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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100730

Dossier : IMM-4721-09

Référence : 2010 CF 795

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

ALI ABADIR

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                Monsieur Abadir Ali demande le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent d’exécution (l’agent) a, le 21 septembre 2009, refusé la demande présentée par le demandeur en vue de différer l’exécution de son renvoi du Canada.

 

[2]               Monsieur Abadir Ali avait fait l’objet d’un avis de danger de la part d’une déléguée du ministre qui avait conclu que le demandeur ne serait exposé ni à un risque sérieux de persécution, ni à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels ou inusités s’il devait retourner en Somalie.

 

[3]               L’Agence des services frontaliers du Canada l’a avisé que son renvoi était prévu pour le 22 septembre 2009. Il a demandé le 21 septembre 2009 que l’exécution de son renvoi soit différée. L’agent a refusé cette demande.

 

[4]               Monsieur Abadir Ali affirme qu’il existe de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas la déléguée du ministre et qui tendent à démontrer que la situation a radicalement changé en Somalie et qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements inhumains s’il était renvoyé en Somalie.

 

Le contexte

 

[5]                Le 30 juin 2009, la déléguée du ministre a estimé que le demandeur constituait un danger pour le public canadien en raison de ses antécédents criminels au cours de sa vie adulte, de son défaut de se conformer à ses ordonnances de mise en liberté et de ses faibles chances de réinsertion. La déléguée a évalué le danger que le demandeur constituerait pour le public s’il devait demeurer au Canada par rapport aux risques auxquels il serait exposé s’il devait retourner en Somalie. Tout en reconnaissant que la situation en Somalie était explosive, la déléguée a conclu que la situation était dangereuse pour tous les Somaliens et que le demandeur ne serait pas exposé à un risque particulier.

 

[6]               Le renvoi du demandeur en Somalie était prévu pour le 22 septembre 2009. Il devait être escorté par des agents de l’ASFC depuis Montréal jusqu’à Nairobi, au Kenya, et être accompagné jusqu’au lieu de son départ pour Mogadiscio, en Somalie. On devait lui remettre 150 euros pour lui permettre de se rendre à Hargesia, au Somaliland, dans le nord-est de la Somalie.

 

[7]               Le 20 septembre 2009, le demandeur a réclamé le report à une date indéterminée de son renvoi. Sa demande de report a été refusée par l’agent le 21 septembre. Le demandeur a réclamé le sursis de son renvoi en attendant qu’une décision soit prise au sujet de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de l’avis de danger et de la mesure de renvoi.

 

[8]               Lors de l’audience sur le sursis, le juge Lemieux a soulevé une question au sujet de la situation à Mogadiscio, à la lumière de la décision récente Aden c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 561. Dans l’affaire Aden, était soulevée une question importante, soit celle de savoir si le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur viable étant donné que l’agent qui avait examiné la demande d’ERAR s’était fondé sur des documents datés et d’autres éléments de preuve documentaires sans tenir compte de la situation actuelle à Mogadiscio et sans analyser cette dernière. Le juge Lemieux a ordonné un sursis provisoire de courte durée.

 

[9]               Lors de la reprise de l’audience portant sur le sursis du renvoi de M. Abadir Ali, des fonctionnaires de l’ASFC ont soumis une mesure de renvoi révisée qui prévoyait de nouvelles dispositions en ce qui concerne le voyage, un itinéraire différent et une nouvelle date de renvoi, en l’occurrence le 24 septembre. Le demandeur serait escorté par des agents de l’ASFC jusqu’à Nairobi, au Kenya, où il prendrait un vol direct pour Bossao, dans le nord de la Somalie en compagnie d’un agent de sécurité privé.

 

[10]           Le juge Lemieux a rendu sa décision le 1er octobre 2009. Il a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu’une décision soit prise au sujet de la demande d’autorisation et, si l’autorisation était accordée, jusqu’à l’examen de la demande contrôle judiciaire du refus de différer l’exécution du renvoi.

 

[11]           L’autorisation demandée a été accordée et les demandes de contrôle judiciaire portant respectivement sur l’avis de danger et sur le refus de différer l’exécution du renvoi ont été combinées. J’ai instruit les deux demandes le 28 avril 2010. J’avais accordé un délai supplémentaire aux parties pour leur permettre de présenter d’autres observations au sujet des dispositions relatives au voyage. Ma décision sur la demande de contrôle judiciaire de l’avis de danger dans le dossier IMM-3998-09 est rendue sous forme de jugement distinct publié en même temps que la présente décision, laquelle porte sur le refus de la demande de report. J’ai rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’avis de danger.

