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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20100727

Dossier : IMM-5190-09

Référence : 2010 CF 782

[traduction certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

HYUN JOO PARK

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 18 août 2009 par une agente des visas à la section de l’immigration du Consulat général du Canada à New York (New York) par laquelle elle a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse au motif que son époux est interdit de territoire.

 

[2]               La demanderesse a été déclarée interdite de territoire au motif que son époux a été déclaré coupable de « conduite en état d’ébriété » en Corée du Sud, ce qui l’a rendu interdit de territoire au Canada pour criminalité, et ce, en vertu de l’alinéa 36(2)b) de la LIPR. Les membres de la famille qui accompagnaient l’époux, y compris la demanderesse, ont donc été déclarés interdits de territoire.

 

Le contexte

 

[3]               La Dr Hyun Joo Park, la demanderesse, a demandé la résidence permanente au Canada en avril 2008. Les membres de sa famille qui l’accompagnaient étaient son époux, le Dr Song Hong Yeop, et ses deux filles, âgées respectivement de 18 et 12 ans.

 

[4]               La demanderesse a obtenu en 1996 un doctorat de l’université de Southern California et a poursuivi ses études, à titre de boursière postdoctorale, au Research Institute – Program of Molecular Structure & Function du Hospital for Sick Children de Toronto. La Dr Park a travaillé comme chercheuse invitée au Samuel Lunenfeld Research Institute de l’Hôpital Mont-Sinaï à Toronto. La demanderesse occupe présentement un poste d’associée de recherche au Hospital for Sick Children.

 

[5]               Dans le cadre de son poste au Hospital for Sick Children, la Dr Park a travaillé sur de nouvelles méthodes de réparation de la mutation du gène responsable du régulateur de la perméabilité transmembranaire de la fibrose kystique, le principal élément responsable de la fibrose kystique. Il ne fait aucun doute que la Dr Park est une scientifique très instruite et très compétente qui serait un atout pour le Canada en tant que résidente permanente.

 

[6]               L’époux de la demanderesse, le Dr Hong-Yeop Song, a également obtenu un doctorat à l’université de Southern California et a travaillé comme professeur invité à la faculté de génie électrique et informatique de l’Université de Waterloo du 1er mars 2002 au 28 février 2003. Il est actuellement professeur à l’université Yonsei à Séoul (Corée du Sud).

 

[7]               Le Dr Song, a été arrêté pour « conduite en état d’ébriété », à Séoul, le 3 octobre 2007. L’affaire a été réglée le 9 novembre 2009 et le Dr Song a été condamné à payer une amende de 700 000 W (646 $CAN). Dr Song n’a pas contesté la déclaration de culpabilité et l’affaire semble avoir été réglée sur le plan administratif par l’acceptation et le paiement de l’amende.

 

[8]               Le dossier ne mentionne rien quant au degré d’ébriété du Dr Song au moment de son arrestation, sauf son taux d’alcoolémie, lequel était de soixante-cinq milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang. Le dossier révèle que le Dr Song a été arrêté à un barrage routier à une certaine distance d’un restaurant où il venait de manger. Rien n’indique que le Dr Song a été arrêté en raison d’une conduite mal assurée ou parce qu’il a échoué les tests physiques visant à démontrer qu’il était en état d’ébriété. La preuve ne mentionne pas non plus si son taux d’alcoolémie était supérieur au seuil fixé par la loi en Corée du Sud qui sert à établir s’il y a « conduite en état d’ébriété » ni si l’accusation était fondée sur des éléments de preuve autres que le taux d’alcoolémie.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[9]               La lettre de l’agente des visas, datée du 18 août 2009, énonce les motifs de sa décision :

[traduction]

 

Gouvernement du Canada / Consulat général du Canada

Section de l’immigration

1251, Avenue of the Americas

New York (New York) 10020-1175

 

Date : 18 août 2009

Dossier n° B0536 04725

 

Mme Hyun Joo Park

2059, avenue Buckhorn

Oakville (Ontario) L6M 3V5

Canada

 

Madame,

 

J’ai procédé à l’évaluation de votre demande. J’ai le regret de vous informer que votre époux appartient à la catégorie des personnes interdites de territoire au sens de l’alinéa 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection de réfugié (la Loi).

 

Selon l’alinéa 36(2)b), emporte interdiction de territoire le fait d’être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales.

 

Votre époux, Song Hong Yeop, a été arrêté pour conduite en état d’ébriété en Corée du Sud le 3 octobre 2007. L’affaire a été réglée le 9 novembre 2007 et il a été condamné à payer une amande de 700 000 W. Commise au Canada, cette infraction serait punissable, en vertu de alinéas 253(l)a) et 255(1)b) du Code criminel du Canada, d’un emprisonnement maximal d’au moins cinq ans. Votre époux est interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(2)b) de la Loi.

