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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100730

Dossier : IMM-3998-09

Référence : 2010 CF 794

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

ALI ABADIR

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                Monsieur Abadir Ali demande le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la déléguée du ministre a, le 30 juin 2009, conclu qu’il constituait un danger pour le public au Canada. La déléguée a également conclu que M. Abadir Ali ne serait exposé ni à un risque sérieux de persécution, ni à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels ou inusités s’il devait retourner en Somalie.

 

[2]                Le 9 mai 2008, le ministre a signifié à M. Abadir Ali un avis de son intention de solliciter un avis sur la question de savoir s’il constituait un danger pour le public au Canada et s’il pouvait être renvoyé en Somalie. Le 30 juin 2009 la déléguée du ministre a conclu que M. Abadir Ali constituait un danger pour le public au Canada au sens de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR. Monsieur Abadir Ali demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               Monsieur Abadir Ali a également introduit une autre demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’exécution a, le 21 septembre 2009, refusé sa demande de report de son renvoi en Somalie. Pour refuser la demande de report de M. Abadir Ali, l’agent d’exécution s’est fondé sur l’évaluation des risques qu’avait effectuée la déléguée du ministre. Monsieur Abadir Ali a obtenu un sursis à l’exécution de son renvoi en attendant que soient examinées la présente demande de contrôle judiciaire ainsi que la demande de contrôle judiciaire portant sur le refus de différer l’exécution de son renvoi.

 

[4]               J’ai instruit les demandes de contrôle judiciaire portant respectivement sur l’avis de danger (dossier IMM-3998-09) et sur le refus de différer l’exécution du renvoi (dossier IMM-472109). J’aborderai cette dernière demande dans une décision distincte.

 

Le contexte

 

[5]               Âgé de 26 ans, le demandeur avait huit ans, en 1991, lorsqu’il est entré au Canada en tant que personne à charge de sa belle-mère. Ils ont tous les deux été admis au Canada en octobre 1992 en tant que réfugiés somaliens et le demandeur est devenu résident permanent du Canada le 28 mai 1993.

 

[6]               Au cours de son adolescence, le demandeur a été reconnu coupable de plusieurs infractions au Code criminel, ch. C-46 (C. Cr.), à savoir :

 

                     i.            12 octobre 1995                            agression armée

                   ii.            12 décembre 1995                         méfait de moins de 5 000 $

                  iii.            10 décembre 1996                         voies de fait

                 iv.            8 novembre 2001                           voies de fait

 

[7]               Le 10 février 2004, M. Abadir Ali a fait l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR. Le 16 février 2004, M. Abadir Ali a été arrêté et détenu. Il attendait alors de subir son procès sur des accusations de vol qualifié, d’agression armée et de voies de fait causant des lésions corporelles.

 

[8]               Le 12 mai 2004, une mesure d’expulsion a été prise contre lui. Le 17 mai 2004, il a interjeté appel de la mesure de renvoi à la Section d’appel de l’immigration. Il a été débouté de son appel.

 

[9]               Le 7 décembre 2004, M. Abadir Ali a été mis en liberté à certaines conditions. Il a de nouveau été arrêté pour omission de se présenter aux autorités. Il a de nouveau été mis en liberté moyennant certaines conditions.

 

[10]           Le 23 novembre 2006, les autorités de l’immigration ont décidé de ne pas demander d’avis de danger du ministre. Ils n’ont pas exécuté le renvoi, se contentant d’avertir M. Abadir Ali de mener une vie plus productive et de cesser de commettre des crimes.

 

[11]           Le 11 juin 2007, un mandat d’arrêt de l’immigration a été lancé contre M. Abadir Ali à la suite de son omission de se présenter aux autorités de l’immigration à trois reprises. Il a été arrêté le 13 juin 2007.

 

[12]           Le 30 janvier 2008, M. Abadir Ali a fait l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire en raison de ses autres condamnations pour crimes graves. Il a été libéré de la garde de la Cour pour être confié à celle des autorités de l’immigration. Le 9 mai 2008, M. Abadir Ali a été avisé de l’intention de demander au ministre de se dire d’avis qu’il constituait un danger pour le public et devait être renvoyé en Somalie en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR.