 

La décision à l’examen

 

[12]           L’agent commence par citer les raisons invoquées par le demandeur le 20 septembre pour réclamer un report indéfini. Voici les raisons en question :

 

                     i.            Depuis que l’avis de danger a été formulé, la situation a changé en Somalie. Le demandeur serait en danger s’il devait retourner en Somalie en raison des événements survenus au cours des deux derniers mois. Le renvoi du demandeur devrait être différé tant qu’une nouvelle évaluation des risques n’aura pas eu lieu.

                   ii.            Depuis que l’avis de danger a été formulé, la situation a changé en Somalie. Cette nouvelle situation exposerait le demandeur à un plus grand danger que ce qui était envisagé dans l’avis de danger.

                  iii.            Le demandeur devrait se voir accorder la possibilité de se réinsérer dans la société.

 

 

[13]           À l’appui de la demande de report qu’il a adressée à l’agent, le demandeur a joint des affidavits souscrits par des individus, des pétitions indiquant les risques auxquels le demandeur serait exposé à son retour en Somalie, des offres visant à aider le demandeur à se réinsérer socialement et des documents faisant état de l’instabilité qui règne dans le région du Somaliland. L’agent disposait également de l’avis de danger du 30 juin 2009.

 

[14]           L’agent a fait observer qu’il n’était pas compétent pour se prononcer correctement sur les risques auxquels un demandeur peut être exposé lorsqu’il rentre dans son pays d’origine. Il a fait valoir que ces risques avaient déjà été analysés dans l’avis de danger.

 

[15]           L’agent a conclu que les nouveaux éléments d’information n’auraient pas influé sur l’analyse du risque qui avait déjà été effectuée. Il lui était impossible d’accorder un report si on ne lui proposait pas d’autre date, parce qu’autrement le report serait accordé pour une durée indéterminée.

 

[16]           L’agent a conclu qu’il n’était pas convaincu qu’il convenait, dans ces conditions, d’accorder le report de la mesure de renvoi.

 

Les dispositions législatives applicables

 

[17]            La LIPR dispose :

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (2001, ch. 27)

 

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

 

Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch.11.

 

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

 

[…]

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

 

 

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

                       

Les questions en litige

 

[18]            Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

1.               L’agent a-t-il mal interprété ou ignoré les éléments de preuve dont il disposait et a-t-il restreint la portée de son pouvoir discrétionnaire de différer l’exécution d’un renvoi lorsqu’il le juge indiqué dans les circonstances?

 

2.               L’agent a-t-il commis une erreur en refusant de différer l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur alors que ce refus exposait celui-ci à une menace à sa vie ou à des traitements inhumains compte tenu de la situation qui existe en Somalie?

 

3.               Les dispositions en ce qui concerne le voyage et les mesures prises en vue du renvoi du demandeur étaient-elles compatibles avec les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

 

4.               Les nouvelles dispositions prises au sujet du voyage confirment-elles que les mesures antérieures prises relativement au renvoi du demandeur à Mogadiscio exposaient personnellement celui-ci à un risque?

 

[19]           Pour le défendeur, la question se pose comme suit :

 

1.                  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

 

2.                  La modification apportée à une modalité du renvoi est-elle un élément pertinent dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision?

 

 

[20]           À mon avis, les questions que soulève le présent contrôle judiciaire du refus de reporter le renvoi sont les suivantes :

 

1.                  L’agent a-t-il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant la demande de report du demandeur?

 

2.                  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

 

La norme de contrôle

 

[21]            La Cour suprême du Canada a jugé, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit commandaient une certaine déférence et qu’elles étaient assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité.

 

[22]           Dans l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, la Cour d’appel fédérale a jugé que la norme de contrôle applicable dans le cas des affaires portant sur le report d’un renvoi était celle de raisonnabilité.

 

[23]           La Cour suprême a précisé la notion de raisonnabilité dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa). Les conclusions de fait et l’appréciation de la preuve du délégué du ministre commandent un degré élevé de déférence. La Cour écrit, au par. 59 :

 

La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte.  L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs.  Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence.  Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47).  Il peut exister plus d’une issue raisonnable.  Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

 

[24]           L’application de la Charte est une question de droit dont le contrôle est assujetti à la norme de la décision correcte (Dunsmuir).

 

L’analyse

 

L’agent a-t-il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant la demande de report du demandeur?

 

[25]            Le demandeur affirme que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant d’examiner le risque auquel il pouvait être exposé en cas de renvoi en Somalie. Cette allégation est fondée sur l’extrait suivant des motifs de l’agent :

[traduction]

Monsieur Abadir Ali a été considéré comme constituant un danger pour le public par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada en juin 2009. Il importe de signaler que cet avis de danger a préséance sur tout risque auquel M. ABIDIR pourrait être exposé s’il devait retourner en Somalie.