 

L’alinéa 42a) de la Loi prévoit que, s’agissant de l’étranger, emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas. Le membre de la famille est interdit de territoire au Canada. Par conséquent, vous êtes également interdite de territoire.

 

Le paragraphe 11(1) de la Loi énonce que les visas ou autres documents exigés sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la Loi. Je suis convaincue que votre époux, Song Hong Yeop est interdit de territoire pour les motifs énoncés ci-dessus. Par conséquent, je rejette votre demande, et ce, en application du paragraphe 11(1) et de l’alinéa 42a) de la Loi.

 

La Loi comprend des dispositions concernant des personnes qui ont commis des infractions criminelles en dehors du Canada. Afin d’être admissible à la réhabilitation, une période minimale de cinq ans doit s’être écoulée à la suite de la fin de toute peine ou du paiement d’une amande. Selon le dossier, il semble que votre époux sera pourra présenter une demande de réhabilitation le 13 décembre 2012. Vous êtes libre de présenter une demande à ce moment là.

 

Cette interdiction vise également tout séjour au Canada à titre de visiteur. La personne à votre charge, Song Hong Yeop, ne devra donc pas tenter d’entrer au Canada à moins de détenir un permis de séjour temporaire. Je vous remercie de l’intérêt que vous portez au Canada.

Veuillez agréer mes salutations distinguées.

 

M. Edmond

Agent d’immigration désigné

 

[10]           Les notes inscrites par l’agente dans le STIDI le 4 août 2009 constituent également ses motifs. Dans ses notes, l’agente des visas a conclu, en se fondant sur l’ordonnance sommaire de la cour du district Seobu de Séoul, chambre criminelle, sur les conclusions de la cour, sur les dispositions législatives (Korean Road Traffic Act (la Loi sur la circulation routière)) et sur les déclarations de l’époux de la demanderesse décrivant les événements; que le Dr Hong-Yeop Song a été déclaré coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, constituerait une infraction, c’est‑à‑dire conduite avec facultés affaiblies, et ce, en vertu de l’alinéa 253(1)a) du Code Criminel du Canada.

 

Les questions en litige

 

[11]           Il s’agit de déterminer si l’agente a commis une erreur en concluant que l’époux de la demanderesse, par application de l’alinéa 36(2)b) de la LIPR, était interdit de territoire pour criminalité.

 

Analyse

 

[12]           La question de savoir si une infraction commise à l’étranger pour laquelle l’étranger a été condamné est équivalente à une infraction à une loi fédérale canadienne est une question de droit. Par conséquent, une question de droit est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte : Kharchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1160, [2006] A.C.F. n° 1459, au paragraphe 29.

 

[13]           Dans Kharchi, précitée, au paragraphe 29, il a été conclu ce qui suit :

Il est nécessaire d’interpréter le droit étranger et le droit canadien afin de déterminer si les deux infractions sont équivalentes selon le libellé de chaque infraction. Dans ce contexte, l’agent d’immigration ne détient aucune expertise particulière. L’interprétation qu’il fait du droit étranger et canadien doit être correcte (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, aux paragraphes 37 et 59). L’omission d’évaluer convenablement l’équivalence des infractions constitue une erreur fatale, une erreur qui donne lieu à la révision de la part de cette Cour (Ngo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 609, au paragraphe 23).

 

 

[14]           D’après Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1987), 1 Imm. L.R. (2d) 1, [1987] A.C.F. no 47, afin de déterminer si une infraction en espèce commise à l’étranger est une infraction d’une loi fédérale canadienne, il est nécessaire d’établir si les éléments essentiels sont équivalents. L’équivalence peut être vérifiée de trois façons. L’une d’elles consiste à comparer le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions (Kharchi, précitée, au paragraphe 32).

 

[15]           Comme l’a conclu le juge de Montigny dans Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195, [2009] A.C.F. n° 264, au paragraphe 24, « il est bien établi maintenant que le droit pénal étranger peut être établi sans preuve d’expert lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a interdiction de territoire pour criminalité dans le contexte de l’immigration. Le décideur peut se fonder sur la preuve d’expert si elle est accessible, mais il peut aussi se fonder sur les dispositions légales étrangères et nationales et l’ensemble de la preuve, à la fois orale et documentaire : voir par exemple Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 73 N.R. 315, 1 Imm. L.R. (2d), 1 (C.A.F.); voir Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 1 C.F. 235 (C.A.F.). »

 

[16]           J’ajouterai qu’aucune retenue ne s’impose si la Cour estime que le décideur administratif n’a pas adhéré aux principes de l’équité procédurale : Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, [2003] A.C.S. n° 28, paragraphe 100. Cet aspect continue de relever de la fonction de surveillance exercée par la Cour dans un contrôle judiciaire.

