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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20100804

Dossier : IMM-6111-09

Référence : 2010 CF 800

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

WUDASIE AMANYOS ZEMO

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le présent contrôle judiciaire a trait à la décision défavorable rendue à l’issue d’un examen des risques avant renvoi (ERAR), dans le cadre duquel la demanderesse a fait valoir l’existence d’un risque nouveau, et une conclusion défavorable relative à la crédibilité a été tirée sans que soit tenue une audience, tel que le prévoit l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

II.         LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une Érythréenne âgée de 56 ans qui ne vit pas en Érythrée depuis 25 ans; elle a vécu au Soudan, en Arabie saoudite et aux États-Unis. Elle est arrivée au Canada le 8 décembre 2003 et a demandé l’asile au point d’entrée.

 

[3]                La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile en 2006, après avoir conclu que n’était pas crédible l’existence d’un risque pour la demanderesse du fait de son appartenance au Front de libération de l’Érythrée (le FLE). La demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée.

 

[4]               En 2007, la demande d’ERAR de la demanderesse a été rejetée et celle-ci a été expulsée aux États-Unis. La demanderesse est revenue en avril 2008 mais, comme elle ne pouvait pas présenter une nouvelle demande d’asile, elle a plutôt soumis une nouvelle demande d’ERAR. Celle-ci a été rejetée mais, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, le défendeur a concédé que toute l’information n’avait pas été examinée dans cette affaire par le bureau responsable de l’ERAR.

 

[5]               Une nouvelle demande d’ERAR a été déposée; le présent contrôle judiciaire a trait à cet ERAR. Dans la demande d’ERAR, on a fait valoir l’existence d’un risque découlant de l’appartenance de la demanderesse au FLE ainsi qu’à une église opposée au gouvernement actuellement en place – or ces deux motifs avaient déjà été rejetés.

La demanderesse a invoqué un troisième et nouveau motif de risque, soit celui auquel serait exposé en Érythrée un demandeur d’asile de retour au pays. Cette prétention s’appuyait sur une preuve documentaire traitant du sort réservé aux demandeurs d’asile de retour au pays – la détention et la torture. 

 

[6]               L’agente d’ERAR a reconnu dans sa décision que le risque nouvellement allégué par la demanderesse n’aurait pu l’être précédemment, et elle a déclaré qu’elle examinerait en fonction de ce nouveau risque l’ensemble de la preuve dont elle était saisie.

 

[7]               L’agente a conclu qu’en ce qui concernait l’appartenance au FLE, la conclusion de la SPR relative à la crédibilité ainsi que la conclusion tirée à la suite de la première ERAR ne pouvaient être écartées au vu du dossier existant. Cette partie de la décision quant à l’ERAR n’est pas contestée.

 

[8]               Pour ce qui est de la question des croyances religieuses, l’agente a mis en doute la prétention de la demanderesse selon laquelle celle-ci était membre de l’Église orthodoxe du renouveau de l’Érythrée, que cette église non inscrite est affiliée à l’Église orthodoxe (une église inscrite que la demanderesse fréquentait à Toronto) et que son appartenance à cette église l’exposerait à un risque en cas de retour.

 

[9]               L’agente a reconnu que, selon la preuve documentaire émanant de sources dignes de foi, les membres d’églises non inscrites risquaient d’être victimes de violations des droits de la personne, et notamment d’être emprisonnés. L’agente a toutefois conclu que la demanderesse n’avait pas produit une preuve documentaire suffisante pour démontrer qu’elle appartenait à un groupe dont les membres étaient exposés à de telles violations.

 

[10]           L’agente a tiré la conclusion suivante en regard du nouveau risque invoqué :

[traduction]

[…] [L]a demanderesse n’a pas produit une preuve objective suffisante pour étayer sa prétention selon laquelle elle aurait, en cas de retour, le profil d’une personne visée par les autorités. J’ai aussi pris note de la preuve faisant état de personnes ayant tenté d’échapper à la conscription obligatoire et qui ont été emprisonnées à leur retour. La demanderesse n’a toutefois pas mentionné qu’étant âgée de 56 ans et s’étant trouvée hors de l’Érythrée avant l’indépendance de ce pays, elle risquait d’y faire le service militaire; une telle prétention ne serait d’ailleurs pas étayée par la preuve objective.