 

 

[26]           Je ne suis pas d’accord pour dire que cette affirmation confirme que l’agent a restreint la portée de son pouvoir discrétionnaire lors de son examen de la demande de report du demandeur. L’agent précise sa pensée lorsqu’il explique, un peu plus loin, que l’analyse du risque en cas de retour en Somalie et le danger pour le public étaient des questions qui avaient déjà été traitées dans l’avis de danger.

 

La décision de l’agent était-elle raisonnable?

 

[27]           Le demandeur a réclamé un report indéfini en partie pour avoir la possibilité de se réinsérer socialement.

 

[28]           L’obligation qui est imposée à l’agent découle de l’article 48 de la LIPR. Dans l’arrêt Baron, le juge Marc Nadon conclut que le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution en matière de report est grandement limité en raison du paragraphe 48(2) de la Loi, qui exige que la mesure de renvoi soit appliquée « dès que les circonstances le permettent ».

 

[29]           Le libellé de l’article 48 ne permet pas un report à une date indéterminée. Compte tenu du peu de latitude dont il dispose, l’agent remplit son devoir lorsqu’il refuse d’envisager la possibilité de reporter le renvoi à une date indéterminée.

 

[30]           Le demandeur réclamait également ce report pour permettre une nouvelle évaluation du risque ou pour attendre que la situation s’améliore en Somalie.

 

[31]           Le demandeur affirmait que la situation avait empiré en Somalie au cours des deux mois précédant la demande de report, de sorte que les risques auxquels il serait exposé en cas de renvoi au Somaliland s’étaient accrus. À l’appui de son argument, il a produit des affidavits, une pétition et des éléments de preuve documentaires au sujet des risques auxquels il serait exposé au Somaliland en passant par Mogadiscio. Les affidavits portent sur le risque auquel le demandeur serait exposé en Somalie. Suivant les éléments de preuve documentaires, le Somaliland est moins dangereux que la Somalie mais cette région risque de devenir de plus en plus instable.

 

[32]           Le demandeur affirme enfin que les dispositions en ce qui concerne le voyage que le défendeur a modifiées à la dernière minute en septembre 2009 confirment que les dispositions antérieures l’exposaient à un risque et que le refus de l’agent de faire droit à sa demande de report était par conséquent vicié.

 

[33]           Le défendeur soutient que la décision de l’agent était raisonnable. L’agent est légalement tenu d’exécuter sans tarder les mesures de renvoi. Le défendeur ajoute que l’agent n’était pas obligé d’évaluer les risques auxquels le demandeur serait exposé en cas de retour en Somalie. Il a tenu compte des éléments dont il disposait et a rendu une décision raisonnable.

 

[34]           La question à laquelle il me faut répondre est celle de savoir si l’agent aurait dû tenir compte des risques inhérents aux dispositions prises au sujet du voyage du demandeur. À mon avis, il aurait dû en tenir compte.

 

[35]           La déléguée du ministre avait tenu compte des risques auxquels le demandeur serait exposé en cas de renvoi en Somalie et avait conclu, vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait, que le demandeur ne serait pas exposé à un risque plus élevé que les autres Somaliens. Cette conclusion a été tirée le 30 juin 2009. Pour en arriver à sa conclusion, la déléguée du ministre a reconnu que la situation en Somalie était « explosive ».

 

[36]           Dans sa décision du 21 septembre 2009, l’agent a déclaré qu’il avait tenu compte des éléments de preuve et des documents soumis par le demandeur, affirmant qu’ils n’auraient rien changé à l’analyse des risques effectuée par la déléguée du ministre. L’agent ne mentionne pas les préparatifs de voyage faits au sujet du retour du demandeur en Somalie.

 

[37]           Dans l’affaire Aden, le litige concernait les risques auxquels le demandeur serait exposé à son arrivée à Mogadiscio et lors de ses déplacements entre cette ville et sa destination finale en Somalie. La preuve documentaire soumise par le demandeur dans cette affaire, et en particulier les avis aux voyageurs récents, établissaient que le demandeur risquait d’être exposé à un préjudice grave à son retour au point de démontrer qu’il subirait un préjudice irréparable. L’affaire Aden portait sur une demande de sursis présentée en même temps que la demande de report du demandeur mais il semble que cette demande n’avait pas été portée à l’attention de l’agent.

 

[38]           Après que la question eut été soulevée dans la demande de sursis du demandeur, les dispositions en ce qui concerne le voyage ont été modifiées de manière à éviter Mogadiscio pour faire passer le demandeur par Bossao dans le nord de la Somalie.