 

[17]           En l’espèce, l’agente était saisie des articles 44 et 150 de la Korean Road Traffic Act car la demanderesse les lui avait soumis et car ils figuraient dans les documents de la cour coréenne portant sur la déclaration de culpabilité du Dr Song. L’agente des visas a examiné les libellés de ces dispositions et en est venue à la conclusion que l’infraction en litige équivalait à l’infraction dont il est question aux alinéas 253(1)a) et 255(1)b) du Code criminel du Canada. L’agente n’a pas bénéficié de l’opinion d’un expert et aucune opinion d’expert n’a été soumise par la demanderesse.

 

[18]           Le libellé de l’infraction mentionnée à l’article 44 du Korean Road Traffic Act n’exige aucun taux d’alcoolémie précis pour qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée. Dans le même ordre d’idée, l’infraction de « conduite avec facultés affaiblies » énoncée à l’alinéa 253(1)a) du Code criminel du Canada ne prévoit aucun taux d’alcoolémie précis. Tant que la preuve démontre qu’il y a avait facultés affaiblies, qu’elles soient mineures ou importantes, la perpétration de l’infraction est établie (R. c. Stellato, (1993), 12 O.R. (3d) 90, [1993] O.J. n° 18, confirmée par la Cour suprême dans [1994] 2 R.C.S. 478, [1994] A.C.S. n° 51).

 

[19]           La preuve qu’il y a eu consommation d’alcool ne suffit pas en soi à prouver qu’il y a eu facultés affaiblies. Il doit exister une preuve suffisante pour convaincre, hors de tout doute raisonnable, le juge des faits que la capacité de conduire était affaiblie, dans une certaine mesure, par l’alcool : R. c. Andrews, (1996), 178 A.R. 182, [1996] A.J. n° 8 (C.A. Alb.). La présomption qui naît lorsque le taux d’alcoolémie d’un conducteur dépasse le quatre-vingt milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang est suffisante pour établir la perpétration de l’infraction énoncée à l’alinéa 253(1)b) du Code criminel du Canada mais insuffisante pour établir qu’il y a eu facultés affaiblies au sens de l’alinéa 253(1)a).

 

[20]           Par conséquent, on ne peut pas présumer qu’une infraction de taux d’alcoolémie trop élevée commise à l’étranger sera équivalente, en absence d’éléments de preuve relatifs aux facultés affaiblies, à une infraction de conduite avec facultés affaiblies au Canada. De plus, je laisse à d’autres le soin de trancher la question de savoir si une infraction commise à l’étranger, pour laquelle on a prévu un seuil moins élevé que celui fixé par le législateur au Canada, serait équivalente à l’infraction prévue à l’alinéa 253(1)b) du Code criminel du Canada.

 

[21]           Il se peut, comme l’avocat de la demanderesse l’a prétendu, que l’infraction à l’égard de laquelle le Dr Song a été déclaré coupable relève davantage, en Corée du Sud, du domaine administratif plutôt que du domaine criminel. Cet argument n’a cependant pas été étayé par la preuve documentaire dont l’agente a été saisie. À mon avis, l’agente n’a commis aucune erreur en effectuant une analyse d’équivalence relativement aux infractions correspondantes en Corée du Sud et au Canada en comparant le libellé de chaque loi. Compte tenu de la preuve documentaire soumise, l’agente était convaincue que les éléments essentiels des infractions respectives avaient été établis.

 

[22]           La Cour ne doit pas modifier la décision rendue par l’agente quant à l’équivalence, sauf si elle conclut que l’agente a commis une erreur de droit (Steward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1988] 3 C.F. 487, [1988] A.C.F. n° 321, au paragraphe 12. Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 1 Imm. L.R. (2d) 1, [1987] A.C.F no 7).

 

[23]           Compte tenu de la preuve que la demanderesse a soumise à l’agente et dont la Cour a été saisie, je ne peux pas tirer une telle conclusion. En conséquence, je dois rejeter la demande. Aucune question à certifier n’a été proposée.

 

[24]           Selon le dossier, il semble que l’époux de la demanderesse pourra demander la réhabilitation à compter du 13 décembre 2012, c’est‑à‑dire 5 ans après le paiement de l’amande pour conduite avec facultés affaiblies en Corée du Sud. Il sera loisible au Dr Park de présenter une nouvelle demande de résidence permanente à ce moment là. Entre‑temps, la présente affaire se prête bien à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

Réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM-5190-09

 

INTITULÉ :                                       HYUN JOO PARK

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 JUIN 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :                      
LE 27 JUILLET 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wennie Lee

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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