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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


 


 

Date : 20100804

Dossier : IMM-6333-09

Référence : 2010 CF 802

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2010

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

SYDNEY HAROLD ROCQUE

MARENE ELVINA STAPLETON

SYDNISHA OMESIA ROCQUE

RASHIDE ENRIKAI ROCQUE

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), contre une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 23 novembre 2009, qui établissait que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi ni des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur principal ainsi que son épouse et leurs deux enfants mineurs ont demandé l’asile. Le demandeur et sa famille sont originaires de Saint-Vincent-et-les-Grenadines (Saint-Vincent). Leur demande est fondée sur les allégations suivantes : en août 2007, leur fille mineure a été agressée et violée par un voisin (W.), lequel était un membre d’un gang de rue et trafiquant de drogue bien connu. Les demandeurs ont déposé plainte auprès des autorités, à la suite de quoi W. a été arrêté et accusé de voies de fait. Peu de temps après, la famille a commencé à recevoir des menaces de la part de W., de sa famille et des autres membres de son gang, exerçant des pressions afin que la famille retire ses accusations. Les demandeurs prétendent avoir informé la police et le procureur des menaces reçues, affirmant que cela n’avait rien changé à la situation. Au procès, la fille du demandeur principal a refusé de témoigner contre W. et la plainte a été rejetée.

 

[3]               Les demandeurs affirment avoir continué d’être victimes d’actes d’intimidation et de menaces, en dépit du fait que la plainte déposée au criminel avait été rejetée, parce qu’ils étaient perçus comme étant des [traduction] « informateurs ». Ils prétendent également avoir informé la police de ces menaces, encore une fois sans que cela serve à rien. Se sentant en danger et dans l’incapacité de convaincre les autorités d’arrêter les auteurs des menaces, les demandeurs ont quitté Saint-Vincent pour venir au Canada le 30 juillet 2009; le 18 août 2008, ils ont déposé une demande d’asile. Leur demande est fondée sur leur crainte d’être persécutés du fait de leur appartenance à un groupe particulier et du risque qu’ils courent d’être victimes de traitements ou peines cruels et inusités ou d’être exposés à un risque de torture aux mains de W. et de ses comparses s’ils devaient être renvoyés à Saint-Vincent.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[4]               La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[5]               En ce qui a trait à la demande du statut de réfugié au sens de la Convention, la Commission a conclu que la demande des demandeurs ne s’appuyait sur aucun des motifs prévus par la Convention. En outre, la Commission a rejeté la demande des demandeurs selon laquelle ils étaient des « personnes à protéger », sur le fondement de deux conclusions : premièrement, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni d’éléments de preuve crédibles, plausibles et cohérents pour fonder leur allégation selon laquelle leurs vies étaient menacées. Deuxièmement, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption concernant la disponibilité de la protection de l’État. 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]               Les demandeurs soutiennent que la Commission ne s’est pas livrée à un examen raisonnable de la preuve et de leur crédibilité, et que par conséquent, elle a commis une erreur en concluant que leur demande n’était pas fondée et qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption concernant la disponibilité de la protection de l’État.

 

[7]               La présente affaire soulève deux questions : une question de crédibilité et une question de disponibilité de la protection de l’État. La question de la crédibilité des demandeurs a été soulevée à l’égard des faits sur lesquels ils ont fondé leur demande d’asile, mais elle a également été soulevée, jusqu’à un certain point, en ce qui concerne la disponibilité de la protection de l’État.  

 

[8]               En l’espèce, la question de la protection offerte par l’État étant déterminante (Rodriguez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 153; Sran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 145; Munoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 648; Houshan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 650; Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, je ne me pencherai pas sur l’autre question. Étant donné que j’ai conclu, pour les motifs qui suivent, qu’il n’y avait aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion que la Commission a tirée en ce qui concerne la protection de l’État, il est inutile d’examiner l’autre question.

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[9]               La jurisprudence a établi clairement que les questions portant sur le caractère suffisant de la protection offerte par l’État étaient des questions mixtes de fait et de droit et qu’il convenait de les contrôler à la lumière de la norme de raisonnabilité (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171. La même norme s’applique en ce qui concerne l’examen de la preuve et de la crédibilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Ndam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 513; Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 798. La Cour ne peut pas imposer sa propre opinion, même lorsqu’une autre option semble préférable; il ne lui appartient pas non plus de procéder à un nouvel examen de la preuve.

 

ANALYSE

[10]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption concernant la protection offerte par l’État. La Commission s’est exprimée de la manière suivante :

[23] Finalement, il y a la question de la protection de l’État. Il y a lieu de présumer qu’un État est capable de protéger ses citoyens. Saint‑Vincent est une démocratie parlementaire qui comporte un système judiciaire qui fonctionne8. Il y existe des lois très claires pour protéger les individus comme le demandeur d’asile principal et les membres de sa famille contre les agressions9. La protection n’a pas à être parfaite, et même si les demandeurs d’asile ont éprouvé des difficultés avec l’un des policiers de l’un des commissariats de police, cela ne signifie pas que le service de police au complet, à l’échelle nationale, est corrompu. Puisque le tribunal a déjà conclu à l’absence de crédibilité liée à la documentation produite et à la documentation non produite, il ne croit pas que les demandeurs d’asile ont réfuté, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, l’absence de protection de l’État. Ils n’ont donc pas qualité de « personne à protéger ».

 

[11]           Je suis d’avis que la conclusion de la Commission était raisonnable.

 

[12]           Tout d’abord, la Commission a appliqué les bons principes.