 

[39]           Dans l’arrêt Baron, le juge Nadon a cité deux décisions antérieures. Il a répété ce qu’il avait dit dans l’arrêt Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 936, au paragraphe 12, en l’occurrence que « […] l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées […] » (non souligné dans l’original). Compte tenu des aspects très différents que comportent « la maladie » et « les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui n’ont pas encore été réglées », je crois comprendre que l’on peut englober dans les « autres raisons à l’encontre du voyage » des circonstances autres que celles ayant trait à la situation personnelle du demandeur.

 

[40]           Le juge Nadon a souscrit sans réserve à l’exposé que le juge Pelletier avait fait des limites du pouvoir de l’agent d’exécution en matière de report dans le jugement Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 682, aux paragraphes 45 et 48 où il déclare notamment ce qui suit :

[…]

La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi.

[…]l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain.

            (Non souligné dans l’original)

 

 

 

[41]           Je crois comprendre, à la lecture de ces conclusions, que l’agent d’exécution qui traite régulièrement des préparatifs de voyage arrêtés en vue d’exécuter des mesures de renvoi et qui s’y connaît bien en matière de préparatifs de voyage, peut tenir compte des risques découlant de ces préparatifs. Ce report n’est pas censé répéter l’évaluation du risque effectué par le délégué en ce qui concerne le refoulement, mais est censé constituer une décision sur l’opportunité de reporter l’exécution d’une mesure pour faire réévaluer les risques qui peuvent exister dans des régions instables et ce, uniquement en ce qui concerne les préparatifs de voyage.

 

[42]           Dans les observations qu’il a soumises à l’agent, l’avocat du demandeur a cité l’extrait suivant de la décision du juge Frederick Gibson dans l’affaire Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 982, au paragraphe 19 :

Je conclus que le « large éventail de circonstances » que couvre, de l'avis de Mme la juge Simpson, l'article 48 de la Loi sur l'immigration, englobe le pouvoir discrétionnaire d'évaluer s'il est raisonnable de reporter l'exécution des mesures de renvoi en attendant de connaître la décision consécutive à l'évaluation du risque. Par conséquent, il s'ensuit qu'un agent chargé du renvoi peut tenir compte d'une preuve concluante au sujet du risque que représente le renvoi de la personne visée dans un pays de destination donné et se demander si une évaluation du risque a été effectuée de façon appropriée et une décision prise à cet égard, simplement pour savoir s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi.

(Non souligné dans l’original)

 

 

[43]           Le demandeur a soumis à l’agent la question du risque découlant des dispositions prises au sujet du voyage. Il incombait à l’agent d’examiner le risque découlant de ces dispositions pour l’aider à exercer son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne le report.

 

[44]           Dans ses motifs, l’agent ne mentionne pas les risques afférents aux dispositions en ce qui concerne le voyage prévoyant que le demandeur devait passer par Mogadiscio. Ce faisant, l’agent a, à mon avis, négligé de tenir compte d’un aspect central et important de la demande de report (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 27).

 

[45]           Je conclus que la décision du délégué était déraisonnable en raison de son omission d’aborder la question des risques inhérents aux premiers préparatifs de voyage faits au sujet du renvoi du demandeur.

 

[46]           Les dispositions prises en ce qui concerne le voyage du demandeur ont été modifiées à la suite de la décision de l’agent de refuser de reporter son renvoi, ce qui tendrait à laisser penser que la décision de l’agent reposait sur des faits anciens.

 

[47]           Compte tenu des modifications apportées aux dispositions en ce qui concerne le voyage, de l’instabilité reconnue de la situation en Somalie et de l’écoulement du temps depuis l’évaluation des risques effectuée le 30 juin 2009, il convenait que de nouvelles dispositions soient prises en vue du rapatriement de M. Abadir Ali.

 

[48]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[49]           Le demandeur a effectivement atteint son objectif d’obtenir le report de son renvoi prévu pour le 22 septembre 2009. Toute demande de nouveau report peut faire état des risques auxquels il serait exposé lors de son voyage vers sa destination finale en Somalie. Pour plus de certitude, je précise qu’il s’agit des risques découlant du voyage, ce qui exclut toute nouvelle évaluation des risques se rapportant à un refoulement en Somalie.

 

[50]           Ni le demandeur ni le défendeur n’a proposé la certification d’une question grave de portée générale.

 

Dispositif

 

[51]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[52]           Je ne rends aucune ordonnance de certification d’une question grave de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  Je ne rends aucune ordonnance de certification d’une question grave de portée générale.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge


 

 

Traduction certifiée conforme

 

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4721-09

 

 

INTITULÉ :                                       ALI ABADIR et MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               28 AVRIL 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN         

 

 

DATE DES MOTIFS :                      30 JUILLET 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Felix Weekes

 

POUR LE DEMANDEUR

Helene Robertson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Weekes Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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