 

[13]           Monsieur Abadir Ali a été reconnu coupable d’autres infractions criminelles à l’âge adulte :

 

                     i.            4 février 2002               Voies de fait causant des lésions corporelles, al. 267b) C.cr., condamnation à 9 mois d’emprisonnement avec sursis et à une période de probation de 27 mois

                   ii.            1er octobre 2002           Entrave à un agent de la paix, al. 129a) C.Cr., 7 jours d’emprisonnement, crédit pour deux jours de détention présentencielle

                  iii.            21 septembre 2004      Entrave à un agent de la paix, al. 129a) C.Cr., 1 jour d’emprisonnement, crédit pour 45 jours de détention présentencielle

                 iv.            3 janvier 2008              Voies de fait graves (art. 268 C.cr.), 47 jours d’emprisonnement, crédit pour 160 jours de détention présentencielle, période de probation de 3 ans.

 

 

[14]           Le 30 juin 2009, la déléguée du ministre a rendu sa décision. Elle concluait que M. Abadir Ali constituait un danger pour le public et qu’il pouvait être renvoyé en Somalie.

 

La décision à l’examen

 

[15]            La déléguée du ministre conclut que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Elle conclut qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve établissant ses chances de réinsertion. La déléguée estime également que, s’il devait être renvoyé en Somalie, M. Abadir Ali ne serait pas exposé à un risque plus grand que celui auquel les autres Somaliens sont exposés.

 

[16]           La déléguée commence par examiner les dispositions législatives et la jurisprudence lui conférant le pouvoir de rédiger un avis de danger. Outre le cadre législatif, la déléguée tient compte de l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1. Cet arrêt l’oblige à mettre en balance le risque auquel M. Abadir Ali serait exposé s’il était refoulé en Somalie avec la gravité du danger qu’il constituerait pour le public pour le cas où il demeurerait au Canada. Elle explique que sa conclusion doit répondre à la question suivante : [traduction] « Si le risque pour le public canadien l’emporte sur celui auquel M. Abadir Ali serait exposé s’il retournait en Somalie ainsi que sur toute considération d’ordre humanitaire applicable, M. Abadir Ali peut être renvoyé en Somalie en vertu du paragraphe 115(2) de la LIPR. »

 

[17]           La déléguée résume ensuite le dossier d’immigration de M. Abadir Ali, ses antécédents judiciaires et la chronologie des événements. Elle examine ensuite les renseignements sur le danger et les circonstances entourant la perpétration des diverses infractions criminelles. Elle cite de larges extraits de documents judiciaires faisant état de la condamnation du demandeur pour l’agression brutale et délibérée qu’il a commise contre une femme à qui il a infligé des blessures permanentes. Elle tient également compte des déclarations faites lors de l’audience de la détermination de la peine de M. Abadir Ali, y compris la lecture qui y a été faite de la déclaration relative aux répercussions sur la victime.

 

[18]           La déléguée exclut explicitement les condamnations prononcées contre M. Abadir Ali alors qu’il était adolescent pour s’en tenir au caractère violent des infractions qu’il a commises une fois devenu adulte. Elle tient également compte de son éducation troublée, de ses dépendances et du manque de ressources permettant de régler ses problèmes lors de sa détention.

 

[19]           La déléguée conclut qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour penser que M. Abadir Ali peut se réinsérer. Elle conclut également qu’il ne jouit d’aucun appui au sein de la collectivité et qu’il a peu ou point d’influences positives dans sa vie. Influencée par la nature et la gravité des antécédents de M. Abadir Ali, elle conclut qu’il constitue et continuera à l’avenir de constituer un danger pour le public au Canada.

 

[20]           La déléguée examine ensuite les observations formulées par M. Abadir Ali au sujet des raisons pour lesquelles il ne souhaite pas retourner en Somalie. Il s’inquiète pour sa sécurité en Somalie et sur la pénurie de ressources, de travail et d’aide. Elle tient compte du peu de connaissances que possède M. Abadir Ali au sujet de la culture et de mœurs somaliennes.