 

[13]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, le juge La Forest a expliqué de la manière suivante le principe sous-tendant le régime de protection des réfugiés et l’importance cruciale de la présomption selon laquelle l’État d’origine offre une protection à ses citoyens :

Il est utile d’examiner, au départ, la raison d’être du régime international de protection des réfugiés, car cela influe sur l’interprétation des divers termes à l’étude.  Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée. C’est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [traduction] « protection auxiliaire ou supplétive » fournie uniquement en l’absence de protection nationale; voir The Law of Refugee Status (1991), à la p. 135. Cela étant, j’examinerai maintenant les éléments particuliers de la définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention » que nous avons à interpréter. (page 709) [Non souligné dans l’original.]

 

 

[14]           Il existe une présomption selon laquelle l’État est en mesure de protéger ses citoyens (Ward; Hinzman), et l’individu a le devoir de demander la protection de son pays d’origine avant de demander l’asile au Canada. La présomption concernant la disponibilité de la protection de l’État ne peut être réfutée que lorsque le demandeur apporte la preuve que son pays d’origine n’est pas disposé à protéger ses citoyens ou n’est pas en mesure de le faire, ou encore qu’il s’est efforcé en vain d’obtenir la protection de l’État (Sran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 145).

 

[15]           Afin de réfuter cette présomption, « [l]e demandeur doit confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer sa protection » (Ward, précité, à la page 724).

 

[16]           Dans l’arrêt Hinzman, précité, la Cour d’appel fédérale a répété le principe énoncé dans l’arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 : « plus un pays est démocratique, plus le demandeur d’asile devra faire d’efforts pour obtenir la protection de son État d’origine »  (Hinzman, au paragraphe 45). En pareil cas, les demandeurs  « doivent prouver qu’ils ont épuisé tous les recours disponibles […] sans avoir obtenu gain de cause avant de demander l’asile au Canada » (Hinzman, au paragraphe 46) [non souligné dans l’original].    

 

[17]           La Cour a également déclaré à plusieurs reprises que le fait que des problèmes se soient posés avec un représentant des forces de l’ordre ou un groupe de ces représentants ne signifie pas forcément que l’État n’est pas en mesure de protéger ses citoyens; ainsi, une telle situation n’entraînera pas forcément la conclusion selon laquelle l’ensemble des forces de police ou autres représentants de l’État ne sont pas disposés à fournir de l’aide (Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 343; Luthra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1053).  

 

[18]           Dans l’arrêt Kadenko, précité, le juge Décary s’est penché sur les démarches qu’un demandeur devait faire en vue d’obtenir la protection de son pays, et ce, afin de réfuter la présomption :

[3]     Telle que formulée, cette question ne peut à notre avis qu’entraîner une réponse négative. Dès lors, en effet, qu’il est tenu pour acquis que l’État (en l’espèce Israël) possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d’intervenir ne saurait en lui-même rendre l’État incapable de le faire. La réponse eût peut-être été différente si la question avait porté, par exemple, sur le refus de l’institution policière en tant que telle ou sur un refus plus ou moins généralisé du corps policier d’assurer la protection accordée par les institutions politiques et judiciaires du pays.

 

[4]     Bref, la situation que suppose ici la question nous ramène à ces propos du juge Hugessen dans Minister of Employment and Immigration c. Villafranca1 :

 

No government that makes any claim to democratic values or protection of human rights can guarantee the protection of all its citizens at all times. Thus, it is not enough for a claimant merely to show that his government has not always been effective at protecting persons in his particular situation. . . .

 

[traduction]

Aucun gouvernement prônant des valeurs démocratiques ou la protection des droits de la personne ne peut garantir la protection de tous ses citoyens en tout temps. Ainsi, il ne suffit pas qu’un demandeur se contente de montrer que son gouvernement n’a pas toujours été en mesure de protéger ses citoyens dans la situation dans laquelle il se trouve. […]

 

[5]     Lorsque l’État en cause est un état démocratique comme en l’espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause : plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui2.

 

[19]           En l’espèce, la Commission a conclu que Saint-Vincent était une démocratie parlementaire ayant un appareil judiciaire efficace et qu’il y existait des lois claires visant à protéger les personnes comme les demandeurs des agressions. Cette conclusion se fondait sur la preuve, qui comprenait notamment le Cartable national de documentation sur Saint-Vincent-et-les-Grenadines et les Country Report on Human Rights Practices pour 2008. Ayant lu l’ensemble de la preuve documentaire qui a été présentée à la Commission relativement à la situation à Saint-Vincent, je suis d’avis que la conclusion de la Commission était raisonnable et que la Commission ne l’a pas tirée sans tenir compte de la preuve.    

 

[20]           La Commission a également examiné le caractère suffisant des efforts fournis par les demandeurs en vue d’obtenir la protection de la police. En dépit de ses conclusions défavorables à l’égard de la crédibilité des demandeurs, les commentaires que la Commission a formulés en ce qui concerne les efforts fournis par les demandeurs en vue d’obtenir une protection sont formulés de telle manière qu’il semble que la Commission se soit penchée sur la question sans remettre en cause la véracité du récit des demandeurs. La Commission a ainsi déclaré : « La protection n’a pas à être parfaite, et même si les demandeurs d’asile ont éprouvé des difficultés avec l’un des policiers de l’un des commissariats de police, cela ne signifie pas que le service de police au complet, à l’échelle nationale, est corrompu. » À la lumière de la situation à Saint-Vincent et des efforts que les demandeurs ont prétendu avoir fournis pour obtenir la protection de l’État dans leur pays, je ne vois rien de déraisonnable à cette conclusion.

 

[21]           Aucune question n’a été soulevée pour certification en application de l’alinéa 74d) de la Loi et aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour-Lord, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6333-09

 

INTITULÉ :                                       SYDNEY HAROLD ROCQUE ET AL.

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            La juge Marie-Josée Bédard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 août 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eric Freedman

 

POUR LES DEMANDEURS

Bassam Khouri

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eric Freedman

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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