 

III.       L’ANALYSE

[11]           Les décisions quant à l’ERAR sont, en règle générale, assujetties à la norme de la raisonnabilité (Aleziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 38). La demanderesse soutient toutefois qu’elle avait droit à la tenue d’une audience parce qu’a été tirée une conclusion défavorable relative à la crédibilité, et qu’il y a ainsi eu manquement à l’équité procédurale; or, les questions de cet ordre appellent la norme de la décision correcte.

 

A.        La persécution religieuse

[12]           La décision sur cette question est lacunaire à divers égards. La première lacune a consisté dans le défaut d’examiner si la preuve de l’appartenance à l’église et si le risque découlant de cette appartenance étaient nouveaux. L’agente a omis de prendre en compte, alors qu’elle y était tenue dans les circonstances, le critère établi dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385.

 

[13]           Bien qu’elle n’ait pas abordé la question de la « nouveauté de la preuve », l’agente semble avoir considéré qu’il s’agissait en l’occurrence d’un élément de preuve nouveau, et elle avait ainsi l’obligation de l’examiner d’une manière raisonnable et équitable au plan de la procédure.

 

[14]           Le nouvel élément de preuve présenté c’était que les membres d’églises non inscrites étaient exposés à un risque; cette question n’avait pas été examinée par la SPR. Ce nouvel élément de preuve soulevait, selon l’article 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, reproduit ci-après, la question de savoir si une audience devait être tenue.

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

[15]           En vertu de l’article 167 du Règlement (soit les facteurs réglementaires visés à l’alinéa 113b)), reproduit ci-dessous, le ministre est tenu d’examiner si la tenue d’une audience est requise lorsqu’il existe des éléments de preuve « qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur ».

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

[16]           L’application de l’article 167 du Règlement et la question de savoir si une décision met en cause la suffisance de la preuve ou la crédibilité du demandeur donne lieu à bien des débats. Le terme « crédibilité » est lui-même utilisé assez libéralement pour viser tout autant la plausibilité et la vraisemblance que la valeur probante. C’est en dernier ressort à la Cour qu’il revient d’établir quel était le fondement véritable d’une décision où le terme crédibilité a été utilisé, et si la décision avait trait alors à la crédibilité ou à la suffisance.

 

[17]           Après avoir lu la décision dans son entier, j’estime qu’en l’espèce l’agente ne pouvait en venir à sa décision qu’en ne prêtant pas foi au témoignage de la demanderesse au sujet de son appartenance à l’église. La preuve était plus que suffisante relativement aux risques courus par les membres d’églises non inscrites et elle était suffisante, si on y prêtait foi, quant à l’appartenance de la demanderesse à une église d’un tel type.

 

[18]           Comme la décision de l’agente reposait sur la crédibilité, l’agente a eu tort de ne pas  examiner si la tenue d’une audience était requise. La demanderesse n’avait pas droit per se à une audience, mais le ministre avait l’obligation de se demander si sa tenue était ou non indiquée. L’agente ne s’étant jamais penchée sur cette question, elle a commis une erreur de droit.

J’estime de manière subsidiaire que la décision, si elle reposait plutôt sur le caractère non suffisant de la preuve, n’était pas raisonnable au vu de la preuve tant objective que subjective.

 

[19]           On avait à trancher dans Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, des questions semblables à celles soulevées en l’espèce :

16     Je suis d’avis que l’article 167 devient opérant lorsque la crédibilité est remise en question d’une façon qui peut donner lieu à une décision défavorable à l’issue de l’ERAR. Il a pour objet de permettre à un demandeur de répondre aux réserves formulées au sujet de sa crédibilité.