 

[21]           La déléguée conclut qu’il existe des dangers en Somalie, mais que tous les Somaliens y sont exposés. Elle conclut que rien ne permet de penser que M. Abadir Ali serait personnellement exposé à un risque dans le nord du pays, une région plus stable et où la tenue d’élections démocratiques est prévue. Elle conclut que rien ne permet de penser qu’une fois refoulé en Somalie, M. Abadir Ali ne pourrait y atteindre des lieux plus stables. La déléguée conclut que M. Abadir Ali ne sera pas plus en danger que toute autre personne en Somalie.

 

[22]           Après avoir tiré ces conclusions, la déléguée met en balance le risque individuel auquel le demandeur serait exposé en cas de refoulement avec le danger qu’il constitue pour la société canadienne. Elle conclut qu’elle n’est pas convaincue que M. Abadir Ali fera l’objet de persécution ciblée ou qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou à des traitements cruels ou inusités [traduction] « s’il devait être renvoyé en Somalie aujourd’hui ». La déléguée conclut que M. Abadir Ali constitue pour la société canadienne un risque suffisamment grave pour que ce risque [traduction] « l’emporte facilement » sur les risques auxquels il pourrait être exposé en Somalie.

 

Les dispositions législatives applicables

 

[23]           La LIPR dispose :

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (2001, ch. 27)

 

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

[…]

 

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

[…]

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[…]

 

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

(3) Une personne ne peut, après prononcé d’irrecevabilité au titre de l’alinéa 101(1)e), être renvoyée que vers le pays d’où elle est arrivée au Canada sauf si le pays vers lequel elle sera renvoyée a été désigné au titre du paragraphe 102(1) ou que sa demande d’asile a été rejetée dans le pays d’où elle est arrivée au Canada.

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

 

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

(3) A person, after a determination under paragraph 101(1)(e) that the person’s claim is ineligible, is to be sent to the country from which the person came to Canada, but may be sent to another country if that country is designated under subsection 102(1) or if the country from which the person came to Canada has rejected their claim for refugee protection.

 

 

(Non souligné dans l’original)

 

 

Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch.11.

 

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

 

[…]

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

 

 

 

 

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

 

 

Les questions en litige

 

[24]            Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

1.               Le ministre a-t-il manqué à son l’obligation d’équité lors de la formulation de son avis de « danger » en ne communiquant pas au demandeur un des documents sur lequel la décision était fondée et en n’accordant pas au demandeur la possibilité d’y répondre, alors que, même s’il avait signé ce document, le demandeur n’en avait pas soumis ou rédigé le contenu?

 

2.               La déléguée du ministre a-t-elle commis une erreur en estimant que le demandeur n’était pas personnellement exposé à un risque en cas de renvoi en Somalie?

 

3.               La déléguée du ministre a-t-elle commis une erreur en se fondant en partie sur la preuve documentaire sans tenir compte de la situation actuelle au pays et sans l’analyser?

 

4.               Les motifs invoqués pour justifier l’avis de danger de la déléguée du ministre sont-ils suffisants?

 

[25]           Le défendeur soumet pour sa part les questions suivantes :

 

1.                  La déléguée du ministre a-t-elle satisfait à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur?

 

2.                  Les conclusions de fait de la délégué et l’appréciation qu’elle a faite de la preuve étaient-elles raisonnables?

 

 

[26]           À mon avis, on peut répondre à ces questions en les formulant sous forme de deux questions. Premièrement, la déléguée du ministre a-t-elle satisfait à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur? En second lieu, la décision de la déléguée du ministre était-elle raisonnable?

 

La norme de contrôle

 

[27]           La Cour suprême du Canada a jugé, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit commandaient une certaine déférence et qu’elles étaient assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité.

 

[28]           La Cour suprême a précisé la notion de raisonnabilité dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa). Les conclusions de fait et l’appréciation de la preuve du délégué du ministre commandent un degré élevé de déférence. La Cour écrit, au par. 59 :

 

La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte.  L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs.  Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence.  Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47).  Il peut exister plus d’une issue raisonnable.  Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[29]           La nature de l’obligation d’agir avec équité est une question de droit. L’application de la Charte est une question de droit dont le contrôle est assujetti à la norme de la décision correcte (Dunsmuir).

 

L’analyse

La déléguée du ministre a-t-elle satisfait à son obligation d’équité procédurale suffisante envers le demandeur?

