

 

POUR LA DEMANDERESSE

Pierre Archambault

Alain Chevrier

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Dunton Rainville

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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