 

17     Le dossier de la présente affaire révèle que l’agente avait des réserves quant à la crédibilité du demandeur. Même si c’est la  « crainte objective » qui constitue le principal fondement de la décision, si les affirmations du demandeur avaient été acceptées, le résultat de l’ERAR lui aurait été favorable. Le fait que la décision relative à l’ERAR soit, au bout du compte, fondée sur un facteur autre que la crédibilité du demandeur ne porte pas atteinte au droit de celui-ci à une audience.

 

B.         Demandeurs d’asile de retour au pays

[20]           Les motifs traitant de cette question étaient manifestement déficients. On n’avait pas fait valoir devant la SPR le risque couru par les demandeurs d’asile de retour au pays. La preuve relative à l’existence de ce risque laisse d’ailleurs croire que, bien que des personnes aient pu être détenues et maltraitées avant la tenue l’audience de la SPR, la connaissance de pareils incidents n’a été largement répandue qu’une fois rendue la décision de la SPR.

 

[21]           Le défaut d’avoir traité du critère énoncé dans Raza fait ressortir la difficulté qu’il y a à se prononcer sur la « nouveauté » de la preuve.

 

[22]           Je fais mienne la conclusion du juge Mosley dans la décision Wa Kabongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 348, celui-ci ayant déclaré ce qui suit au paragraphe 13 :

Le demandeur prétend qu’il ne peut faire valoir son argument subsidiaire lors d’un ERAR, puisqu’il ne l’a pas soulevé devant la SPR. Je ne suis pas d’accord. L’agent d’ERAR peut évaluer les risques auxquels serait exposé le demandeur, s’il devait retourner dans son pays d’origine, dans une situation où les moyens invoqués n’ont pas été utilisés antérieurement : Zenunaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1715, [2005] A.C.F. no 2133. En fait, comme l’agent d’ERAR dans cette situation serait le premier décideur à évaluer la nouvelle allégation de risque, il aurait à examiner tous les éléments de preuve pertinents et non seulement ceux qui satisfont aux exigences énoncées à l’alinéa 113a) de la LIPR : Cupid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 176, [2007] A.C.F. no 244.

 

Les commentaires alors émis par le juge Mosley étaient davantage, contrairement à ce qu’a prétendu le défendeur, que de simples obiter dicta ou réflexions judiciaires.

 

[23]           La décision quant à l’ERAR était déraisonnable, non seulement parce qu’on n’a pas pris en compte l’arrêt Raza, précité, et qu’on a semblé agir de manière incompatible avec la décision Wa Kabongo, précitée, mais aussi parce qu’on a conclu que la demanderesse ne serait vraisemblablement pas une personne visée par le gouvernement car, comme elle ne risquait pas d’avoir à faire le service militaire, elle n’avait [traduction] « pas le profil ».

 

[24]           La question du service militaire n’est pas déterminante quant à l’existence ou non d’un nouveau risque. Le risque est lié aux demandeurs d’asile de retour au pays per se et non au défaut par ceux-ci d’avoir fait leur service militaire. L’introduction de l’élément du service militaire a soulevé une question non pertinente qui s’est avérée cependant déterminante pour l’affaire de la demanderesse. Introduire cet élément était déraisonnable en l’espèce et a conduit l’agente à prendre en compte un facteur sans pertinence.

 

IV.       CONCLUSION

[25]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision quant à l’ERAR annulée et l’affaire renvoyée au défendeur pour qu’un autre agent statue à nouveau sur celle-ci. Étant donné l’issue de l’affaire, aucune question n’a été soumise pour certification.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision quant à l’ERAR soit annulée et que l’affaire soit renvoyée au défendeur pour qu’un autre agent statue à nouveau sur celle-ci.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6111-09

 

INTITULÉ :                                       WUDASIE AMANYOS ZEMO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 JUILLET 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 4 AOÛT 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Daniel Engel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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