[30]            Le demandeur affirme que la déléguée du ministre a manqué à son obligation d’équité procédurale de trois façons. Il signale tout d’abord qu’on ne lui a pas remis certains des documents dont disposait la déléguée lorsqu’elle a rendu sa décision. Deuxièmement, il explique que les documents qui ont été communiqués lui ont été présentés de manière désordonnée et sans que les pièces soient cotées comme l’exige le « Guide des procédures de la Section de l’immigration ». Enfin, le demandeur soutient que son avocat précédent avait soumis à la déléguée un document que le demandeur n’avait pas vu auparavant.

 

La communication des documents

 

[31]           Le défendeur affirme que tous les documents dont disposait la déléguée ont été communiqués au demandeur. Le demandeur a reçu trois liasses de documents dont il a accusé réception par sa signature.

 

[32]           Il ressort d’un examen attentif du dossier certifié du tribunal que, par sa signature, le demandeur a accusé réception des trois liasses de documents le 9 mai 2008, le 12 décembre 2008 et le 21 mars 2009. Je suis convaincu que le demandeur a reçu communication des documents en question.

 

L’organisation des liasses de documents

 

[33]           Le demandeur affirme que les documents comptaient en tout près de 300 pages, qui n’étaient pas placées dans l’ordre, ce qui créait de la confusion. Le demandeur affirme que les liasses de documents n’étaient pas organisées comme l’exige le « Guide des procédures de la Section de l’immigration ». Ce guide reprend les Règles des Cours fédérales en ce qui concerne la forme que doivent respecter les documents, en particulier l’article 24, qui exige que les pièces soient cotées.

 

[34]           La réponse est simple. Le Guide énonce les règles de procédure à suivre devant la Section d’appel de l’immigration ou la Cour fédérale. Ces règles de procédure n’exposent pas les obligations procédurales à suivre dans les instances se déroulant devant les délégués du ministre. De plus, le dossier certifié du tribunal ne démontre pas que les documents ont été placés de façon peu méthodique.

 

[35]           Mais surtout, les documents les plus importants concernent les antécédents personnels et judiciaires du demandeur. Ce sont des renseignements dont le demandeur serait personnellement au courant et qui ne créeraient pas de la confusion chez lui.

 

Les arguments de l’avocat précédent

 

[36]           La Cour doit traiter avec beaucoup de circonspection les allégations d’inconduite. Il convient d’aviser l’avocat qui fait l’objet de telles allégations ainsi que le Barreau dont il est membre. De telles accusations doivent être accompagnées d'une explication de l'avocat mis en cause ou d'une plainte au Barreau (Nduwimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1387, au paragraphe 12).

 

[37]           Le demandeur affirme qu’il n’a pas signé le document daté du 21 octobre 2008 sur lequel la déléguée s’est fondée pour en arriver à sa décision. Le demandeur affirme qu’il n’était pas au courant de ce document de son ancien avocat et que celui-ci ne l’a jamais consulté. Le demandeur ajoute qu’il n’a pas été en mesure d’entrer en contact avec son ancien avocat alors qu’il était détenu à l’établissement de détention Innes. Il affirme qu’il s’est plaint de la conduite de son ancien avocat au Barreau du Haut-Canada.

 

[38]           Le défendeur affirme que le demandeur s’est vu offrir l’occasion de répondre. Le demandeur a fourni des observations écrites qui portaient sa signature et qui ont été envoyées par télécopieur à la déléguée le 21 octobre 2008. Le défendeur ajoute que l’avocat du demandeur a soumis d’autres observations à la déléguée le 30 avril 2009.

 

[39]           Le défendeur fait également valoir que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve hormis sa simple affirmation qu’il s’est plaint de la conduite de son avocat auprès du Barreau du Haut-Canada.

 

[40]           Un examen du dossier certifié du tribunal révèle que le demandeur a signé le document qu’il renie maintenant. Le demandeur n’a fourni aucun autre élément de preuve que son affirmation en ce qui concerne la plainte qu’il aurait adressée au Barreau. J’estime donc que l’argument du demandeur suivant lequel il n’a pas été consulté au sujet des observations soumises à la déléguée est mal fondé.

 

[41]           Je conclus donc que le demandeur a amplement bénéficié de l’équité procédurale au cours du processus ayant conduit à l’avis de danger.

 

Les conclusions de fait de la déléguée du ministre et l’appréciation qu’elle a faite de la preuve étaient-elles raisonnables?

 

[42]           Le demandeur affirme que la décision est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte d’éléments de preuve que le demandeur considère comme essentiels à l’analyse des risques auxquels il pourrait être exposé en Somalie.

 

[43]           Le défendeur affirme que l’avis de danger de la déléguée du ministre est raisonnable. Le défendeur signale que la déléguée du ministre examine le sens de l’expression « danger pour le public » et qu’elle conclut qu’elle vise l’individu qui risque de récidiver et dont la présence au Canada constitue un risque inacceptable pour le public. Elle examine ensuite les antécédents judiciaires du demandeur à la lumière de ce critère pour conclure que le demandeur constitue un danger pour le public.

 

[44]            S’agissant des risques auxquels le demandeur serait exposé s’il retournait en Somalie, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré que la déléguée a négligé des éléments de preuve qui étaient cruciaux dans le cas du demandeur.

 

[45]           Il est de jurisprudence constante que la personne appelée à rendre une décision n’est pas obligée de faire référence à chacun des éléments de preuve qui lui ont été soumis, mais qu’elle commet une erreur si elle omet de mentionner des éléments de preuve qui sont essentiels à la cause et qui sont contraires à sa décision (Cepeda-Guiterrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 16). Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[46]           La déléguée du ministre a expressément exclu de son examen les antécédents judiciaires du demandeur en tant qu’adolescent pour ne tenir compte que de ses antécédents judiciaires comme adulte. Pour en arriver à sa conclusion au sujet de l’avis de danger, la déléguée a tenu compte de la situation du demandeur, de ses antécédents judiciaires en tant qu’adulte, de son défaut de respecter les conditions de sa mise en liberté tant en ce qui concerne l’immigration que sur le plan pénal et de son défaut de se réinsérer socialement.

 

[47]           La déléguée du ministre a tenu compte de l’argument du demandeur suivant lequel il ne veut pas retourner en Somalie parce que sa vie serait en danger. Elle a tenu compte de la preuve soumise par l’avocat du demandeur. Elle signale que l’UNHCR considère que certains renvois forcés dans le nord de la Somalie sont possibles à certaines conditions. Elle affirme qu’elle a tenu compte de l’ensemble de la preuve versée au dossier, de la situation en matière de respect des droits de la personne et de la situation explosive sur le plan humanitaire et elle conclut que, bien qu’un renvoi forcé comporte certains désagréments, elle estime que le demandeur ne serait pas personnellement exposé à un risque. La déléguée du ministre mentionne aussi les éléments de preuve qui militent contre le risque.

 

[48]           Je suis d’accord pour dire que le principe général énoncé dans l’arrêt Cepeda-Guiterrez s’applique. La déléguée du ministre n’a pas à mentionner chacun des éléments de preuve portés à sa connaissance. Dans le cas qui nous occupe, elle a toutefois bel et bien tenu compte des éléments de preuve qui étaient essentiels en l’espèce.

 

[49]           Je conclus que la déléguée du ministre est arrivée à une conclusion raisonnable au sujet du risque auquel le demandeur serait exposé en cas de renvoi en Somalie. J’en arrive à cette conclusion à la lumière des explications fournies par la Cour suprême au sujet de la raisonnabilité dans l’arrêt Khosa.

 

[50]           La demande de contrôle judiciaire de l’avis de danger est rejetée.

 

[51]           Ni le demandeur ni le défendeur n’a proposé la certification d’une question grave de portée générale et la présente demande n’en soulève aucune à mon avis.

 

 

Dispositif

 

[52]           Ayant décidé que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale dans la procédure qui a été suivie en l’espèce et que la décision prise par la déléguée du ministre au sujet de l’avis de danger et des risques en cas de retour en Somalie est raisonnable, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire de l’avis de danger.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Je ne rends aucune ordonnance de certification d’une question grave de portée générale.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge


 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3998-09

 

 

 

INTITULÉ :                                       ABADIR ALI et MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               28 AVRIL 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN         

 

 

DATE DES MOTIFS :                      30 JUILLET 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Felix Weekes

 

            POUR LE DEMANDEUR

Helene Robertson

 

            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Weekes Law Office

Ottawa (Ontario)

 

           POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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